Le corps de la Nation

Eros, théâtre et racialisation au Grand Siècle

 

Les Indes galantes
Mise en scène de Clément Cogitore
Chorégraphie de Bintou Dembélé
Direction musicale de Leonardo García Alarcón
Création à l’Opéra Bastille en septembre 2019
© Little Shao

 

Corps (politique) de ballet
À propos des Indes galantes (2019)

 

« Leurs caractères nationaux ne sont pas uniformes »[1], prévient l’édition de 1736 du livret des Indes galantes dans son avertissement, s’agissant de ses protagonistes énamourés : autrement dit, tous les Autres ne se valent pas. L’opéra-ballet de Fuzelier et Rameau porte au cœur de son propos la question de la désirabilité, ou de l’indésirabilité, des amours interraciales. Dans l’entrée « Les Incas du Pérou », le choix d’une Inca se porte sur un colon espagnol plutôt que sur son rival autochtone ; dans « Le Turc généreux », une Française préfère son compatriote à un bacha turc ; dans « Les Sauvages », une Amérindienne éprise d’un Amérindien éconduit ses prétendants, l’un, Espagnol, l’autre, Français ; enfin, dans « Les Fleurs, fête Persane », un prince persan tremble à l’idée qu’un esclave polonais, qui n’est pas nommé (et s’avérera finalement être une sultane sous un déguisement), ait pu s’introduire dans les jardins de son sérail. Au fil des décennies suivant sa création en 1735, la dramaturgie même de l’œuvre évolue pour verrouiller toutes les possibilités de romance interraciale présentes dans le livret original. Le livret de 1735 entretient en effet la confusion s’agissant de l’entrée qui est censée ouvrir la représentation, entre « Les Incas du Pérou » – le récit pro-métissage d’une conquête coloniale et sexuelle – et « Le Turc généreux » – un récit qui finit par exclure le métissage[2]. Par contraste, toutes les éditions postérieures du livret placent la seconde en incipit, suggérant ainsi au spectateur et au lecteur l’idée que l’arc narratif de chaque entrée trouvera dans le rejet de toute romance interraciale le moyen d’une résolution heureuse. D’autre part, l’ajout au livret, en mars 1736, des « Sauvages » vient consacrer ce rejet des amours interraciales pour les Français d’abord évoqué dans « Le Turc Généreux » et cette dernière entrée, très populaire, sera rattachée à l’œuvre de manière permanente. Cette évolution de la dramaturgie reflète les débats français autour des questions de race, de colonisation et de métissage tels qu’ils apparaissent au cours des années 1730.

Ce qui nous intéresse dans cet opéra-ballet n’est pas simplement que toute possibilité de romance interraciale impliquant une Française ou un Français soit en fin de compte rejetée, mais c’est également l’identité des Autres qui se voient intégrés, parfois à leur corps défendant, à la cohorte des amants extra-européens potentiels, par opposition aux Autres qui en sont exclus avant même qu’il ne soit question de métissage. Les Péruviens sont des premiers, de même que les Persans et Amérindiens, mais les « esclaves Affriquains » qui apparaissent dans « Le Turc généreux » sont écartés. Dans cette entrée, quelque part sur « une île Turque de la mer des Indes »[3], Osman témoigne sa gratitude à Valère, son captif, car par le passé :

Osman fut son esclave, et s’efforce aujourd’hui
D’imiter sa magnificence…
Dans ce noble sentier, que je suis loin de lui,
Il m’a tiré des fers sans me connaître[4].

La reconnaissance lui fait libérer son ancien maître ; il libère aussi sa bien-aimée, Émilie, qu’il avait initialement espéré conquérir, et les renvoie tous deux en Provence couverts de présents : « les vaisseaux de Valère avancent et paraissent chargés des présens du bacha, portés par des esclaves Afriquains. »[5] Lesdits esclaves étaient représentés par des comédiens blancs grimés de noir – selon la technique du « barbouillage »[6] – décrits dans le livret comme « acteurs dansants »[7] : le choc visuel de leur différence raciale est mobilisé pour ajouter à l’exotisme du tableau ottoman, leur intervention dans le récit se limitant à cette seule didascalie qui les voit charger des marchandises à bord de vaisseaux français et renvoie ainsi par une métonymie visuelle glaçante à leur propre marchandisation, à leur statut, souvent, de cargaison sur les mers de l’époque moderne. Les esclaves africains forment ainsi le seul groupe ethnique non-blanc représenté sur scène dans Les Indes galantes à ne prendre aucune part aux dialogues, aux chants, et aux potentielles amours interraciales.

Cette exclusion des Africains du circuit des échanges et du désir interracial n’est pas fortuite : elle participe d’un phénomène plus large. Louis Fuzelier, le librettiste des Indes galantes, a eu une longue et productive carrière de dramaturge auprès du Théâtre de la Foire, pour qui il a coécrit de nombreuses pièces avec Alain-René Lesage et Jacques-Philippe d’Orneval. La proximité entre ces collaborateurs était telle qu’il est difficile d’attribuer certaines pièces avec certitude. Fuzelier a donc pu avoir une main à la rédaction d’une pièce montée quinze ans avant Les Indes galantes, une arlequinade intitulée La Tête noire, écrite pour la Foire et jouée en 1721 à la Foire Saint Laurent par la compagnie de théâtre forain menée par Francisque[8]. Dans cette farce en un seul acte, M. Jérôme découvre qu’il serait dans son intérêt pécuniaire d’empêcher le mariage d’Argentine, sa nièce née à Carthagène, aux Amériques, et fraîchement débarquée à Paris. Dans l’espoir de mettre fin à sa relation avec un certain monsieur et de s’assurer qu’aucun homme ne se mette plus en tête de lui faire la cour, il décide de faire croire à tout le monde qu’elle est incroyablement laide, car elle est noire, et demande à son servant Arlequin de se faire passer pour elle : « J’avais jeté les yeux sur un certain Nègre, mais j’aime mieux te donner ce personage à faire. »[9] M. Jérôme joue ici de l’africanité d’Arlequin, dont le masque noir, par sa couleur et son nez exagéré, est vu par plusieurs spécialistes comme une évocation caricaturale de l’identité subsaharienne[10]. Pour M. Jérôme, donc, la manière la plus définitive d’exclure une femme du jeu amoureux est de la rendre noire. Le Théâtre de la Foire, sous la direction conjointe de Fuzelier, Lesage et d’Orneval, a largement propagé ce trope dans la culture populaire pendant la décennie qui précède Les Indes galantes : au-delà des « esclaves noires » figurant dans des arlequinadescomme La Princesse de Carizme (1718), ou Arlequin Invisible (1713), on trouve des personnages, à l’image de Torgut dans Le Jeune Vieillard (1722) : « un esclave petit, noir, et bossu »[11] cherchant une aventure interraciale avec Farzana, une belle Perse claire de peau, qui lui oppose un refus brutal[12].

Cette exclusion des Africains noirs du jeu du désir interracial n’est pas l’apanage du théâtre forain : elle appartient à une culture plus large de leur représentation au début de l’époque moderne. La culture des ballets de cour baroques avait, dès les années 1620, accoutumé un public aristocratique aux rôles très populaires des Mores galants, joués par des acteurs grimés qui se prétendaient généralement des ambassadeurs venus tout droit d’Afrique pour danser en hommage au Roi de France et tenter, en vain, de séduire les belles dames françaises de l’assistance, déployant ainsi une poétique de la soumission volontaire auprès de ces femmes dont ils se revendiquaient métaphoriquement les esclaves. Dans mon ouvrage à paraître, Scripts of Blackness, Early Modern Performance Culture and the Making of Race (University of Pennsylvania Press) sur le déploiement racialisant des dynamiques romantiques et érotiques dans ces ballets, je soutiens que ces dynamiques ont participé à la codification, par ces représentations grimées, de l’asservissement, de la mise en esclavage et de l’infériorité des Subsahariens de l’Atlantique français, mais sur un mode festif qui permettait d’éluder totalement la question de la coercition inhérente au statut d’esclave. Les Indes galantes puise dans un ensemble de représentations traditionnelles des Noirs qui, en dressant l’eros contre eux, ont durablement entravé leur intégration pleine et entière dans le corps politique français. Pour synthétiser, les amours interraciales étaient le champ de force, dans le théâtre classique, où l’exclusion et la dépossession des Noirs s’opéraient symboliquement. Les Indes galantes hérite de cette structure idéologique autant qu’elle la rend visible. En acceptant le défi que représentait en 2019 une production des Indes galantesà l’Opéra Bastille, le metteur en scène Clément Cogitore et la chorégraphe Bintou Dembélé ont voulu répondre à une tradition représentative anti-Noirs dont les origines sont à chercher dans « le siècle de Louis XIV », parmi ces pièces cruciales de l’histoire du théâtre français à « l’âge classique » que les cursus officiels n’enseignent simplement pas.

Cogitore et Dembélé choisissent alors de mettre la négritude sur le devant de la scène. Si le tableau des « esclaves Affriquains » dans « Le Turc généreux » auquel il est fait référence plus haut a été retiré de leur production des Indes galantes (le motif du cargo et des esclaves étant remplacé par une évocation particulièrement émouvante du scandale des morts de migrants en Méditerranée), la présence en creux de cette scène constitue une clé de compréhension de l’intention révisionniste des politiques de race en jeu dans la production. De fait, l’identité des danseurs était au moins aussi frappante que de voir du hip-hop dansé à l’Opéra Bastille : un ensemble interracial, avec une très large proportion d’Afrodescendants (formant avec la blancheur des chanteurs un contraste flagrant, et révélateur quant à certains problèmes persistants de formation et de recrutement dans le monde de l’opéra). En choisissant de mettre en scène sa propre compagnie de danseurs, la Compagnie Rualité, Dembélé rompt non seulement avec les traditions de performance reposant sur l’imitation raciale héritées du début de l’époque moderne par son choix d’intégrer des artistes noirs à la production, mais aussi avec la tradition dramaturgique anti-Noirs des amours interraciales, en insérant ces personnages dans une économie cinétique de la beauté et du désir. Ce dernier point était particulièrement palpable au moment où la danse sublime de Cal Hunt, face à l’interprétation de « Viens Hymen » par la soprano Sabine Devieilhe, semblait prendre vie dans une évocation magnifiquement sensuelle d’un échange érotique, en marge du livret et dépassant ses restrictions idéologiques. Dans ce contexte, l’exhortation adressée à la fin du Prologue aux amants d’Hébé abandonnés au loisir interprétés par cet ensemble multiracial (« devenez guerriers ! ») prend un sens nouveau : pour ces artistes, pénétrer le champ esthétique et érotique de la scène, c’est en soi s’avancer sur un champ de bataille idéologique. Le combat qu’ils mènent est celui de la subversion définitive du motif du vaisseau négrier du livret original. Leur danse nous invite à imaginer ce qui aurait pu être si, en 1735, les « esclaves Affriquains » s’étaient évadés des navires français ; s’ils avaient, par le mouvement des corps, reconquis leur liberté et obtenu leur intégration pleine et entière au sein du corps politique français.

 

Une brève histoire de la race et du barbouillage en France

 

Dans le présent article, je cherche à éclairer les profondeurs historiques dans lesquelles taille la mise en scène tranchante de Cogitore et Dembélé. Pour ce faire, je vais tenter de reconstituer une partie de la généalogie prémoderne des « esclaves Affriquains » in-désirables de Rameau et Fuzelier en examinant les représentations d’hommes noirs dans le théâtre commercial au cours de l’âge classique à travers le prisme d’un trope particulier – l’ambassadeur africain – qui exclut de fait les romances entre Blancs et Noirs. Ce motif, dont le champ est relativement étroit, faisait appel à la technique performative du blackface, ou barbouillage, dont l’usage à travers l’Europe était déjà ancien. Des spectacles médiévaux, à l’image des mystères français, des autos espagnols et des cycle plays britanniques où le diable est représenté couvert de suie, aux pommades cosmétiques élaborées largement utilisées au XVIIe siècle dans les théâtres commerciaux européens pour représenter les Africains subsahariens, en passant par les voiles noirs utilisés pour représenter les personnages maures dans les scenarii de la commedia dell’arte et des divertissements de cour sous les Tudor, ou le masque noir d’Arlequin évoqué plus haut, le barbouillage recouvre un large éventail de pratiques matérielles et s’appuyait déjà, en 1662, sur une longue histoire transnationale. Dans la France du début de l’époque moderne, la technique avait servi, dans les deux premières décennies du XVIIe siècle, à représenter Maures, Éthiopiens et Mozambicains dans le théâtre rouennais, avant de devenir un motif populaire des ballets de cour parisiens[13]. L’ambassadeur africain, qui apparaît en France à la fin du XVIIe siècle, n’est qu’une expression historique parmi d’autres du barbouillage ; elle exprime l’idéologie anti-métissage noir-blanc naissante de la première modernité qui présiderait un demi-siècle plus tard à la création des Indes galantes[14]. Toutefois, avant d’examiner les contours dramaturgiques de ce motif, il convient de le replacer dans son contexte : celui de l’expansion coloniale française et du développement de l’esclavage dans la Caraïbe de la fin du XVIIe siècle.

Le mot « race » fait son apparition dans la langue française à la fin du XVe siècle ; c’est alors un terme technique de l’élevage animal servant à désigner les bêtes possédant des aptitudes particulières à la chasse ou à la guerre. Par extension, ce terme en est venu à désigner les diverses dynasties royales françaises, à qui la perception publique attribuait ces mêmes qualités[15]. Dès le milieu du XVIe siècle, le mot « race » renvoie au pedigree aristocratique. Comme c’est toujours le cas, le terme sert alors à donner l’apparence de la nature aux rapports de force existants (ou, au début de l’époque moderne, naissants) entre groupes sociaux ; mais au XVIe siècle, le critère qui distingue ces groupes sociaux n’a pas grand-chose à voir avec l’ethnicité. En effet, le terme a été popularisé au cours d’une crise de l’aristocratie française, à un moment où la noblesse d’épée, héritière de l’élite militaire médiévale, se sentait menacée dans ses prérogatives par l’émergence d’une classe de grands bourgeois éduqués, riches et ambitieux (la noblesse de robe). Les membres de cette bourgeoisie pouvaient acquérir leurs titres de noblesse en rachetant des charges administratives offertes à la vente par une monarchie de plus en plus dominatrice. En réaction s’est développé un discours attribuant à la vieille noblesse des qualités – physiques, morales et intellectuelles – supposément héréditaires, transmises par le sang et, par conséquent, incessibles. Ce discours insistait également sur la nécessité de préserver ces qualités supérieures en régulant les mariages, au moment même où de nombreux aristocrates impécunieux, issus de grandes et anciennes lignées, mariaient leurs descendants dans cette nouvelle noblesse fortunée. Détail révélateur : les enfants nés de ces mariages étaient désignés par le terme « métis », encore couramment utilisé pour qualifier les personnes issues de mariages mixtes[16]. Ces enfants, bien que nobles, étaient vus comme des hybrides sociaux et donc, dans la France du XVIe siècle, comme des hybrides raciaux. Pierre Boulle et Guillaume Aubert ont montré que la terminologie et les conceptions raciales apparues au XVIe siècle dans l’intention de préserver les privilèges de la noblesse d’épée furent transposées dans la deuxième moitié du XVIIesiècle pour s’appliquer aux différences ethniques, le but étant alors de préserver les privilèges du groupe social constitué par les colons blancs.

En effet, en cette seconde moitié du XVIIe siècle, beaucoup considèrent que l’ordre colonial fondé sur l’esclavage dans la Caraïbe française est menacé et, avec lui, les revenus tirés de ses principales possessions : la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Sainte-Lucie, ainsi que Sainte-Croix, Grenade et Saint-Christophe (St Kitts) – dont la France perdra le contrôle au XVIIIe siècle – et surtout, Saint-Domingue. La menace ? L’existence de personnes de couleur libres : principalement concubines affranchies par leurs maîtres et, plus souvent encore, enfants métis élevés par leur père blanc selon la coutume de chaque île. En Martinique, par exemple, les pères blancs pouvaient garder auprès d’eux leurs enfants métis en payant une amende à l’église et une autre au maître de leur mère esclave ; ces enfants devenaient libres à leur majorité. Cette coutume a probablement ses origines dans la tolérance pour les unions interraciales qui a caractérisé les premières décennies de la colonisation française, en raison du faible nombre de femmes blanches dans la Caraïbe française. Ainsi, entre 1664 et 1686 en Martinique, alors que la population d’esclaves explosait, passant de 2 700 à 11 100 personnes, le nombre de personnes de couleur libres suivait le même chemin[17]. Comme le montre Guillaume Aubert, cette population devait être jugulée pour pouvoir espérer maintenir dans les colonies un ordre social extrêmement lucratif fondé sur l’esclavage des personnes de couleur. Puisque les enfants métis naissaient le plus souvent hors mariage, la limitation de leur nombre passait par un contrôle des unions formelles, mais aussi informelles, et les termes de ce contrôle puisent dans la pensée raciale du XVIe siècle.

L’effort de contrôle a ainsi porté sur deux points : d’abord, des incitations juridiques et fiscales à la formation de familles monoraciales. Par exemple, en 1665, Alexandre de Prouville, marquis de Tracy, agissant en qualité de gouverneur de la Nouvelle-France, utilise la carotte fiscale pour encourager la formation de familles blanches outre-mer : il exempte d’impôt personnel toutes les personnes nées sur les îles de parents blancs, ainsi que toutes les femmes blanches, quel que soit leur lieu de naissance. Vingt ans plus tard, le Code Noir interdira formellement aux maîtres de diviser les familles noires en vendant séparément des esclaves officiellement mariés avec des enfants en bas âge. Même si le Code Noir de 1685 est bien connu pour ses contradictions internes, parce qu’il cherche à concilier des intérêts et idéologies que tout oppose, il semble qu’il repose au moins en partie sur la volonté des autorités coloniales comme métropolitaines de s’assurer « qu’elles s’appliquent à faire les règlements nécessaires et qu’elles portent autant que faire se peut les nègres et les négresses à se marier entr’eux »[18]. La seconde méthode pour limiter les unions interraciales revenait à prendre des mesures juridiques pour empêcher que des hommes blancs déviants ne viennent, en affranchissant leurs enfants et concubines, augmenter le nombre des personnes de couleur libres. Par exemple, en Guadeloupe, un édit de 1680 déclare que les enfants métis conserveront désormais à vie le statut de leur mère esclave. Cinq ans plus tard, le Code Noir stipule que, lorsqu’un propriétaire marié conçoit un enfant avec une esclave, sa concubine et leurs enfants mulâtres sont soustraits au contrôle du père et tenus en servitude perpétuelle au profit de l’Hôpital Général, institution dédiée à l’enfermement, au redressement et au travail forcé, dont un édit royal de 1662 avait ordonné la présence dans toutes les grandes villes du pays. Ce contrôle des unions est bientôt étendu à toutes les unions mixtes entre Blancs et Noirs dans les colonies françaises, s’appliquant non seulement dans toute la Caraïbe française, mais aussi à la Réunion à partir de 1674 et, en 1688, dans les comptoirs de la Compagnie du Sénégal sur les côtes d’Afrique de l’Ouest.

Dans le contexte colonial français, on assiste au cours de ces deux décennies à un transfert de la pensée raciale d’une différenciation fondée sur le rang à une discrimination fondée sur l’origine ethnique, transfert qui s’appuie sur la création de politiques anti-métissage qui excluent activement les Noirs de l’économie des amours interraciales. Ce contexte historique est essentiel pour comprendre le motif de l’ambassadeur africain vers lequel je me tourne à présent.

 

Au programme : Le Mort vivant d’Edmé Boursault (1662)

 

Entre 1662 et 1682, les ambassadeurs africains amoureux font recette dans les théâtres parisiens. On les retrouve en effet dans de nombreuses pièces de l’époque : Le Mort vivant d’Edmé Boursault (1662), L’Ambassadeur d’Affrique de l’avocat et dramaturge normand Nicolas Du Perche (1666), Le Bourgeois gentilhomme, publié en 1670, où Molière crée une variante ottomane de l’ambassadeur africain qui connaîtra un succès plus durable que l’original de Boursault et, enfin, Le Mariage de la reine de Monomotapa (1682) de Bel-Isle[19]. L’intrigue récurrente associée à l’ambassadeur africain peut se résumer ainsi : un jeune homme aime une demoiselle. Pour l’épouser, il doit surmonter l’opposition du père de sa bien-aimée qui, pour de mauvaises raisons, lui préfère un rival. La proposition n’est pas nouvelle, mais la solution l’est, qui se présente sous deux visages : dans les deux premières pièces de ce corpus, l’amoureux utilise le barbouillage pour grimer son serviteur rusé en « ambassadeur d’Affrique », un tyran noir comique aux manières frustes. Ce puissant Africain revendique la main de la jeune femme et effraie les rivaux du héros. Dans les deux pièces postérieures, cependant, l’amant utilise un « costume oriental » (et non le barbouillage) pour se déguiser en ambassadeur qui de Turquie, qui du royaume africain de Monomotapa (royaume contemporain de la pièce qui s’étirait sur les actuels Mozambique et Zimbabwe). Tout à sa joie de marier sa fille dans le grand monde, le père ambitieux donne sa bénédiction, le mariage est conclu entre la demoiselle et le héros déguisé et l’on ignore généralement si le père découvre jamais l’identité de son gendre. Dans la première version, l’ambassadeur africain tente de nouer une relation amoureuse interraciale, y échoue et, ce faisant, lève tous les obstacles à l’union monoraciale des héros. La seconde version peut sembler plus ambiguë. Cependant, le costume racial endossé par l’amant dans ces versions n’évoque plus l’Afrique noire, mais l’Orient ottoman. La représentation de mariages entre Blancs et Noirs, même sur le mode du stratagème, est exclue de la scène. Loin de signifier un adoucissement dans la perception du Noir, qui serait moins diabolisé, l’hypothèse ici défendue est que la disparition des Africains indique qu’il devient plus difficile de représenter au théâtre la simple possibilité d’une union interraciale entre un Blanc et un Noir.

Comme le révèle une lecture attentive, Le Mort vivant (1662), pièce d’Edmé Boursault qui inaugure le motif de l’ambassadeur africain au théâtre, illustre de la façon la plus nette qui soit la prégnance de l’exclusion des hommes noirs du jeu amoureux interracial dans l’avènement, au cours des années 1660, d’un paradigme ethnique de la pensée raciale, au moment même où l’esclavage sur critère ethnique est en plein essor à travers les Antilles françaises. De fait, espérant se soustraire à la cour de l’ambassadeur africain, Stéphanie, la jeune héroïne de Boursault, déclare :

Stéphanie. Et j’en fais trop d’état pour oser jamais croire
Que d’un honteux amour vous souilliez votre gloire. Songez, Seigneur, songez que mon rang est trop bas, Il vous faut…

Gusman. Mon enfant, je ne l’ignore pas ;
Je sais ce qu’il me faut, mais quoique je le sache
Pour vous faire m’aimer je me fais une tache ;
Mais beauté printanière apprenez qu’il m’est doux,
D’être noir comme un Diable, et d’être aimé de vous[20].

La pièce invoque ici ce que j’ai appelé « l’herméneutique diabolique du blackface »[21] : des instants où certains signaux, puisant dans la tradition médiévale du barbouillage, viennent superposer dans l’esprit du spectateur l’image du diable à celle d’un personnage africain noir, en l’occurrence l’ambassadeur, qui se trouve ainsi disqualifié dans son ambition d’épouser une pieuse chrétienne[22]. Stéphanie ajoute que leur mariage serait inégal, ce qui est vrai à plus d’un titre : en effet, si Stéphanie est d’un rang trop bas pour épouser un ambassadeur africain, le public est conscient que c’est en réalité le rang de Gusman, le serviteur déguisé en ambassadeur, qui est trop bas pour espérer ce mariage. Gusman joue ici sur les mots lorsqu’il confond la « tache » sur l’honneur d’une mésalliance avec une roturière (« vous souilliez votre gloire ») et la tache cosmétique qu’il porte au visage et qui le fait paraître « noir comme un Diable » (« je me fais une tache »). Avec ce jeu de mots qui attire l’attention sur l’aspect matériel du barbouillage, Gusman relie entre elle les idées de mésalliance, de honte et de noirceur physique. Autrement dit, Gusman colore la notion française de race. De même, le rang et l’origine ethnique se superposent lorsque Stéphanie déclare :

Un hymen entre nous a si peu d’apparence,
Que je n’ose, Seigneur, en former l’espérance ;
Vous pouvez donc prétendre en me faisant la cour,
D’attirer des respects, et non pas de l’amour.
Vous m’aimez ? Vous, Seigneur ? Moi qui suis[23]

Fidèle à sa manière brusque, l’ambassadeur l’interrompt, et l’on ne peut que s’interroger sur la façon dont Stéphanie aurait voulu terminer sa phrase : « Moi qui suis… indigne de vous » ? Ou bien « Moi qui suis… trop blanche pour vous » ? Les deux simultanément ? Ici encore, la pièce cherche à créer dans l’esprit du spectateur un amalgame entre les deux sens du mot « race ».

Non seulement les personnages, à l’image de Stéphanie et Gusman, décrivent cette union interraciale dans des termes évoquant le déshonneur, mais l’intrigue elle-même la condamne. D’abord, le rôle de l’ambassadeur est tenu par un serviteur, et non par le héros lui-même, ce qui implique que la proposition de mariage interracial est nécessairement vouée à l’échec – à la différence des versions postérieures du motif de l’ambassadeur africain. Ensuite, la brusquerie avec laquelle l’ambassadeur entreprend de courtiser Stéphanie, évoque, sur le mode comique, la violence sexuelle supposée des hommes noirs envers les femmes blanches dont se nourrissent les fantasmes européens au début de l’époque moderne, violence sexuelle qui écarte l’ambassadeur de toute possibilité de mariage avec Stéphanie. Enfin, Fabrice, le héros amoureux, invente le personnage de l’ambassadeur pour empêcher Stéphanie d’épouser à la fois Ferdinand (dont elle croit au premier acte être la fille) et Lazarille (son frère naturel, ce qu’elle découvre à la fin de la pièce). Si l’ambassadeur est trop éloigné de Stéphanie (par le rang et la couleur de peau), les rivaux de Fabrice en sont en revanche trop proches par le sang. En pesant la possibilité d’un mariage interracial face à celle d’un mariage incestueux, la pièce établit une symétrie entre les deux situations et présente l’union avec Fabrice (un bourgeois blanc espagnol sans lien de sang avec Stéphanie) comme la solution évidente, un juste milieu parfait entre deux extrêmes à la fois indésirables, honteux et contre-nature. Parce qu’il entremêle les notions de sang, de mésalliance, de couleur de peau et de déshonneur, le trope de l’ambassadeur africain reflète et contribue dans la France des années 1660 à l’essor d’un discours raciste envers les Africains noirs.

La pièce signale qu’elle s’inscrit dans un contexte de transformation transatlantique de la pensée raciale en évoquant le spectre de la Caraïbe. En effet, lorsque Ferdinand, père adoptif de Stéphanie, relate les événements qui l’ont conduit à se voir confier la fillette, on apprend que Stéphanie est née d’une relation adultère et que, au moment de rencontrer Ferdinand, sa mère faisait route vers la « Gadaloupe » :

Une dame à cheval qu’avait un homme en croupe
Passa par cette ville, allant à Gadaloupe[24].

L’action de la pièce étant située à Séville, Ferdinand fait probablement référence à la ville de Guadalupe, dans l’Estrémadure, dont le monastère est célèbre pour son culte de la Vierge Noire, et qui a donné son nom à l’île de Guadeloupe (Colomb lui-même ayant baptisé l’île du nom de la Madone). Ce n’est certes qu’un détail, une simple touche de couleur locale, mais cette couleur locale, du fait des liens historiques forts entre la ville espagnole et l’île, évoque un territoire caribéen passé sous contrôle français et déjà largement conçu et compris comme un lieu où la traite des Noirs fait florès, comme le montre par exemple la large diffusion en métropole de l’Histoire générale des isles de St Christophe, de la Guadeloupe, et de la Martinique de Jean-Baptiste du Tertre (1654). La Guadeloupe était également perçue, je l’ai évoqué plus haut, comme un territoire où le nombre de naissances interraciales illégitimes était problématique et exponentiel. La présence de la Guadeloupe, en arrière-plan de l’intrigue, signale discrètement l’influence de la Caraïbe dans l’idéologie anti-métissage à l’œuvre dans la pièce de Boursault.

En transformant son « ambassadeur africain » en fils du « Grand Turc », Molière abandonne complètement le barbouillage, suivi en cela par Bel-Isle dans Le Mariage de la reine de Monomotapa. Cette dernière pièce est un pastiche qui tisse certains éléments du Tartuffe en une version simplifiée du Bourgeois gentilhomme ; ayant perçu la continuité entre les ambassadeurs africains barbouillés et les ambassadeurs turcs de Molière, Bel-Isle choisit de réafricaniser le personnage de l’ambassadeur en le faisant simultanément sultan coiffé d’un large turban ottoman et souverain du royaume africain de Monomotapa. Les allusions métathéâtrales au maquillage accompagnant systématiquement la performance du barbouillage sur les scènes du début de l’époque moderne sont totalement absentes de ces deux dernières pièces du corpus. Voici donc notre ambassadeur africain « blanchi » par un procédé d’effacement qui contribua à la disparition temporaire, mais palpable, du barbouillage dans le théâtre français à la fin des années 1670. Dans ces deux pièces tardives sur le motif de l’ambassadeur africain, non seulement les pères déraisonnables sont férocement moqués, sinon rossés sur scène, pour avoir osé accueillir des Turcs en leur foyer, mais la couleur de peau de l’ambassadeur africain elle-même est gommée. Les jeunes amants, non contents de rappeler au public que leur différence raciale est purement performative, un simple costume qu’il suffira plus tard de quitter afin de rendre leur mariage interracial plus acceptable, endossent un costume racial qui n’évoque plus l’Afrique Noire, mais l’Orient ottoman[25]. Cette distance qui va croissant, cette aversion grandissante pour la représentation de mariages interraciaux entre Blancs et Noirs vers la fin du XVIIesiècle suggère un durcissement graduel, mais effectif, de la pensée raciale dans les opinions publiques contemporaines, durcissement dont la scène est à la fois le reflet et le meilleur moyen de diffusion.

 

Le calumet de la paix

 

La culture française au début de l’époque moderne et, dans une certaine mesure, ensuite, était connue pour sa galanterie revendiquée, un trait jugé essentiel à l’autodéfinition culturelle française et dont se targue Damon, « un officier français d’une colonie dans l’Amérique » dans la dernière entrée des « Sauvages » : « l’habitant des bords de la Seine […] se fait un honneur de sa légèreté »[26]. La romance, l’amour et la sexualité étaient donc, et, dans une certaine mesure, demeurent, autant d’éléments constitutifs de l’identité française ; elles composent une puissante métaphore de l’amitié et du brassage des nations, et du champ de forces très concret qui construisit, en même temps qu’il les menaçait, les sociétés coloniales fondées sur l’esclavage institutionnalisé et la discrimination par la couleur de la peau[27]. On comprend alors aisément que la culture performative du début de l’époque moderne se soit emparée de ce riche terreau, et il est difficile de surestimer l’ampleur de sa contribution à la formation raciale en France. Se réapproprier en 2019 les Indes galantes comme l’ont fait Cogitore et Dembélé, c’est se réapproprier l’histoire jusqu’ici passée sous silence de la formation raciale en France, et se confronter au rôle de la culture performative dans cette histoire qui est la nôtre.

Cette réécriture par Dembélé des dynamiques raciales trouve son point culminant dans les dernières minutes de la mise en scène de 2019, au cours de l’avant-dernière scène, introduite par le livret original comme la « danse du grand calumet de paix, exécutée par les sauvages »[28]. Dembélé chorégraphie cette cérémonie du calumet de la paix, censée sceller la paix entre colons français et Amérindiens colonisés, comme une danse de combat où les poings non-blancs se dressent à jamais contre les pouvoirs en place. Par ce choix artistique, elle expose simultanément les illusions délétères d’un opéra-ballet du XVIIIe siècle qui justifie l’implacable projet colonial français en Amérique du Nord et l’illusion confortable, mais en réalité violente, des fictions universalistes qui sous-tendent encore de nos jours la mythologie nationale française s’agissant de la question raciale et des relations entre Français de diverses origines. La puissance évocatrice de ce tableau résonne comme une affirmation, et c’est sur cette affirmation que je terminerai cet article : si nous voulons un jour fumer ensemble le calumet de la paix sociale et raciale, il nous faut d’abord nous confronter, pour mieux les rejeter, aux nombreux schémas coloniaux qui forment une partie de notre héritage culturel et informent toujours – plus qu’on ne le croit – les mouvements et les convulsions du corps politique français, autant lorsqu’il se meut sur la scène de l’Opéra Bastille, que dans notre vie quotidienne.

 

 

La seconde moitié de cet article est adaptée de l’essai de Noémie Ndiaye : « The African ambassador’s travels : Playing black in seventeenth-century France », publié dans M. A. Katritzky et Pavel Drábek (dir.), Transnational Connections in Early Modern Theatre, Manchester, Manchester University Press, 2019.
Elle est reproduite ici avec l’aimable autorisation des MUP.

 

Traduit de l’anglais par Vincent Delezoide.

 

Notes

[1] Louis Fuzelier, Les Indes galantes, ballet heroique, représenté par l’Academie Royale de Musique, pour la premiere fois le mardi 23. Août 1735 ; remis avec la nouvelle entrée des Sauvages, Le samedy dixiéme Mars 1736, Paris, Jean-Baptiste-Christophe Ballard, 1736, p. iii.

[2] Dans l’édition de 1735, l’avertissement présente « Le Turc généreux » comme la première entrée, tandis que le livret commence par « Les Incas du Pérou ».

[3] Louis Fuzelier, Les Indes galantes, op. cit., p. 24.

[4] Ibid., p. 32.

[5] Ibid.

[6] Sur la nécessité de parler de barbouillage sans se réfugier derrière la terminologie anglo-saxonne du blackface, voir Mame-Fatou Niang et Maboula Soumahoro, « Du besoin de traduire et d’ancrer l’expérience noire dans l’Hexagone », Africultures, janvier 2019. Pour une histoire des technologies du barbouillage en France à l’époque moderne, voir mon livre à paraître prochainement.

[7] Malheureusement, les rares esquisses des costumes créées par Louis-René Boquet pour une production des Indes galantes en 1770 se concentrent sur les protagonistes du livret et non sur les « esclaves Affriquains ». Toutefois, je soutiens sans hésitation que ces personnages étaient joués en barbouillage par les comédiens blancs mentionnés dans le livret, la pratique étant dérivée directement des ballets de cour mentionnés plus bas dans l’article. Dans cette tradition, des ballets comme Le Grand Bal de la douairière de Billebahaut (1626) s’accompagnaient pour leur publication de célèbres illustrations démontrant que le barbouillage était une composante standard du costume de Noir. Les descriptions faites par Claude-François Ménestrier des costumes de ballet en 1682 témoignent de la continuité de cette pratique scénique durant tout le XVIIe siècle : « Les Mores ont les cheveux courts et crespus, le visage et les mains noires, ils sont teste nue, à moins qu’on ne leur donnât un tourtil greslé de perles en forme de diadème ; ils doivent porter des pendants d’oreille. », dans Des ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre, Paris, René Guignard, 1682, p. 251-252.

[8] Bien que la pièce soit traditionnellement attribuée à Lesage, une annotation manuscrite sur l’édition de 1724 consultée pour cet article attribue La Tête noire aux trois collaborateurs.

[9] Alain-René Lesage et Jacques-Philippe d’Orneval, La Tête noire, dans Le Théâtre de la Foire, ou l’Opéra comique, Tome IV, Paris, Étienne Ganeau, 1724, p. 439.

[10] Henry Louis Gates, au terme d’une revue des travaux d’intellectuels du XVIIIe siècle opinant en ce sens, conclut que « les preuves visuelles suggèrent au minimum l’existence du mythe d’un lien entre l’Afrique et les origines du masque d’Harlequin » dans Figures in Black Words, Signs, and the « Racial » Self, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 51. Plus récemment, Robert Hornback a rassemblé des éléments de plusieurs traditions nationales pour démontrer les chevauchements entre la figure d’Harlequin et les stéréotypes qui circulaient sur les Africains à la peau noire au début de l’époque moderne. Examinant les traits physiques de divers masques d’Harlequin, il conclut « qu’il se présente barbouillé de noir, sous un masque noir au nez épaté et à la barbe épaisse et crépue, ou encore sous un masque avec calotte et mentonnière noires, Harlequin était souvent conçu, au début de l’époque moderne, comme la représentation grotesque, étrange, d’un homme noir » (dans Racism and Early Blackface Comic Traditions : From the Old World to the New, New York, Palgrave Macmillan, 2018, p. 50).

[11] Alain-René Lesage et Jacques-Philippe d’Orneval, Le Jeune Vieillard, dans Le Théâtre de la Foire, ou l’Opéra comique, Tome V, Paris, Étienne Ganeau, 1624, p. 142.

[12] À noter l’apparition dans les années 1730 d’un certain nombre de personnages dont le nom annonce des liens avec l’Afrique subsaharienne, à l’image de Négritte dans Les Sauvages de Romagnesi et Riccoboni (1736), Angolette dans La Sauvagesse de Lesage et d’Orneval (1732), deux proches collaborateurs de Fuzelier et, plus célèbres, Carise et Mesrou dans La Dispute de Marivaux (1744).

[13] Sur la représentation des Africains noirs dans le théâtre normand du tournant des XVIe et XVIIe siècles, voir Christian Biet, « L’Afrique à l’envers ou à l’endroit des Cafres : tragédie et récit de voyage », dans Alia Baccar Bournaz (dir.), L’Afrique au XVIIe siècle. Mythes et réalités, Actes du VIIe colloque du Centre International de Rencontres sur le XVIIe siècle (Tunis, 14-16 mars 2002), Tübingen, Günter Narr Verlag, 2003, p. 371-403 ; Sylvie Chalaye, Du Noir au Nègre. L’image du Noir au théâtre (1550-1960), Paris, L’Harmattan, 1998 ; et Toby Wikström dans son mémoire Law, Conquest and Slavery on the French Stage, 1598-1685, Columbia University, 2010.

[14] Pour un examen historique approfondi du blackface, voir Sylvie Chalaye, Du Noir au Nègre, op. cit., Robert Hornback, Racism and Early Blackface Comic Traditions,op. cit, et Virginia Mason Vaughan, Performing Blackness on English Stages, 1500-1800, New York, Cambridge University Press, 2005.

[15] Pierre Boulle, Race et esclavage dans la France de l’Ancien régime, Paris, Perrin, 2007, p. 63.

[16] Guillaume Aubert, « The Blood of France : Race and Purity of Blood in the French Atlantic World », William and Mary Quarterly, vol. 61, n° 3, 2004, p. 449.

[17] Philip D. Curtin, The Atlantic Slave Trade : A Census, Madison, University of Wisconsin Press, 1969, p. 78.

[18] Lettre de Begon, 22 avril 1684, AN, Col., F 221, fol. 607, reproduisant celle du roi à MM. le Chevalier de Saint-Laurent et Begon, le 24 septembre 1682, AN, Col., B 101. Cité dans Arlette Gautier, Les Sœurs de solitude. Femmes et esclavage aux Antilles du XVIIe au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 57-71 (chap. 2 « L’incitation au mariage »).

[19] Les liens généalogiques entre les quatre pièces de ce corpus ont été étudiés par Russell Goulbourne, qui voit L’Ambassadeur d’Affrique comme une réécriture duMort vivant dans « Comédie et altérité : l’Afrique et les Affriquains dans le théâtre comique du XVIIe siècle », dans Alia Baccar Bournaz (dir.), L’Afrique au XVIIesiècle. Mythes et réalités, op. cit., p. 294-308. Verity Elizabeth Irvine traite également du lien entre les quatre pièces dans The Oriental Ambassador in 17th century French Comedy, thèse de doctorat, University of Kent at Canterbury, 2004.

[20] Edmé Boursault, Le Mort vivant, Paris, Nicolas Pepingué, 1662, acte II, scène 3, vers 517-524.

[21] Noémie Ndiaye, « The African ambassador’s travels : Playing black in seventeenth-century France », dans M. A. Katritzky et Pavel Drábek (dir.), Transnational Connections in Early Modern Theatre, Manchester, Manchester University Press, 2019, p. 73-85.

[22] Cette herméneutique diabolique du blackface, également très populaire dans l’Angleterre du XVIIe siècle, caractérise plusieurs des pièces créées pour la scène publique de Rouen au début dudit siècle et jusqu’aux années 1620, où le barbouillage devient l’exclusivité des ballets de cour, à l’image des Portugaiz Infortunez (1608) de Nicolas Chrétien des Croix, ou de la Tragédie françoize d’un more cruel envers son seigneur nommé Riviery, gentilhomme espagnol, sa demoiselle et ses enfants (1613), dont l’auteur reste anonyme.

[23] Edmé Boursault, Le Mort vivant, acte II, scène 3, vers 549-553.

[24] Ibid., acte I, scène 3, vers 115-116.

[25] Pour un compte-rendu détaillé sur la manière dont nombre de préoccupations françaises quant à la traite des noirs et les colonies atlantiques françaises furent projetées sur une image de l’Orient, voir Madeleine Dobie, Trading Places. Colonization and Slavery in Eighteenth-Century French Culture, Ithaca, Cornell University Press, 2010.

[26] Louis Fuzelier, Les Indes galantes, op. cit., p. 53.

[27] Sur le caractère central et la place contestée de la galanterie dans les conceptions de l’identité française au fil des époques, voir les travaux d’Alain Viala, notamment La France galante. Essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu’à la Révolution, Paris, Presses Universitaires de France, 2008 et La Galanterie. Une mythologie française, Paris, Seuil, 2019.

[28] Louis Fuzelier, Les Indes galantes, op. cit., p. 59.

 

L’autrice

Noémie Ndiaye est Assistant Professor (maître de conférence) de littérature anglaise à l’Université de Chicago. Diplômée de Columbia University et de l’Ecole Normale Supérieure (Ulm), son domaine d’expertise s’étend aux théâtres anglais, français et espagnol de la première modernité. Elle est l’autrice de Scripts of Blackness : Early Modern Performance Culture and the Making of Race (University of Pennsylvania Press, 2022), et d’articles publiés dans Early Theatre, Renaissance Drama, English Literary Renaissance, Literature Compass, Renaissance Quarterly et Shakespeare Quarterly (journaux à comité de lecture), ainsi que de chapitres publiés dans de nombreux ouvrages collectifs.

 

Pour citer ce document

Noémie Ndiaye, « Le corps de la Nation. Eros, théâtre et racialisation au Grand Siècle », thaêtre [en ligne], Chantier #6 : Baroque is burning ! (coord. Pénélope Dechaufour et Marine Roussillon), mis en ligne le 7 janvier 2022.

URL :  https://www.thaetre.com/2022/01/07/le-corps-de-la-nation/

 

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