L’invention d’une discipline hybride :
les études théâtrales en France et en Allemagne

L’hypothèse de l’hybridation

 

Les études théâtrales en France, la Theaterwissenschaft en Allemagne, ont connu une lente et difficile légitimation au cours du XXe siècle. Tout au long de leur histoire, elles ont eu à faire face à de nombreuses oppositions, issues de l’université comme du théâtre. Cette histoire conflictuelle, qui ne saurait être ramenée à un processus linéaire et pacifié d’institutionnalisation – idée que promeut souvent l’histoire internaliste des disciplines ou, à l’inverse, la perspective fonctionnaliste[1] –, doit beaucoup aux caractéristiques valorisées par cette discipline, qui prétend dépasser les divergences entre monde universitaire et champ artistique en proposant simultanément l’étude théorique et littéraire de textes dramatiques et la pratique théâtrale. L’idée d’une discipline hybride, qui éclot – comme nous en faisons l’hypothèse – à la jonction du champ théâtral et du champ universitaire, ne doit pourtant pas tromper : si cette hypothèse permet de mettre l’accent sur la spécificité de la discipline et de comprendre les oppositions auxquelles elle a toujours été confrontée, elle engendre en même temps le risque d’une réification, accentuant son unité, comme le propose le discours de la discipline sur sa propre histoire, en Allemagne comme en France[2]. Pourtant, ni tout à fait en dehors de l’université, ni tout à fait dans le théâtre, l’histoire de la discipline dans les deux pays est justement l’histoire des relations, parfois apaisées, souvent conflictuelles, entre ces deux sphères, historiquement constituées de manière antagoniste[3], et de la façon dont ces conflits ont participé à sa mise en forme.

Pour comprendre l’apparition des études théâtrales ou de la Theaterwissenschaft, il faut s’interroger à la fois sur les conditions sociales qui l’ont rendue possible, histoire irréductible à celle de « nomothètes solitaires »[4] (Max Herrmann pour l’Allemagne, Jacques Scherer pour la France), ainsi que sur la manière par laquelle les relations entre théâtre et université ont pris des formes différentes en fonction des contextes politique, académique et artistique au sein des deux pays. Dans le cadre de cet article, nous ne considérerons que les premiers temps de la discipline en Allemagne, qui se dote d’un institut en 1923, puis en France, où le premier institut n’apparaît qu’en 1959, et les raisons qui peuvent expliquer ce « retard » français.

 

La Theaterwissenschaft à Berlin (1923)

 

À lire les nombreux manuels allemands de la discipline depuis celui d’Hans Knudsen de 1926[5] jusqu’à ceux d’aujourd’hui[6], l’apparition de la Theaterwissenschaft devrait tout à quelques grandes figures, les trois « pères fondateurs » : Max Herrmann (1865-1942) à Berlin, Carl Niessen (1890-1969) à Cologne et Artur Kutscher (1878-1960) à Munich. Pour le cas berlinois, Herrmann tire pourtant sa force de sa capacité à s’assurer des soutiens fidèles, en particulier les metteurs en scène. Aidé de Hans Knudsen et de Bruno Satori-Neumann, ses deux assistants, Max Herrmann crée ainsi en 1920 la Société des amis et des mécènes du Theaterwissenschaftlichen Instituts de l’Université de Berlin (Gesellschaft der Freunde und Förderer des Theaterwissenschaftlichen Instituts an der Universität Berlin). Dotée d’une revue, les Theaterwissenschaftliche Berichte (1920-1922) transformée en Theaterwissenschaftliche Blätter en 1925, l’association regroupe rapidement 200 membres, enseignants et artistes, dont Gerhart Hauptmann (1862-1946, écrivain dramatique), Max Reinhardt (1873-1943, metteur en scène), Max von Schillings (1868-1933, chef d’orchestre et compositeur), Franz Schreker (1878-1934, compositeur) ou encore Leopold Jessner (1878-1945, metteur en scène, directeur du Staatlichen Schauspielhauses). Lors d’un discours prononcé le 27 juin 1920 dans le cadre de cette société, Herrmann affirme son désir de fonder la Theaterwissenschaft sur des bases à la fois scientifiques et artistiques :

Cette science, qui est parfaitement distincte, et qui doit à l’avenir être considérée comme une science, se situe à la frontière la plus vivante entre théorie et pratique, synthèse et analyse. La synthèse et l’analyse sont d’une importance égale. Une science vivante pénètre actuellement dans nos universités poussiéreuses. Et elle est tout aussi importante pour le théâtre[7].

Cette discipline « à tête de Janus »[8] (Januskopf), comme la qualifie Hans Knudsen, se trouve rapidement en butte à une double opposition, à la fois universitaire et théâtrale, qui ralentit la fondation d’un institut de Theaterwissenschaft : tandis que certains artistes, dépositaires de la croyance du « don », se méfient du principe même d’une formation artistique – ce qui amène Herrmann à refuser de former des comédiens, mais pas des metteurs en scène ou des Dramaturg –, les universitaires classiques voient d’un mauvais œil cette nouvelle discipline, liée selon eux aux mouvements modernistes.

Parallèlement à l’affirmation militante du caractère « vivant » du théâtre et de sa discipline (contre les études littéraires, jugées « poussiéreuses »), Herrmann revendique également le « sérieux » de la Theaterwissenschaft, ambition systématiquement proclamée tout au long de son histoire. Cette revendication (professionnelle) de la scientificité, cette alliance avec l’art et certains artistes[9] ainsi que l’avènement du nouveau régime démocratique, la République de Weimar, à la suite de la Révolution allemande de novembre 1918, assurent à Max Herrmann des soutiens nécessaires à sa nomination en tant que professeur non titulaire d’une chaire (außerordentlicher Professor) en 1919, et à la création de l’institut malgré la réticence des agents du monde universitaire. Par exemple, Gustav Roethe (1859-1926), Germanist reconnu, recteur de l’Université de Berlin à partir de 1923 et membre du Deutschnationalen Volkspartei, formation d’extrême-droite, refuse cette nouvelle discipline, perçue comme une « maladie à la mode »[10] (Modekrankheit). Il est pourtant contraint de plier sous les pressions combinées du ministère, d’autres enseignants et d’artistes reconnus. C’est, finalement, après « presque cinq ans de patience acharnée »[11] et de multiples compromis, scientifiques, artistiques et idéologiques, que Max Herrmann parvient à créer le Theaterwissenschaftliches Institut de l’Université de Berlin. En effet, à la suite d’une « expertise de la Faculté de Philosophie de l’Université de Berlin en vue de la création d’un Theaterwissenschaftliches Institut » (Gutachten der Philosophischen Fakultät der Universität Berlin zur Begründung eines Theaterwissenschaftlichen Instituts) qui se tient en juillet 1921 et qui pointe les risques d’une telle discipline vis-à-vis des lois traditionnelles du monde universitaire[12], l’ouverture d’un institut est acceptée, sous trois conditions : la Theaterwissenschaft ne peut pas prétendre au rôle de discipline indépendante avec ses propres examens et diplômes ; un numerus clausus strict doit être imposé (seuls peuvent être acceptés les étudiants qui « ont manifesté un sérieux intérêt scientifique »[13]) ; enfin, Max Herrmann ne doit pas être à la tête d’un tel institut. Finalement fondé le 10 novembre 1923, l’institut est dirigé alternativement par Max Herrmann et par Julius Petersen (1879-1941) jusqu’en 1933, ce dernier étant censé garantir le sérieux universitaire tandis que le premier représente le caractère novateur de la discipline. Malgré ces oppositions, l’institut obtient son autonomie vis-à-vis des lettres en 1925, date à laquelle l’intitulé de doctorat Theaterwissenschaft est « toléré », sans pour autant que la discipline soit mieux considérée au sein du monde universitaire. Encore faiblement institutionnalisée et sans véritable curriculum, elle offre cependant dès 1926 un enseignement en « mise en scène » (Regie) donné par Ferdinand Gregori (1870-1928), acteur et metteur en scène. En insistant sur l’« objectif pratique »[14] (prakt. Ziele) de l’institut, il participe alors à réaliser le programme initial de la discipline, qui sera intensifié après la Deuxième Guerre mondiale.

 

Les études théâtrales à Paris (1959)

 

En France, la figure de Jacques Scherer[15] joue un rôle central dans la constitution de l’Institut d’études théâtrales au sein de la Sorbonne en 1959, plus de trente ans après le cas berlinois. Son parcours universitaire, au départ classique, est contrarié par l’Occupation et son exclusion de l’enseignement supérieur. À la suite de la guerre et de son exil en Angleterre, il parvient à obtenir en 1956 une chaire à la Sorbonne, transformée pour lui en « Chaire d’Histoire et technique du théâtre français ». Au sein de la faculté, espace fortement conservateur, il occupe alors une position relativement marginale, du fait de sa trajectoire, de l’antisémitisme persistant et de ses prises de position modernistes. Cette position inconfortable, à la marge de l’institution, l’amène, comme Max Herrmann, à fortement investir dans la création de la discipline des études théâtrales. Par sa proximité avec le monde théâtral, il parvient à rallier à son projet des artistes qui deviendront des soutiens importants dans la constitution de la discipline[16], de même que des piliers de l’entreprise qu’il s’assigne : faire se rencontrer professionnels et universitaires et mener de front activités scientifiques et pratiques, proche en cela du projet disciplinaire allemand. Jacques Scherer, ainsi que Raymond Lebègue[17], professeur de littérature française qui deviendra le premier directeur de l’Institut d’études théâtrales entre 1959 et 1965 avant d’être remplacé par Jacques Scherer, trouvent de plus des soutiens académiques au sein et en dehors de l’enseignement littéraire comme le montre une lettre écrite par ce dernier au Doyen de la Faculté, le 6 février 1959 :

Monsieur le Doyen,

J’ai l’honneur de vous informer qu’à la suite de conversations avec plusieurs collègues, il m’a semblé utile de provoquer une réunion d’information commune à toutes les sections qui aurait pour but de rechercher les moyens de coordonner et de développer les études relatives au théâtre, conformément au principe déjà appliqué de l’affiche sur les cours relatifs au théâtre donnés à la Faculté.

Cette réunion a eu lieu le 13 janvier 1959. Les collègues suivants y assistaient : MM. Fabre, Frappier, Le Gentil, Saulnier, Scherer et moi-même (Français) ; Gouhier et Souriau (Philosophie) ; Dupront et Labrousse (Histoire) ; Robert (Grec) ; Wuilleumier (Latin) ; Fort (Anglais) ; Ayrault et David (Allemand) ; Gravier (Études Scandinaves) ; Brachin (Études Néerlandaises) ; Haguenauer (Japonais) ; Aubrun (Espagnol) ; Renucci (Italien) ; Chailley (Histoire de la Musique).

Il est apparu aux participants à cette réunion qu’il y aurait intérêt à créer de nouvelles activités de nature à favoriser le développement des études théâtrales, mais que ces activités ne pouvaient être efficacement organisées que dans le cadre d’un nouvel Institut d’Université. Les participants à cette réunion m’ont donc confié le mandat d’établir le projet de règlement de cet Institut d’Études Théâtrales et de vous le soumettre[18].

Afin de justifier la création de l’Institut d’études théâtrales, Jacques Scherer et Raymond Lebègue insistent particulièrement sur l’existence de telles institutions à l’étranger, en particulier dans le monde anglo-saxon, et sur le retard français à cet égard. Ainsi, Raymond Lebègue écrit en novembre 1959 :

À la différence de nombreuses Universités étrangères, l’Université de Paris ne possédait pas encore d’Institut du Théâtre. Sa création était d’autant plus souhaitable que Paris possède des bibliothèques théâtrales très riches et que de nombreux étrangers y viennent s’informer de notre théâtre d’autrefois et de maintenant[19].

Finalement créé en 1959, l’Institut d’études théâtrales, « dont l’horizon est international »[20], est alors porté à la fois par la figure de Jacques Scherer, par les soutiens universitaires et artistiques qu’il parvient à se rallier et par les ressources transnationales mobilisées.

La création de l’institut est ainsi permise grâce à des soutiens multiples et hétérogènes, rendant la discipline des études théâtrales peu cohérente dans ses premiers temps, comme en Allemagne. Son caractère hybride subit dans un second temps une véritable institutionnalisation avec l’arrivée de nouveaux membres par lesquels le corps enseignant tend à s’ouvrir et, paradoxalement, les études théâtrales à se préciser. Si l’institut ne regroupe au départ que des universitaires, tels Raymond Lebègue et Jacques Scherer, Bernard Dort (1929-1994) et Charles Antonetti (1911-1999) les rejoignent dès 1962 – année où Antonetti commence ses « travaux pratiques »[21] à l’institut –, enclenchant véritablement un mouvement de rapprochement avec le champ théâtral. Ce caractère bipolaire de l’Institut d’études théâtrales, du côté du champ académique et du côté du champ théâtral, tend à être préservé par Jacques Scherer par un recrutement spécifique maintenant cet équilibre paradoxal : deuxième maître-assistant à être engagé, à la suite de Bernard Dort, André Tissier a quant à lui un parcours classique. Agrégé, docteur, il est professeur dans le secondaire au moment où Jacques Scherer lui propose de devenir maître-assistant à l’institut. Contrairement à Dort, ce dernier est considéré comme « archiclassique, archiconservateur »[22] selon Michel Corvin. Ces mêmes oppositions se retrouvent plus tard au niveau des assistantes recrutées à la fin des années 1960 : Françoise Kourilsky provient, comme Bernard Dort, du champ de la critique théâtrale (elle débute sa collaboration à Théâtre populaire en 1961), elle n’est pas agrégée et s’intéresse au théâtre radical américain. À l’inverse, Martine de Rougemont est agrégée et travaille sur le théâtre français du XVIIIe siècle. Derrière cette division du travail scientifique segmentant la discipline se dissimule une lutte entre des fractions plus ou moins intégrées au sein du champ universitaire et/ou du champ théâtral. Encore soumis aux études littéraires, il faut attendre Mai 68 pour que l’institut obtienne son autonomie et que cet équilibre précaire se trouve bouleversé, ce qui ne se fera pas sans conflits.

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Préparation au Certificat d’Études Théâtrales et au Diplôme d’Études Théâtrales, 1964-1965.
Université de Paris – Faculté des Lettres et Sciences Humaines – Institut d’études théâtrales.
Tableau réalisé à partir des documents retrouvés dans les archives Bernard Dort déposées à l’IMEC.

Discordance des temps, concordance des champs

 

Par souci de clarté, nous avons préféré présenter séparément le cas allemand et le cas français. Pourtant, nous pouvons observer des processus similaires dans les deux pays, malgré une discordance des temps manifeste. En dépit des oppositions et du mépris persistant qui pèse sur la discipline, sa création est rendue possible grâce à une conjoncture politique spécifique qui participe à métamorphoser (relativement) les hiérarchies prévalant au sein du monde universitaire, ainsi qu’à une alliance inédite entre agents dominés au sein du monde académique et agents du monde théâtral en voie de légitimation comme le sont les metteurs en scène. Cette légitimation de la figure du metteur en scène apparaît en effet dès les années 1920 en Allemagne, à la faveur de la crise esthétique et politique ouverte durant la République de Weimar. Le critique théâtral Herbert Ihering a donc raison d’écrire en 1929 : « le germaniste [il entend ici la Theaterwissenschaft] et le metteur en scène : chacun s’appuie sur l’autre, chacun puise sa légitimité en l’autre. »[23] À l’inverse, et malgré la constitution du Cartel des quatre (Louis Jouvet, Charles Dullin, Gaston Baty et Georges Pitoëff) en 1927, il faut attendre les années 1950 pour que les metteurs en scène soient reconnus au même titre que les écrivains dramatiques en France. Ce processus est lié d’une part à la constitution progressive d’un champ transnational du théâtre, avec la création de l’Institut international du théâtre en 1948[24], et d’autre part au rôle croissant des metteurs en scène dans les politiques culturelles naissantes[25]. Cette concordance des champs théâtral et universitaire, autorisée par des processus internes et externes à ces deux espaces et qui se fait à distance temporelle dans les deux pays, détermine alors le brouillage relatif des frontières entre art et science et l’ouverture de l’espace des possibles disciplinaires et artistiques, dans laquelle peut s’engouffrer la nouvelle discipline.

Par la suite, Mai 1968 participe, dans les deux pays, à renverser brutalement la « table des valeurs académiques »[26]. Le pôle le plus théâtral de la discipline, renforcé par l’arrivée d’artistes au sein de l’université[27], tend alors à gagner en influence et en légitimité. Les études théâtrales/la Theaterwissenschaft se précisent, et les enseignements pratiques occupent une place de plus en plus importante au sein de leur curriculum. La discipline profite alors d’un processus grandissant de légitimation, là encore non linéaire. Mais il s’agit d’une autre histoire[28]

 

Notes

[1] Tandis que la première s’arrête le plus souvent à l’histoire des « grands hommes », la seconde repose sur le postulat d’une différenciation croissante des sphères d’activité. Ces deux approches empêchent alors de penser ensemble les conditions sociales d’apparition des disciplines et leurs spécificités.

[2] Tandis qu’en Allemagne de nombreux travaux existent sur l’histoire de la discipline, souvent écrits par les praticiens eux-mêmes et ce depuis son origine, ils sont peu nombreux en France, où nous ne pouvons recenser, à ce jour, que quelques articles : Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Les études théâtrales : objet ou discipline ? », colloque « Unités des recherches en sciences humaines et sociales », ENS Ulm, juin 2006 ; Stéphanie Mechine et Ève-Marie Rollinat-Levasseur, « Le théâtre à l’Université de Paris : institutionnalisation et développement dans la seconde moitié du XXème siècle », dans Florence Bourillon, Éléonore Marantz, Stéphanie Mechine et Loïc Vadelorge (dir.), De l’Université de Paris aux universités d’Île de France, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016 ; ou encore le numéro 18 de la revue Registres consacré aux origines des études théâtrales et paru en 2015. Les actes du séminaire « Approches plurielles du fait théâtral » (2013-2016) reviendront largement sur cette histoire : Catherine Brun, Jeanyves Guérin et Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Genèses des études théâtrales en France (XIXe-XXe siècles), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, à paraître.

[3] Sur cette opposition structurale, voir : Pierre Bourdieu, « Le critique ou le point de vue de l’auteur », dans Michel Zink (dir.), L’Œuvre et son ombre : que peut la littérature secondaire ?, Paris, Éditions de Fallois, 2002, p. 129-134 ; Gisèle Sapiro, « Défense et illustration de l’“honnête homme’’. Les hommes de lettres contre la sociologie », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 153, 2004, p. 11-27.

[4] Par ce terme, il s’agit pour Pierre Bourdieu de mettre à distance l’insistance exclusive sur le rôle-clef de certains individus dans l’apparition de nouveaux champs – Flaubert pour le champ littéraire, Manet pour le champ artistique –, sans pour autant abandonner cette démarche. Voir Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, [1992] 1998 ; Pierre Bourdieu, Manet. Une révolution symbolique – Cours au Collège de France (1998-2000), Paris, Seuil/Raisons d’agir, 2013.

[5] Hans Knudsen, Das Studium der Theaterwissenschaft, Handbuch für das Hochschulstudium in Deutschland: Ein Führer für ausländische Studenten, Berlin, Verlag Hochschule und Ausland, 1926.

[6] Par exemple Erika Fischer-Lichte, Theaterwissenschaft : Eine Einführung in die Grundlagen des Fachs, Tübingen, Verlag Francke UTB, 2009.

[7] Max Herrmann, « Über die Aufgaben eines theaterwissenchaftlichen Institutes » (27 juin 1920), Wissenschaftliche Zeitschrift der Humboldt-Universität zu Berlin, n°3-4, 1974, p. 351 : « Diese Wissenschaft, die so kultiviert ist, wie eine künftige Wissenschaft geartet sein muss, steht an der lebendigsten Grenze zwischen Theorie und Praxis, Synthese und Analysis. Synthese und Analysis sind gleichstark. Es dringt eine lebendige Wissenschaft in das Staubige unserer Universitäten hinein. Aber für das Theater ebenso wichtig. » Notre traduction.

[8] Hans Knudsen, « Begründung und Entwicklung der Theaterwissenschaft an der Friedrich-Wilhelms-Universität », Studium Berolinense: Aufsätze und Beiträge zu Problemen der Wissenschaft und zur Geschichte der Friedrich-Wilhelms-Universität zu Berlin, Berlin, Walter de Gruyter & Co, 1960, p. 741.

[9] En plus de donner la parole aux artistes et d’intégrer les œuvres dramatiques et scéniques contemporaines au corpus légitime du monde universitaire, il s’agit également pour Max Herrmann de « revivre » (nacherleben) les œuvres du passé plutôt que de n’y avoir accès que par des traces écrites, projet scientifique et pédagogique qui porte l’influence de l’« herméneutique historique » de Wilhelm Dilthey pour qui « reconstruire, c’est revivre » (Nachbilden ist ein Nacherleben). Sur ce point, voir Jan Lazardzig, « Performance as a Means of Historical Understanding? Dilthey and the Etablishment of University Theaters », conférence prononcée à Oxford dans le cadre du colloque annuel de la Society for the History of the Humanities, septembre 2017.

[10] Gustav Roethe, cité dans Martin Hollender, Der Berliner Germanist und Theaterwissenschaftler Max Herrmann (1865-1942), Berlin, Beiträge aus der Staatsbibliothek zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz, vol. 42, 2013, p. 253.

[11] Max Herrmann, cité dans Martin Hollender, ibid., p. 246.

[12] Voir « Gutachten der Philosophischen Fakultät der Universität Berlin zur Begründung eines Theaterwissenschaftlichen Instituts », Wissenschaftliche Zeitschrift der Humboldt-Universität, op. cit., p. 355 : « Le programme ne doit pas être dicté par les expressionnistes et autres modernistes en –isme de la scène théâtrale de la Société des Amis et des Mécènes. » Nous traduisons (« Das Curriculum mochte man sich nicht von den Expressionisten und anderen ‘‘Ismen’’-Modernisten aus der Theaterszene der Gesellschaft der Freunde und Förderer diktieren lassen »).

[13] Ibid.

[14] Ferdinand Gregori, « Regie – Kolleg 1926/1927 », Nachlass Ferdinand Gregori, Archives du Theaterhistorische Sammlungen (Institut für Theaterwissenschaft, Freie Universität Berlin).

[15] Sur la trajectoire de Jacques Scherer, voir Colette Scherer, « Éléments de biographie », Registres, n° 3, 1998, p. 23-24.

[16] « Une récente réunion entre metteurs en scène, critiques dramatiques, directeurs de théâtre et historiens, a permis à M. Scherer et à moi, de constater l’intérêt que les praticiens du théâtre portent aux initiatives que pourra prendre le nouvel Institut. » (« Lettre de Raymond Lebègue au Recteur de l’Université », 19 février 1960, archives de l’Institut d’études théâtrales déposées à la Bibliothèque Gaston Baty, Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle) En 1960, Jean-Louis Barrault, Léon Chancerel ou encore Jean Vilar sont par exemple membres du « Conseil de perfectionnement » du jeune Institut d’études théâtrales – instance qui disparaîtra rapidement (Archives nationales, carton n° 20010498/178).

[17] Celui-ci suit une trajectoire assez classique : agrégé en 1919 et titulaire d’un doctorat ès lettres en 1929, il est professeur à la Faculté des lettres de Rennes de 1923 à 1941 avant d’obtenir une chaire de littérature française à la Sorbonne. Il joue un rôle important dans la constitution de la discipline, alors même qu’il est rarement évoqué.

[18] « Lettre de Raymond Lebègue au Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines », 6 février 1959, Archives nationales, carton n° 19770466/84.

[19] « Lettre manuscrite de Raymond Lebègue à Monsieur le Directeur Général », 25 novembre 1959, Archives nationales, carton n° 19770466/84.

[20] « Les études théâtrales à la Sorbonne », Rendez-vous des théâtres du monde, n° 5, 4ème année, mars 1960, p. 22.

[21] « Programme des enseignements du 2ème semestre de l’Institut d’Études théâtrales (1962-1963) », Archives de Bernard Dort, déposées à l’IMEC.

[22] Entretien avec Michel Corvin, 25 février 2014.

[23] Herbert Ihering, Reinhardt/Jessner/Piscator oder Klassikertod?, Berlin, Ernst Rowohlt Verlag, 1929, p. 11 : « Germanist und Regisseur – einer beruft sich auf dem anderen, einer legitimiert sich mit dem anderen. » Nous traduisons.

[24] L’institut, créé sous l’égide de l’Unesco, prend la suite de la Société universelle du théâtre, qui apparaît dans l’entre-deux-guerres. Il se donne pour but de « promouvoir l’échange international de la connaissance et de la pratique des arts du théâtre » (International Theatre Institute : Formation [1947-1948], Paris, UNESCO, 1948, p. 19). C’est dans ce cadre qu’est créé en 1954 le Festival international d’art dramatique de la Ville de Paris, transformé en 1957 en Théâtre des Nations. L’Institut international du théâtre participe donc largement – à côté du théâtre universitaire dans les années 1960 – à la circulation internationale des esthétiques théâtrales.

[25] Sur ce point, voir Benoît Lambert et Frédérique Matonti, « Un théâtre de contrebande : Quelques hypothèses sur Vitez et le communisme », Sociétés & Représentations, n° 11, 2001, p. 379-406.

[26] Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984.

[27] Ce phénomène est particulièrement manifeste au sein du Département Théâtre du Centre Expérimental de Vincennes – ouvert en 1969 – où la majorité des enseignants sont des praticiens, mais il s’observe également au sein de l’Institut d’études théâtrales où Jacques Lassalle, par exemple, devient enseignant à partir de 1969.

[28] Sur la réorganisation des études théâtrales et de la Theaterwissenschaft après Mai 68, voir Quentin Fondu, « “On voulait réformer les études théâtrales. On voulait réformer la société. Réformer, non. Révolutionner !” : la discipline des études théâtrales/la Theaterwissenschaft en Mai 68 », Lendemains : Études comparées sur la France, à paraître.

 

L’auteur

Quentin Fondu est doctorant contractuel à l’EHESS depuis novembre 2015. Après avoir suivi un cursus en études théâtrales à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle et en sociologie à l’EHESS, sa thèse, co-dirigée par Gisèle Sapiro (EHESS/CNRS) et Ingrid Holtey (Université de Bielefeld, Allemagne), porte sur la constitution et l’histoire de la discipline des études théâtrales en France et en Allemagne à partir d’une démarche comparative et de sociologie historique. Il a publié notamment : « L’auteur dramatique : entre reconnaissance professionnelle et précarité économique », dans Cécile Rabot et Gisèle Sapiro (dir.), Profession ? Écrivain, Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 101-124 ; « Les études théâtrales et leur champ d’investigation : étude quantitative des travaux de recherche (1959-1980) », Registres, n° 18, 2015, p. 116-118.

 

Pour citer ce document

Quentin Fondu, « L’invention d’une discipline hybride : les études théâtrales en France et en Allemagne », thaêtre [en ligne], Chantier #3 : Théâtre et recherche. Histoire et expérimentations, mis en ligne le 16 juin 2018.

url : https://www.thaetre.com/2018/06/16/les-etudes-theatrales-en-france-et-en-allemagne/

 

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