Détournement théâtral d’une thèse pour la réappropriation d’une histoire

À propos d’Envoûtements, spectacle, proférations
par la compagnie Public Chéri

 

« Bien des chambardements ont eu lieu dans l’histoire, bien
d’inexpiables soulèvements qui ont tourné court et consenti,
si inexpiables qu’ils se soient sentis être,
à laisser passer l’éponge sur eux,
parce que toujours le corps fut repoussé de la bagarre,
et que c’est l’esprit et pas lui qui a dirigé les révolutions. »

Antonin Artaud[1]

 

« Si dans une conférence il s’agit d’exposer quelque chose… et si au théâtre… il s’agit de mettre en œuvre une représentation… alors, la conférence d’Antonin Artaud, le 13 janvier 1947 au Vieux-Colombier, après neuf ans d’internement, est marquée par un double refus : le refus de la parole en tant qu’emballage vide, en tant que ‘‘communication’’ ; et le refus de la représentation en tant qu’imitation, simulation. » C’est par ces mots que débutait Envoûtements, spectacle, proférations. Conférence en action pour une chercheuse, deux acteurs et un musicien, proposition scénique entre exposé, récit et mise en jeu présentée en mars 2017 au Théâtre L’Échangeur à Bagnolet dans le cadre d’un colloque réunissant universitaires et artistes autour de la mémoire historique de l’Internationale Situationniste[2]. D’Artaud à Debord, en passant par le mouvement lettriste, elle retraçait une histoire de ces expériences poétiques qui, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale et au début des « Trente Glorieuses », ont fait de l’oralité un moyen de retrouver une expression et une manière de vivre intégrales, tout en donnant forme à une critique du spectacle comme instrument et symptôme d’aliénation – voire d’« envoûtement » – propre à la société du capitalisme avancé[3].

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© Tommaso Usberti

Conçue par Régis Hebette et moi-même, qui y interprétais le rôle de la « chercheuse », cette proposition trouvait son origine dans une thèse que je venais de terminer sur la poésie-performance à Paris entre 1946 et 1969[4] ; un travail universitaire qui prolongeait une recherche autour de l’oralité que j’avais initiée à travers la pratique du jeu de l’acteur et du chant[5], et qui entrait en résonance avec le parcours d’auteur et de metteur en scène de Régis Hebette[6].

De fait, cette « conférence en action » s’inscrivait à la conjonction du champ universitaire et du champ artistique et posait l’hypothèse, dans la tension de ces deux pôles, d’une continuité possible entre des approches tenues habituellement séparées (du moins en France). Plus précisément, en cherchant à dépasser le cloisonnement entre démarche universitaire et proposition artistique, cette quête au plateau répondait dans le même geste à un désir personnel de revenir à la pratique du théâtre et à la nécessité de se confronter aux défis lancés par les figures dont nous évoquions la trajectoire. Comme l’écrit Régis Hebette :

En ouvrant la scène du théâtre aux exigences de l’exposé universitaire et en soumettant celui-ci à la nécessité de s’inventer une théâtralité, notre conférence en action brouille les lignes de démarcation entre une approche « savante », historiquement fondée, et une lecture sensible, voire poétique de son sujet. Elle vise, en exposant la pensée construite aux résonances physiques et émotionnelles de la mise en jeu, à une saisie paradoxale de l’événement où savoir et affect, théorie et pratique, mais aussi sérieux et dérision, échapperaient à toute forme de classification, de hiérarchie et de séparation. […]

À travers ce passage à la scène, il s’agit pour notre conférencière de « jeter son propre corps dans la bataille »[7] et de tenter de se conformer aux visées d’un sujet qui – d’Antonin Artaud à Guy Debord en passant par les artistes du mouvement lettriste – manifeste une même volonté d’embrasser dans un seul geste pensée et action, pour en finir avec le spectacle et toute forme de vie séparée[8].

La mise en forme de cette proposition a été largement déterminée par son point de départ : le désir partagé avec le metteur en scène de travailler à partir des matériaux recueillis dans ma thèse, mais aussi le contexte d’un colloque qui offrait l’occasion d’expérimenter une première étape d’un projet pour la scène encore en devenir. Pour autant, la situation de la conférence que nous entendions réélaborer n’était pas seulement un renvoi à l’origine et au contexte universitaires de ce travail, mais se trouvait tout aussi bien déterminée par le sujet traité : de la séance d’Artaud au Vieux-Colombier, aux « conférences industrielles » de Debord[9], en passant par les conférences lettristes dont celles de Gabriel Pomerand, la conférence est en effet une constante de ces recherches autour de l’oralité et contre le spectacle, pratiquée en tant que mode d’intervention permettant tout à la fois une critique de la représentation, du savoir et de ses institutions, et une expérimentation des codes de prise de parole.

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© Tommaso Usberti

Envoûtements, spectacle, proférations mettait ainsi en scène la conférence d’une chercheuse qui, à partir d’autres conférences notamment, exposait l’histoire qu’elle a retracée. En particulier, l’intervention d’Artaud au Vieux-Colombier le 13 janvier 1947 était placée comme en exergue de notre proposition : en évoquant d’emblée cette (non-)conférence mémorable (et « ratée »), il s’agissait de reprendre à notre compte l’exigence d’Artaud de sortir de la représentation (par le souffle, la voix et l’invention langagière) et son refus de toute séparation entre l’esprit et le corps, entre l’art et la vie[10] – mais aussi et surtout d’établir une correspondance avec notre propre tentative de dépassement de la séparation entre approche sensible et démarche savante. En effet, si la correspondance d’Artaud autour de sa conférence met en avant le rejet du spectacle, à la lecture de ses notes préparatoires, on s’aperçoit qu’Artaud avait placé au cœur même de son propos une critique virulente de l’approche scientifique et de tout son corollaire institutionnel, responsables selon Artaud non seulement de l’oubli du corps, mais aussi de la forme même et du (dys)fonctionnement de celui-ci…

L’anatomie où nous sommes engoncés est une anatomie analytique, logique, créée par des ânes bâtés, médecins et savants qui n’ont jamais pu comprendre un corps simple […]. Et qui se sont emparés du corps et l’ont refait à leur image, d’êtres multiples, imperceptibles et compliqués. C’est le fonctionnement on peut dire syllogistique de l’organisme qui est cause de toutes les maladies […][11].

Les écoles, la Sorbonne, les facultés ont été faites pour et par des ignares qui avaient besoin d’étudier pour apprendre, et d’apprendre pour savoir,
fils de cette race de bestiaux incapables d’une initiative propre
et qui n’ont jamais su agir,
fils de cette race de bestiaux assassins[12].

Pour revenir à notre « conférence », assez rapidement, deux acteurs (Pascal Bernier et Michaël Hallouin) et un musicien (François Tarot) entraient « en action » et concouraient à la mise en œuvre de l’exposé, invités par la conférencière à prendre en charge différents textes ou partitions dans la tentative de les réengager au présent. Le plateau était ainsi abordé comme un laboratoire, un « carnet de notes vivant » où les acteurs s’essayaient (pour le meilleur mais aussi parfois pour le pire) à la mise en voix des textes que la conférencière leur confiait et où le musicien, assis à sa table de mixage et entouré de différents instruments (guitares, harmonica, flûtes, percussions…), expérimentait à chacune de ses interventions de nouvelles propositions.

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© Tommaso Usberti

La conférencière, vite gagnée par les enjeux de son exposé, se risquait elle aussi à l’interprétation, au chant ou à la profération ; plus encore, son rôle, travaillé par un jeu « en surimpression », convoquait une pluralité de figures et de prises de parole comme en ventriloquie. Ainsi, si le personnage de la conférencière pouvait évoquer ma propre fonction sociale d’enseignante-chercheuse en études théâtrales – l’assistance étant composée en partie de collègues universitaires participant au colloque –, il était d’emblée complexifié par une variation d’interprétations qui, tissant une temporalité en spirale, concourait à brouiller les repères. De même, si le rôle des deux acteurs était celui d’adjuvants ou de performeurs accomplissant les tâches données par la conférencière, il leur arrivait aussi de se laisser furtivement traverser par les figures historiques dont ils portaient la parole, à la recherche d’un point d’engagement permettant un re-enactment.

Mais surtout, en donnant à entendre des glossolalies, des poèmes phonétiques lettristes et des « mégapneumes » de Gil J Wolman (poèmes a-linguistiques constitués de différents bruits phonatoires du poète, et en particulier du souffle) en alternance avec les propos d’Artaud d’après Rodez, des lettristes (en particulier leur discours politique des années 1950 aspirant à un soulèvement de la jeunesse) et le récit-commentaire de la conférencière, nous entendions mettre en lumière la tension entre cri et formulation intelligible à l’œuvre dans toute énonciation qui essaie de briser et de changer l’ordre usuel de l’entendement. Pour le dire avec Rancière :

Il y a de la politique parce que le logos n’est jamais simplement la parole, parce qu’il est toujours indissolublement le compte qui est fait de cette parole : le compte par lequel une émission sonore est entendue comme de la parole, apte à énoncer le juste, alors qu’une autre est seulement perçue comme du bruit signalant plaisir ou douleur, consentement ou révolte[13].

Le lien entre la profération et l’aspiration à la révolte était particulièrement manifeste dans l’expérience lettriste : si les lettristes entendaient avec leur mouvement politique Le Front de la Jeunesse affirmer l’importance de la jeunesse (qu’ils présentaient comme une nouvelle classe sociale ne se définissant pas par l’âge, mais par la situation d’exclusion), leur recherche sur l’oralité était aussi et avant tout un moyen de s’engager, de s’engager physiquement pour retrouver un corps, un moyen d’expression et une place dans une société qui les marginalise précisément à partir du langage. Isou écrivait à ce sujet : « Le mot aide les vieux à se souvenir et oblige les jeunes à oublier. »[14] À travers l’expérimentation phonétique et sonore, il s’agissait ainsi pour les lettristes de rechercher dans le langage de nouveaux chemins, en le reparcourant, en le déconstruisant, en faisant des mots des authentiques « suppliciés du langage »[15]… Cette recherche autour de l’oralité initiée au sortir de la guerre, après l’Holocauste, s’inscrivait aussi dans le contexte du début des « Trente Glorieuses », qui marquait l’avènement de la société de consommation. Les lettristes avaient composé « Cris pour 5 millions de juifs égorgés »[16], mais ils avaient en outre réélaboré, voire exorcisé sous forme de poèmes phonétiques percussifs les enseignes publicitaires qu’ils rencontraient à l’occasion de leurs déambulations dans Saint-Germain-des-Prés.

En adoptant une forme qui renvoyait tantôt à une conférence, tantôt à une revue de cabaret, tantôt à une suite musicale, ce sont ces pratiques et problématiques qu’Envoûtements, spectacle, proférations entendait revisiter, voire réactiver, en se confrontant à différents régimes de prises de parole qui plaçaient l’engagement à travers l’oralité au cœur de la proposition.

Mais la question de la représentation traversant toutes ces recherches sur l’oralité, nous nous devions aussi de considérer la place dévolue au spectateur et à l’idée même de spectacle.

Pour ce faire, nous avions tout d’abord choisi de retravailler le dispositif scénique. En installant sur la scène des rangées de chaises qui formaient des demi-cercles désaxés par rapport aux gradins de la salle, en englobant spectateurs et acteurs dans une même lumière, ou encore en cantonnant l’espace scénique dans l’angle du plateau initial, nous avons installé notre conférence dans un dispositif fondé sur une porosité entre l’aire de jeu et le public, et qui mettait celui-ci en abyme ; cette disposition visait à favoriser une relation dynamique avec une assistance présente à elle-même, dont la disponibilité, le regard, l’écoute se trouveraient à même d’influer sur la proposition, et par là de perturber (au moins un peu) le principe de représentation.

Mais c’est sur le type de présence de la conférencière et de ses acolytes et sur la vérité de leur relation et de leur adresse aux spectateurs que reposait l’enjeu essentiel d’une proposition tout entière construite sur une contradiction manifeste : la volonté de donner à des propos historiques la prégnance d’une parole « authentique », énoncée au présent, à travers une conférence qui demeurait une représentation. De fait, notre tentative nous confrontait à l’ambiguïté constante de notre relation aux critiques du spectacle énoncées par Artaud, les lettristes et Debord qui constituaient la matière même de la proposition… Une ambiguïté que nous assumions, car nous voulions précisément créer une confrontation directe entre ces critiques et la situation des spectateurs en présence.

Si le dispositif scénique et l’adresse visaient ainsi à susciter le questionnement autour de la notion de spectacle, le procédé central de notre dramaturgie et de sa mise en scène, notre « méthodologie », s’apparentait quant à elle essentiellement au détournement : un détournement appliqué aux documents historiques, mis en variation par le jeu, mais aussi à ma propre thèse, dont nous avions choisi quelques courts passages et reformulé la narration en quête d’un endroit d’énonciation autre, entre mise à distance théâtrale et proximité retrouvée.

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© Tommaso Usberti

C’est tout particulièrement le détour par la musique et la musicalité qui nous a permis à la fois d’approcher les différents matériaux, et de les tenir à (juste ?) distance, c’est-à-dire le plus loin possible de toute identification pour en autoriser une réception ouverte, vivante et, osons le mot, ludique. Car c’est bien autour de la notion de jeu – non pas de jeu théâtral, mais de celui que peut instaurer la coprésence d’acteurs (d’actants) et d’un public – que nous entendions établir la relation avec notre auditoire, et cela d’autant que cette relation se fondait, comme nous l’avons rappelé, sur le paradoxe d’une forme théâtrale dont l’un des thèmes majeurs était la critique du spectacle.

À titre d’exemple, nous nous sommes (joyeusement) risqués à une mise en musique de La Société du spectacle de Debord, dont d’assez longs passages étaient alternativement parlés, parlés-chantés ou résolument chantés sur une chanson populaire à succès revisitée pour l’occasion : Be my Baby des Ronettes.

À travers ce geste, et sans véritable préméditation de notre part, c’est l’importance de l’univers de la chanson populaire pour les situationnistes qui se trouvait évoquée – importance qu’attestent le projet de bar dans le Quartier latin avec le guitariste Jacques Florencie, mais surtout l’enregistrement en 1974 du disque Pour en finir avec le travail. Chanson du prolétariat révolutionnaire, composé de chansons détournées, dont les textes avaient été remplacés par des propos révolutionnaires.

En choisissant une chanson à diffusion commerciale, c’est aussi le rapport ambivalent que les situationnistes entretenaient à la culture de la société de consommation qui se trouvait interrogé : un rapport radicalement critique, comme on le sait, mais sous-tendu aussi par une forme de fascination.

Cette proposition chantée-parlée renvoyait également à l’interprétation de Debord lisant La Société du spectacle dans son film homonyme, cette voix monocorde, dans son refus d’accompagner le sens des phrases qu’elle profère, étant elle-même un détournement des dictions « spectaculaires » habituelles de l’époque. Notre chanson relayait alors à sa façon le détachement de toute règle intonative adopté par Debord.

Mais surtout, en chantant ce texte sur une mélodie pop, c’est la question de la récupération des théories situationnistes dès la fin des années 1960 qui était posée, tout autant que celle d’une possible transformation de cette récupération en transmission à travers l’engagement d’interprètes et l’attention d’une assistance, le geste subversif et sa neutralisation étant les deux faces d’un processus dont les rapports de force peuvent être appelés à se renégocier. Chanter Debord, c’était alors, pour nous, exprimer le paradoxe de sa spectacularisation, mais c’était aussi donner à entendre autrement son propos, renouvelé précisément par le plaisir ludique d’une mise en musique qui voulait le libérer de la gangue étroitement didactique à travers laquelle il est souvent perçu et maintenu.

***

À travers le détournement par la scène d’une recherche universitaire, cette conférence en action entendait concourir à la réappropriation d’une histoire : celle de ces expériences qui, après la Deuxième Guerre mondiale et avant Mai 68, aspiraient à une poésie définie comme action et cherchaient à relier art, vie et politique à travers une seule et même forme d’engagement.

Mais aussi, par la mise en voix, en corps et en jeu d’un récit historiquement fondé, elle entendait mettre en pratique et en partage sa propre aspiration à en finir avec toute forme de séparation entre savoir et désir, connaissances intellectuelle et sensible. Plus précisément, en nous tournant vers les années 1950-1960, il s’est agi pour nous de mettre en avant et d’interroger la continuité de cette « crise de la présence » que nous traversons toujours, collectivement, et avec d’autant plus de force que le sillage des années TINA – There Is No Alternative – s’est creusé ostensiblement. Le travail autour de l’oralité qu’Artaud pratique et transmet au sortir de la guerre, que les lettristes reprennent, et qui fait du recentrement autour du corps, du souffle et de la voix le creuset pour une « révolution intégrale », semble en effet comme répondre à cette crise. Comme le disait la conférencière d’Envoûtements, spectacle, proférations, en reprenant des expressions d’Artaud :

Le rêve révolutionnaire d’Artaud, c’est le rêve d’une refonte intégrale du corps humain… d’une refonte de l’homme tout entier à travers l’oralité, pour atteindre un corps sans organe… un corps sans hiérarchie… qui permette de danser à l’envers… comme dans les bals musette… et de devenir un être intégral de poésie…

Une telle recherche (furieusement utopique ?) nous dit que l’on ne peut rien changer si l’on ne lutte d’abord contre l’aliénation inscrite à même la chair (ou mieux, pour paraphraser une fois de plus Artaud, à même les organes…) dans notre façon d’être au monde. « C’est dans mon corps que je cherche » [17], a dit ou aurait voulu dire Artaud sur la scène du Vieux-Colombier. Cette recherche est fondamentalement performative et résonne avec ces pensées politiques qui, depuis Frantz Fanon notamment, réfléchissent à une lutte qui soit d’abord engagement physique, reconfiguration des énergies, processus de subjectivation via un corps réunifié par et dans l’action.

S’il y a un délire de revendication il est là,
dans le fait que tout ce qui peut agir n’a pas voulu entrer
dans le cadre de l’action corporelle
et a mieux aimé demeurer pur esprit[18].

Avec Envoûtements, spectacle, proférations, nous nous sommes confrontés à différentes difficultés ; nous éprouvions notamment une inadéquation entre nos interprétations sur scène et les propos utopiques que nous portions, et surtout entre la critique du spectacle et une forme qui, au fond, n’arrivait pas à prendre un parti tout à fait clair, mais qui essayait plutôt de trouver un chemin (via par exemple un registre qui allait vers l’humoristique) pour « s’en sortir sans sortir » (pour reprendre la célèbre expression d’un autre grand poète de l’oralité, Ghérasim Luca). Au demeurant, la prochaine étape d’Envoûtements, spectacle, proférations ne nous conduira pas nécessairement au refus de la fonction spectatorielle. En effet, nous ne pensons pas que le rôle du spectateur soit par définition aliénant, bien au contraire : selon le dispositif, il peut permettre une expérience à la fois sensible et intellectuelle qu’une participation « concrète » pourrait même empêcher.

Envoûtements, spectacle, proférations était pour nous une forme de manifeste et un premier essai d’une recherche qui est toujours en cours, et il demeure, avec ses difficultés et surtout avec les aspirations qui le traversent, un geste qui va nous servir de feuille de route, au théâtre, et en dehors.

 

Notes

[1] Antonin Artaud, Histoire vécue d’Artaud-Mômo : tête-à-tête, Œuvres Complètes, t. XXVI, Paris, Gallimard, 1994, p. 23.

[2] Le colloque « Situation/Détournement » a été organisé par les Universités de Paris Nanterre, Kent et Glasgow (Laboratoires HAR, AHRC). Il s’est déroulé au Théâtre Nanterre-Amandiers et au Théâtre L’Échangeur à Bagnolet les 24 et 25 mars 2017.

[3] Voir Cristina De Simone, « La poésie contre le spectacle : premières expériences », Les Lettres Françaises, n° 146, 9 mars 2017, p. II-III.

[4] Cristina De Simone, Proféractions ! Poésie en action à Paris (1946-1969), Dijon, Presses du réel, 2018.

[5] Sous la direction notamment d’Anne Zénour (Cie Teatro della Pioggia, Sienne).

[6] Régis Hebette dirige la compagnie Public Chéri et le Théâtre L’Échangeur à Bagnolet, qu’il a créé en 1996. Il a notamment adapté pour la scène Antonin Artaud, Miguel de Cervantès, Hélène Bessette et monté ses propres textes, qui interrogent le statut de la langue et les modalités de son traitement à la scène (Onomabis repetito, Ex-onomachina, Populiphonia…).

[7] Pier Paolo Pasolini, « Il poeta delle ceneri », dans Tutte le poesie, t. II, Milan, Mondadori, 2003, p. 1267 : « Vorrei […] gettare il mio corpo nella lotta […] poiché, ti ripeto, non c’è altra poesia che l’azione reale. »

[8] Régis Hebette, « Ébranler le monde », Les Lettres Françaises, n° 146, 9 mars 2017, p. II.

[9] En référence à la « peinture industrielle » de Giuseppe Pinot Gallizio (membre de la section italienne de l’IS) qui, pour en finir avec la valeur artistique, peint des rouleaux et vend sa peinture au mètre.

[10] Voir Cristina De Simone, Proféractions ! Poésie en action à Paris (1946-1969), op. cit., première partie.

[11] Antonin Artaud, Histoire vécue d’Artaud-Mômo, op. cit., p. 157.

[12] Ibid., p. 92.

[13] Jacques Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, p. 44.

[14] Isidore Isou, « Le manifeste de la poésie lettriste », dans Introduction à une nouvelle poésie sonore et à une nouvelle poésie, Paris, Gallimard, 1947, s. p.

[15] Antonin Artaud, « Lettres de Rodez à Henri Parisot », Œuvres, Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2004, p. 1014.

[16] Ibid., p. 326-327.

[17] Antonin Artaud, Histoire vécue d’Artaud-Mômo, op. cit., p. 18.

[18] Ibid., p. 101.

 

L’auteur

Cristina De Simone est maître de conférences au département des arts du spectacle de l’Université de Caen-Normandie, membre du laboratoire LASLAR et collaboratrice artistique au Théâtre L’Échangeur-Cie Public Chéri à Bagnolet.

 

Pour citer ce document

Cristina De Simone, « Détournement théâtral d’une thèse pour la réappropriation d’une histoire. À propos d’Envoûtements, spectacle, proférations par la compagnie Public Chéri », thaêtre [en ligne], Chantier #3 : Théâtre et recherche. Histoire et expérimentations, mis en ligne le 16 juin 2018.

url : https://www.thaetre.com/2018/06/16/envoutements-spectacle-proferations/

 

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