Abc du management

M.

 

Management by wandering around.

Le « management by wandering around » ou « management by walking around » ou « MBWA » ou « management baladeur » ou « management déambulatoire » consiste à multiplier les déplacements sur le lieu de travail afin de favoriser les discussions informelles entre managers et employés. Propices à la collecte d’informations et à la surveillance de l’activité, ces visites impromptues sont valorisées par la littérature managériale comme un moyen d’améliorer le dialogue, la confiance et la motivation au sein des organisations et d’encourager la proximité et la spontanéité contre les cloisonnements et les rigidités de la hiérarchie (« Wander frequently. […] Wander aimlessly without an agenda. […] Be spontaneous. Schedule time for this spontaneity if necessary »[1]).

C’est cette méthode managériale qui est pratiquée dans les bureaux de l’International Ceco Company où se déroule Chaos manager. En témoignent Jennifer, cadre supérieure de l’entreprise, et son enthousiaste plaidoyer en faveur de cette pratique conviviale, peu avant qu’elle ne soit licenciée et ne découpe l’une de ses collègues en morceaux.

Jennifer. […] Ici, nous pratiquons le management by wandering around. […] La communication interne est vitale pour une entreprise. Ne pas s’isoler. Fuir l’autisme. Le bureau du collègue n’est pas une prison, la porte doit rester grande ouverte, on surfe dans les couloirs, on passe la tête, bonjour ma chérie comment ça va, as-tu appris que, sais-tu que, figure-toi que, puis on glisse vers la cafèt’, un lieu stratégique, l’info y bouillonne, la bonne, la mauvaise, il faut trier tout cela évidemment, négliger le blabla sur le conjoint, les lardons, le chien, la belle-mère, les pédophiles, le régime pour maigrir, la cellulite, la sélection nationale de foot et le cul des collègues. Tu tries, tu gardes le meilleur. Décontraction, convivialité, créativité, tout par tous et tous pour l’entreprise, sang frais qui pulse, boulot à visage humain[2].

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Never without my slide #6

 

Marketing de soi.

Le « marketing de soi » ou « self marketing » ou « marketing personnel » ou « personal branding » consiste à appliquer à sa propre personne les principes du marketing, soit l’ensemble des actions et des techniques qui permettent de développer la vente d’un produit et de valoriser une marque.

Le produit est le terme utilisé de façon générale pour désigner un produit (yaourt, voiture, vêtement), ou un service (bancaire, médical, de maintenance, de transport…). D’une façon générale, le produit représente une solution pour celui qui l’achète, l’utilise ou le consomme.

Dans notre contexte, le produit, c’est chacun d’entre nous, avec nos caractéristiques et nos facteurs de différenciation. En tant que potentiel collaborateur dans une entreprise, nous représentons une solution pour elle. […]

Mais que le terme de marketing ne vous induise pas en erreur : vous ne vendrez pas ce produit (vous-même) si vous manquez de compétences, ou si votre « emballage » (c’est-à-dire votre apparence, votre comportement et vos modes de communication) ne correspond pas aux codes en vigueur.

L’objectif de ce livre est de vous donner les méthodes et outils pour mieux présenter un produit (vous-même) de bonne qualité. Qu’est-ce que la qualité d’un produit ? C’est la conformité aux exigences pertinentes. Ce sera donc à vous de détecter quelles sont les exigences en savoir, savoir-faire et savoir-être qui sont attendues dans votre marché de l’emploi […]

Mais être un produit de qualité sur votre marché de l’emploi ne suffit pas, parce que vous n’êtres pas le seul. Il faut donc encore trouver vos facteurs de différenciation par rapport aux autres ainsi que la ou les façons de les mettre en valeur par une bonne communication[3].

Quitte à décourager nos velléités dénonciatrices, il n’est manifestement plus besoin ici de dévoiler la réalité cruelle de la marchandisation des individus sous les mirages humanistes dont se pare parfois la phraséologie néomanagériale. Sans qu’il semble y avoir à craindre de faire fuir le lecteur, ce processus de réduction de chacun à un produit dont il conviendrait de soigner l’emballage est parfaitement assumé par le discours, sur un mode qu’on peine à croire dépourvu de toute intention satirique et qui l’est pourtant absolument.

C’est dire que Joël Pommerat force moins le trait qu’on ne pourrait le penser lorsqu’il donne la parole à un chef d’entreprise venu « parrainer » des chômeurs de longue durée dans une agence pour l’emploi et leur apprendre à « se vendre » :

Le chef d’entreprise. […] Vous avez quelque chose à promouvoir de très important aujourd’hui : vous-même, quelque chose que vous devez apprendre à promouvoir : vous-même  !
Et pour ça, pardon de la comparaison mais c’est la plus juste, vous devez commencer par vous considérer comme un produit, oui, un produit très précieux, d’une matière très précieuse mais comme un produit oui ! Et ce produit aujourd’hui si vous voulez le vendre, me le vendre : vous devez apprendre à le promouvoir !
Je vais vous donner un exemple dans votre vie de tous les jours, quand vous allez au supermarché au rayon des fruits et que vous devez choisir des pêches, vous allez prendre lesquelles ? celles un peu talées, abîmées ? ou celles au contraire bien mûres juste à point ? Un fruit qui vous fait pas du tout envie vous « prenez » ou vous « prenez » pas ?

Chômeuses 3 et 4. Prends pas.

Chef d’entreprise. Voilà. « Je prends / Je prends pas », vous commencez à comprendre ?
Comprendre que pour que ça marche auprès des autres et donc auprès de l’employeur que vous allez rencontrer pour un job […]
il faut que vous appreniez à vous vendre[4].

À l’évidence, se présenter sur le marché de l’emploi comme « un produit de qualité » constitue un art délicat auquel tous ne sont pas égalitairement prédisposés, à plus forte raison après des années passées à alterner périodes de chômage et emplois non qualifiés. D’où les difficultés de Denise, dans la pièce Flexible, hop hop !, lorsqu’elle se retrouve, une nouvelle fois, dans les bureaux de « la pépinière de réinsertion » et qu’elle doit vanter ses mérites après avoir été licenciée d’Interklang où elle travaillait à la chaîne :

Brigitte. […] Première question :
Qu’est-ce qui fait de vous, Denise, une personne, unique ?

Denise. Je. Non.

Brigitte. Je vous écoute, Denise. Cherchez. Cherchez bien. […]
Il faut vous valoriser, Denise.
Alors.
Que dites-vous ?

Denise. Klang[5] !

 

[1] « Ten MBWA tips from the pros », Measure. Magazine for Hewlett-Packard people, juillet-août 1997, p. 5. C’est à Hewlett-Packard qu’est généralement attribuée la paternité du management by wandering around.

[2] Jean-Marie Piemme, Chaos manager, dans Serpents à sornettes suivi de Chaos Manager, Arles, Actes Sud-Papiers, 2012, p. 76-77.

[3] Sylvie Protassieff et al., Le Marketing de soi, chap. 1 « Appliquer des notions simples de marketing au marketing de soi », Paris, Éditions Eyrolles, 2014, p. 23.

[4] Joël Pommerat, Cercles/Fictions, Arles, Actes Sud-Papiers, 2010, p. 57.

[5] Emmanuel Darley, Flexible, hop hop !, Arles, Actes Sud Papiers, 2005, p. 37.

 

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