Dire « oui » aux Indes galantes

Entretien réalisé par Tiphaine Karsenti

 

Les Indes galantes
Mise en scène de Clément Cogitore
Chorégraphie de Bintou Dembélé
Direction musicale de Leonardo García Alarcón
Création à l’Opéra Bastille en septembre 2019
© Little Shao

 

Feroz Sahoulamide, danseur et chorégraphe hip-hop, a fondé la Cie Ultime. En 2015, il a créé J’ai mal, un spectacle solo traitant de la surconsommation médicamenteuse. C’est en voyant danser les « grands », à Brétigny-sur-Orge, dans son enfance, qu’est née sa vocation artistique. Bintou Dembélé était l’une d’entre eux.

Pour la création de la chorégraphie des Indes galantes, opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau sur un livret de Louis Fuzelier, elle lui a demandé d’être son assistant, à la suite de Cinthia Golin. La première du spectacle a eu lieu le 27 septembre 2019 à l’Opéra Bastille, dans une mise en scène de Clément Cogitore, sous la direction musicale de Leonardo Garcia Alarcón, avec les danseur·ses de la compagnie Rualité.

Cet entretien a été réalisé le 25 novembre 2019, dans le cadre d’une rencontre avec les étudiant·es du master Théâtre de l’Université Paris Nanterre.

 

 

Feroz, tu es danseur, spécialisé en hip-hop, mais dans le cadre de la production des Indes galantes, tu as occupé de multiples fonctions. Peux-tu nous préciser ton rôle et ta place dans ce projet ?

Au début, j’étais danseur sur le projet des Indes galantes, puis on m’a demandé d’être aussi photographe. Mais ensuite, je suis devenu assistant à la chorégraphie et je n’ai plus du tout eu le temps de faire des photos : avoir une double casquette sur ce genre de production est proprement épuisant. Nous étions deux assistant·es : Cintia Golitin[1] était là, elle, depuis l’élaboration du projet, c’est-à-dire deux ans auparavant. Par moments, même deux assistant·es, ce n’était pas assez.

Comme danseur, as-tu participé à la formation imaginée par Bintou Dembélé ?

Oui, j’ai participé à la formation que Bintou Dembélé a mise en place : DÉTER[2] ! Elle a réuni dix-neuf danseurs et danseuses[3] des Indes galantes, d’âges différents. Nous avions entre 19 et 38 ans, donc nous n’étions pas au même endroit dans nos vies, dans nos carrières ou dans nos danses, car nous venions tou·tes d’univers différents au sein des danses de rue. Même si on se côtoie, on ne connaît pas forcément les autres danses, ni leur univers. On s’est donc retrouvé·es à suivre cette formation de 121 heures, financée par l’Afdas, des mécènes et la compagnie[4]. On a eu trois ou quatre jours de formation juridique au Centre National de la Danse : qu’est-ce qu’être intermittent·e ? Comment lire son contrat ? En vérité, la plupart des danseur·ses, même après des années de carrière, ne savent toujours pas comment lire un contrat. Il y a eu aussi une journée sur la nutrition. Et ensuite, on est entré·es un peu plus dans le vif du sujet : Bintou – c’est la formule qu’elle utilisait – nous a « mis face à notre ‘‘oui’’ » dans Les Indes galantes. Car cet opéra, ne serait-ce que par son titre, peut être qualifié de raciste. On a donc dû travailler sur le fait colonial, avec des intervenant·es passionnant·es : Sylvie Chalaye[5] est venue nous parler de la place des Noirs dans le spectacle, de l’esclavage à aujourd’hui ; nous avons eu un échange très intense avec Maboula Soumahoro[6], qui nous a fait étudier des représentations picturales de l’époque, en nous invitant à nous interroger sur la façon dont on figure les peuples colonisés, sur les positions des corps qui ne sont pas neutres ; Maxime Cervulle[7], qui a contribué à importer le concept de « blanchité »[8] en France, nous a parlé de la représentation des minorités dans le monde médiatique et culturel, à partir de chiffres, d’éléments factuels. Il nous a expliqué que la présence des minorités dans les médias français a augmenté de 9 % en un an, non parce qu’on a davantage embauché de Noirs ou d’Arabes ces derniers temps, mais parce qu’on regarde plus de productions américaines à la télévision, et que les États-Unis ont installé un système de quotas. Parler du fait colonial et de la représentation des « sauvages », de la façon dont on en paie aujourd’hui encore les conséquences, était pour certain·es une découverte, pour d’autres un approfondissement. Et pour les « racisé·es » (ou les « racialisé·es », c’est le terme qu’emploie Bintou Dembélé) que nous sommes, il était intéressant de comprendre à quel point nous sommes victimes, mais aussi bourreaux. On a eu un débat notamment sur le fait que les blagues racistes nous gênent quand elles sont énoncées par Michel Leeb, par exemple, alors que quand elles viennent de nous, ça nous dérange moins. On a été nombreux à se rendre compte qu’on ne voulait pas jouer ce jeu, mis en place il y a très longtemps et dont on n’a pas choisi les règles. Tant qu’on n’aura pas réglé le contentieux colonial, tant qu’on n’aura pas étudié – jusque dans les écoles, et pas seulement à l’université – cette histoire et ses enjeux, je ne pourrai pas en rire, même entre nous. Mais étudier la construction du « sauvage » et des clichés qui nous valent sans cesse des remarques désagréables, c’est aussi le moyen de comprendre pourquoi les autres en sont là dans leur tête. C’est ce qui nous a permis de prendre sur nous à notre arrivée à Bastille, quand, au début, on était parfois confronté·es – à la cafétéria par exemple – à des réactions qui montraient que notre présence paraissait étrange dans ces lieux.

Le programme du spectacle contient des traces de ces interventions pendant la formation. Il inclut notamment un texte de Maboula Soumahoro, ce qui peut sembler audacieux de la part de l’Opéra dans un contexte national où la pensée décoloniale soulève de violentes polémiques.

Oui, c’est vraiment incroyable. Maboula Soumahoro commence son texte en feuilletant les images des productions anciennes des Indes galantes, et elle repère, dans un spectacle des années 1950, des interprètes habillés avec des costumes d’animaux. Cette perspective historique est vraiment intéressante – elle met en évidence les évolutions dans la façon de percevoir « l’autre ».

Dire « oui » au projet Les Indes galantes supposait donc de prendre conscience des écueils d’une telle entreprise, des risques d’être mal compris ou instrumentalisés.

Oui. C’est violent pour nous, issu·es de la communauté hip-hop, qui devons faire le travail d’aller à l’Opéra Bastille, car les gens – des ami·es – nous ont traité·es de vendu·es, nous ont accusé·es de participer à un spectacle raciste, sans même l’avoir vu. Donc il fallait se demander ce qu’on faisait de ces Indes galantes, à quel moment on pouvait se permettre de dire « non », que ce soit au metteur en scène ou à la chorégraphe. Il était important de savoir de quoi on parlait. Bintou elle-même nous laissait la possibilité de dire « non » à tout moment de la production. Avant même les répétitions, elle nous a dit : « Si vous voulez partir, je le comprendrai. On a un travail à faire, redonner un sens à cette pièce, mais on n’est pas sûrs d’y arriver. Si on n’y arrive pas, ça peut vous retomber dessus. » On a plusieurs fois reçu des critiques, sur le fait même de danser du hip-hop à l’Opéra Bastille. Pourtant ce n’est pas la première fois qu’un opéra accueille du hip-hop[9] et nous, les danseur·ses de rue, ça fait trente ans qu’on danse sur des musiques baroques en France. C’est la spécificité française : on a une histoire unique au monde. Dès que la culture hip-hop est arrivée en France, elle a grandi sur le terreau contemporain, il y a eu des spectacles, avec de la dramaturgie et de la mise en scène, et ce sont des compagnies françaises qui ont les premières fait tourner le hip-hop sur les scènes internationales, plus que les Américains.

Clément Cogitore, le metteur en scène, a-t-il participé à la formation ? Avez-vous eu des débats sur ces questions avec lui ?

Il est venu plusieurs fois au cours de la formation, et c’est là en effet que nous avons pu poser certaines questions, car Bintou nous invitait à exposer nos doutes le plus tôt possible dans la production. On lui a demandé aussi d’être indulgent avec les danseur·ses, qui participaient parfois à leur premier spectacle, de même que nous serions indulgent·es avec lui, parce qu’il n’est pas facile de passer de la caméra au plateau. Je me souviens d’un moment précis où on a eu un débat avec lui. C’est dans la séquence qu’il appelle « Les lascars ». Dans la scénographie, il y a un grand trou. Pour lui, c’était un étang dans la savane ou le Palais de Tokyo, autrement dit des lieux fréquentés par des populations différentes au fil de la journée, qui cohabitent sans se croiser – les antilopes le matin et les rhinocéros le soir, ou la fashion week en journée et les dealers la nuit. Ce qui l’intéressait, c’étaient ces frontières invisibles entre classes sociales. En tout cas, c’est ce qu’il nous a expliqué ensuite. Mais au début, il a nous présenté ce tableau comme celui des « lascars », et nous a dit que c’était un lieu de deal, qu’on aurait des capuches… J’étais très gêné par ces stéréotypes et je le lui ai dit. Il m’a répondu que ce qu’il cherchait, dans ce moment qui n’est qu’un moment – il suit la fashion week –, c’était le contraste entre ce monde sombre et le solo très poétique de Cal Hunt, un danseur de rue américain qui danse sur pointes. De l’obscurité naît une grande douceur. On pouvait avoir cette discussion avec lui, et puis après c’était à nous de savoir si on était d’accord ou pas. Nous avons aussi beaucoup discuté avec Leonardo García Alarcón, le chef d’orchestre spécialisé dans le répertoire baroque, qui était très ouvert. Un jour, nous avons été invités ensemble au Cercle Berlioz pour rencontrer les amis de l’Opéra. Pour lui, qui vient d’Argentine et de Suisse, deux pays qui n’ont pas connu la royauté, il s’agit de décapiter l’héritage de Bastille, qui reste un vestige de la monarchie. Sur le bâtiment de l’Opéra, il y a même une couronne.

Cette formation est une véritable originalité du projet, voulu par Bintou Dembélé, dont la compagnie, Rualité, est co-productrice du spectacle. Selon toi, cette expérience a-t-elle joué sur la constitution du groupe, sur sa façon de travailler ensuite ?

Très vite, cette formation a fonctionné comme une thérapie. On a tou·tes pleuré. Il a fallu écrire une biographie, ça nous a pris quatre jours, on a dû parler de nos grands-parents. Nous sommes vingt-neuf danseur·ses et la formation en a concerné dix-neuf. Je pense que l’équipe des Indes galantes est née pendant cette formation. On s’est trouvé·es, on s’est compris·es à un moment précis. C’était au Centre de la danse Pierre Doussaint, aux Mureaux, où nous étions invité·es, à la suite d’un exercice où il fallait dessiner l’endroit où on pensait être dans cinq ans, puis traverser ce dessin dans la danse. On l’a fait une fois, et Bintou a trouvé que l’exercice n’était pas bon ; puis on l’a fait une deuxième fois, chacun en regardant son dessin, et là tout le monde a commencé à pleurer. Avoir ses projets dans la tête est une chose, mais les voir dessinés face à soi, en parler, c’est encore autre chose. À la suite de cette séquence, on a fait un cercle pour lâcher les tensions, et Bintou nous a demandé d’y danser l’urgence du moment. Alors, c’est le corps qui a parlé, et personne n’a dansé sa danse. On était dans un moment proche de la transe. C’est là que, pour nous, l’équipe s’est soudée. Quand on est arrivé·es à l’Opéra Bastille, du coup, on connaissait l’histoire de chacun·e et on avait un profond respect pour l’autre, qu’on a voulu étendre à toute l’équipe de l’Opéra. Bintou nous a fait entrer par la petite porte de l’institution : nous avons visité tous les pôles – comme les costumes, les décors – et les équipes étaient surprises que des artistes viennent les voir, parce que ça n’arrive jamais d’habitude. Si nous sommes au plateau, c’est parce que ces gens-là travaillent aussi, et c’était pour nous une façon de leur dire merci.

Et les personnels de l’équipe technique sont-ils intervenus pendant la formation ?

Pendant la formation, on a vu le directeur technique et le directeur plateau. L’idée de Bintou était de créer du lien parce qu’il a fallu beaucoup travailler avec les gens de l’Opéra jusqu’à la fin. Il y avait notamment des questions autour des costumes, qui doivent être adaptés à la danse hip-hop. On peut dire que la dynamique de groupe qui s’est installée entre les interprètes a finalement contaminé le plateau, puisque pour la dernière, les équipes techniques ont voulu saluer avec nous – et c’est seulement la troisième fois que ça arrive en trente ans. Certain·es se sont énormément investi·es dans le dialogue avec nous, qui n’avions pas l’habitude de l’opéra, qui avions des besoins spécifiques. Les chanteur·ses aussi, dès la première répétition, ont fait preuve d’un grand respect pour nous, ce que nous leur rendions bien. En revanche, aucun·e n’a pu participer à cette phase de formation parce que la temporalité de leur travail était différente. Pour la danse, nous avons commencé à travailler plus d’un an avant, ce qui est tout à fait exceptionnel à l’Opéra national de Paris. Ce spectacle a été possible parce que la machine de production de l’Opéra s’est adaptée : les workshops de danse ont été pris en charge par la compagnie de Bintou et ont pu commencer très en amont de la première, dès décembre 2018. Les chanteur·ses sont arrivé·es seulement six semaines avant la création, comme une partie des danseur·ses, celles et ceux qui n’avaient pas participé à la formation et aux premiers workshops[10]. L’Opéra a même dû adapter son vocabulaire. Ils avaient l’habitude d’employer l’expression « Corps de ballet » et les danseur·ses ont refusé. On a gardé les expressions que nous employions entre nous pour distinguer le groupe des danseur·ses les plus ancien·nes – les dix qui avaient participé à tout le processus depuis un an – et les dernier·es arrivé·es[11] : « team 1 » et « team 2 ». Bintou accorde beaucoup d’importance aux mots, qui ont pour elle des implications politiques. La communication autour du projet était un enjeu majeur pour elle. Une fois, il y a eu une rencontre entre les danseur·ses et une spécialiste de la danse baroque, pour savoir comment les deux types de savoir pouvaient s’influencer et s’enrichir mutuellement. Cette rencontre a été filmée, et Bintou a contesté le montage parce qu’on y montrait beaucoup les danseur·ses comme découvrant la danse baroque, sans que soit assez mis en valeur leur savoir propre, leur connaissance de la danse. La relation n’était pas figurée comme égalitaire entre les danseur·ses de rue et la spécialiste du baroque.

Comment Bintou Dembélé a-t-elle recruté les interprètes du spectacle ? Y a-t-il eu des processus de sélection différents pour la « team 1 » et la « team 2 » ?

Bintou a organisé une grande audition à Bastille en 2018, où on en a sélectionné vingt-neuf, en privilégiant la diversité des danses. Elle ne voulait pas former des interprètes à une danse qui ne soit pas la leur : si un danseur s’est dirigé vers le voguing, c’est parce qu’il porte une certaine histoire, et il ne s’agit pas de rompre le lien entre l’art et le vécu. Pour nous aider à comprendre ça, Isabelle Launay[12] est venue nous parler du mouvement et du geste, de la posture, de la façon dont ils sont influencés par des expériences de vie. Elle a expliqué que nous étions la somme de tous les coups et caresses, tous les mots doux et durs qu’ont reçus nos aïeux. Bintou n’aime pas le terme « chorégraphie », parce qu’il contient l’idée d’une écriture du mouvement. Or elle ne veut pas écrire les gestes, mais plutôt que les danseur·ses recréent le mouvement à leur façon. Ils et elles doivent « marronner »[13], c’est-à-dire recréer à chaque fois leur espace de liberté. Elle travaille à partir de laboratoires de recherche, pour que les danseur·ses soient aussi créateur·rices au plateau.

Est-ce que les interprètes ont pu être amené·es à faire des mouvements d’une autre danse ?

Il nous manquait un·e danseur·se electro[14] à un moment précis, et un danseur polyvalent a appris. Mais ça n’aurait pas été possible pour le krump ou le voguing, qui sont des danses trop chargées d’histoire. Cela dit, il ne s’agissait pas d’ériger des cloisons étanches entre les danses : on avait malgré tout un langage commun, parce qu’il existe des fondamentaux de la danse qu’on retrouve partout, et qui permettent de se retrouver. Mais c’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’échanges sur les autres danses, qu’on ne voit que de loin sans vraiment les connaître. On a été invité·es à des balls, des rassemblements de vogueur·ses, pour mieux connaître cet univers. Car il y avait dans l’équipe un danseur, Vinii Revlon, qui a le titre de « legend », avant-dernier titre dans la hiérarchie du voguing, avant « icon ». Il est le représentant – le « father » – de la House of Revlon en Europe, donc il est responsable de sa maison en Europe. J’ai été fasciné par l’histoire de cette danse, qui avait réellement une fonction sociale. Une House était vraiment une maison, dans laquelle pouvaient se réfugier celles et ceux qui étaient rejeté·es par la société ou par leur famille. Le father, en l’occurrence Vinii, est responsable des gens qu’il accueille, il est censé les suivre dans leurs études, dans le travail, dans la prévention des maladies, etc. Quand on commence, on est « star » ; après on est « statement » ; puis on devient « legend » et enfin « icon ». Tous les icons de toutes les maisons[15] forment une sorte de conseil des sages, qui se réunit pour décider de promouvoir ou non un membre au grade supérieur. Les choristes aussi ont été auditionné·es, notamment sur leur capacité à danser. Il s’agissait, pour Bintou et Clément, de casser les frontières habituelles à l’opéra, entre solistes et choristes, entre choristes et danseur·ses. Il y a des scènes dans le spectacle, par exemple dans la deuxième entrée quand tou·tes les habitant·es de la ville se réunissent pour danser pendant l’invocation au Soleil du prêtre Huesca, où les choristes suivent les danseur·ses. Dans la chaconne, le dernier tableau qui précède les saluts, et où on fait défiler tous les costumes que le spectacle a utilisés, il y a deux chanteurs qui arrivent et font un deep, le mouvement de voguing où on part en arrière et on tombe sur le dos. Tout le monde était surpris de voir des chanteurs de l’Opéra jouer le jeu et se rouler par terre. Finalement, je pense qu’on n’a pas révolutionné la chorégraphie, mais on a amené beaucoup de vie dans ce lieu, aussi bien au plateau que pour le public. C’est là, pour moi, qu’est la réussite.

Comment s’est construite la chorégraphie ? Avez-vous répété séparément à partir d’improvisations dans chaque danse ? Comment s’est mis en place l’enchaînement entre les différentes danses ?

Il n’y a pas un tableau par danse. Dans le spectacle, il y a un seul tableau assez homogène du point de vue de la danse : le tremblement de terre réunit deux vogueurs, avec autour d’eux des interprètes qui jouent avec des perruques à longs cheveux. Dans le voguing, on tourne la tête comme ça avec les cheveux, sur le modèle des danses éthiopiennes. C’est le seul moment où on savait qu’il y aurait du voguing. Mais sinon, Clément choisissait un tableau, disait à Bintou ce qu’il souhaitait raconter. Puis Bintou lançait un labo avec les danseur·ses, qui cherchaient, et elle proposait des chorégraphies que Clément validait ou non. Pour le shooting par exemple, Clément voulait parler de la mode, et on a construit cette séquence où on s’habille, on monte sur le podium, puis on tombe : l’idée était celle de la célébrité éphémère, de la « star d’un moment ». Il y a eu un gros travail pour ce tableau, parce qu’il fallait construire sur la musique et on a fait plein d’essais, avec des recherches de mouvement (utiliser davantage de mouvements de bras, chuter par ici ou par là…) ; on a même fait des ateliers de chutes, parce que partir en arrière depuis une table, ce n’est pas facile. Deux danseurs ont refusé de tomber, et donc on a dû imaginer où les placer. Dans la scénographie, il y avait des socles sur lesquels les danseur·ses montaient souvent. Clément et Bintou avaient déterminé au début comme une des lignes de force du spectacle les corps manipulés, les corps exposés, dépossédés, qui peuvent ensuite reprendre le dessus. On ne racontait pas une histoire de bout en bout ; en revanche, il y avait des lignes de force, souvent présentes pendant les discussions. C’est là qu’il pouvait y avoir un peu de tension entre le metteur en scène et la chorégraphe parce que la compréhension de ces grands axes n’était pas toujours exactement la même, il fallait négocier.

La forme de l’opéra-ballet, qui donne à chaque art une place importante, pose la question de la hiérarchie entre eux.

Les danseur·ses qui venaient voir le spectacle étaient parfois déçu·es parce qu’il n’y avait pas assez de danse à leurs yeux. Évidemment, c’est un opéra-ballet, pas un ballet. Mais il y avait aussi la volonté chez Clément d’épurer au maximum. On a sans doute supprimé plus de la moitié de la danse. Dans l’opéra-ballet, la danse se frotte au risque de la fiction et il y a comme un conflit entre la danse et la volonté de raconter une histoire. C’est dans cet espace de friction que se loge aussi la liberté pour les interprètes : entre ce que Clément demande et ce que Bintou voit, il y a la possibilité du marronnage, dont les danseur·ses à leur tour peuvent s’emparer.

Quelle conscience avez-vous du fait que le spectateur arrivait potentiellement avec de fortes attentes quant à la danse ?

Pour une grande partie de l’équipe, ce travail était nouveau. J’aime bien dire que je suis artisan. Si on me demande de faire quelque chose, je le fais. Pour d’autres, ça a été plus compliqué, parce qu’ils pensaient qu’ils allaient danser davantage. Je prends l’exemple des krumpeur·ses, parce que tout est parti de leur vidéo, dans laquelle il n’y avait que du krump. Du coup, ils avaient légitimement imaginé un tout autre spectacle qui donnerait la part belle à leur danse. Or, sur 3h40 de spectacle, ils dansent une minute trente chacun. Pour eux, ça a été d’une grande violence. Dans le dernier tableau, « Forêts paisibles »[16],qui était essentiellement du krump dans la vidéo, ils partagent la scène avec de l’electro, du hip-hop, du voguing… Pour moi, il faut avoir du recul, se dire qu’on est là pour servir un propos, pas pour représenter nos danses. La question, c’est de savoir quelle émotion on va donner au public et quel outil on va utiliser pour ça. Si avec du voguing, on procure la même intensité émotionnelle qu’avec du krump, il n’y a pas de problème à mon sens. De toutes façons, c’est le metteur en scène qui a le dernier mot, et il faut lui faire confiance même si on ne voit pas toujours tout de suite où il va. Bien sûr, du point de vue de la création, ça a pu être un peu conflictuel. La position de Bintou, en particulier, était assez délicate. Elle était sollicitée comme chorégraphe, elle s’est donc placée en position de créatrice et a développé une vision de l’œuvre. Quand Clément est arrivé et qu’il a présenté une autre vision, en demandant qu’on coupe quasiment la moitié de la danse, il y a eu débat : elle préférait avoir tort plutôt que de regretter de ne pas avoir défendu ses idées.

 

« Danse du grand calumet de la paix »
Les Indes galantes
Mise en scène de Clément Cogitore
Chorégraphie de Bintou Dembélé
Direction musicale de Leonardo García Alarcón
Création à l’Opéra Bastille en septembre 2019

 

D’après vous, pourquoi Clément Cogitore ne voulait-il pas que la danse prenne trop de place ?

Je vais vous donner mon point de vue personnel, de l’intérieur du corps du danseur. On dansait vraiment très peu. C’est un des spectacles qui m’a le moins éprouvé physiquement dans ma carrière. Clément disait qu’il avait voulu « retenir les corps », pour construire un crescendo sur toute la longueur du spectacle. Il fallait commencer très très bas pour que le tableau « Forêts paisibles » produise un effet de climax à la fin de la représentation. Mon point de vue – mais j’ai conscience qu’il ne s’agit que de mon point de vue –, c’est qu’il y a une forme de facilité à construire comme ça un spectacle qui est précisément né de la vidéo[17] sur « Forêts paisibles », qui a attiré les spectateurs parce qu’ils ont aimé le court-métrage et qu’ils voulaient voir en vrai ce qu’ils avaient vu sur un écran. C’est vrai que, dans l’image, les scènes des perruques ou du tremblement de terre introduisent des points d’intensité ponctuels, mais pour nous, dans les corps, il ne se passait rien. Il y a un moment du spectacle où je reste quinze minutes sur le socle, et là j’avais vraiment mal physiquement, aux genoux. C’était très violent, pour moi, de rester ainsi immobile, mais j’accepte bien sûr de le faire si ça sert le propos. Souvent les danseur·ses sur les socles déployaient beaucoup leurs mouvements, et Clément leur demandait de ramener davantage les gestes vers eux, ce que je comprenais, car il avait peur que le public ait une impression de déjà-vu, à la fin, si on avait déjà tout montré avant. Mais nous, bien sûr, quand nous travaillons avec des compagnies chorégraphiques, nous ne sommes pas gêné·es par ce « retour du même », c’est un concept d’écriture tout à fait fréquent. Clément voulait toujours contraindre en attendant l’explosion finale, et pour les danseur·ses, ça a suscité beaucoup de frustration. Le public aussi est retenu, si bien qu’à la fin de « Forêts paisibles », les gens criaient dans la salle. L’effet est réussi, de ce point de vue-là, même si les puristes étaient furieux parce que le public applaudissait pendant la chaconne, qui est considérée comme un des plus beaux moments musicaux de l’œuvre. Pour les danseur·ses, par ailleurs, il n’était pas facile de revenir sur scène pour la fin du spectacle : cette intensité de la danse signe un peu la fin de la fiction, même si ensuite les CRS reviennent sur le plateau.

Les saluts mêlent d’abord danseur·ses et chanteur·ses, puis les chanteur·ses saluent individuellement.

À un moment, oui, les chanteur·ses saluent avec nous dans la ligne, ce qui ne se fait pas trop normalement. Même si ensuite chacun·e salue individuellement, il y a là une transgression très significative. Sabine Devieilhe allait même, après avoir fait son salut, chercher Cal Hunt, le danseur qui réalisait un duo avec elle pendant le spectacle. Pendant les répétitions, à un moment, un chanteur a pris la parole pour demander à ce que, pendant qu’il chantait, aucun danseur ne se place devant lui. Là, les danseur·ses ont été pris·es d’un fou rire et il a vite compris que ça ne pourrait pas se passer comme ça. Tout le monde a commencé à comprendre, ce jour-là, que sur le plateau on était tous égaux – on n’est pas payés pareil, mais on est tous pareils quand même.

Dans le programme, à la page des crédits, au début, on ne voit pas le nom des danseur·ses, alors que celui des chanteur·ses apparaît. Seule Bintou Dembélé est créditée comme chorégraphe.

Les danseur·ses ne sont pas mentionné·es au début, en effet, mais sont cité·es à la fin du programme, avec leur biographie, ce qui est tout à fait inédit à l’Opéra. Dans le magazine de l’Opéra, on trouve aussi des entretiens avec les danseur·ses. Les productions où la danse a cette importance-là sont très rares dans cette institution, et d’ailleurs la question s’est aussi posée au début pour Bintou : elle n’était pas créditée initialement, puis l’Opéra s’est ajusté. La production a fait évoluer l’Opéra, parce que c’est un objet inhabituel. Mais dans les premières vidéos promotionnelles du spectacle, on lisait le nom de tous les artistes créateurs, sauf celui de Bintou, alors que la danse était manifestement un élément attractif central du spectacle.

Est-ce que cette volonté de « retenir les corps », chez Clément Cogitore, ne vise pas aussi à introduire une tension avec l’esthétique du divertissement qui caractérise Les Indes galantes ? Est-ce qu’il ne cherche pas à aller contre l’attente de plaisir immédiat et facile que suscite l’opéra-ballet ?

C’était une préoccupation commune à Clément et Bintou. À l’époque de la création des opéras-ballets, comme l’expliquait Katherina Lindekens, la dramaturge musicale du spectacle, le divertissement était pensé comme un moment où l’histoire arrêtait d’avancer, pour laisser place à une séquence chantée et dansée. Mais aujourd’hui, au XXIe siècle, on sait que quand on divertit le peuple, l’histoire ne cesse pas de progresser ; elle continue plutôt sans lui. Mais cette histoire de divertissement, qui occupait beaucoup les réflexions des deux créateur·rices, était à double tranchant. « Di-vertir », étymologiquement, c’est « sortir de la voie », donc aussi « trouver une autre voie ». Sans doute Clément ne voulait-il pas tomber dans une forme de divertissement. C’est la raison pour laquelle, de la même façon, il bataillait pour rendre lisible la linéarité du récit, pour raconter l’histoire sans perdre le spectateur dans le divertissement. Mais « sortir de la voie », pour Bintou, c’était aussi sortir de la voie tracée pour reconstituer son espace de liberté, ce qu’elle désignait comme une forme de « marronnage ». Ce divertissement peut donc avoir deux fonctions, pour le meilleur comme pour le pire, selon la façon dont on le traite.

Comment s’opérait exactement le geste de coupe ou de montage de la part de Clément Cogitore ?

« Couper » n’est peut-être pas le mot juste, « monter » renvoie au travail de vidéaste et c’est assez juste. C’est un peu le même principe qui a présidé à la fabrication de la vidéo pour « 3e scène »[18] : Clément avait vu des vidéos de krump et il a mis la musique de « Forêts paisibles » de Rameau dessus pour voir si ça fonctionnait. Ces collages et superpositions se pratiquent beaucoup, depuis longtemps. Quand il travaille sur des vidéos, Clément se pose beaucoup de questions, et c’est souvent dans la dernière phase qu’il coupe des passages, ce qui lui permet d’y voir clair. C’est ce qu’il a fait dans le spectacle. Entre la générale et la première, il a coupé un ou deux airs de la scène des ballons dans la fête des fleurs. Il pensait vraiment que ça allait unifier la troisième partie et la rendre plus lisible. En plus, les ballons devaient cacher l’arrivée de la danseuse, il y avait aussi une raison technique. Dans son film Ni le ciel ni la terre, de la même façon, il y a des ellipses, et c’est au spectateur d’imaginer le reste. Au fond, la danse n’est pas recoupée, elle est repensée. Dans la forme, elle est réduite, mais du point de vue du sens, elle garde sa puissance, en tout cas, c’est la perception qu’en a Clément. Mais pour un danseur qui a envie de transpirer, évidemment, c’est frustrant. Quand on crée, on jette beaucoup, c’est normal. Mais il faut comprendre que dans cette production, il y avait beaucoup de danseur·ses qui participaient à leur premier spectacle de ce type. Pendant deux semaines, nous montions une séquence, puis Clément arrivait et disait : « Non, ce n’est pas ça. » Très vite, certains se sont sentis atteints par ces remises en question, parce qu’ils n’étaient pas habitués au processus de recherche, au fonctionnement en laboratoire, à la répétition qui dure jusqu’à ce qu’on trouve. Certains se sont rendu compte que ce n’était pas leur métier, qu’ils voulaient faire du battle, de l’événementiel. Ils sont partis. La question est de savoir qui est l’auteur du spectacle, et à l’Opéra, cette question est structurellement démultipliée. Dans le monde de la danse, il y a plusieurs termes qui font débat et que Bintou ne veut plus utiliser : chorégraphe, danseur, interprète… La distinction entre ces trois fonctions est très fragile. Quand Clément nous demande de modifier la qualité d’un mouvement, est-ce qu’il est metteur en scène ou chorégraphe ? Quand un danseur fait une proposition qui est adoptée, est-ce qu’il est interprète ? Pour moi, il y a un capitaine qui doit être désigné dès le début, et il faut accepter qu’il coupe. On va justement organiser un cercle de parole avec les danseur·ses pour revenir sur ces questions, qui créent beaucoup de frustrations dans la création.

La question de la visibilité se pose particulièrement dans ce spectacle. Car ces conflits d’auctorialité sur la scène rejouent les questions politiques de la visibilité des minorités dans la société, les arts et les médias.

Clément voulait que les danseur·ses soient très présent·es sur la scène. Bintou a continué jusqu’au bout à demander aux interprètes de prendre l’espace, c’était pour elle une question politique. Se tenir debout sur le plateau, c’est déjà ramener des siècles d’histoire, qu’on danse ou pas.

Tous les soirs, le spectacle a suscité des ovations finales, qui peuvent être ressenties comme un moment de communion entre la salle et la scène. Comment les avez-vous perçues depuis le plateau ?

Je ne sais toujours pas comment interpréter ce phénomène. Car dans mon entourage, personne n’a aimé le spectacle. Bien sûr, ils ont aimé le tableau « Forêts paisibles », ils en ont senti la puissance, mais ils se sont ennuyés pendant tout le reste du temps. C’est évidemment un autre milieu, peu habitué au récitatif. Mais je me demande toujours un peu si ces ovations sont sincères, quelle est l’émotion qui s’exprime là chez les personnes qui composent le public. Parfois, j’ai l’impression qu’ils disent : « Ils sont mignons, ces petits jeunes ! » Mais le dernier soir, j’ai senti autre chose. On a fait « Forêts paisibles » une deuxième fois, et à ce moment-là, le public s’est levé, les gens ont sorti leur téléphone, se sont mis à filmer en tapant des pieds, et j’ai senti qu’on leur avait donné quelque chose, qu’ils étaient contents. Mais les autres fois, je ne sais pas, et nous sommes nombreux à ne pas comprendre. C’est sûr que ce tableau est une sorte de raz de marée, qui donne envie de se lever. Je le prends aussi un peu comme une réconciliation. Bintou dit que, dans ce moment, elle cherche à créer un cercle entre les acteurs et le public, pour transmettre la hype. Mais je ne sais pas si tout le monde voit le cercle.

Ces scènes finales forment un contraste très fort avec le monde machinique et déshumanisé qu’on a vu pendant le spectacle auparavant.

Oui, les chanteur·ses aussi ont dû effacer un peu plus leur jeu, parce que Clément leur a demandé de retenir. Il voulait ce monde déshumanisé, aseptisé, où on utilise les corps, on les jette et on les contraint. Ils font le défilé de mode, on les flashe, hop ils sont rejetés, et on les réutilise pour entrer dans l’armée. Finalement, le seul moment où personne ne joue de rôle, c’est « Forêts paisibles » – pas de CRS, pas de mannequin, tout le monde vient avec ce qu’il est réellement. C’est cette humanité, peut-être, qui a plu. En tout cas, c’est ma vision en tant que danseur.

 

 

Texte relu et amendé
par l’auteur

 

 

Notes

[1] Cinthia Golitin est danseuse et chorégraphe, spécialiste du popping. Née au Brésil, elle a grandi en Guyane, où elle a rencontré Bintou Dembélé pour la première fois. Interprète dans les spectacles d’Anne Nguyen (Cie Par Terre), Sandrine Lescourant (Cie Kilaï) et Bintou Dembélé (Cie Rualité), elle a également co-fondé le groupe Bandidas Crew en 2012 avec Rebecca Rheny, Sacha Négrevergne, Sonia Bel Hadj Brahim et Farrah Elmaskini, qui travaille sur la base de créations collectives.

[2] Cette formation associée à la création des Indes galantes était une véritable originalité, voulue par Bintou Dembélé, qui coproduisait le spectacle avec sa compagnie, Rualité. DÉTER ! est une formation-pilote, conçue pour « répondre au besoin de structuration des danseurs », en visant notamment à « renforcer leur professionnalisation à l’occasion de cet événement exceptionnel qui les propulse sur la scène de l’Opéra Bastille » (« Soyez DÉTER pour la Street dance ! », présentation du projet sur le site de collecte visant à compléter son financement).

[3] Ces dix-neuf danseurs et danseuses sont issu·es du hip-hop, du voguing, du popping, de l’electro, du break dance et du krump.

[4] Le budget global de la formation est de 205 000 € ; il s’appuie sur une collecte de fonds sur la plateforme commeon (à hauteur de 15 %) et sur le soutien financier de l’Afdas, du Centre de la danse Pierre Doussaint, de la Maison de la musique de Nanterre, du FRAC d’Auvergne, de la Ville de Clermont-Ferrand, du ministère de la Culture et de la Communication, du Fonds Inkermann et de M. Francis Kurkdjian.

[5] Sylvie Chalaye est professeure en études théâtrales à l’Université Paris III. Elle est spécialiste des représentations de l’Afrique et du monde noir dans les arts du spectacle, ainsi que des dramaturgies afro-contemporaines. En 2007, elle a créé le laboratoire SeFeA, « Scènes francophones et écritures de l’altérité ». Elle intervient dans le chantier « Baroque is burning ! » dans un entretien croisé avec Bintou Dembélé intitulé « Du krump à la Bastille : un marronnage créateur » et y a également publié l’article « La nuée krump des Indes galantes. Invoquer les morts et libérer les vivants ».

[6] Maboula Soumahoro est maîtresse de conférences à l’Université de Tours dans le département de langues et littératures anglaises et anglo-saxonnes. Après des travaux sur la diaspora africaine aux États-Unis, elle a récemment publié Le Triangle et l’Hexagone : Réflexions sur une identité noire (La Découverte, 2020). Dans le programme de salle des Indes galantes, elle a publié un texte intitulé « De quoi les Indes sont-elles le nom ? » (p. 55-57). Elle intervient également dans ce présent chantier dans un entretien intitulé « La beauté dans les interstices ».

[7] Maxime Cervulle est maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8. En 2013, il a publié Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias (Paris, Éditions Amsterdam).

[8] « Blanchité » est la traduction du terme anglais « whiteness », très utilisé aux États-Unis depuis les années 1990, notamment après la publication de l’ouvrage de Toni Morrisson, Playing In The Dark : Whiteness and the Literary Imagination (Harvard University Press, 1992). Il « désigne l’hégémonie sociale, culturelle et politique blanche à laquelle sont confrontées les minorités ethnoraciales, aussi bien qu’un mode de problématisation des rapports sociaux de race » (Maxime Cervulle, « La conscience dominante. Rapports sociaux de race et subjectivation », Cahiers du Genre, vol. 53, n° 2, 2012, p. 37-54).

[9] L’Opéra de Lille avait par exemple accueilli On danfe, un spectacle de José Montalvo et Dominique Hervieu créé en 2005 au Théâtre National de Chaillot. Des danseur·ses de différents styles – hip-hop, danse classique, danse contemporaine, danse africaine, capoeira – y évoluaient ensemble sur des airs de Rameau. Coline Serreau avait également fait intervenir des smurfeuses et des breakeurs dans sa mise en scène de La Chauve-Souris de Johann Strauss créée à l’Opéra Bastille en décembre 2000, parmi lesquels Ibrahim Dembélé, le frère de Bintou Dembélé.

[10] Les premiers laboratoires d’expérimentation chorégraphique, qui réunissaient quinze danseur·ses, ont eu lieu plus d’un an avant la création, comme la formation, qui réunissait, elle, dix-neuf interprètes. Le spectacle final comptait vingt-neuf danseur·ses.

[11] Le premier groupe de danseur·ses était rémunéré par la compagnie Rualité, le second par l’Opéra national de Paris. Les plus ancien·nes ont été chargé·es de transmettre aux dernier·es arrivé·es les chorégraphies élaborées en amont.

[12] Isabelle Launay est professeure dans le département de danse de l’Université Paris 8. Elle développe actuellement une approche post- et décoloniale de l’histoire de la danse.

[13] D’abord employé pour désigner les animaux qui retournaient à l’état sauvage après avoir été domestiqués, le terme « marron » a ensuite qualifié les esclaves ayant fui leur plantation. Certains d’entre eux parvenaient même parfois à créer de véritables communautés. Par extension, on parle de marronnage pour évoquer les stratégies des esclaves pour s’arracher à leur condition, cultiver un espace de liberté, mais aussi retrouver des éléments de la culture du territoire perdu. Sylvie Chalaye retrouve ce geste de marronnage dans le théâtre contemporain afro-descendant. C’est à travers ce prisme qu’elle interprète notamment le travail de Bintou Dembélé : voir Sylvie Chalaye, Corps marron : les poétiques de marronnage des dramaturgies afro-contemporaines, Paris, Éditions Passages, 2018.

[14] L’electro est une danse française. Née dans les années 2000, elle est inspirée du voguing, de la house, du locking et du popping.

[15] Il existe une douzaine de maisons en France, souvent issues de maisons américaines, qui portent le nom de marques de haute couture – House of Revlon, House of Dior, par exemple. La House of Ladurée fait exception, puisqu’elle a été créée en France.

[16] « Forêts paisibles » désigne dans cet entretien l’air principal de la quatrième entrée des Indes galantes. À sa création, en 1735, l’opéra-ballet ne comportait que trois entrées ; la quatrième, qui est devenue la plus célèbre, a été ajoutée en 1736. Intitulée « Les Sauvages » dans le livret de Fuzelier, elle se déroule en Amérique du Nord et met en scène une jeune indienne, Zima, courtisée par un colon français et un colon espagnol qu’elle dédaigne au profit du chef des guerriers indiens, Adario. « Forêts paisibles » est l’air de la cérémonie du grand calumet de la paix, qui scelle la réconciliation entre les Indiens et les Européens. Clément Cogitore avait d’abord réalisé un court-métrage à partir de cette scène, dansée et chantée dans l’opéra-ballet initial, avec des danseurs de krump et trois chorégraphes, Bintou Dembélé, Grichka et Brahim Rachiki.

[17] La vidéo réalisée dans le cadre de « 3e scène » a cumulé plus de 25 millions de vues sur YouTube.

[18] « 3e scène » est un espace de création ouvert par l’Opéra national de Paris en septembre 2015. Des artistes – vidéastes, plasticiens, compositeurs, photographes, chorégraphes – y sont invité·es à créer des œuvres au format numérique.

 

Pour citer ce document

Feroz Sahoulamide, « Dire ‘‘oui’’ aux Indes galantes », entretien réalisé par Tiphaine Karsenti, thaêtre [en ligne], Chantier #5 : Baroque is Burning ! (coord. Marine Roussillon et Pénélope Dechaufour), mis en ligne le 7 janvier 2022.

URL :  https://www.thaetre.com/2022/01/07/dire-oui-aux-indes-galantes/

 

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Dire « oui » aux Indes galantes

 

 

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