« Comment tu t’organises ? »

Bruno Meyssat
Théâtres du Shaman


 

 

© Bruno Meyssat - Théâtres du Shaman

© Bruno Meyssat – Théâtres du Shaman

Qui es-tu ?

Je réalise des espaces-temps, des durées avec des acteurs. Notre activité touche l’anthropologie parfois, concerne le subliminal tout le temps. Mais ce projet ne suffit pas, donc je fais aussi autre chose, qui me prépare à ces séquences brèves. Je photographie, je mets en relation des objets et des instants. Je me déplace. Je tente d’éprouver la réalité de ce monde.

D’où viens-tu ?

Je suis venu à pied. De lignée paysanne. J’ai eu la chance de faire des études, de rencontrer à toutes les étapes de mon parcours des êtres généreux et profonds à qui je dois beaucoup. Et puis, d’être fasciné aussi de façon originelle par la présence des objets.

De quoi vis-tu ?

De mon travail de réalisateur et de pédagogue.

Comment tu t’organises ?

En m’efforçant que les détenteurs de moyens et les puissants de ce milieu – mais de petite taille – comprennent ce que je tente et respectent mon activité. En limitant les paroles et les présences inutiles.

Le management, ça t’inspire quoi ?

Me tenir loin de ce type de champ et de la population qui va avec.

Une compagnie, c’est une petite entreprise ?

Non, car le bilan financier n’est pas l’objectif premier de notre activité.

Mettre en scène, c’est être le patron ?

Non, c’est avoir la confiance d’un groupe d’artistes qu’on apprécie et qui vous accorde le droit de prendre des décisions, nécessaires ou ingrates, en votre for intérieur. Pouvoir travailler ensemble sans parler pour ne rien dire. Pouvoir vivre ça dans la sincérité qui préserve aussi l’énergie.

Est-ce que tu as déjà licencié quelqu’un ?

Non, alors on s’est séparés lorsque l’un des deux a amené la question.

Être artiste, est-ce se vendre ?

Non, cette « idée » est une de ces approximations qui participent d’une tendance à vouloir donner un prix à tout afin d’appliquer ensuite les règles marchandes et d’en saisir la part pauvre. On connaît la pente : art, culture, et enfin tourisme.

Le créateur : un travailleur émancipé ?

Quand je suis salarié, je ne suis émancipé de rien du tout. Mais paradoxalement, je ne pense pas au fond que c’est ma création qui m’a été payée, mais du temps, un segment parmi toutes les heures de ma vie qui travaille perpétuellement. Disons alors que la part payée est la part artisanale de mon activité. De l’autre, il n’est jamais question en fait, dans cet échange.

Qu’est-ce qui a changé pour toi ces cinq dernières années ?

La conscience sans cesse accrue d’une aliénation diffuse qui nous enserre. De la vacuité d’un théâtre classique, de son rôle de danseuse, de légitimation impensée. De l’impératif de se tourner vers le monde tel qu’il est, celui qui déplie ses anneaux en ce moment même. Tenter de le faire venir dans le lieu de concentration – encore – des salles de théâtre. L’attention est une capacité qui va bientôt être questionnée, comme l’eau.

 

 

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