« Je préfèrerais ne pas travailler
de 6h30 à 9h30 et de 16h à 20h tous les jours sauf le week-end. »

Retour sur les Lettres de non-motivation

Entretien réalisé par Bérénice Hamidi-Kim et Armelle Talbot

 

Nous aimerions commencer par vous interroger sur vos parcours professionnels dans le champ artistique, mais aussi hors de lui. Julien, tu as d’abord travaillé comme graphiste à France Télécom ; Vincent, sur ton site, il est précisé qu’à tes débuts, tu as travaillé « essentiellement in situ, dans une économie de moyens permettant d’échapper, en partie, aux contraintes économiques »[1]. Que représente pour vous le fait de travailler dans le champ de l’art ? Estimez-vous que l’art permet d’échapper aux contraintes du travail « ordinaire » ?

Julien Prévieux. – J’ai eu un parcours de formation un peu alambiqué. J’ai commencé par des études de sciences, puis j’ai fait une classe préparatoire aux écoles de commerce, que j’ai enchaînée avec deux années de médecine et un passage à l’université en biologie, tout en m’inscrivant en parallèle aux Beaux-Arts. J’ai mené les deux formations de front, jusqu’à la quatrième année. Ensuite, toujours en parallèle aux Beaux-Arts, j’ai travaillé chez France Télécom comme graphiste et webdesigner pendant six mois. Auparavant, j’avais travaillé plusieurs mois dans un centre de tri postal. J’ai ensuite travaillé comme graphiste indépendant pendant plusieurs années. La source d’inspiration des Lettres de non-motivation se trouve là, ainsi que dans les lettres de motivation que j’avais rédigées à la fin de mon cursus pour candidater à des stages en alternance alors que je m’étais inscrit à l’école des Gobelins. J’avais joué le jeu de la lettre de motivation classique, expliquant pourquoi il fallait absolument me choisir plutôt qu’un autre. La lettre de motivation est un passage obligé du monde du travail. Or elle jauge surtout notre capacité à jouer des rôles. Il y a quelque chose qui se dit là sur l’entrée dans le marché du travail et sur le travail lui-même, qui met en jeu le rapport de force entre demandeurs et offreurs d’emploi. À partir du moment où on se dit qu’on peut renverser la règle et se mettre en position de choisir… et de refuser…, cela révèle beaucoup de choses. Par la suite, j’ai appris par Emmanuel Didier[2] que des expériences similaires, dont l’enjeu était justement d’interroger ce qui semble aller de soi, avaient existé en sociologie autour de Harold Garfinkel. Ses expériences n’avaient pas directement à voir avec le monde du travail mais venaient bouleverser des situations quotidiennes (breaching experiments) pour mieux en révéler la dimension construite et réglée. Garfinkel demandait notamment à ses étudiants de négocier les prix de ce qu’ils achetaient au quotidien ou encore de préciser les termes des discussions les plus banales. En modifiant légèrement le jeu social, ils révélaient l’arrière-plan que nous oublions ou acceptons comme naturel. Les lettres de non-motivation fonctionnent selon un principe similaire.

Cela a donc commencé de cette façon, comme un geste politique, mais aussi comme un geste artistique, que je comptais présenter pour mon diplôme aux Beaux-Arts. Ma démarche s’inspirait aussi de l’Oulipo et des Exercices de style de Queneau. Les Lettres sont aussi apparues dans la continuité d’un certain rapport à la performance : durant ma formation aux Beaux-Arts, j’avais réalisé une vidéo intitulée Crash test mode d’emploi, dans laquelle je me projette contre tout ce qui nous entoure (qu’il s’agisse du décor – murs, bureaux – ou de personnages et d’objets symboliques : la maison parentale, un militaire), et une autre performance filmée, Roulades, qui reprenait ce geste simple qui consiste à rouler sur le sol qu’on a tous fait, gamins, mais en le déplaçant (dans la ville) et en l’étendant (toute une journée). Ces deux performances avaient un enjeu commun : la confrontation à un univers existant, et la tentative de le subvertir.

Au début, j’ai eu peur que ça ne prenne pas, mais très vite j’ai eu des réponses à mes lettres, de Bouygues par exemple, qui me répondait en prenant le temps d’argumenter, et je me suis dit que l’entreprise méritait d’être continuée. Le fait de déployer dans le temps ce protocole l’a transformé, parce que j’ai changé, et parce que la répétition accentue la dimension comique, mais donne aussi une dimension plus profonde et tragique.

Vincent Thomasset. – Mes années de formation ont aussi été celles de l’apprentissage de la vie professionnelle. J’étais inscrit en classe préparatoire littéraire, mais j’ai vite abandonné, puis j’ai voulu faire du théâtre. J’ai commencé, comme beaucoup, par des petits boulots. J’écrivais en parallèle, c’était pour moi l’enjeu essentiel. Je me suis formé à l’école du regard, en allant voir beaucoup de spectacles. J’ai été caissier un an au BHV et six ans dans un gros cinéma, j’ai enchaîné les petits boulots, gardé une petite vieille, castré des maïs, fait de l’intérim… Pour travailler au cinéma, j’avais d’ailleurs fait une lettre de motivation extrême, qui a même été publiée dans le journal du cinéma comme exemple de LA lettre de motivation parfaite, un peu sur le principe de « l’employé du mois ». Je m’étais vraiment mis à la place de l’employeur, expliquant que je rêvais de vendre des places de cinéma et des bonbons : ça les a séduits – ça, et mon profil de jeune blanc avec une tête de premier de la classe. En parallèle, j’ai continué à écrire, mais ce n’est que sur le tard que j’ai commencé à développer mes spectacles. J’ai bifurqué du théâtre vers la danse contemporaine et les arts plastiques, car je trouvais le théâtre trop bavard, il me semblait qu’on voulait trop faire dire de choses aux acteurs, alors qu’en danse et en art, on laissait les spectateurs plus libres de faire leur propre parcours.

J’ai commencé à travailler comme comédien, j’avais rencontré un metteur en scène lui-même très proche de la danse, Pascal Rambert, à qui j’avais fait lire mes textes et qui m’a engagé comme interprète. Je suis alors passé du travail salarié au travail intermittent. Puis, en 2006 j’ai appris qu’allait s’ouvrir un concours pour rentrer à « ex.e.r.ce », formation du CCN de Montpellier, à l’époque de Mathilde Monnier. J’y suis rentré à l’âge de 33 ans, en 2007. Le principe de cette formation, ouverte aux étrangers, était de nous faire rencontrer des artistes pendant une à deux semaines, de nous donner la possibilité d’expérimenter avec eux, mais aussi en solitaire. Ces sept mois de formation ont été passionnants et rudes. J’avais décidé d’organiser des Topographies des Forces en Présence assez régulièrement dans lesquelles j’incluais tout ce qui composait le cadre dans lequel je m’inscrivais, y compris l’institution. Ce terme générique désigne des formes non-reproductibles. Je ne voulais pas m’inscrire dans une logique de recherche d’argent, de moyens de production, je voulais prendre le temps de créer mes propres outils pour, à terme, créer mes spectacles. Cela m’a conduit à vivre une période, disons, exsangue, comme post-intermittent. Mais j’avais la chance de connaître des gens qui organisaient des festivals sans argent, ce qui m’a permis de faire ce que je voulais, à savoir travailler en public, sans jamais faire de répétitions au sens strict du terme, mais en « activant » collectivement au moment même de la performance ce que j’avais préparé, en amont. Ce n’est que progressivement que j’ai éprouvé le besoin de pouvoir répéter et que je me suis senti prêt à assumer des logiques de production.

Durant cette phase, j’ai en quelque sorte réglé mes comptes avec la radicalité : j’avais notamment décidé, lors de la toute première performance en public hors ex.e.r.ce, de payer le public au lieu de le faire payer, au tarif syndical, afin de ne rien lui devoir. Je voulais inverser le rapport habituel de consommation – évidemment, je n’ai rien inversé du tout. J’avais proposé aux spectateurs de faire des feedbacks durant la performance, et à la fin je proposais un temps d’échange. C’était un dispositif très intrusif, mais qui racontait beaucoup de choses. À l’époque, j’utilisais mon site internet comme lieu d’archivage, il est toujours possible d’y trouver photos, textes, partitions et parfois même des feedbacks de spectateurs. En 2011, j’ai eu envie de créer des formes reproductibles, des spectacles. Sus à la bibliothèque ! est le premier.

Comment cette question du travail est-elle présente dans vos œuvres ? Julien, la question du management est au cœur de plusieurs de tes créations et, encore dernièrement, dans What Shall We Do Next ? (2014), tu as travaillé sur la réutilisation chorégraphique et libre de droit de gestes brevetés par certaines entreprises.

Julien Prévieux. – J’aime utiliser la forme de l’atelier pour réaliser des œuvres d’art avec des collaborateurs inattendus. Cette démarche a commencé avec les lettres, qui fonctionnaient comme un atelier d’écriture sans que les DRH en soient informés. Ensuite, j’ai mis en place un atelier avec des grands-mères pour fabriquer des pulls qui allaient être présentés dans des expositions (D’octobre à février, 2010), puis avec des assureurs pour une œuvre sonore et un diagramme compilant les scénarios et les estimations de risques de catastrophes produits par les assureurs. Leurs récits étaient composés d’histoires de barrages risquant de s’effondrer, de terroristes envahissant des bâtiments publics, de piratages informatiques, etc… Cette œuvre a été montrée à l’occasion de l’édition 2010 de la Biennale de Rennes et au Château des Adhémar, avec pour cette exposition, une large vue sur un paysage paisible, et en guise d’audioguide, cette compilation de récits très anxiogènes. Je travaille avec des travailleurs, en réorientant doucement ce qu’ils sont et ce qu’ils produisent à des fins artistiques.

J’ai travaillé avec des policiers dans la même optique en 2011 puis en 2015 (Atelier de dessin – B.A.C. du 14e arrondissement de Paris) : il s’agissait de leur demander de produire à la main des diagrammes utilisés par la police pour mettre en évidence les crimes et les délits. Ces diagrammes ont été créés pour optimiser le travail des policiers mais ils ont des effets pervers non négligeables. Ils permettent de mesurer, non seulement l’activité des délinquants, mais aussi celle de la police, mettant les policiers en concurrence, entre commissariats, ou avec eux-mêmes en facilitant les comparaisons entre les chiffres de la délinquance obtenus au jour le jour. Ce projet est né dans le cadre du programme de recherche « Statactivisme »[3] auquel Isabelle Bruno et Emmanuel Didier m’ont associé après avoir lu les Lettres. Il s’agissait à la fois de transformer les policiers en artistes le temps de l’atelier, et d’ouvrir un espace de parole pour ces travailleurs, discuter des conséquences de ces outils sur leur travail, de la pression qu’ils leur imposent. Cette démarche hérite des travaux du plasticien allemand Hans Haacke, qui, dans les années 1970, a utilisé les statistiques à des fins artistiques, notamment son œuvre intitulée Profils de visiteurs, dans laquelle il demandait aux visiteurs de ses expositions de remplir un questionnaire sociologique qu’il exposait ensuite dans l’espace de la galerie. Cette pratique tient de ce qu’on nomme la « critique institutionnelle », qui met en lumière et analyse les conditions de production, de présentation et de réception des œuvres d’art dans les institutions culturelles. On pourrait aussi dire qu’elle s’inspire du principe des forks, ces embranchements de programmes informatiques, très présents dans la communauté des programmeurs de logiciels libres, qui impliquent le déverrouillage de l’accès aux outils et leur reconfiguration pour en modifier les fonctions et parfois les usages. Je ne suis pas un hacker au sens strict, mais j’essaie de déconstruire les outils technologiques existants, pour voir comment ils marchent et pour les dévier de leur destination originelle, en vue d’en proposer des modes de réappropriation. C’est ça, mon rapport au travail : enquêter et trouver des méthodes de recherche permettant d’interroger et de modifier les outils de travail existants. Trouver des manières de travailler avec un algorithme, et comment travailler un algorithme de l’intérieur, c’est vraiment du travail !

 

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Lettres de non-motivation
2000-2007, petites annonces, lettres, réponses, format A4
Courtesy galerie Jousse entreprise

Nous voudrions aborder à présent les Lettres de non-motivation. Julien, peux-tu revenir sur l’enjeu de ce texte et, plus précisément, du télescopage entre le jeu formel de répétition-variation stylistique et la violence du référent réel des annonces et, plus encore, des réponses des entreprises, rouleau-compresseur dont se détachent, comme des bulles d’air, les lettres de non-motivation proprement dites ? Et avais-tu anticipé que le rythme ternaire annonce/lettre de non-motivation/réponse et leur matérialité rhétorique mais aussi typographique dotaient ce texte d’un potentiel scénique ?

Julien Prévieux. – Le protocole d’embauche est très cadré et les candidats sont obligés de jouer des rôles et de respecter certaines règles s’ils veulent pouvoir passer les étapes et décrocher un emploi. En refusant tous les emplois possibles, il s’agissait de voir les effets produits par cette perturbation. Et plus le geste du refus était répété et enrichi de personnages et de styles différents, plus les réponses des entreprises semblaient dérisoires, formatées ou ridicules, montrant la violence et l’absurdité du rapport de force à l’œuvre dans le protocole d’embauche.

Pour avoir eu l’occasion de lire les lettres en public à l’occasion de conférences, je m’étais rendu compte de l’importance de l’incarnation et du passage à l’oral. En donnant corps au texte, on peut amplifier le contenu des lettres et des réponses. Mais le passage à la scène est une autre affaire et Vincent a su donner un véritable rythme à ces triptyques.

Vous vous connaissez tous deux de longue date. Comment, et de qui est venue l’idée de travailler ensemble sur ce texte en particulier, et quelles ont été les modalités de la collaboration ?

Vincent Thomasset. – L’envie est née chez moi à un moment où j’avais créé suffisamment de spectacles pour m’ouvrir à des textes que je n’avais pas écrits, et dans une phase de retour au théâtre après une phase où j’étais intéressé davantage par la danse. Cet objet littéraire totalement hétérogène que sont les Lettres de non-motivation m’a beaucoup intéressé, de même que l’aspect « atelier d’écriture » dans la mesure où Julien s’est engagé dans un travail au long cours, a exploré différentes formes d’écriture, de langage, sans prétention littéraire. Dans le même temps, la contrainte est très présente et je voyais très bien les problèmes auxquels allait me confronter cette écriture fragmentaire. La difficulté de montage et d’interprétation m’a paru stimulante.

Concernant les modalités de la collaboration, au moment de lancer le projet, j’ai tenu à faire comme si nous ne nous connaissions pas. J’ai exposé à Julien ce vers quoi j’avais envie d’aller. Ensuite, nous nous sommes revus une fois, et nous avons décidé d’un commun accord de ne pas collaborer activement, pour que j’aie les mains libres et qu’il ne soit pas responsable de ce que j’allais faire. Ce qui a également joué, c’est que Julien a obtenu le prix Marcel Duchamp : il était donc très peu disponible et n’a assisté qu’à une répétition. Mais comme Julien fait partie de mes amis très proches, il connaît très bien mes textes tout comme moi, je suis familier de son œuvre, donc la collaboration était déjà là, en quelque sorte !

Julien Prévieux. – En effet, on aurait pu en parler, comme on le fait très souvent pour nos projets respectifs, mais je pense que j’aurais été très pénible, et forcément intrusif, car ces textes m’ont accompagné longtemps et ils m’ont fait connaître, j’aurais eu peur de toute transformation. Par exemple, le choix d’une progression crescendo et l’introduction du chant : je suis sûr que si Vincent m’avait parlé de ces idées, elles m’auraient déplu, alors qu’a posteriori, je trouve qu’elles fonctionnent très bien.

Qu’en est-il du processus de sélection et de montage des lettres ? Julien, comment as-tu choisi les lettres pour le texte, du millier de lettres envoyées aux trente-cinq qui figurent dans le recueil, et selon quel principe les as-tu classées ? Vincent, comment as-tu procédé à ton tour pour le spectacle ?

Julien Prévieux. – J’ai choisi les lettres de non-motivation qui me semblaient les plus représentatives parmi celles que j’ai pu écrire et pour lesquelles les réponses reçues étaient les plus révélatrices. En ce qui concerne la succession des triptyques, j’ai choisi les lettres dont le contraste était le plus fort et en mettant en place un rythme d’alternance entre des lettres ayant reçu des réponses automatiques et des réponses personnalisées. J’ai aussi gardé pour la fin du livre un certain nombre de lettres n’ayant jamais eu de réponse, ce qui constituait une part importante du processus.

Vincent Thomasset. – Au départ, je voulais respecter le texte, et inclure les trente-cinq lettres et chacune des réponses. Nous avons travaillé toute cette matière durant les auditions, mais finalement, je me suis libéré de cette contrainte car d’autres ont primé. D’abord, le choix des interprètes : je connaissais peu d’acteurs susceptibles d’activer le type de jeu que j’avais en tête, mais je savais que je voulais un assemblage de corps et de voix hétérogènes, ce qui nécessitait de créer une distribution qui comprenne des interprètes aux qualités et aux parcours différents. La sélection des lettres s’est vraiment faite progressivement, et a continué à évoluer après les premières représentations – elle s’est seulement stabilisée après les représentations au Centre Pompidou, lors de la neuvième représentation ! J’ai notamment ajouté, après en avoir parlé avec Julien, une annonce que j’avais initialement écartée, suivie d’une réponse circonstanciée et argumentée de l’entreprise faisant un long développement sur le SMIC. Le critère de sélection, mais aussi d’organisation des lettres a été à la fois simple et extrêmement complexe. Certaines étaient choisies pour leur contenu, d’autres pour ce qu’elles donnaient comme matière de jeu, enfin certaines pour leurs rythmes ou sonorités. On a vraiment avancé en même temps sur le montage des lettres, sur le jeu, la distribution, et sur la scénographie. Déterminer l’ordre des lettres a été le plus difficile au vu du nombre de paramètres en jeu (rythme, voix, sens, distribution, dramaturgie, etc.).

Ce qui nous a marquées, c’est la progression des codes de jeu au cours du spectacle, qui renforce mais aussi déborde l’exercice de style à la Queneau. Là où le texte joue sur le contraste de ton entre les annonces et les lettres et, dans les lettres mêmes, sur le contraste entre une forme visuellement conforme (en-tête, date, cordiales salutations etc.) et un contenu décalé, le spectacle étend le registre ludique et parodique aux petites annonces elles-mêmes. Pourquoi ce choix qui vient redonner du pouvoir aux artistes et affaiblit le référent réel du monde du travail qu’incarnent les petites annonces ?

Vincent Thomasset. – Même s’il reste beaucoup d’annonces projetées, on s’empare de certaines pour jouer avec elles, et l’oralisation aboutit à révéler leur dimension parfois comique. Elle amène un second degré. Le spectacle est globalement moins sec que le texte de Julien, précisément parce qu’on donne vie aux annonces et aux textes. Je tenais vraiment à ce qu’on prenne le large par rapport au point de départ. L’idée était aussi de refuser de prendre ces annonces au sérieux, et de ne pas de faire une nouvelle version de Violence des échanges en milieu tempéré. La violence du monde du travail n’est pas mon sujet, si tant est qu’il y en ait un, pas directement en tout cas.

Avis d’audition


Vincent Thomasset – Laars & Co

recherche 3 interprètes pour la création des
Lettres de non-motivation de Julien Prévieux

 

Au départ, un protocole simple : Julien Prévieux répond à des offres d’emploi par la négative. En jouant avec ce qui l’entoure, il met au jour les rapports de force, les mécanismes à l’œuvre entre celui qui cherche du travail et ceux qui en offrent. Chaque individu ayant été à un moment donné confronté au processus de recherche d’emploi, le pouvoir cathartique de ces lettres opère immédiatement : le lecteur peut à la fois se projeter dans les différents personnages et postures qu’elles contiennent, mais également s’identifier à l’artiste en train d’écrire ces lettres de non-motivation.
Dans un premier temps, j’organise une audition/stage afin de rencontrer des interprètes, constituer l’équipe de création. Nous travaillons notamment autour de la notion de « réfractaire au plateau », qualité qui appartient aux personnes qui n’ont aucun désir de se produire sur scène, résistent à toute forme de jeu. Dans la mesure où de vrais réfractaires ne montent pas sur scène, cette audition permettra de rencontrer des interprètes capables de faire résonner cette dynamique en creux, doués de cette présence singulière qui appartient à ceux qui résistent. Si le projet de Julien Prévieux touche un large public, c’est également grâce à un formidable travail sur le langage : qu’ils tendent vers une hyper-écriture ou des oralités aux textures diverses, ces motifs littéraires hétérogènes constituent un véritable terrain de jeux qui devra trouver différents types de résolution sur le plateau. Nous étudierons les mécanismes à l’œuvre lors d’une lecture, la façon dont ils peuvent être modifiés en fonction de leur nature (roman, discours, poésie, article théorique, etc.) et selon le contexte (lire pour soi, raconter une histoire, lire en public, etc.). Enfin, nous observerons quand et comment il est possible d’incarner ces lettres ou, au contraire, de les faire entendre.
Profil recherché
Âge : 16 à 65 ans. Sexe indifférent.
Disponibilité : sur l’ensemble des périodes de répétitions, la période de création et les dates de tournée à venir.
Conditions : rémunération selon la Convention Collective Nationale du Spectacle Vivant.
Planning de disponibilités
Répétitions : 7 ou 8 semaines de répétition réparties sur la période avril-septembre 2015
Représentations : création à l’automne 2015 + dates de tournée sur les saisons suivantes.
Audition sur convocation
Dates de l’audition : 22 au 26 septembre 2014 à Paris, au Théâtre de la Bastille. Clôture des inscriptions : 18 juillet 2014.
La convocation pour l’audition vous sera envoyée par email au plus tard le 25 juillet 2014.
L’audition se déroule en deux parties. Les deux premiers jours visent à constituer un groupe de 10 à 15 personnes maximum qui participent à un stage de sélection les trois jours suivants. De plus amples détails sur les horaires et le déroulement des auditions seront communiqués ultérieurement par email aux personnes sélectionnées.
Modalités d’inscription
Une pré-sélection a lieu par internet. Votre candidature doit comporter :
– Des liens vers des vidéos comportant trois lettres, une annonce et une réponse extraites des Lettres de nonmotivation. Le texte peut être lu et/ou appris. La durée totale ne doit pas excéder 15 minutes. La qualité est indifférente (caméra, webcam, téléphone). Vous pouvez, au choix, les mettre en ligne, les envoyer par dropbox, wetransfer, ou tout autre service à l’adresse email indiquée. Usage strictement confidentiel.
Livre intégralement consultable sur le site de l’éditeur : http://www.editions-zones.fr/
Possibilité d’acheter le livre en librairie ou sur internet (11 euros).
– Un document word comportant votre nom, prénom, adresse postale, date de naissance + un cv ou une bio rédigée.
Le document doit être nommé comme ceci : nom_prénom_audition_lnm
– Si vous le jugez opportun, des liens vers un website personnel, d’autres vidéos.
Envoi des pièces jointes et liens par email au plus tard le vendredi 18 juillet 2014 à cette adresse : laarsandco.lnm@gmail.com
En savoir + : http://www.vincent-thomasset.com/
http://www.previeux.net

Revenons sur la question de la distribution et sur ta propre place de recruteur sur le marché du travail artistique : peux-tu préciser comment s’est passé le processus de sélection ?

Vincent Thomasset. – C’était un processus très engageant, car je tenais à tout assumer seul, ayant connu la sélection en tant que comédien. Le principe des auditions m’est apparu le plus juste. Je ne connaissais pas les acteurs qui pouvaient convenir à ce projet et je voulais donc en rencontrer – sachant que j’avais déjà choisi une des interprètes, Michèle Gurtner, et qu’il me manquait trois à quatre personnes. Je tenais à ce que tout le monde ait sa chance, j’ai donc fait passer un avis d’audition, relayé par Pôle Emploi, par les Inrocks et par ma mailing list. J’avais fait en sorte de ne laisser que trois semaines pour répondre à l’annonce, un délai court au vu de ce qui était demandé, puisqu’il fallait pour la première étape m’envoyer cinq vidéos sous forme de téléchargement ou en ligne sur des sites de contenus vidéos, contenant une annonce et une réponse, accompagnées d’un CV. Je ne demandais pas de lettre de motivation, partant du principe que si quelqu’un prend le temps de faire cinq vidéos, c’est qu’il est motivé ! Cela dit, certains en ont quand même envoyées. Le livre était entièrement consultable sur le site de l’éditeur, pour que les candidats n’aient pas à l’acheter. J’ai reçu 275 candidatures, à peu près 1500 vidéos. J’ai tout parcouru, et j’ai tenu à faire une réponse circonstanciée à tous – ce à quoi je n’avais jamais eu droit lorsque j’étais de l’autre côté du miroir[4]. Le processus de sélection est par nature violent, et je l’ai assumé, mais une part de cette violence tient à la forme qu’on donne à ce processus, et j’ai tâché de faire au mieux pour éviter cette violence-là.

Ensuite, j’ai reçu quarante-cinq personnes en audition au Théâtre de la Bastille : elles devaient avoir appris une lettre par cœur, et on la travaillait pendant vingt minutes. Je suis également passé par le Jeune Théâtre National car je voulais me confronter à la profession dans son ensemble. Au JTN, il est obligatoire d’auditionner tous ceux qui veulent se présenter, j’ai donc fait passer l’audition à quarante comédiens du JTN, ils sont venus directement avec une lettre apprise par cœur. J’en ai présélectionné trois. Avec les quinze comédiens sélectionnés par ailleurs à l’issue des auditions préparatoires du Théâtre de la Bastille, il restait donc dix-huit personnes. On a travaillé ensemble pendant trois jours et demi. Chaque soir, je les voyais individuellement, afin d’expliquer pourquoi je choisissais de continuer, ou de ne pas continuer avec eux. À la fin du processus, il restait quatre personnes, qui sont dans la distribution définitive : David Arribe, Johann Cuny, François Lewyllie, Anne Steffens. Johann, le plus jeune de la distribution, vient du JTN, sa jeunesse était importante dans ce projet. Il a cette liberté qui fait écho aux jeunes années de Julien qui ont vu naître ce projet !

L’avis d’audition précise : « Nous travaillons notamment autour de la notion de “réfractaire au plateau”, qualité qui appartient aux personnes qui n’ont aucun désir de se produire sur scène, résistent à toute forme de jeu. Dans la mesure où de vrais réfractaires ne montent pas sur un plateau, cette audition permettra de rencontrer des interprètes qui soient capables de faire résonner cette dynamique en creux. »[5] Peux-tu préciser l’enjeu de cet entre-deux et de la présence de « faux » réfractaires au plateau ?

Vincent Thomasset. – Cette précision a agi comme un filtre au moment de l’audition : elle a permis de mettre à distance ceux qui auraient pu penser que cela pouvait être un spectacle de café-théâtre, et inversement, de rassurer et d’attirer d’autres profils. Je pense à François qui, si je n’avais pas mis cette précision, n’aurait pas passé l’audition, précisément parce qu’il a envie d’être sur un plateau sans pour autant faire le comédien. C’était aussi par fidélité à ma propre expérience d’acteur. Moi-même, je prenais beaucoup de plaisir à être au plateau, tout en résistant à la surproduction de jeu, de mots et d’émotion. C’est d’ailleurs pour ça, je crois, que Pascal Rambert m’a engagé. Je restais des heures sans parler et en ne bougeant quasiment pas. Je n’aime pas l’idée que des gens dénoncent la société de consommation sur un plateau tout étant dans une surproduction de signes et de sens. Cette expression renvoie à cette envie de ne pas en faire trop. Depuis Sus à la bibliothèque !, où Lorenzo De Angelis est caché derrière son anorak pendant un long moment et ne se découvre que progressivement, ce principe d’action a toujours fait partie de mon travail.

As-tu considéré la possibilité de faire appel à des non-professionnels ?

Vincent Thomasset. – Oui, et c’est un peu le cas d’ailleurs : François est régisseur technique, poète, il fait des performances, mais ce n’est pas un acteur au sens où il n’a pas suivi de formation, et où il n’a pas le désir d’être acteur. Peut-être que l’expression la plus juste ne serait pas « réfractaire au plateau », mais « réfractaire au jeu d’acteur ». Mais j’ai aussi auditionné de « vrais » amateurs si on peut dire. Ça n’a finalement pas marché, mais ça aurait pu. À l’inverse, j’ai auditionné des acteurs venant du théâtre au sens le plus traditionnel du terme, parce que ça me semblait être un projet de théâtre – d’ailleurs, j’ai demandé une subvention à la DRAC Théâtre, et pas à la DRAC Danse comme je le fais en général, parce que je voulais assumer cette identité théâtrale du projet.

L’un des déplacements opérés entre l’écrit et le plateau tient à la place du collectif. Là où le texte met en jeu la dissidence, voire le refus d’un individu face à un système, le spectacle met en jeu un collectif d’acteurs, de plus en plus valorisé comme tel au fur et à mesure du spectacle. Faut-il y voir une défense du théâtre comme monde du travail alternatif ? De fait, le spectacle nous a paru constituer un espace protégé, où la violence actuelle du monde du travail ne pénètre pas.

Vincent Thomasset. – Oui et non. Effectivement, je voulais que le collectif s’empare de la pièce petit à petit, pour arriver à sortir du rythme ternaire annonce/lettre/réponse du projet de Julien et du début du spectacle. Il a donc progressivement fallu s’affranchir des réponses, et mettre aussi en scène l’affranchissement des acteurs par rapport à la précision très grande des gestes et des temps exigée au début du spectacle. Après la séquence « tragédie », qui constitue une sorte de climax, ça se délite et devient de plus en plus tranquille, la fin du spectacle va vers de moins en moins de « mise en scène », et la vie reprend un peu le dessus. Mais il ne s’agissait pas du tout de dire que le monde du théâtre est un monde du travail pacifique et cool. Ce n’est pas un monde facile, pas du tout, et pour accéder au Graal que constitue le fait d’être payé pour travailler et, plus encore, pour faire des choses qui te plaisent, c’est plus que difficile ! On ne visait pas du tout à dire que c’est une bulle protégée. Le processus de création a d’ailleurs été très éprouvant.

Certains spectateurs ont sans nul doute fait l’expérience de la violence du travail ou de la recherche d’emploi. As-tu eu des retours sur ce point, et sur la création de cet espace autre, au moins le temps d’un spectacle ?

Vincent Thomasset. – On a eu peu de retours sur ce point précisément. Je me doute que des gens ont dû estimer qu’on faisait un divertissement, au lieu de parler du monde du travail comme dans le texte de Julien. Mais pour moi, ce n’est pas le sujet. Et puis je ne veux pas en rajouter : qu’est-ce que ça apporterait sur un plateau de dire que le monde du travail est dur ? D’abord, les gens le savent, et puis, si le théâtre changeait les choses, ça se saurait… autant se battre, s’engager, dans une association ou un parti. Je ne veux pas tout mélanger, et puis je ne veux pas « la ramener » avec ça, même si j’ai fait beaucoup de petits boulots, je ne veux pas me mettre dans une posture de dénonciation. Cela dit, j’ai vu des spectacles très réussis dans cette veine, très documentés. Mais cela ne me correspond simplement pas, et pour ce qui me concerne, je mets mon engagement dans le fait d’être au plus près de ce que je veux faire, de ne jamais transiger avec ça, et de respecter les gens avec lesquels je travaille. J’ai vu trop de metteurs en scène qui en font des tonnes en termes de dénonciation dans leurs spectacles, mais qui maltraitent leur équipe par ailleurs.

Pour prolonger cette question de l’engagement, nous voudrions vous interroger tous les deux sur la référence à Bartleby dont la fameuse formule « Je préfèrerais ne pas » est la matrice d’une des lettres[6] et qui vient par ailleurs clôturer le spectacle, ce qui lui donne une place encore plus grande que dans le recueil. Dans le texte qu’il a consacré à la nouvelle de Melville, Deleuze met en lumière le fait que la formule de Bartleby ne constitue ni un « oui » ni un « non » mais un « tourno[iement] dans un suspens qui tient tout le monde à distance » [7]. Est-ce que la position bartlebienne incarne le mot de la fin, soit une forme de dissidence qui échapperait à l’alternative de l’adhésion et de la contestation ? Julien, partages-tu ce point de vue ?

Vincent Thomasset. – C’est un positionnement qui me convient tout à fait, et puis c’est une « grosse » référence qui échappe à l’entre-soi, qui peut être compréhensible par une partie du public, et que l’autre partie gagne à découvrir. La formule de Bartleby, ou l’expression « faux réfractaire », renvoient au même enjeu : être là, oui, mais autrement. L’enjeu politique, c’est avant tout, dans ma conduite professionnelle mais aussi personnelle, d’être sans concession vis-à-vis de mon art, même si c’est difficile, y compris avec les interprètes. Il est bien plus important de définir ce qui, dans nos pratiques, pourrait relever de ce qui pourrait s’apparenter à des comportements négatifs plutôt que de dénoncer sans jamais questionner nos propres habitudes. Je fais notamment attention à ne pas tout placer sur le plan du désir, ce qui permet trop souvent, dans nos métiers, d’éviter de parler de sujets qui concerneraient, par exemple, le niveau de rémunération ou les conditions de travail.

Julien Prévieux. – Bartleby est une référence importante mais les Lettres de non-motivation ne sont pas bartlebiennes pour autant. La formulation du refus chez Melville est au conditionnel et la tournure du « je préfèrerais ne pas » laisse planer une ambiguïté radicale sur les intentions du scribe réfractaire. Cette nouvelle absolument géniale est un objet de pensée particulièrement complexe.

Les lettres de non-motivation affirment la dimension salvatrice d’un « non » primitif qui prend toute sa force lorsque la correspondance révèle dans un éclat de rire la fragilité des règles et des positions établies.

Réponse de Vincent Thomasset
aux comédiens ayant répondu
à son annonce


 

Bonjour
Tout d’abord merci à toutes et à tous pour les candidatures, j’ai été souvent impressionné par le travail effectué, la qualité des vidéos que j’ai pu visionner. J’espère que ces quelques lignes vous éclairciront sur les tenants et les aboutissants de cette audition, qu’elles pourront vous donner quelques clefs dans la mesure où il m’est impossible de répondre à chaque personne individuellement.
J’ai tenu à opérer un choix d’après vidéos pour ne pas avoir à me décider d’après cv et photos. Si j’ai lu avec attention vos emails, les parcours rédigés et lettres de motivation (ou non-motivation !) que vous avez pu envoyer, le simple fait de produire des vidéos suffisait à témoigner d’un réel engagement de votre part.
Les critères de sélection n’étant pas restrictifs (homme/femme, 16-65 ans), l’annonce ayant été largement diffusée (Pôle Emploi, Les Inrocks, Toute la Culture, Facebook), vous avez été 275 personnes à envoyer une candidature, dont 180 femmes et 95 hommes, malgré la période d’exposition de l’annonce volontairement réduite (3 semaines) et le travail important à fournir (choix des textes, réalisation puis envoi des vidéos).
J’ai tenu à diffuser l’annonce le plus largement possible pour plusieurs raisons. Il s’agit bien évidemment, dans un premier temps, de remettre en jeu le processus de recherche d’emploi qui est au centre du projet de Julien Prévieux. De plus, l’adaptation de ces lettres est particulièrement périlleuse, aussi, le choix des interprètes s’avère très important.
Enfin, ayant connu la difficulté de travailler en tant qu’interprète, il m’a semblé important de diffuser le plus largement possible l’annonce afin de rencontrer des personnes que je n’aurais jamais pu connaître sans ce procédé.
De mon côté, chaque candidature a nécessité un temps de travail considérable. Je tiens à remercier celles et ceux qui m’ont envoyé des parcours rédigés circonstanciés, qui ont pris le temps d’écrire des emails pour exposer leur motivation ou, parfois, leur non-motivation. Veuillez également noter que j’ai téléchargé toutes les vidéos, y compris celle que vous avez pu mettre en ligne sur youtube ou vimeo. Ça m’a permis de pouvoir les regarder sans connexion internet, travailler plus efficacement. Ne vous fiez donc pas au nombre de vues affiché.
Dans un premier temps, j’ai procédé de manière très intuitive afin de sélectionner, ou écarter, c’est selon, certaines candidatures. Il est resté ensuite un grand nombre de personnes pour lesquelles il a fallu plus de réflexion, plusieurs visionnages. Ci‐dessous, quelques tendances qui se sont dégagées :
– Mise en scène : parfois, les mises en scène élaborées pouvaient s’avérer contre-productives. Il était plus facile de me prononcer face à des plans fixes, des cadrages simples, permettant à l’interprète de se livrer avec le moins d’artifices possible face à la caméra.
– Notion de « réfractaires au plateau » : certains en ont totalement fait abstraction, d’autres ont parfois intégré cette notion sans jamais la dépasser, ce qui pouvait être problématique dans la mesure où il était pour moi difficile de déceler une capacité à aller ailleurs. L’idéal étant, finalement, de montrer à la fois une facilité à aller dans le sens des lettres mais également, une capacité à les transmettre avec retenue.
– CV, parcours : ce critère passe en second plan. Je me suis astreint à toujours regarder les vidéos en premier pour ne pas être influencé par votre parcours. Ce n’est que dans un second temps que j’ai pu regarder les CV afin de donner un éclairage en cas de difficulté à me positionner.
– Textes sus/lus – travail engagé : si le travail engagé pour la réalisation des images n’a pas été pris en compte, j’ai été par contre sensible à celles et ceux qui ont travaillé les textes, l’interprétation, voire appris des passages. Conscient des délais trop courts, ça n’a pas été un critère de non-sélection, mais cela a pu apporter un vrai +.
Ces quelques critères ne sauraient expliquer des choix qui sont bien évidemment subjectifs. J’ai tenté de faire au mieux en sélectionnant des personnes aux parcours hétérogènes afin de multiplier le champ des possibles lors de la création du spectacle. Il me faudra réagencer les lettres, déstructurer la structure ternaire du projet (annonce, lettre, réponse), parfois aller dans le sens du texte ou au contraire, y résister. En cela, la distribution est extrêmement importante. Chaque interprète doit avoir une personnalité tranchée, une voix qui viendrait compléter une autre, une présence singulière tout en étant capable de s’adapter aux différentes lettres et aux parti-pris de mise en scène, d’interprétation. J’ai dû mettre de côté un grand nombre de candidatures de qualité, notamment chez les femmes, qui ont été bien plus nombreuses à se présenter.
Votre travail a été considérable et ces vidéos constituent un matériau riche et stimulant. Certaines vidéos pourraient trouver toute leur place lors de la création. Si tel était le cas, nous reviendrons bien entendu vers les personnes concernées pour demander leur autorisation. Pour celles et ceux qui préfèrent que je détruise leur fichier, n’hésitez pas à me le préciser par email, ce sera fait immédiatement. Enfin, si vous voulez être tenu au courant de la mise en place de workshops ou ateliers, des actualités de la compagnie, n’hésitez à me le spécifier par email afin que je vous inscrive sur la mailing list.
Je vous remercie encore pour votre investissement et vous souhaite le meilleur pour la suite.
Bien à vous,
Vincent Thomasset

 

[1] url : http://www.vincent-thomasset.com/home/vt_parcours.html
[Toutes les notes sont de la rédaction.]

[2] Emmanuel Didier est sociologue, chargé de recherche au CNRS, et a consacré une grande partie de ses travaux à l’histoire des statistiques et à leurs usages sociaux. Il est notamment l’auteur de En quoi consiste l’Amérique ? Les statistiques, le New Deal et la démocratie, Paris, La Découverte, 2009, et Benchmarking. L’État sous pression statistique (avec Isabelle Bruno), Paris, Zones, 2013.

[3] Ce néologisme renvoie au projet d’appropriation par les gens ordinaires, et à des fins d’émancipation, de la quantification, procédure centrale du pouvoir et de la domination qu’exercent l’État et le capitalisme actuels. Voir Isabelle Bruno, Emmanuel Didier, Julien Prévieux, Statactivisme. Comment lutter avec les nombres, Paris, Zones, 2014.

[4] Voir encadré final.

[5] Voir premier encadré.

[6] Voir Julien Prévieux, Lettres de non-motivation, Paris, Zones, 2007 : « Je vous écris suite à votre annonce parue dans le journal “Le marché du travail”. Je préfèrerais ne pas assurer le transport de voyageurs sur le territoire de Domont. Je préfèrerais ne pas vendre des tickets de transport. Je préfèrerais ne pas assurer le contrôle des billets. Je préfèrerais ne pas être titulaire d’un permis D. Je préfèrerais ne pas détenir une expérience dans le transport des voyageurs. Je préfèrerais ne pas avoir le sens du contact et être courtois. Je préfèrerais ne pas être ponctuel. Je préfèrerais ne pas travailler de 6h30 à 9h30 et de 16h à 20h tous les jours sauf le week-end… »

[7] Gilles Deleuze, « Bartleby, ou la formule », dans Critique et clinique, Paris, Éditions de Minuit, 1993, p. 92 : « La formule est ravageuse parce qu’elle élimine aussi impitoyablement le préférable que n’importe quel autre non-préféré. Elle abolit le terme sur lequel elle porte, et qu’elle récuse, mais aussi l’autre terme qu’elle semblait préserver, et qui devient impossible. En fait, elle les rend indistincts : elle creuse une zone d’indiscernabilité, d’indétermination, qui ne cesse de croître entre des activités non-préférées et une activité préférable. […] Je préfèrerais rien plutôt que quelque chose : non pas un volonté de néant, mais la croissance d’un néant de volonté. Bartleby a gagné le droit de survivre, c’est-à-dire de se tenir immobile et debout face à un mur aveugle. Pure passivité patiente comme dirait Blanchot. Être en tant qu’être, et rien de plus. On le presse de dire oui ou non. Mais s’il disait non (collationner, faire des courses…), s’il disait oui (copier), il serait vaincu, jugé inutile, il n’y survivrait pas. Il ne peut survivre qu’en tournoyant dans un suspens qui tient tout le monde à distance. » Sur ce sujet, voir aussi Gisèle Berkman, L’Effet Bartleby. Philosophes lecteurs. Paris, Hermann, 2011.

 

Pour citer ce document


Julien Prévieux et Vincent Thomasset, « ‘‘Je préfèrerais ne pas travailler de 6h30 à 9h30 et de 16h à 20h tous les jours sauf le week-end.’’ Retour sur les Lettres de non-motivation », entretien réalisé par Bérénice Hamidi-Kim et Armelle Talbot, thaêtre [en ligne], Chantier #1 : Scènes du néomanagement, mis en ligne le 29 janvier 2016. url : https://www.thaetre.com/2016/01/19/je-prefererais-ne-pas-julien-previeux-vincent-thomasset/

 

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