Abc du management

B.

 

Benchmarking.

Voir Concurrence.

 

Burnout.

Dans le lexique de l’aérospatiale dont il est issu, le burnout désigne la désintégration par surchauffe d’une machine à court de carburant. Son apparition dans le domaine clinique en tant que « syndrome d’épuisement professionnel » survient dans les années 1970 à la suite des travaux de Herbert J. Freudenberger (L’Épuisement professionnel : « la brûlure interne ») et de Christina Maslach (The Maslach Burnout Inventory). Il concerne alors spécifiquement les professions « d’aide » (travailleurs sociaux, personnel soignant et enseignant), avant de voir son emploi élargi à toute forme d’activité.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, le burnout se caractérise par « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». Associé à des troubles d’ordre psychique et comportemental, il a également des effets physiques (insomnies, suées, maux de ventre, douleurs musculo-squelettiques), mais il n’est pas identifié comme une maladie dans les classifications nosologiques internationales, et l’identification de ses symptômes continue d’être discutée dans le monde médical en dépit de la popularité du terme. En France, la loi relative au dialogue social et à l’emploi du 17 août 2015 avait inscrit la reconnaissance du burnout comme maladie professionnelle dans son projet, mais l’article a été supprimé par le Sénat.

Jean-Marc Gabouty. Ayant été à l’origine de la suppression de l’article 19 bis […], je me dois de fournir quelques explications. […] Nous devons, me semble-t-il, éviter d’allonger la liste des maladies professionnelles, en dehors des maladies physiques évidentes dues au poste de travail ou à l’inhalation de certains produits comme l’amiante. Les maladies psychiques sont parfois un peu plus irrationnelles.

Je note que l’on parle aussi de plus en plus souvent du bore-out, ou syndrome d’ennui au travail – certains collègues m’ont fait part d’articles sur la question, et nous aurons peut-être prochainement l’occasion d’en débattre –, qui pourrait être identifié comme une nouvelle pathologie liée à un travail insuffisamment valorisant. (Sourires.)

Plus sérieusement, il me semble que la plupart des maladies existantes, y compris les maladies cardiovasculaires, peuvent avoir une part d’origine professionnelle. Ce n’est pas une raison pour faire porter sur l’entreprise tout le mal-être de notre société. […]

Il ne faut pas que, à travers les amendements de rétablissement de l’article 19 bis, on aboutisse à une forme de stigmatisation du travail et de l’entreprise. Bien sûr, les méthodes de travail de certaines entreprises peuvent conduire à des états dépressifs, mais je pense que ceux dont on devrait le plus tenir compte, ceux qui méritent le plus d’attention, ce ne sont pas les gens qui sont au travail, mais les gens qui ont des raisons réelles de déprime parce qu’ils n’ont pas d’emploi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)[1]

 

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Never without my slide #2

 

Le théâtre contemporain propose de nombreuses sondes dans la psyché en panique de travailleurs surmenés. C’est évidemment le cas dans Burnout qui confronte les personnages de l’Évaluée et de l’Évaluateur promu « Responsable de l’Évaluation du Personnel et du Burnout »[2]. L’association du couteau et de la plaie dans la même fonction dit bien l’assimilation, tout autant que le degré d’assimilabilité, des critiques du travail formulées en termes de risques psychosociaux et renvoie au développement récent, dans les entreprises, de dispositifs d’encadrement chargés d’accompagner d’« amortisseurs psychologiques »[3] la pression qu’elles font elles-mêmes peser sur leurs salariés. La pièce de Badea laisse peu d’espoir sur les pouvoirs régulateurs de cette « nouvelle orthopédie sociale »[4], qu’il s’agisse de la falsification des résultats inquiétants des « tests de Freudenberger »[5] à laquelle se livre l’Évaluateur sous l’ordre de sa direction ou de l’état morbide que révèlent les répliques ressassantes de l’Évaluée à grand renfort de pensée positive et de slogans proactifs.

Dans Sous la glace, la scansion faussement maîtrisée des impératifs catégoriques auxquels se soumet l’Évaluée laisse place à un flux de conscience incontrôlable :

Ce vacarme dans ma tête ! Je ne dormais plus, porno porno porno
licenciement licenciement licenciement, développer sans cesse de nouveaux concepts, comment se débarrasser de qui,
le mieux ce serait qu’ils meurent tous […]
la mort, c’était le mieux, quand ils mouraient d’un coup, peu importe comment, c’était toujours la meilleure solution, pornos rationalisés, pornos flexibilisés, putain de merde de pornos délocalisés, sortir, acheter du lait, de la bière, de la purée en sachets, puis les spots publicitaires en boucle, porno, contre-expertise excel,
qui pouvait encore y croire,
ce vieux type gras assis en face de moi, je le hais, je veux m’en débarrasser, je réfléchis depuis des semaines entières au moyen de m’en débarrasser,
des soupes en sachets, une existence en sachet, je suis un crétin en sachet, un idiot surgelé, je veux mourir de froid, je ne dormais pas, j’étais toujours en éveil, même en dormant je voyais ces images, cela durait des jours, des nuits, des semaines, entassé, entassé, balayé par la neige, étouffé, enterré, mort, je les fous tous dehors, toute personne qui n’est pas absolument indispensable doit se barrer,
et maintenant c’est moi qui m’éjecte, j’ai élaboré le plan pour me foutre moi-même dehors[6]

Le mouvement permanent exigé par l’économie capitaliste se concrétise ici dans le débit de la parole, monologue logorrhéique montrant les soubresauts d’une dynamique en voie d’emballement, que vient contrebalancer l’isotopie ambivalente, à la fois macabre et protectrice, de la glace, du froid et de la congélation.

Dans La Vie burale, les effets somatiques du burnout ne font plus aucun doute, ni moins que l’articulation entre le contexte professionnel et la pathologie dont est atteint le personnage principal. Cette dernière prend en effet la forme radicale de trois excroissances qui ne sont autres que les avatars monstrueux de ses propres collègues :

Antoine. […] C’est mes collègues… Ils m’embêtent… […] Ils ont poussé dans moi, et maintenant ils font n’importe quoi… En plus, ça a fait un trou dans ma poitrine et dans mon ventre… […] Un trou tout froid… Et parfois je les sens qui bougent à l’intérieur, je ne sais pas ce qu’ils trafiquent, […] mais chacun de leurs mouvements me glace un peu plus les sangs[7]

Interprétées par des marionnettes, Excroissance Olga, Excroissance Alexandre et Excroissance Étienne logent dans l’organisme d’Antoine devenu « le castelet de son propre psychodrame »[8]. Elles multiplient entrées et sorties tout en dialoguant entre elles et en le prenant à parti tandis qu’il est à son bureau et s’efforce de poursuivre ses activités professionnelles comme de répondre aux sollicitations de ses (véritables) collègues.

 

[1] Jean-Marc Gabouty, dans Sénat, « Compte-rendu intégral des débats », séance du 24 juin 2015, Journal officiel de la République française, n° 77, 25 juin 2015.

[2] Alexandra Badea, Burnout, dans Contrôle d’identité. Mode d’emploi. Burnout, Paris, L’Arche, 2009, p. 139.

[3] Yves Clot, Le Travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Paris, La Découverte, coll. Cahiers libres, 2010, p. 145.

[4] Ibid.

[5] Alexandra Badea, Burnout, op. cit., p. 136.

[6] Falk Richter, Sous la glace, trad. Anne Monfort, dans Hôtel Palestine. Electronic City. Sous la glace. Le Système, Paris, L’Arche, 2008, p. 120-121.

[7] Hervé Blutsch, La Vie burale, L’Île Saint-Denis, Voix navigables, 2009, p. 61.

[8] « Pièce pour acteurs et marionnettes », La Vie burale est issue d’une commande de la Compagnie Ka qui a créé la pièce au Théâtre de l’Espace, Scène Nationale de Besançon, en mars 2009. La citation est extraite du texte de présentation du spectacle par la compagnie. url : http://www.compagnie-ka.com/lavieburale.php

 

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