« Nous avons pour nous la raison et la force,
n’ayons pas peur de la patience et de la modération »

Jouer dans Ça ira (1) Fin de Louis

Sur thaêtre

La Révolution selon Pommerat :

Usages de l’histoire,
fétiches de la Révolution

Patrick Boucheron, Guillaume Mazeau
et Sophie Wahnich

Ça ira de A à Z
Florence Lotterie, Sophie Lucet
et Olivier Ritz

La dramaturgie comme recherche
Marion Boudier

Et ailleurs

Dossier pédagogique
Cie Louis Brouillard

Comment, en six mois,
Joël Pommerat a révolutionné 1789

Télérama, oct. 2015

« Où est passé le peuple français ? »
Entretien avec Nicolas Klotz, Joël Pommerat et Pierre Schoeller

Libération, oct. 2015

Mais aussi

« Le totem de notre
modernité politique »
Conversation sur
la genèse du spectacle

Revue d’Histoire du Théâtre, n° 268, 4|2015

Entretien avec Joël Pommerat
Théâtre/Public, n° 221, juil.-sept. 2016

 

Cet entretien est issu d’une rencontre organisée le 19 octobre 2016 par Sophie Lucet, maître de conférences de l’Université Paris-Diderot, et Elvire Diehl, Responsable des Relations Publiques du Théâtre Nanterre-Amandiers, à l’adresse des étudiants de la Licence de Lettres modernes de l’Université Paris-Diderot.

Les questions ont été posées par de multiples intervenants, enseignants et étudiants : nous avons pris le parti de les rendre anonymes.

 

Éric Feldman, vous jouez le rôle du député Carray dans Ça ira (1) Fin de Louis. Vous êtes entré dans l’équipe de Joël Pommerat après avoir participé à un stage organisé dans la perspective de ce spectacle. Quels en étaient les enjeux ?

Contrairement à certains metteurs en scène, Joël Pommerat n’engage pas un acteur simplement parce qu’il l’a vu jouer et qu’il l’a apprécié. Il a besoin de tester le travail de collaboration dans la durée. Il a mené pendant deux mois un atelier qui lui a servi à éprouver sur scène ce projet de spectacle sur la Révolution française, qu’il n’était alors pas certain de mener à bien. Cela lui a aussi permis de rencontrer de nouveaux comédiens, même si ce n’était pas l’objectif premier. Après cette première phase de travail, il a engagé un groupe d’acteurs, anciens et nouveaux, pour un mois de répétition, en nous expliquant qu’à l’issue de ce mois, il déciderait s’il ferait ou non ce projet. Il avait conscience que c’était un projet monumental et il avait besoin de vérifier ses intuitions. Ce n’est qu’à l’issue de ces deux temps qu’il s’est dit qu’il irait jusqu’au bout.

Pendant le stage, avez-vous d’emblée travaillé sur des archives ?

Joël Pommerat écrit à partir des improvisations des acteurs. C’était donc aussi le cas pendant le stage. Pour ce spectacle, nous avons improvisé pendant au moins quatre mois. La méthode s’est précisée petit à petit : c’était un sujet tellement vaste qu’il fallait nous donner de la matière. Nous avions beaucoup de documents d’époque à notre disposition et assez vite, il a demandé à chacun de choisir un discours, par exemple celui d’un député ou d’un contemporain de cette période, un texte écrit pour l’Assemblée ou un extrait de journal. Il nous a demandé de lire ce discours, de nous l’approprier et de le redire sur scène avec nos propres mots. C’est pour cela que la langue du spectacle est très prosaïque, très directe, et très éloignée de la langue du XVIIIe siècle. Durant ces deux mois d’atelier, nous passions seuls au micro, et ce travail était difficile car synthétiser et reformuler ce qu’on avait lu supposait une certaine maîtrise du contexte historique.

Nanterre-Amandiers Ça Ira (1) Fin de Louis écrit et mis en scène par Joël Pommerat - Décor et lumière Eric Soyer - Costumes Isabelle Deffin - Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir

Le député Carray (Éric Feldman) et la députée Lefranc (Saadia Bentaïeb)
dans Ça ira (1) Fin de Louis écrit et mis en scène par Joël Pommerat
© Élisabeth Carecchio

Joël Pommerat vous laissait-il une pleine liberté dans les improvisations ou était-il directif ?

Il dit très peu de choses pendant le travail. Après nous avoir expliqué la thématique générale, il nous laisse improviser pendant un long moment, parfois une heure, voire plus. Il lui arrive de nous interrompre pour redéfinir les axes de l’improvisation, en préciser les enjeux ou proposer des idées, mais il se tait l’essentiel du temps et il mémorise ce qui l’intéresse. Toutes les improvisations sont filmées, ce qui fait plusieurs centaines d’heures d’enregistrement ! Pommerat ne visionne évidemment pas tout, mais il demande à son assistante de lui retrouver un passage qui l’a intéressé ou de retranscrire les dialogues improvisés ou l’intervention spécifique de tel ou tel acteur. Ensuite, quand on met en place les scènes, il en rappelle les grands axes de jeu et les enjeux et nous donne occasionnellement quelques indications en privé, mais il est très peu interventionniste et nous laisse vraiment libres. C’est agréable pour un acteur !

Vous êtes-vous facilement adapté à sa méthode ?

J’ai beaucoup aimé cette façon de travailler, mais il faut dire que j’étais depuis longtemps un grand fan des spectacles de Pommerat ! Cela dit, les répétitions ont été difficiles. Personnellement, j’ai trouvé ça ardu. Improviser sur une matière historique comme la Révolution française était très exigeant : après chaque jour de répétition, nous recevions une pochette remplie de textes à lire afin de préparer les improvisations du lendemain. C’était pire qu’à l’école ! (Rires.) Il fallait apprendre ces discours, nous les approprier… Il y a évidemment eu des moments formidables pendant les improvisations, mais dans l’ensemble, ce n’était pas simple et on a tous travaillé très dur ! Je peux dire qu’on a été largement récompensés par la qualité du spectacle, le plaisir qu’on a à le jouer, et les retours très enthousiastes des spectateurs.

La focalisation sur l’Assemblée et les États généraux était-elle un postulat de départ, ou avez-vous aussi improvisé sur d’autres lieux ?

Pommerat avait beaucoup travaillé en amont. Il connaissait très bien le sujet et les différentes étapes de la Révolution. Ce qui l’intéressait par-dessus tout, c’était ce véritable coup d’État que constitue l’auto-proclamation du tiers état en Assemblée nationale, et puis la qualité des discours, le mouvement de la pensée et sa dimension directement agissante. C’est pour cela que le traitement des États généraux s’imposait. Mais Pommerat s’intéressait aussi beaucoup à « l’assemblée des notables », qui précède de deux ans les États généraux, et qui donne une vision plus nuancée que la caricature qu’on peut avoir de la Révolution française, notamment du roi dont on voit à cette occasion qu’il est plutôt réformiste. Dès le départ, et du fait du travail préalable effectué avec la dramaturge Marion Boudier et l’historien Guillaume Mazeau, Pommerat connaissait, je crois, les moments-clefs qu’il voulait aborder, et c’est dans ce sens qu’il a orienté nos improvisations. Ensuite, c’est évidemment lui qui a agencé toute la matière collectée, en décidant par exemple que telle scène intime allait suivre telle scène collective… Et je dois dire que plus on joue ce spectacle, plus je mesure la qualité du rythme, ô combien nécessaire dans un spectacle de quatre heures et demi si on veut que le spectateur reste sur le qui-vive et ne s’ennuie pas (et il me semble que c’est un vrai souci dans l’exigence artistique de Pommerat).

Y a-t-il des éléments sur lesquels vous avez travaillé longtemps en répétition, et qui n’ont finalement pas été conservés dans le spectacle ?

Peu, parce que le temps était compté, et que Pommerat savait sur quoi nous allions travailler. Je dirais qu’il n’a pas eu ce luxe-là. Il a même dû écrire directement certaines scènes parce que nous n’avions pas le temps de les construire par l’improvisation.

Quelles scènes ?

Je me souviens par exemple des scènes où nous nous proclamons Assemblée nationale, puis où le roi l’apprend et s’entretient dans l’urgence avec sa sœur Élisabeth. Je n’ai pas le souvenir que nous ayons improvisé sur ces scènes. C’est Pommerat qui les a écrites de son côté et qui nous a proposé de les jouer. En les découvrant, je les ai d’ailleurs trouvées très réussies et me suis même demandé s’il avait vraiment besoin de nous !… (Rires.)

Dans les débats de l’Assemblée nationale, le spectacle ne prend pas du tout en charge la question du droit des peuples et notamment les interpellations de la Société des amis des Noirs. C’est présent en filigrane à travers la présence d’un acteur noir et, pourtant, les enjeux du débat de l’époque en faveur de l’égalité et de l’abolition de l’esclavage sont totalement escamotés.

C’est vrai qu’il y a des textes sur le sujet qui sont particulièrement magnifiques, ceux de Condorcet notamment, et je me souviens qu’on les a travaillés lors du stage. Mais il était impossible de tout traiter. Pommerat a dû beaucoup élaguer tant il y avait de matière. Au début, d’ailleurs, il ne voulait pas que le spectacle soit si long. Il a donc fait ce choix. Il en va de même pour les droits des femmes. Cela dit, dès lors qu’il y a des femmes et un acteur noir sur scène, cela aurait pu prêter à confusion…

Pourtant, il n’hésite pas à faire entendre une attaque ad hominem absolument odieuse du député Marbis à l’adresse de Carray auquel il demande s’il est protestant ou juif !

Oui, mais c’est une incise plus qu’autre chose. La question du droit des juifs et de leur accès à la citoyenneté n’est pas traitée non plus. Il fallait bien se concentrer sur quelques lignes de force. Et puis là, c’est aussi un petit clin d’œil, je crois : il se trouve que je suis juif, qu’un acteur en avait joué avec humour lors du stage, et Pommerat s’amuse peut-être un peu avec ça. Personnellement je l’imagine bien protestant, Carray ! Ou juif !!

L’idée de mêler des faits historiques et des éléments anachroniques était-elle présente dès l’origine pour Pommerat, ou est-elle apparue au fil des improvisations ? Je pense notamment à la scène 5 où intervient une journaliste de la télévision espagnole pendant la cérémonie d’ouverture des États généraux.

 Pommerat avait déjà en tête l’idée de la journaliste au moment où nous avons improvisé sur cette scène. Cela dit, je me demande si cette idée de la télévision espagnole ne lui est pas venue d’une improvisation lors de l’atelier que nous avons fait à Nanterre : une comédienne italienne qui ne parlait pas bien le français a demandé qu’on lui traduise directement un échange pendant la scène, et cela a produit un effet que Pommerat a trouvé très intéressant. Ces anachronismes lui ont toujours paru assez évidents et l’amusaient, et ces notes d’humour lui semblaient bienvenues. Et puis c’est la façon la plus pertinente qu’il a trouvée de nous transmettre quelque chose d’un événement qui date de plus de deux cents ans avec des moyens caractéristiques de la société du spectacle d’aujourd’hui.

Comment avez-vous construit avec Pommerat la figure et la trajectoire du député Carray ?

Nous avons tous improvisé autour de différents personnages, et petit à petit des figures, des sensibilités se sont dessinées. Pommerat n’avait aucune idée préconçue, sauf pour le roi, pour lequel il avait spécifiquement engagé Yvain Juillard. Même quand il a commencé à écrire le texte, la distribution de certains rôles n’était pas arrêtée : par exemple, pour le Premier ministre, je me souviens qu’il envisageait possiblement Yannick Choirat, David Sighicelli ou moi. Cela s’est donc fait progressivement. Pommerat a une sensibilité qui lui permet de voir ce qui sera le plus juste pour chaque acteur. Me concernant, le personnage de Carray correspondait assez au genre de choses vers lesquelles j’allais en improvisation. J’étais donc ravi d’être distribué dans ce rôle, parce que je m’y retrouvais. Il peut évidemment y avoir de la jouissance à jouer un salaud d’extrême droite… Tout dépend du plaisir que prend l’acteur pendant l’improvisation… Pommerat nous demandait parfois de jouer tel type de personnage, mais le plus souvent, il nous laissait choisir nous-mêmes ou nous redistribuait quand il sentait que nous n’étions pas à l’aise dans le rôle que nous jouions. Bien sûr, pour les acteurs qu’il connaît de longue date, c’est différent. Je pense qu’il savait d’emblée qu’il distribuerait Saadia Bentaïeb, qui joue Lefranc, dans le rôle d’un député radical, d’un personnage très à gauche, mais cela fait vingt ans qu’ils travaillent ensemble.

Dialoguons,
négocions encore et encore

Joël Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis


Député Carray. Mesdames messieurs, je vous en supplie, calmons-nous. Je vous en supplie restons calmes et respectueux, je vous en supplie n’aggravons pas les conflits. Nous avons tout à y perdre, ne donnons pas des arguments à nos opposants pour nous discréditer, je vous en supplie. Calmez-vous monsieur Gigart, calmez-vous, taisez-vous, on vous a laissé parler, ne vous comportez pas comme ceux à qui vous reprochez sans cesse un manque de tenue dans cette salle. Mesdames messieurs, ne nous montrons pas si agressifs vis-à-vis des deux autres assemblées, ne tombons pas dans leur piège, montrons-leur que nous sommes capables de nous comporter de manière responsable, constructive et surtout que nous serons capables un jour de travailler avec eux dans une grande Assemblée nationale, puisque c’est cela que nous voulons mesdames messieurs. Bien sûr que la proposition de monsieur Gigart d’entériner le système actuel des trois assemblées est irrecevable, mais je dis aussi qu’il est trop tôt pour décider d’exclure nos opposants comme madame Lefranc le propose. N’oublions pas qu’ils constituent une partie, même infime, de la Nation française, continuons à les prendre en considération. À la suite des reproches que nous adresse collectivement le roi, écrivons-lui que nous lançons aux deux autres partis une invitation, oui une de plus, une invitation à négocier. Demandons pour cela l’arbitrage de monsieur le Premier ministre. Pensez, mesdames messieurs, que nous travaillons à établir les bases d’une société nouvelle, et qu’il importera bien peu aux générations futures que cela ait été plus ou moins vite de quelques jours. Nous avons pour nous la raison et la force, n’ayons pas peur de la patience et de la modération qui n’est pas de la faiblesse. Mesdames messieurs, voilà ce que je propose : dialoguons, négocions encore et encore, dès demain, dès ce soir, jour et nuit s’il le faut… Je vous demande de me soutenir dans cette proposition exigeante et modérée, de ne pas abandonner le dialogue et au contraire, de le poursuivre.

Gros applaudissements.

 

Joël Pommerat, Ça ira (1) Fin de Louis
Arles, Actes Sud-Papiers, 2016, p. 37-38.

 

La distribution a-t-elle été influencée par la consultation des archives et par l’envie de chaque acteur de porter telle ou telle position politique ?

Oui, selon sa sensibilité, on était libres de choisir de porter tel ou tel discours. Certaines figures historiques suscitaient particulièrement le désir, Robespierre par exemple. Mais il y avait tellement de matière qu’il fallait bien trancher… Beaucoup de facteurs pouvaient entrer en ligne de compte. Il nous est arrivé d’aller puiser dans les archives parlementaires pour travailler sur une journée spécifique pendant la Révolution : dans ce cas, on choisit en fonction de sa sensibilité mais aussi parce qu’on privilégie la clarté d’une argumentation et que cela facilite le travail… Personnellement, j’étais vraiment content de jouer le député Carray parce qu’il correspond à ma sensibilité. Son discours reprend d’ailleurs à plusieurs reprises ce que j’avais pu tenter de formuler pendant les improvisations – ce qui est vrai, bien sûr, pour tous les acteurs ! Ceci dit, il y a parfois des propos plus difficiles à porter que d’autres. Par exemple, dans la scène 17, Carray en vient à se demander : « Notre peuple est-il digne d’être libre ? » J’ai eu du mal avec cette phrase… Dans la première version, c’était « Sommes-nous dignes d’être libres ? », ce qui me semblait plus facile à défendre. Mais ce qui importe, c’est de bien comprendre le parcours de son personnage et l’évolution de sa pensée dans le contexte historique et au cœur des enjeux très puissants et parfois très tendus de cette période, et, à force de travail, à force de répéter chaque soir sa partition, on finit par trouver plus ou moins le bon endroit pour le jouer. Carray reste toutefois un personnage auquel il est facile de s’identifier aujourd’hui : c’est quelqu’un qui veut vraiment que les choses bougent mais qui, à un moment, freine le mouvement parce qu’il est dépassé par la violence, qu’il sent venir l’anarchie et le chaos, et qu’il craint de perdre par là-même les acquis de cette première révolution. On le sent très attaché à la justice, à l’état de droit, au respect de la vie humaine… Je n’avais donc pas besoin d’aller chercher très loin pour porter ses idées avec sincérité alors que cela aurait été beaucoup plus compliqué s’il s’était agi d’un extrémiste. J’ajoute qu’on bénéficie d’une chance incroyable avec ce spectacle en tant qu’acteurs puisqu’on a déjà joué plus d’une centaine de fois, ce qui permet vraiment d’approfondir un rôle. Je continue aujourd’hui de découvrir de nouvelles facettes de mon personnage.

Le député Carray s’inspire-t-il d’une ou de plusieurs figures historiques ? Le matériau historique dont vous vous êtes inspirés était-il d’ailleurs toujours tiré de la Révolution française, ou vous êtes-vous aussi inspirés d’autres époques ?

Comme tous les personnages hormis Louis XVI et Marie-Antoinette, Carray est inspiré de plusieurs figures historiques. Il ne s’agit donc pas de jouer tel ou tel. Il est arrivé que l’on se réfère à une figure en particulier à un moment du travail, mais on l’oubliait ensuite pour construire notre personnage. Et c’est vrai que nous ne nous sommes pas inspirés uniquement de l’époque de la Révolution. Par exemple, un des comédiens, Bogdan Zamfir, a rejoint la troupe à la suite d’un stage d’un mois que Pommerat avait donné dans une école de théâtre à Liège, au cours duquel ils avaient essentiellement travaillé sur l’apartheid. De fait, une de nos recherches principales était de prendre la mesure de ce qu’était une société de classes comme celle du XVIIIe siècle. Et passer par des situations plus proches de nous peut nous aider dans ce travail : par exemple, c’est à l’apartheid que je pense parfois dans certaine scènes, comme à la fin de la scène 6, lorsque Carray s’oppose à Gigart qui est favorable aux trois assemblées séparées, mais aussi à Lefranc qui propose un ultimatum à la noblesse et au clergé et les menace d’exclusion. Quand je demande de ne pas oublier qu’« ils constituent une partie, même infime, de la Nation française » et dis qu’il faut continuer de les prendre en considération, je m’imagine que nous, qui nous autoproclamons Assemblée nationale, sommes les Noirs d’Afrique du Sud et que nous décidons de prendre aussi en compte les Blancs, même s’ils sont une minorité et nous ont opprimés jusqu’ici. Toutes sortes de matériaux ont nourri notre imaginaire d’acteur, dont des matériaux contemporains : nous nous sommes inspirés de mouvements révolutionnaires actuels ou récents, nous avons regardé des documentaires sur les Printemps arabes, sur la révolution ukrainienne, sur Mai 68, mais aussi le film de Peter Watkins sur la Commune… Tout cela nous a nourris, mais ensuite, c’est sur les enjeux propres à chaque scène qu’il faut se concentrer. Ce que chaque acteur se raconte lui sert essentiellement à être convaincu de ce qu’il dit et à savoir pourquoi il est là. Pommerat nous dit toujours qu’on vient sur le plateau pour obtenir quelque chose face à quelqu’un qui veut obtenir autre chose. Il insiste également sur le fait qu’il ne suffit pas de « réinventer la scène » : il faut l’inventer à chaque fois. Idéalement (et c’est vrai pour tout spectacle), il faudrait se mettre dans un état de présence tel qu’on ne sait pas ce qui va arriver, et c’est de cette façon que le spectateur en vient à sentir que quelque chose d’inédit est en train de se passer sur scène, que rien n’est joué d’avance.

Nous avons été plusieurs à trouver des proximités entre la façon dont s’exprime la députée Lefranc et celle de Christiane Taubira. Vous êtes-vous inspiré de personnalités politiques actuelles pour jouer le député Carray ?

En fait, nous ne nous sommes jamais inspirés de la façon dont s’expriment les femmes et les hommes politiques d’aujourd’hui, et Saadia Bentaïeb qui joue Lefranc ne s’est jamais inspirée de Taubira, même si on lui a fait très souvent part de ce rapprochement. Les politiques actuels n’ont jamais constitué un matériau de travail pour les improvisations.

La députée Hersch fait tout de même beaucoup penser à Nadine Morano !

C’est vrai qu’il y a peut-être un clin d’œil ici… À un moment d’ailleurs, elle ressemblait encore plus à Morano et des changements ont été faits pour que cela se voie moins… mais apparemment ça n’a pas trop fonctionné !! En tout cas, Pommerat dit que ce n’est pas l’effet recherché. Il voulait à tout prix éviter les postures politiques, et nous demandait à tous de ne pas « jouer aux hommes politiques ». De la même façon, il disait à Yvain Juillard de ne surtout pas « jouer au roi ». Mais rien n’empêche évidemment de faire des associations : je n’y avais d’ailleurs jamais pensé avant, mais en entendant récemment Robert Badinter à la radio, je me suis dit que c’était une belle référence pour le personnage de Carray. C’est quand même mieux que François Bayrou auquel un spectateur a comparé Carray à la sortie d’une représentation, ce qui m’a vexé ! (Rires.)

Est-ce que vous vous êtes demandé si votre personnage n’était pas porteur du point de vue privilégié par le spectacle ? Au sein de l’échiquier politique que compose le spectacle, Carray occupe le centre en tant que modéré du tiers état (par distinction avec les conservateurs comme Gigart et les radicaux comme Lefranc), et s’il veut destituer la noblesse de ses privilèges, son évolution souligne également sa peur croissante vis-à-vis du peuple et de la violence à laquelle il est associé. La place à laquelle se situe Carray ne pourrait-elle pas être celle que défend implicitement le spectacle ?

Je ne l’aurais pas formulé comme ça. Mais quand je dis que le spectateur d’aujourd’hui peut s’identifier plus facilement à Carray, c’est un peu la même idée. J’ai l’impression que si Pommerat est proche d’un personnage, c’est peut-être de celui-là. Et peut-être un peu du roi aussi… Le roi dit souvent « ah bon ? », et Pommerat aussi… (Rires.)

Le roi est aussi un personnage très entouré à qui tout le monde dit ce qu’il faut faire, sans qu’on sache jamais vraiment ce qu’il décide, ni quelles sont ses motivations.

Oui, le roi est sous influence, alors que je ne pense pas que Pommerat le soit tellement. (Rires.) En fait, le roi n’a pas tellement envie d’être roi, on dirait.

Comment se fait-il que vous n’incarniez pas d’autre personnage, alors que de nombreux acteurs sont distribués dans plusieurs rôles ?

En fait, j’incarne trois autres personnages, mais c’est vrai que ce ne sont pas des personnages importants. Comme Lefranc et Gigart, Carray fait partie des personnages dont on suit l’évolution du début à la fin. Les acteurs qui jouent ces rôles ne sont pas vraiment disponibles pour jouer d’autres personnages importants. Et puis cela tient aussi au souhait de Pommerat de répartir la distribution de façon égalitaire entre tous les comédiens. Il monte un projet collectif avec quatorze acteurs, et il a envie que chacun soit « bien servi » et que personne ne jalouse l’assiette du voisin. C’est ce qu’il nous a dit dès le tout début des répétitions, et je trouve cette exigence très généreuse et très juste. Tous les metteurs en scène ne la partagent pas, même dans des compagnies qui sont des collectifs…

Pourriez-vous revenir sur la scène 19 dans laquelle le député Carray se rend dans un comité de quartier et se trouve confronté à la violence de ses interlocuteurs ? C’est une scène très intense, notamment parce que la complexité de la situation fait qu’il est difficile de se positionner. 

C’est une scène très intéressante sur laquelle on a beaucoup travaillé et qui fait fortement écho à la question de la représentation politique telle qu’elle se pose aujourd’hui. La force de l’écriture de Pommerat, c’est effectivement de parvenir à nous faire comprendre la logique des positions des uns et des autres, d’autant que le spectateur connaît l’engagement de Carray à ce moment du spectacle et qu’il l’a entendu défendre des points de vue assez nuancés juste avant cette scène. On sait que ce n’est pas un « marlou » qui essaie d’embrouiller son monde ! Il est sincère dans sa démarche, et c’est pour ça que c’est intéressant de le confronter à ces gens qui ont des arguments de poids à lui opposer. À moins qu’il ait un parti pris idéologique très affirmé dès le début, le spectateur est conduit à osciller constamment d’une position à l’autre. Cela génère une tension d’autant plus forte que la violence physique est toujours susceptible de surgir. Carray fait face à une population qui est à bout. Cela fait d’ailleurs partie des choses sur lesquelles on a beaucoup improvisé : qu’est-ce qu’être à bout ? Qu’est-ce qu’être à bout quand on n’a plus rien à manger et que le danger de mort rôde partout ? Les députés eux-mêmes étaient épuisés : ils étaient dans un état second parfois proche de la folie, un état de fatigue et de nervosité extrêmes qu’il est difficile de concevoir et dont on peut imaginer qu’il a participé à l’avènement de la Terreur. C’est pour ça qu’il nous arrive de hurler… parce qu’on est à bout de nerfs… enfin, eux… et nous aussi, parfois…

Cette difficulté du spectateur à se positionner, quel que soit son bord politique, est très déstabilisante. Est-ce le fait d’une exigence d’objectivité de la part de Joël Pommerat ou faut-il y voir une véritable prise de position visant à déconstruire le mythe révolutionnaire dans ce qu’il a de positif ?

Il y a évidemment de la part de Pommerat la volonté de sortir du folklore et des clichés touchant la Révolution française. Peut-être est-ce la même démarche que lorsqu’il s’empare de contes comme Pinocchio, Cendrillon ou Le Petit Chaperon rouge ? On a en tête tout un imaginaire formaté par Walt Disney, et il s’agit précisément d’inventer autre chose, de réinventer cette histoire. En ce qui concerne la question de l’objectivité, le terme ne convient pas. Il y a nécessairement un choix, même si le choix de Pommerat, en l’occurrence, consiste à faire entendre tous les points de vue afin de mobiliser l’intelligence du spectateur. Cela rejoint ce que l’on disait sur la scène 19 et la façon dont nous sommes invités à entendre les raisons des uns et des autres. Il s’agit de respecter l’intelligence de tous les acteurs de l’événement. Cela vaut aussi pour la noblesse que Pommerat refuse de réduire à quelques attitudes stéréotypées comme le mépris et l’autosatisfaction. Il faut se rendre compte que la société dans laquelle vivaient ces gens-là, l’ordre auquel ils croyaient et qu’ils pensaient éternel, tout cela était soudainement sur le point de s’effondrer ! On peut facilement faire des liens avec le présent. Je pense aux militants de la Manif pour tous : bien sûr, certains d’entre eux sont complètement caricaturaux et demeurés, mais d’autres sont sincèrement désemparés. Ils ne peuvent tout simplement pas concevoir qu’un couple homosexuel puisse se marier et avoir un enfant ! Pommerat ne voulait pas d’une politique de petits malins ou de voyous : il voulait restituer l’intelligence et la sensibilité de chacun, ce qui constitue un geste fort et, à mes yeux, un véritable parti-pris.

Pourriez-vous revenir sur la scène 24 et le traitement de la longue tirade de la députée de la noblesse, Versan de Faillie, qui se fait enfariner à cette occasion ? Par son excès, ce passage constitue un pas de côté esthétique par rapport à l’ensemble du spectacle et nous avons été plusieurs à nous interroger sur sa signification.

J’ai du mal à me rendre compte des effets que peut produire cet enfarinage vu de l’extérieur et de la rupture que cela introduit dans le déroulement du spectacle… Le discours de Versan de Faillie est avant tout un discours contre-révolutionnaire. À mon sens, ce qu’on entend à ce moment-là, c’est clairement la préparation de la contre-révolution par tous ces nobles qui n’ont jamais supporté l’idée d’une Assemblée nationale et qui voient les soulèvements populaires prendre de l’ampleur dans tout le pays.

C’est le travail d’improvisation qui a fait surgir ce moment carnavalesque ?

Je ne crois pas… Dans mon souvenir, Pommerat avait vraiment en tête qu’il y aurait un discours contre-révolutionnaire très net. De même, il avait prévu l’enfarinage, même s’il restait encore à déterminer comment cela allait se dérouler concrètement. Pommerat a d’ailleurs tenu à essuyer les plâtres avant la comédienne, Agnès Berthon : il s’est mis au milieu du plateau pour lire le texte pendant qu’on le recouvrait de toutes sortes de matières ! Ce que nous, comédiens, nous sommes demandés pendant les répétitions, c’est surtout qui d’entre nous allait participer à cet enfarinage. Carray est évidemment écœuré par ce qu’il entend, mais vu sa personnalité, il n’est pas du genre à aller entarter une députée ! Cette scène rend compte du chaos, de la tension, peut-être même d’une forme de folie qui règne à l’Assemblée, et aussi, bien sûr, de la radicalisation de la noblesse contre-révolutionnaire. Et d’ailleurs la scène suivante lui fait pendant, qui montre clairement la radicalisation à l’extrême gauche d’une partie de la population, prête à en découdre par la violence. C’est la scène de l’assemblée de quartier dans laquelle intervient Kristoff Hémé que joue Bogdan Zamfir : ce personnage est un « pur et dur » de l’extrême gauche et appelle à l’exécution des ennemis de la Révolution au point que même la députée Lefranc finit par s’en désolidariser. Les extrêmes deviennent de plus en plus extrêmes à la fin de la pièce, ce qui, dans une certaine mesure, annonce la Terreur.

De mon point de vie, cet enfarinage annonce surtout la fuite des nobles, la mort de Louis XVI, la guillotine… On comprend à quel point le discours contre-révolutionnaire est devenu inaudible et périmé, et c’est cette péremption que vient souligner cette violence hyper-théâtralisée qui fait d’ailleurs penser à la pratique actuelle de l’entartage des personnalités politiques.

C’est vrai que ce discours est devenu parfaitement inaudible, d’autant qu’il est prononcé lors du premier jour où l’Assemblée nationale se tient à Paris, tandis que le roi vient tout juste d’emménager dans la capitale. On sent déjà que tout part à vau-l’eau, et c’est cela qui est au cœur des scènes que nous venons d’évoquer, puis dans la dernière scène de la pièce où le Premier ministre est « démissionné » et où Carray propose à Louis XVI de dissoudre l’Assemblée nationale tant il pressent la catastrophe à venir et est soucieux de rétablir un peu d’ordre dans le chaos ambiant et de sauver ce qui peut encore l’être. Et le roi de conclure en répétant comme pour s’en convaincre « ça ira, ça ira », ce qui annonce clairement sa fuite.

Pouvez-vous revenir sur le travail de préparation des interactions avec le public ?

Les répétitions se sont déroulées sans public. On ne savait pas comment cela allait se passer une fois qu’il serait là et nos improvisations n’ont jamais porté sur la façon dont nous pourrions réagir à d’éventuelles interventions de sa part. En revanche, nous avons pris l’habitude d’être en rapport constant avec la salle : dès le début, il était établi qu’il y aurait des comédiens dans le public et ils intervenaient pendant les répétitions à chaque discours prononcé sur scène, ce qui nous plaçait dans un état de fébrilité tout à fait particulier. Les retours que j’ai eus de la part des spectateurs sont très positifs, parce qu’ils se sentent très actifs, mais aussi protégés de toute assignation à la participation.

Y a-t-il eu des réactions parfois violentes et comment vivez-vous cela sur scène ?

En fait, les interventions sont assez rares, à part quelques interjections de temps en temps… Il est vrai qu’une fois, un spectateur s’est levé pour aller cracher aux pieds de Hersch (Ruth Olaizola), mais franchement, cela n’arrive quasiment jamais. Cela dit, nous avons tellement improvisé que nous nous sentons solides sur ce que nous avons à défendre. Si un spectateur voulait se lancer dans une joute, nous serions prêts au combat ! (Rires.)

Je crois savoir qu’à Nanterre, il y a eu de petites altercations sur certaines représentations entre le public et ceux qu’on appelle « les forces vives », à savoir ces comédiens qui applaudissent et huent depuis la salle sans intervenir directement sur le plateau. Certains spectateurs leur ont demandé de se taire.

Je ne le savais pas. C’est vrai que, pour les forces vives, ce n’est pas toujours évident parce qu’au début, elles découvrent le spectacle en même temps qu’elles y participent ! Mais en général, ça se passe bien.

Cela tient aussi au fait qu’on ne perçoit pas du tout le spectacle de la même manière selon l’endroit où l’on est situé dans la salle.

C’est sûr que l’on vit le spectacle différemment si on se retrouve tout près des forces vives. Certains ont pu en être gênés, peut-être, mais d’autres étaient ravis de cette proximité qui leur a donné l’impression d’être immergés dans l’événement.

Concernant la répartition des forces vives et des députés qui sont avec eux parfois dans la salle, j’ai eu l’impression qu’il y avait une tentative de reconduire l’organisation spatiale d’un hémicycle avec un jardin à droite et une cour à gauche. Est-ce juste ?

Oui. Pour simplifier, les gens de gauche sont plutôt côté cour, et les gens de droite plutôt côté jardin.

Ces forces vives sont-elles constituées de comédiens amateurs recrutés sur chaque lieu de représentation ?

Ce ne sont pas des comédiens, mais des amateurs au sens premier : ils aiment simplement le théâtre et acceptent de se prêter au jeu. Pour certains d’entre eux, il s’agit de leur première fois sur un plateau. Partout où nous jouons, le théâtre s’organise pour recruter une vingtaine de personnes qui travaillent alors en amont avec deux membres de l’équipe trois ou quatre jours avant les représentations. Ces deux personnes que la compagnie appelle « les assistants forces vives » ne sont pas des comédiens non plus. Elles ont été engagées spécifiquement pour préparer les forces vives, les former en quelque sorte, avec l’aide d’un livret contenant des photos du spectacle et tout un tas d’informations, puis elles les accompagnent et les guident lors de chaque représentation. C’est un sacré boulot ! L’un s’occupe des radicaux, l’autre, des conservateurs. Ces deux assistants ont eux-mêmes participé au processus de création à Nanterre, au moment où Pommerat a commencé à inventer la place particulière des forces vives au sein du spectacle.

Le spectacle a-t-il évolué depuis la création ? Je pense notamment aux attentats du 13 novembre puisque vous avez commencé à jouer à Nanterre avant cette date et que vous avez repris les représentations après une brève interruption. Dans un tout autre registre, je pense à la chemise arrachée de Gigart dont il ne me semble pas qu’elle ait été là dès le départ et qui fait penser à l’affaire du DRH d’Air France survenue en octobre 2015.

La chemise arrachée est apparue en improvisation lors d’une représentation, et le comédien qui a sorti la phrase l’a conservée par la suite. Nous sommes quelques-uns à apprécier moyennement ce clin d’œil et il ne restera peut-être pas. En tout cas, il n’est pas écrit dans le texte, mais il est vrai que nous gardons une part d’improvisation à chaque représentation. Cela dit, plus nous tournons, plus les choses finissent par se caler. Certaines répliques improvisées ne sont pas dans le texte mais ont fini par se fixer au fil du temps, d’autres sont apparues un soir et ne sont pas restées. Le spectacle évolue forcément, comme tout spectacle que l’on joue beaucoup, mais le texte bouge peu finalement, à quelques détails près. Cependant, je pense que ceux qui ont vu le spectacle l’année dernière et qui l’ont revu cette année voient une vraie différence. Guillaume Mazeau, notre historien, nous a dit avoir eu l’impression de voir un tout autre spectacle… Mais c’est sans doute le propre d’un spectacle qui a le luxe d’avoir le temps de mûrir.

Pouvez-vous nous donner une idée de la tournée qui a commencé l’année dernière et qui va encore se prolonger ?

Nous avons déjà joué le spectacle 105 fois et allons encore le jouer au moins 70 ou 80 fois cette année, mais aussi la saison suivante. Nous l’avons joué au Brésil, au Canada, et allons le jouer en Argentine, au Mexique, en Grèce, sur l’île de la Réunion, peut-être en Colombie… Il est aussi question du Japon. Nous étions surpris qu’autant de pays étrangers soient intéressés parce que la Révolution française nous semblait être un événement très… français… mais le spectacle suscite beaucoup d’intérêt partout dans le monde. Nous avons joué au Brésil au moment de la perquisition de la maison de Lula, alors que Dilma Roussef était sur le point d’être destituée, et cela résonnait tellement fort ! Des spectateurs nous ont demandé si Pommerat avait réécrit certains passages à l’adresse spécifique du Brésil ! Cela me fait d’ailleurs penser aux attentats, sur lesquels je n’ai pas répondu : il y a évidemment des événements extérieurs qui donnent une résonance toute particulière au spectacle et qui nous le font percevoir différemment. Cela n’a rien à voir avec le fait de chercher à modifier le spectacle pour réagir à l’actualité. Au moment de Nuit Debout, certaines scènes résonnaient évidemment d’une manière très forte. De même, les spectateurs qui ont vu le spectacle dans les jours qui ont suivi les attentats étaient très émus, je crois. Et pour nous aussi, à ce moment-là, c’était une expérience…

Certaines personnalités politiques ont-elles assisté au spectacle ?

Oui… Christiane Taubira est venue. C’était celle dont on espérait le plus qu’elle viendrait et je crois qu’elle a apprécié le spectacle. Sont également venus plusieurs anciens ministres de la Culture comme Jack Lang, Jacques Toubon, Aurélie Filippetti, et l’actuelle ministre Audrey Azoulay… Et Arnaud Montebourg. Et Martine Aubry qui était là à Lille et qui a dit à Pommerat qu’elle parlerait du spectacle à François Hollande parce que lui-même semblait ne cesser de dire : « ça ira, ça ira… » (Rires.) À notre connaissance, Jean-Luc Mélenchon n’est pas venu, ce que je regrette, d’autant qu’il connaît bien cette période. Plusieurs députés de gauche ou soi-disant de gauche ont assisté au spectacle et les retours sont positifs pour l’essentiel. Il y en a un que j’aime bien, Pascal Cherki, qui a particulièrement aimé, je crois.

Existe-t-il une captation du spectacle ?

Une captation, non, mais il y aura peut-être quelque chose… c’est en projet en tout cas… Les captations rendent rarement compte de la singularité d’un spectacle et ce serait encore plus difficile avec ce spectacle-là, à moins d’un vrai travail de cinéaste… Mais peut-être que quelque chose se fera…

Est-ce que le (1) présent dans le titre annonce une suite ?

Dès le début, l’idée était qu’il y aurait éventuellement une suite qui aborderait la Terreur. Mais rien n’est établi… Ce que dit Pommerat, en tout cas, c’est que ce ne serait pas la saison 2 de Ça ira : on n’y retrouverait pas les mêmes personnages comme dans une série télévisée, même si c’est un genre qu’il apprécie beaucoup par ailleurs. Ce serait un tout autre spectacle, et il s’y attellera s’il en ressent la nécessité et pas seulement parce que le premier a eu du succès. Il nous a dit récemment avoir lu la biographie de Robespierre par l’historien Jean-Clément Martin et a laissé entendre qu’elle l’avait inspiré… Mais rien n’est sûr… Qui sait ?…

 

Rencontre enregistrée et transcrite par Arthur Labarre,
avec l’aide de Bérénice Hamidi-Kim, Tiphaine Karsenti et Armelle Talbot.

Texte relu et amendé par Éric Feldman.

 

 

Pour citer ce document

Éric Feldman, « ‘‘Nous avons pour nous la raison et la force, n’ayons pas peur de la patience et de la modération’’ Jouer dans Ça ira (1) Fin de Louis », thaêtre [en ligne], Chantier #2 : La Révolution selon Pommerat, mis en ligne le 9 juin 2017. url : https://www.thaetre.com/2017/03/24/entretien-avec-eric-feldman/

 

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Entretien avec Éric Feldman

 

 

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