Ça ira de A à Z

 

E.

 

Écrit.

 

À mesure que l’Assemblée nationale s’organise, des tables apparaissent sur scène. On y voit des dossiers. Des personnages les ouvrent parfois, lisent ou écrivent. Ils reçoivent aussi des lettres : dans la scène 17, une dépêche qui annonce l’enlèvement et la séquestration du fils du député Gigart est immédiatement démentie par une autre dépêche. Si la scénographie met surtout en évidence la parole politique, elle donne aussi à voir ces écrits, administratifs ou informels, qui jouent un rôle dans le processus révolutionnaire.

Il est aussi question d’écrits extérieurs à la scène qui influencent l’opinion. Dans la scène 17, le député Gigart sort de sa poche une liste de personnalités « à surveiller voire à éliminer » (ÇI, 85). Dans la scène 19, le député Carray évoque le massacre de Foulon et Berthier (voir Citations) et demande des comptes aux membres du comité de quartier : « Même si aucun d’entre vous n’a participé à ce genre d’exécution, j’en sais rien, à travers vos écrits, vos tracts en tous genres que je lis, vous les cautionnez au lieu de les dénoncer. » (ÇI, 104) Deux personnages sont des « journalistes radicaux ». Dans l’avant-dernière scène, le lieutenant de la police citoyenne, venu pour les arrêter, les accuse en disant : « ce sont des abrutis fanatisés par les écrits de monsieur Hémé et de madame Sotto qui sèment actuellement la terreur dans Paris. » (ÇI, 126)

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L’Ami du Peuple taché du sang de Marat – 1791-1792
© Bibliothèque Nationale de France

Tous les écrits évoqués ou mis en scène sont des écrits éphémères, assez peu différents des paroles prononcées à l’Assemblée. Écrits dans l’urgence, ils ont un effet immédiat. Ils contribuent à la formation d’une opinion publique mais ne durent pas. Jamais il n’est question d’un texte à succès ou de l’impression d’un discours, encore moins de célébrité littéraire, puisque personne ou presque, ne se fait un nom (voir Noms). Les innombrables pamphlets qui ont façonné un « imaginaire national », faisant par exemple de la prison de la Bastille un lieu d’« horreurs »[1] ou de Louis XVI un impuissant[2], n’existent pas dans Ça ira.

Achetez Qu’est-ce que
le tiers état ?

Erckmann-Chatrian, Histoire d’un paysan


 

Et dans ce moment, comme le cœur de chacun battait en songeant à ce qu’il allait faire, et que derrière nous, sous les vieux ormes, après les cris de « Vive le bon roi ! » se faisaient de grands silences, dans un de ces moments j’entendis une voix claire, une voix que nous connaissons tous, celle de la petite Marguerite Chauvel, qui criait, à la manière des marchands d’almanachs :

« Qu’est-ce que le tiers état ? Qu’est-ce que le tiers état ? par M. l’abbé Sieyès. Achetez Qu’est-ce que le tiers état ?  Assemblée des bailliages de Mgr le duc d’Orléans. Qu’est-ce qui veut les Assemblées des bailliages ? »

Alors, me tournant vers maître Jean, je lui dis :

– Entendez-vous la petite Marguerite ?

– Oui, oui, je l’entends depuis longtemps, dit-il. Quels braves gens que ces Chauvel !… Ceux-là peuvent se vanter d’avoir fait du bien au pays.

 

Erckmann-Chatrian, Histoire d’un paysan, dans Gens d’Alsace et de Lorraine, Paris, Presses de la Cité, coll. Omnibus, [1867] 1993, p. 229.

Les exigences du théâtre expliquent sans doute que les écrits aient une si faible part dans la Révolution de Ça ira. Peut-être est-ce aussi l’effet d’une réticence à l’écrit. Si l’on en croit Marion Boudier, il faut toute l’insistance d’une éditrice pour que Joël Pommerat accepte la publication de ses textes[3]. Dans le processus de création de la pièce, les écrits jouent un grand rôle au départ, puisque les comédiens commencent par s’approprier des sources historiques. Mais ensuite, tout le travail de création consiste à s’en détacher autant que possible. Est-ce à dire que les écrits mentent, et que seule une parole vivante peut exprimer la vérité de la Révolution ?

 

Notes

[1] Jean-Clément Martin, Violence et révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, coll. L’Univers historique, 2006, p. 62 : « Dans l’immédiat [après le 14 juillet], une bonne centaine de pamphlets mettent en scène les horreurs de la Bastille et ses victimes, inventant l’existence de prisonniers qui auraient été enchaînés pendant plus de trente ans. […] Le château, la torture, les chaînes et le despotisme s’inscrivent ensemble dans l’imaginaire national. »

[2] Voir Antoine de Baecque, Le Corps de l’histoire. Métaphores et politique (1770-1800), Paris, Calmann-Lévy, 1993.

[3] Marion Boudier, Avec Joël Pommerat. Un monde complexe, Arles, Actes Sud-Papiers, coll. Apprendre, 2015, p. 23.

 

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