Séparer l’Homme, l’Artiste et l’Œuvre

Déni, clivage et dissociation

Collage féministe, Lyon, mai 2023

Un changement de paradigme est en cours depuis 2017, quand des actrices de Hollywood ont relancé le hashtag #MeToo[1] et ont assumé de dire publiquement avoir été victimes d’agressions sexuelles. Cet événement a marqué un avant et un après. Depuis, malgré des résistances massives et qui ne faiblissent pas, on s’achemine vers une reconnaissance collective du caractère systémique des violences sexistes et sexuelles. Dire que ces violences sont systémiques, c’est dire qu’elles sont omniprésentes et structurent nos expériences individuelles et notre vie sociale collective en France comme partout dans le monde.

Ici, d’autres hashtags ont suivi après #BalanceTonPorc, le rythme s’accélérant ces dernières années : #MeTooInceste et #MeTooGay en janvier 2021, #MeTooPolitique en octobre 2022, entre autres. Ces mouvements confirment auprès de l’opinion publique ce que les décennies de recherches sur ces questions s’accordent à montrer : que ces violences s’inscrivent dans la sphère du proche à tous les âges de la vie – la famille (inceste, violences conjugales), l’entourage amical et social (l’Église, l’école ou le sport) et le monde du travail. Ces travaux convergent aussi à démontrer que ces violences opèrent selon un continuum : le sexisme ordinaire, trop souvent banalisé au motif qu’« il n’y a pas mort d’homme », fait le lit de violences plus graves – des violences verbales-psychologiques, physiques et sexuelles (contrôle coercitif, coups, viols) jusqu’aux violences létales que sont les féminicides[2]. C’est aussi en ce sens que ces violences peuvent être dites systémiques.

Le #MeToo de 2017 a aussi eu un autre intérêt : celui de souligner la particularité, au sein des mondes du travail, des secteurs professionnels artistiques. Ce n’est pas un hasard si c’est de là qu’est parti le mouvement. En France, les hashtags s’y sont d’ailleurs multipliés ces dernières années : #BalanceTonCirque et #MusicTooFrance en 2020, #MeTooThéâtre et #PayeTaNote (musique classique) en 2021, #MeTooBD en 2022. Il faut dire que ces milieux sont singulièrement propices à la commission de ces actes de violence autant qu’à leur banalisation et à leur impunité sociale et pénale, comme l’a rappelé Gisèle Sapiro dans son ouvrage Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur[3] ? Cette surprésence des violences sexuelles et, plus largement, des formes de harcèlement moral, s’explique par une série de raisons qui tiennent à la fois aux modes d’organisation et aux valeurs propres à ces secteurs professionnels :

– parce que ce sont des secteurs très concurrentiels et qu’y règnent de fortes hiérarchies entre corps de métiers (au théâtre les metteurs en scène, au cinéma les réalisateurs et producteurs, etc.) et entre gagnants et perdants économiques et symboliques du système ;

– parce que l’emploi y est massivement précaire ;

– parce que les personnes qui exercent ces métiers vocationnels le font par passion, aussi beaucoup d’entre elles peinent-elles à voir l’acte de création comme un travail et donc à respecter le droit du travail pour encadrer leur activité et réguler les éventuels problèmes et conflits ;

– parce que le rythme et les conditions de travail (répétitions, créations, tournées, tournages) floutent les frontières entre espaces et temps de vie privée et espaces et temps de vie professionnelle ;

– parce que les porteurs de projet artistique cumulent pouvoir économique, symbolique et pouvoir de séduction ;

– parce que, à rebours des normes qui s’imposent dans les autres mondes du travail, il est non seulement autorisé mais assumé et revendiqué par l’ensemble des professionnel·les des secteurs artistiques que, tout au long des carrières, la sélection (concours pour intégrer les écoles de formation, castings, etc.) repose sur la séduction et que les sélectionneur·ses ont le droit d’être désirant·es et les sélectionné·es le devoir d’être désiré·es[4] ;

– parce que, dans l’audiovisuel et le spectacle vivant, créer implique de mettre en jeu les psychismes et les corps dans des contacts et interactions physiques et émotionnels intenses ;

– parce que tous ces éléments recoupent largement les rapports sociaux de genre et que les hommes occupent les positions de pouvoir[5] dans des secteurs professionnels qui sont par ailleurs fortement féminisés.

Mais si la question des violences sexuelles prend une importance spécifique dans les champs artistiques, c’est aussi pour une dernière raison : les œuvres de fiction forgent nos imaginaires, et les représentations que véhiculent la peinture, le cinéma, la littérature, le théâtre, l’opéra, la chanson, participent de la construction de nos représentations collectives. Or force est de constater que si l’antisémitisme, le racisme et le sexisme sont tous trois illégaux, le dernier continue de bénéficier dans l’opinion publique d’une forte acceptation sociale et d’une banalisation, y compris quand il est explicite.

Certes, l’ère incarnée par la tribune célébrant « la liberté d’importuner »[6] et par l’adage invitant à « séparer l’œuvre de l’artiste » sent la fin de règne. Mise en place de chartes contre les discriminations et le harcèlement dans les écoles d’art ; cellule d’écoute psychologique et juridique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes pour les professionnels de la culture d’Audiens[7] ; décision du ministère de la Culture de conditionner les aides financières à l’existence de formations aux VSS dans les établissements recevant de l’argent public[8] : il est indéniable que des changements profonds sont en cours en matière de prise en charge concrète des violences sexistes et sexuelles dans les secteurs artistiques et culturels. Pour autant, pour assoir leur légitimité au-delà de la contrainte légale, ces nouvelles normes doivent pouvoir s’appuyer sur un changement de paradigme dans notre conception de l’art qui pour l’heure fait encore défaut. C’est l’enjeu du présent article : contribuer à interroger l’idéologie qui sous-tend le discours prônant la séparation entre l’œuvre, l’artiste et l’homme.

 

Séparer l’Œuvre de l’Artiste : un conflit entre deux paradigmes

 

Quelques affaires récentes permettent d’entrer dans le vif du débat. Début janvier 2023, l’Académie des César annonce que désormais, « par respect pour les victimes », elle renonce à « mettre en lumière des personnes qui seraient mises en cause pour des faits de violence » et que toute personne faisant l’objet « soit d’une mise en examen pour des faits de violences, notamment à caractère sexuel ou sexiste, passibles d’une peine de prison, soit d’une condamnation en cours prononcée en raison de tels faits […] ne pourra pas être invitée à la Cérémonie, ni à aucun des événements qui lui sont associés ». Le communiqué précise que « cette mise en retrait exclura également toute prise de parole ‘‘au nom de cette personne’’ lors de ces mêmes événements – y compris si un César devait lui être attribué à l’issue du second tour de vote »[9]. Cette décision fait suite à celle prise le 23 novembre 2022 à propos de Sofiane Bennacer. L’acteur, révélation du film Les Amandiers, mis en examen pour viols et violences sur conjoint par quatre anciennes compagnes, avait été retiré de la liste des nominés dans la catégorie « meilleur espoir masculin ». Tout en montant en généralité à partir d’un cas particulier, la décision de janvier 2023 bat un peu en retraite quant aux mesures à prendre puisqu’elle n’acte pas le principe d’un « empêchement à l’éligibilité pour l’attribution d’un César ». Justifiant cette prudence par « l’ampleur et la complexité de ces questions, d’un point de vue moral et juridique », le communiqué annonce aussi la création d’un groupe de travail en amont de l’éventuelle modification du règlement intérieur, dans le but d’intégrer une réalité jusque-là jamais prise en compte : « l’hypothèse d’une mise en cause judiciaire d’un·e participant·e à un film éligible » à des récompenses.

Cette prudence de l’Académie des César s’explique aussi par la virulence des réactions suscitées par la décision prise dans l’affaire Bennacer. Valeria Bruni Tedeschi, réalisatrice et compagne de l’acteur, et sa sœur Carla Bruni avaient dénoncé publiquement cette décision et la couverture de l’affaire par Libération, qui accusait la réalisatrice et la production d’avoir su, d’avoir tu et d’avoir fait taire l’équipe. Les deux sœurs avaient dénoncé ce qu’elles estimaient être un non-respect de la présomption d’innocence. Mais Valeria Bruni Tedeschi avait aussi mis en avant une certaine exception du travail de création. Selon elle, être un bon·ne acteur·rice impliquerait fatalement de consentir à des formes de violence psychologique de la part des metteur·ses en scène/réalisateur·rices. Ce serait la condition sine qua non pour briser ses défenses et atteindre l’état de vulnérabilité émotionnelle sans lequel il n’est pas de grand jeu d’acteur et sans lequel les spectateur·rices ne pourraient être ému·es[10].

Sans développer ce point, je voudrais souligner qu’au-delà des violences sexuelles, le même type d’argument selon lequel les lois de l’acte créateur autoriseraient et même impliqueraient des formes de violence psychologique, verbale et physique, a longtemps servi à couvrir des faits qualifiables de harcèlement moral dans les termes du droit du travail. Cette règle du jeu commence aussi à être remise en question, comme en ont témoigné plusieurs affaires récentes. La plus spectaculaire est sans doute l’annulation de la création du metteur en scène Krystian Lupa par la Comédie de Genève en mai 2023, du fait de « divergences sur la philosophie de travail entre la direction artistique du projet d’un côté et la direction générale et les équipes permanentes et temporaires de l’autre » et, plus spécifiquement, de « manquements dans le respect des valeurs »[11] inscrites dans le règlement intérieur et la « charte de comportement » du théâtre. C’est peut-être le metteur en scène Jacques Livchine qui a le mieux résumé le conflit à l’œuvre entre deux âges, deux visions de l’art et du monde :

Dans cette histoire de la Comédie de Genève je ferme grave ma gueule. […] Pourquoi ? Parce que je suis de la génération de Lupa (80 ans) et que pour nous la bienveillance n’a aucun sens. Nous nous mettons au service d’un spectacle totalement, les horaires n’existent pas, le sacrifice doit être total. L’accouchement d’un spectacle est toujours d’une violence extrême. Et comme seule compte la fin nous sommes d’une intolérance totale, d’une intransigeance absolue. Nous ne respectons plus rien pour parvenir à ce que nous cherchons. Nous ne comprenons pas que tout le monde ne soit pas comme nous : prêt à tout donner, à sacrifier sa vie[12].

Sans faire l’unanimité, ces arguments sont encore souvent repris par une partie des commentateur·rices, particulièrement dans le champ théâtral, particulièrement en matière de violences sexuelles, comme en témoigne l’affaire qui a lancé le #MeTooThéâtre.

Octobre 2021 : une enquête de Libération[13] sur les nombreuses accusations de violences sexuelles mettant en cause depuis plusieurs années le metteur en scène Michel Didym déclenche l’ouverture d’une enquête judiciaire et le début du mouvement #MeTooThéâtre[14]. Peu après, une protestation spontanée s’organise devant le théâtre national de la Colline. Les manifestant·es dénoncent le double choix de Wajdi Mouawad, metteur en scène et directeur de ce théâtre public, d’avoir confié à Bertrand Cantat la création musicale de son spectacle Mère et d’avoir programmé cette même saison un spectacle de Jean-Pierre Baro. Ce dernier avait dû démissionner en décembre 2019 de son poste de directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, à la suite de deux accusations d’agressions sexuelles dont une ayant donné lieu à une plainte pour viol.

Signe de l’évolution du discours politique, la ministre de la Culture de l’époque, Roselyne Bachelot, prend publiquement part au débat : elle formule toutefois un point de vue ambivalent, rappelant à l’antenne de France Inter la souveraineté du principe de liberté de création (et, ici, de programmation) et l’intégrité d’un artiste « ne pouvant être accusé de la moindre complaisance en ce qui concerne la lutte contre les violences sexuelles et sexistes », tout en disant « regrette[r] néanmoins », à titre personnel, le choix de Wajdi Mouawad[15]. Signe de la persistance des lignes de défense en faveur de la non prise en considération de ces violences dans les choix de création et de programmation, Mouawad répond le 19 octobre 2021 par une tribune intitulée « Je refuse de me substituer à la justice »[16].

L’auteur commence par poser une « adhésion sans réserve » de principe à la lutte pour l’égalité hommes/femmes et contre les violences sexuelles, pour disqualifier ensuite les revendications formulées dans ce cas précis. L’opposition entre un soutien a priori affiché à la cause et une dénonciation de l’extrémisme supposé de ses manifestations concrètes, qui viendrait la desservir et même la dénaturer, est un double discours récurrent des stratégies de disqualification des revendications féministes. Idem pour les accusations d’« inquisition », de « lynchage », de « vengeance » et de « dictature », qu’on retrouve aussi bien dans les discours antiféministes mainstream que dans les discours masculinistes explicitement misogynes et violents de la droite extrême et des incels[17]. Mais, si la construction de l’argumentation de Mouawad s’appuie sur ces repères classiques du discours sexiste, sa tribune témoigne aussi de plusieurs traits spécifiques que prend ce discours quand il est le fait d’un artiste et/ou concerne un artiste, en tant qu’il s’agirait à la fois d’une figure autorisée à une subjectivité radicale et détentrice d’une autorité politique spécifique.

Mouawad justifie ainsi sa propre prise de position par la pluralité des places qu’il occupe dans l’espace public. Il invoque à la fois sa liberté de création absolue d’artiste, son intime conviction d’homme qui connaît son ami (Cantat) et répond de lui, son sens des responsabilités en tant que directeur d’institution publique garant de l’État de droit dont la présomption d’innocence à l’égard des hommes/artistes accusés constituerait la valeur cardinale, sa légitimité de victime (sans préciser de quoi) à qualifier de dérives barbares les revendications des victimes de violences sexuelles, enfin, sa légitimité spécifique, en tant que citoyen originaire d’un pays corrompu, à juger avec plus de recul que les Français de l’état de la justice et de la démocratie. Et de conclure : « n’ayant eu de cesse d’écrire des pièces mélodramatiques qui s’achèvent toujours par la réconciliation de l’irréconciliable, je ne vois pas pourquoi dans la vie je devrais penser autrement que lorsque j’écris. » Autrement dit, tout en prônant par sa programmation le principe de séparation de l’œuvre et de l’artiste, l’auteur de ce discours construit la légitimité de sa propre parole en articulant étroitement son œuvre à son propos d’artiste, de personnalité publique et de personne tout court, et porte cette parole depuis son autorité de directeur d’une institution publique sur la page d’accueil du site du théâtre national. Au-delà de cet exemple, l’histoire et le droit viennent contredire cette thèse et témoignent du déni sur lequel elle repose.

 

Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
Spectacle d’Étienne Gaudillère et Giulia Foïs
Création au Théâtre du Point du jour en janvier 2022
© Marie Charbonnier

 

Un déni de l’histoire de l’art

 

Notons d’emblée un flottement, puisque certaines formulations de la thèse prônent la séparation entre l’homme et l’artiste (autrement dit, les deux « moi » de la personne qui crée), tandis que d’autres marquent la délimitation entre l’homme ou l’artiste d’un côté et l’œuvre, de l’autre. Commençons par la figure duale de l’homme/artiste qu’il est utile de cerner à partir de la notion d’auteur. En effet, comme le souligne Gisèle Sapiro, l’argument selon lequel on pourrait aisément séparer l’œuvre de son auteur tient difficilement du fait de la « triple relation – métonymique, de ressemblance et de causalité interne (intentionnalité) entre l’auteur et son œuvre »[18]. La thèse est aussi discutable au regard de l’histoire de l’art.

Certes, ce discours de justification existe et ne date pas d’hier. Il a nourri les théories de l’inspiration depuis l’Antiquité et s’est fortement solidifié dans la modernité esthétique. Dans son célèbre Contre Sainte-Beuve (1908-1910), Proust a postulé qu’« un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c’est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir »[19]. L’argument, dont on oublie un peu vite qu’il ne nie pas que l’œuvre est bien l’émanation d’un moi de l’artiste, sera légitimé par la réputation de l’écrivain et structurera durablement le champ de l’herméneutique des œuvres.

À l’époque, il se voulait un talisman contre la critique biographique, notamment représentée par le célèbre critique Sainte-Beuve. Il faut dire qu’au début du XXe siècle, ce type d’analyses était souvent empreint des préjugés moraux des critiques[20] et autorisait à juger parfois pénalement les artistes au nom de l’immoralité supposée de leur œuvre ou de leurs comportements jugés déviants. À rebours de cette possible réduction de la richesse des œuvres à un simple et fidèle miroir de la vie réelle de leurs auteurs, Proust affirmait tout à la fois l’hétérogénéité radicale de l’art et de la vie et le primat du premier sur la seconde, s’agissant de l’évaluation de l’art. Dès lors, la seule analyse légitime devait se limiter à l’œuvre et à une analyse esthétique de l’œuvre[21]. De ce texte, date un soupçon durable à l’égard des analyses qui incluent l’analyse de la vie de l’auteur, y compris les approches sociologiques, qui considèrent que « toute œuvre – littéraire, artistique, philosophique ou sociologique – est en un certain sens autobiographique »[22].

La thèse de la séparation de l’œuvre et de l’auteur renvoie donc à une querelle entre deux paradigmes qui recoupe aussi des partages disciplinaires. D’un côté, les disciplines esthétiques revendiquent d’étudier l’œuvre, toute l’œuvre et rien que l’œuvre considérée comme un objet purement esthétique et purement autonome. Dans le même temps, ces disciplines tendent à reproduire les échelles de valeur propres aux acteurs des champs artistiques et notamment à reconduire le discours qui sacralise la figure de l’artiste et les œuvres, « envisagé[e]s a priori comme des objets d’admiration et des sources de plaisir (intelligent et raffiné […]) »[23]. Je reviendrai sur les effets de ce mélange entre analyse et consécration du patrimoine. De l’autre côté, d’autres disciplines prennent de la distance avec ces échelles de valeur et les prennent pour objet. Elles ne partent pas du postulat que les artistes sont à part du commun des mortels et que les œuvres sont à part de la société, elles les considèrent comme une émanation de nos représentations sociales autant qu’elles contribuent à les façonner.

Selon ce postulat, il n’est pas possible de séparer les œuvres et le champ de l’imaginaire du reste de la vie sociale – d’où la nécessité d’une analyse des œuvres informée par la connaissance de leur contexte de production et de réception. Ce contexte inclut la prise en compte de la vie de l’auteur, de ses valeurs et de ses positions esthétiques et politiques, dans l’espace social professionnel et dans l’espace public. Il ne s’agit pas de croire en une transcription littérale et en une coïncidence exacte entre la vie et les idées de l’auteur et celles de ses narrateurs et de ses personnages, mais de considérer que « les œuvres portent en elles la trace des expériences ou des propriétés sociales de leurs auteurs »[24].

Cette approche est défendue en sociologie de la culture depuis les travaux fondateurs de Bourdieu, mais on la retrouve dans certaines disciplines artistiques dès lors que le cadrage théorique emprunte aux théories féministes, aux études de genre ou aux études culturelles. Pour ne prendre qu’un exemple, Eve K. Sedgwick a développé dans Épistémologie du placard une « lecture ‘‘sexualisée’’ de la culture littéraire des XIXe et XXe siècles »[25] en montrant le rôle tout aussi complexe qu’indiscutable de l’identité de l’auteur d’une œuvre dans la forme-sens que celle-ci constitue. Ces approches articulent ainsi l’analyse des œuvres à celles de leurs conditions de production et de réception. Elles sont aussi attentives aux effets que les œuvres et les discours sur l’art peuvent produire dans le réel, sans postuler pour autant un effet systématique et simple et univoque et unilatéral. Il s’agit au contraire de les interroger, en étant par exemple attentif au fait que la figure du « Génie créateur » s’accorde quasiment exclusivement au masculin singulier dans l’histoire de l’art et encore aujourd’hui dans les procédures de sélection des artistes. Il s’agit aussi d’être attentif aux effets que produit cette double domination au nom du genre et du talent.

Ces approches, ces cadrages théoriques permettent de voir ce qui resterait, sinon, dans l’angle mort de l’analyse. C’est le cas des études culturelles qui, dans la lignée de Stuart Hall, postulent que « c’est dans et à travers les systèmes de représentation de la culture que nous ‘‘faisons l’expérience’’ du monde : l’expérience est le produit de nos codes d’intelligibilité et de nos schémas d’interprétation » [26] et, dès lors, « il n’y a pas d’expérience hors des catégories de la représentation ou de l’idéologie »[27]. Il s’agit donc de questionner les « régimes de représentation » et particulièrement le régime hégémonique qui non seulement conditionne l’ensemble des formes culturelles, mais délimite aussi nos possibilités en termes d’analyse des œuvres. Changer de régime présuppose déjà de sortir de la méconnaissance pour apprendre à voir ce régime et à le reconnaître pour ce qu’il est.

Par ailleurs, dans le champ artistique lui-même, c’est dès l’époque du Contre Sainte-Beuve que s’est fortifié un contre-discours qui justifie la fonction esthétique et politique spécifique de l’artiste dans l’espace social du fait des positions, politiques notamment, qu’il prend. Ce discours met en avant la contiguïté entre l’homme, l’artiste et son œuvre, non pour « fliquer » l’homme et ses mœurs, mais pour mettre en valeur le lien existant entre l’œuvre artistique et le discours ou l’action politique de son auteur. Or ce registre de justification a tout autant structuré le champ littéraire et, au-delà, les différents champs artistiques. Hugo est resté dans l’histoire comme un grand écrivain mais aussi comme un homme public dont le projet littéraire et le projet politique ont été consubstantiels l’un à l’autre. De même, le « J’accuse » de Zola, volontiers considéré comme l’acte de naissance de la figure de l’intellectuel, met en scène la contiguïté entre l’engagement de l’auteur au service de la vérité et de la justice sociale dans son œuvre littéraire et sa prise de position politique directe dans l’espace public pour défendre l’honneur du capitaine Dreyfus. Et c’est bien depuis et grâce à sa notoriété acquise comme écrivain que cet engagement s’est avéré efficace. Plus d’un grand nom de la modernité esthétique s’est inscrit à sa suite dans ce sillon nouant étroitement engagements littéraire et politique, d’Aragon à Sartre.

 

Un déni du statut juridique d’auteur

 

Discutable au regard de l’histoire des arts, la thèse prônant la séparation de l’œuvre et de l’artiste l’est aussi sur le plan juridique. Car ce qui confère la valeur esthétique et économique à l’œuvre, c’est précisément l’auctorialité, autrement dit le fait que l’auteur revendique d’en être l’auteur, père et créateur. Or cette auctorialité est très étroitement liée à la signature, qui consacre l’artiste mais fonde aussi le bénéfice économique de la personne sociale. Comme le note l’humoriste australienne Hannah Gadsby :

Il faut séparer l’homme de l’artiste. […] J’entends ça tout le temps : c’est l’art qui compte, pas l’artiste. D’accord, essayons. Et si on retirait le nom de Picasso de ses toiles pour voir combien elles vaudraient dans une enchère ? Les gens ne possèdent pas un nu qui ressemble à un Lego circulaire, ils possèdent un Picasso[28] !

Le droit d’auteur français se fonde d’ailleurs précisément non sur l’œuvre en tant que telle mais sur le lien établi entre l’œuvre et la personne même de l’artiste confondue avec celle de l’homme. En effet, la protection d’une œuvre et la reconnaissance de celui qui l’a créée comme auteur sont conditionnées par le fait que l’œuvre ait une « forme originale ». Or cette originalité ne renvoie pas, comme on pourrait s’y attendre, à une propriété de l’œuvre liée au fait qu’elle possèderait des caractéristiques singulières inédites. Les juridictions l’assimilent plutôt à « l’empreinte de la personnalité de l’auteur »[29], comme le note l’avocat spécialiste du droit d’auteur Emmanuel Pierrat (pourtant défenseur de la thèse de la séparation homme-artiste). C’est donc bien en tant qu’il opère des choix subjectifs et personnels et qu’il met de lui-même et de sa radicale singularité dans sa création, que l’homme devient auteur et que ce qu’il a produit se transfigure en œuvre dont les droits sont protégés.

Séparer l’œuvre d’un artiste de sa vie peut s’avérer strictement impossible dans certains cas. Gabriel Matzneff constitue de ce point de vue un cas limite, car l’écrivain a poussé au plus loin la perméabilité entre sa vie et le processus de création de son œuvre. Le système d’exploitation qu’il avait mis en place n’était en effet pas seulement sexuel et psychique mais aussi littéraire[30]. Il enrichissait ses livres des histoires vécues avec ses victimes et aussi parfois de leurs écrits, publiant certaines de leurs lettres dans les textes qu’il signait de son nom. Soucieux de protéger ses intérêts symboliques et économiques, d’artiste et de contribuable, il ne manquait pas de leur faire signer une décharge afin d’être le seul bénéficiaire du statut d’auteur. Mais indépendamment de ce cas de figure extrême, il est difficile de contester qu’un être humain crée depuis qui il est et sa vie, sa vie intérieure en tout cas, son imaginaire, son inconscient, ses peurs, ses désirs, ses cauchemars et ses rêves. La dissociation du vécu de l’artiste et de son œuvre n’est d’ailleurs pas pratiquée pour les femmes. D’abord, en raison du double standard qui fait que le talent des femmes est toujours considéré comme relatif, et donc relatif aussi à leur « condition », leur œuvre étant volontiers analysée au prisme de leur vécu. C’est à l’homme (sexe masculin) que la tradition herméneutique réserve la transsubstantiation de l’humain en artiste et la séparation du vécu et de l’œuvre. Il est vrai que par ailleurs ce canon herméneutique a été massivement mis en œuvre par des hommes, longtemps les seuls à être en position d’autorité dans le champ de la création comme dans celui de la critique.

Mais cette séparation est aussi refusée par un certain nombre de femmes artistes et plus largement par tous les créateurs et les créatrices qui se situent du côté des victimes. Loin de se réduire à l’immanence de vécus particuliers et assignés, il s’agit au contraire de défendre une autre conception de l’universel, qui ne s’atteint que par une attention au monde matériel et aux rapports de force, et une autre conception de l’art qui récuse la séparation binaire de l’artiste et de l’être humain. C’est ce qu’a posé Virginie Despentes dans sa tribune « On se lève et on se casse », dont on n’a pas assez dit qu’elle propose aussi de rompre avec le discours sur l’art qui domine pour penser la création, ses processus et son analyse. C’est à la fois la survivante de viol et l’autrice de Baise-moi et de King Kong Théorie qui écrit :

toutes les victimes de viol d’artistes savent qu’il n’y a pas de division miraculeuse entre le corps violé et le corps créateur. On trimballe ce qu’on est et c’est tout. Venez m’expliquer comment je devrais m’y prendre pour laisser la fille violée devant la porte de mon bureau avant de me mettre à écrire[31].

Dire que l’artiste crée depuis l’imaginaire et l’inconscient de la personne qu’il est ne signifie pas que l’on pose une stricte équation l’œuvre = l’artiste = la personne sociale. Cela n’empêche en rien une analyse esthétique attentive à la multiplicité des jeux de miroir déformants et kaléidoscopiques possibles entre fiction et vie réelle. De même, plaider pour que l’on ose enfin interroger le discours politique que porte une œuvre sur les violences sexuelles et qu’on s’autorise à constater qu’elle participe de la culture du viol n’implique pas de l’interdire – sauf si elle tombe sous le coup de l’accusation d’incitation à la haine envers un groupe de personnes et s’avère donc en infraction à la loi. Tout au contraire même, puisque les œuvres valent comme témoignages voire comme preuves du sexisme (la même remarque vaut pour les œuvres attestant la prégnance historique du racisme). Ces prémisses posées, interrogeons à présent les causes et les effets de cette idéologie de la séparation de l’œuvre et de l’artiste.

Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
Spectacle d’Étienne Gaudillère et Giulia Foïs
Création au Théâtre du Point du jour en janvier 2022
© Marie Charbonnier

Clivage et dissociation

 

Pour penser ces phénomènes, je propose de prendre au sérieux l’emploi du verbe « dissocier » employé par Gisèle Sapiro dans le titre de son ouvrage. Je propose, plus précisément, de considérer que la thèse de la séparation entre l’œuvre et l’artiste (homme compris) et/ou entre l’homme et l’artiste relève chez certaines personnes de la dissociation et, pour la plupart d’entre nous, du clivage.

Si le sens commun du mot « dissociation » renvoie à l’action de distinguer, séparer, il désigne en psycho-traumatologie le mécanisme de défense que met en place l’inconscient face à une situation violente, qui fait courir un grave danger et suscite une angoisse impossible à intégrer sauf à mettre en danger l’intégrité psychique du sujet. Si elle était éprouvée, la quantité de stress produite par la situation serait si importante qu’elle pourrait elle-même conduire à la mort la personne qui subit ce danger. La dissociation consiste alors en la mise en place d’un ensemble de processus neuropsychologiques par lesquels le cerveau disjoncte pourrait-on dire, et bascule dans un mode de fonctionnement alternatif. Ce « mode survie » produit des effets paradoxaux. À court terme, la déconnection entre les perceptions physiques et le traitement analytique et émotionnel de ces informations, autrement dit la coupure entre le corps et les affects d’une part, et le cerveau d’autre part, est salvatrice. Mais à plus long terme, le prix de cette opération s’avère très élevé, particulièrement si les situations traumatisantes de violence et donc le mécanisme de défense se répètent. L’incapacité à supporter la réalité de ce qui a pourtant été vécu par le corps implique en effet la mise en place de processus qui coupent le sujet d’une partie de lui-même, de ses émotions, de ses vécus corporels et de ses souvenirs[32]. Pour les personnes victimes de violences, comme pour toutes les personnes traumatisées, la dissociation et l’état de choc demeurent tant qu’elles ne sont pas à l’abri de leurs agresseurs.

Pour ceux-là et pour le reste d’entre nous, la majorité silencieuse et plus ou moins aveugle des témoins de ces violences, de ceux et celles qui se vivent comme extérieur·es à la scène des violences alors qu’ils et elles en sont des acteur·rices clé puisqu’ils et elles jouent un rôle d’allié·es objectif·ves des auteurs et de leurs actes (et sont la clé de voûte du changement), je propose de parler de « clivage ». Le mot désigne aussi un mécanisme de défense, qui sépare le sujet, ou le rapport du sujet à un objet, en deux moitiés qui « auront alors des destins relativement indépendants » et resteront « côte à côte sans s’influencer réciproquement »[33].

Peuvent ainsi coïncider à l’intérieur de la psyché deux attitudes vis-à-vis d’une réalité extérieure. L’une la reconnaît et en tient compte, tandis que l’autre la dénie et lui substitue une version de la réalité qui n’existe pas réellement mais qui est conforme au désir du sujet et qui évite la tension psychique que produirait la confrontation consciente à cette réalité. Pour les auteurs de violences et les témoins qui refusent de voir, ce mécanisme de défense sert à préserver non pas la survie d’une personne traumatisée par une violence subie, mais une image valorisante de soi individuelle et collective de personnes qui commettent ou couvrent des violences. Pour les témoins, tout l’art est de ne pas voir les violences, car les voir impliquerait de se sentir concerné et d’agir ou au moins de reconnaître que ne pas le faire est problématique. Or agir représente un coût et un risque quand les auteurs de violences sont en position de pouvoir. Pour les auteurs de ces violences, la stratégie de méconnaissance et d’inversion de la culpabilité fait partie intégrante de l’état d’agresseur. Celui-ci n’est pas définitif, une « désistance »[34] psychique et effective de cet état est possible, mais seulement à la condition qu’une reconnaissance de l’auctorialité des faits et de leur caractère d’infraction à la loi ait lieu, par la personne qui a commis les faits et par la société. C’est ce qui manque le plus souvent.

C’est d’autant plus important que le changement en la matière ne peut venir ni des victimes, qui ne sont pas en position sociale de le faire advenir, ni des auteurs, qui pour la majorité ne souhaitent pas changer et ne sont pas en position de leur faire seuls eux non plus. Il adviendra uniquement des acteurs qui regardent la scène et n’en sont jamais de simples spectateurs. Ces spectateurs qui n’en sont pas, c’est nous. De là, notre responsabilité collective de reconnaître que notre surdité et notre aveuglement reviennent à protéger les agresseurs et à réagresser les victimes. De là, notre responsabilité à sortir du clivage, de la complaisance et de l’indulgence qui permettent la perpétuation des violences et leur impunité.

Pour cela, nous devons comprendre ce qui fait que nous refusons de voir et d’entendre collectivement, et ce que nous cherchons à protéger spécifiquement quand les auteurs de violences sont des artistes : une certaine conception de l’art et de notre plaisir de récepteurs des œuvres. Nous devons reconnaître enfin que cette responsabilité est d’autant plus grande que ces violences produisent des effets spécifiques du fait que leurs auteurs créent des œuvres qui façonnent nos imaginaires et par lesquelles nous nous construisons, et que les opportunités et l’impunité des artistes sont redoublées par le fait qu’ils peuvent abuser de leur position de pouvoir mais aussi d’une empathie liée précisément au fait d’être d’artiste.

 

De l’impunité spécifique des artistes : le poète maudit, le génie intouchable et la transgression comme valeur esthétique

 

Longtemps, les règles de l’art en vigueur dans les milieux professionnels de l’art ont maintenu les victimes en état de dissociation. Car pour que ce mécanisme de survie cesse, il faut que la personne victime ne soit plus soumise au contact de l’auteur des violences commises contre elle, dans un environnement où règne sa version à lui et lui interdit à elle de faire entendre sa parole et sa vérité sans se voir disqualifiée, discréditée. C’est ici qu’il faut revenir aux facteurs de risque spécifiques qui surexposent les secteurs professionnels artistiques aux violences sexuelles et à leur impunité, au point qu’il est paradoxal que ces univers professionnels, qui supposeraient plus que d’autres d’être régulés par une déontologie spécifique, soient parmi les seuls à s’en affranchir. Outre la précarité économique, des processus de sélection qui reposent sur des rapports de séduction inscrits dans des rapports d’asymétrie très marqués du fait de la structuration du marché du travail artistique, un autre facteur décisif est l’hégémonie de certains corps de métiers (réalisateur, producteur au cinéma, metteur en scène) sur les autres, qu’il s’agisse de métiers artistiques – interprète, auteur, scénariste – ou de métiers dits « de support » – scripte, chargée de production, etc. –, toutes professions davantage féminisées que celles qui bénéficient d’un pouvoir de décision et d’une position de pouvoir quasi absolu sur les carrières et donc les vies professionnelles et sociales des personnes victimes.

Mais il est une autre raison qui empêche les victimes de parler et surtout d’être écoutées : la connexion entre le talent de l’artiste et la réputation de l’homme. La notoriété confère en effet aux agresseurs le pouvoir social et professionnel qui leur permet de commettre des abus de pouvoir dans la durée, mais qui leur offre aussi la capacité de préserver leur réputation d’homme. Or cette notoriété est acquise et exercée par l’artiste au nom de la reconnaissance de son talent. À rebours de l’affirmation de Bernard-Henri Lévy qui jugeait que « la célébrité ne protège pas Roman Polanski, elle le dessert »[35], on peut au contraire considérer que la célébrité protège les artistes et fournit un régime d’exception dont le mantra prônant la nécessité de séparer l’œuvre de l’artiste constitue la pièce maîtresse. Si Polanski a bénéficié si longtemps du soutien affiché d’une partie des grands noms de la profession, c’est à cause de sa réputation de grand artiste au talent reconnu par les instances de sélection internationales depuis des décennies. Ce traitement différencié des artistes a été pointé par une autre humoriste, Blanche Gardin :

J’adorais ça, être sur scène avec mes petits camarades… Déjà parce que pendant ce temps le metteur en scène ne pouvait pas me toucher… C’était un metteur en scène génial par ailleurs… Parce qu’il faut savoir séparer l’homme de l’artiste… C’est bizarre d’ailleurs, que cette indulgence ne s’applique qu’aux artistes… Parce qu’on ne dit pas par exemple d’un boulanger : « Oui d’accord, c’est vrai, il viole un peu des gosses dans le fournil… Mais bon, il fait une baguette extraordinaire ! »[36]

Aujourd’hui, la transgression ne suffit plus à elle seule à faire la qualité esthétique et la fascination comme à l’heure de gloire de Matzneff. Elle continue cependant à la réhausser et à justifier une glorification de comportements légalement et socialement inacceptables quand ils sont le fait du commun des mortels. Ainsi la couverture des Inrocks de 2017 célébrant le retour sur scène et dans les bacs de l’artiste Bertrand Cantat, après son incarcération pour le meurtre de sa compagne Marie Trintignant, est exemplaire non seulement de la responsabilité des médias dans la romantisation de la violence patriarcale, mais de la glamourisation de la violence quand elle est le fait d’un artiste. Un portrait pleine page et le titre, énorme : « Cantat en son nom ». Dans une police plus petite, un extrait de l’entretien où Cantat parle de sa « reconstruction » après le traumatisme qu’il a vécu.

Au premier plan, donc, une couverture vendeuse au parfum de scandale qui exploite la double image de bad boy et de poète maudit qui a fait le succès du chanteur du groupe au nom bien mérité. Au second plan, une invitation à l’empathie pour « l’homme blessé », et l’appel à une écoute bienveillante de cette parole vulnérable. Johnny Depp a pu lui aussi assoir son retour à la lumière et aux affaires en 2022 en jouant sur la double image de l’homme blessé et même victime, et de l’homme violent – les ventes du parfum Sauvage, dont il est l’égérie, ont augmenté entre le moment où il a été reconnu coupable de violences conjugales et le moment où il a remporté médiatiquement son troisième procès en diffamation contre son ex-compagne Amber Heard[37].

Parmi les facteurs de risque spécifiques aux secteurs artistiques, les plus importants tiennent donc précisément au fait qu’être artiste autorise une posture transgressive vis-à-vis de la loi commune. Il faut ici nommer le poids de la « critique artiste » du capitalisme qui, depuis les années 1960, a tendu à prendre le pas sur sa « critique sociale »[38], selon la distinction établie par Boltanski et Chiapello dans Le Nouvel Esprit du capitalisme. Retraçant l’histoire du capitalisme et de ses critiques tout au long du XXe siècle, ils ont montré la façon dont le capitalisme s’est reconfiguré, tant du point de vue des modes d’organisation du travail que des valeurs mises en avant, pour incorporer et donc entraver les critiques portées contre lui par le mouvement de Mai 68. Là où la critique sociale, héritée du marxisme ou de l’anarchisme, dénonce le capitalisme comme source d’inégalités, de misère et d’oppression, la critique artiste qui a alors pris le pas (au moins jusque dans les années 2000) insiste davantage sur la société et le mode de vie bourgeois inauthentiques, conformistes et étouffants historiquement associés à ce mode de production. C’est donc particulièrement cette critique que le capitalisme a eu à cœur d’incorporer, pour rendre le capitalisme séduisant et désirable[39].

S’ils qualifient cette critique d’« artiste », ce n’est pas parce qu’elle serait maniée uniquement par des artistes, lesquels peuvent aussi manier la critique sociale. C’est d’abord pour souligner que le travail artistique, caractérisé par une organisation par équipe et par projet, et fondé sur un principe de « coopétition » (coopération compétitive), incarne à plein ce tournant sur le plan socio-économique[40]. C’est ensuite pour rappeler que cette critique s’appuie sur un discours sur l’art comme agent de transgression inspiré par l’idéologie de l’art héritée du romantisme et du Baudelaire des Écrits sur l’art. Face à une loi sociale réduite à une valeur bourgeoise qui castre la créativité et la liberté individuelles et coupe les ailes de la spiritualité à force de culte de l’utilitarisme, est valorisée la figure du poète maudit, qui transgresse cette norme, tel l’albatros « exilé sur le sol au milieu des huées »[41]. D’où une fascination durable pour les personnages et les artistes en rupture avec l’ordre et les conventions sociales bourgeoises et une tendance à héroïser les personnages de criminels[42], en tant qu’ils déterminent seuls et individuellement leurs propres valeurs, au risque de mettre dans le même sac justiciers hors-la-loi et hors-la-loi tout court.

Les risques qu’encourent les victimes tiennent aussi au fait que la reconnaissance de l’œuvre et le pouvoir de l’artiste et donc de la personne qui signe les œuvres sont inextricablement liés. C’est le talent ou plus exactement sa reconnaissance qui fournissent les opportunités et l’impunité aux artistes auteurs de violences. Bien sûr, le pouvoir est d’abord économique. Si Polanski a pu acheter le silence de sa victime en 1973, c’est parce qu’il avait de l’argent, gagné dans le cadre de l’exercice de son métier d’artiste. Mais si, après avoir pris la fuite, il a pu ne pas être inquiété, c’est du fait de son pouvoir économique et symbolique, lié à son statut d’artiste. Socialement, professionnellement, la réputation de l’homme Polanski est difficilement détachable de celle de son œuvre. En 2009, alors que le cinéaste venait d’être arrêté dans le cadre d’un traité d’entraide judiciaire pénale entre la Suisse et les États-Unis, le ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand, l’a d’ailleurs défendu en ces termes : « Roman Polanski est un cinéaste de réputation internationale […] et un homme merveilleux. »[43]

De façon significative, le double sens que prend le mot de réputation dit que le talent de l’artiste et la réputation de l’homme sont considérés comme indissociables, y compris par les défenseurs de Polanski. Cette citation dit aussi que le pouvoir symbolique passe par le fait de pouvoir compter sur des relais assez puissants pour soutenir médiatiquement leur version des faits. Mitterrand affirmait implicitement que Polanski ne saurait avoir fait ce dont il a pourtant été reconnu coupable, puisqu’il est un homme « merveilleux » et un artiste de talent. En l’occurrence, la position du ministre de la Culture ne s’expliquait peut-être pas seulement par la volonté de préserver, à travers la réputation d’un artiste de renom, une image idéalisée de l’art et des artistes. Elle peut aussi se comprendre comme un système de protection réciproque d’hommes de pouvoir qui trouvent normal d’abuser de cette position pour obtenir des rapports sexuels avec des personnes qui ne sont pas en position de consentir librement[44] : de l’impunité par cooptation.

D’autres défenseurs de Polanski se sont indignés sans motif caché de l’atteinte à la réputation d’un artiste talentueux. Ainsi de Nadine Trintignant, qui entendait « défendre Roman Polanski, immense metteur en scène qui a fait une quinzaine de chefs-d’œuvre »[45]. Dans les deux cas, le discours ne consiste pas tant à séparer l’homme et l’œuvre qu’à faire primer l’œuvre et à considérer qu’une grande œuvre de talent implique forcément que son créateur ne puisse mal agir… ou que ses mauvaises actions ne comptent pas. Pour autant, la mère de Marie Trintignant reprenait en même temps la thèse d’une contiguïté entre l’œuvre et la vie de l’artiste dans une argumentation reproduisant celle de Polanski lui-même.

Dans la première version du dossier de presse du film J’accuse, à la question de Pascal Bruckner : « en tant que juif pourchassé pendant la guerre, […] survivez-vous au maccarthysme néo-féministe d’aujourd’hui ? », l’artiste avait répondu en établissant un parallèle entre l’histoire de Dreyfus racontée dans son film et sa propre biographie : « Dans cette histoire […], j’ai retrouvé des moments que j’avais parfois vécus moi-même. Je peux voir la même détermination pour nier les faits, et me condamner pour des choses que je n’ai pas faites. »[46] Qu’importe qu’il ait plaidé coupable et que la justice l’ait condamné : sa parole niant les faits peut continuer à exister dans l’espace public sans être démentie, précisément parce qu’il est Polanski.

S’agissant des artistes auteurs d’œuvres et de violences, l’entreprise consistant à maintenir la dissociation entre l’homme/artiste et l’œuvre se fait d’ailleurs au prix de ce qu’on pourrait véritablement qualifier d’herméneutique clivée pour ceux qui défendent les agresseurs, et d’herméneutique dissociée pour les personnes qui ont des vécus de victimes (qu’elles en soient ou non conscientes). Ainsi, on oppose souvent les cas de Matzneff et de Polanski pour sauver ce dernier, non seulement parce que celui-ci aurait un talent et une œuvre de valeur indiscutables, mais aussi parce que l’écrivain aurait fait œuvre de ses frasques tandis que l’œuvre du réalisateur serait indemne, ne porterait aucune trace des pulsions, répulsions et crimes de l’homme.

Pour dire cela, il faut vraiment n’avoir pas vu Répulsion, Rosemary’s Baby, La Neuvième Porte, Lune de Fiel et La Vénus à la fourrure ou plutôt, il faut refuser de voir ce qui saute pourtant aux yeux : toute l’œuvre du cinéaste explore un imaginaire qui fascine précisément parce qu’il est saturé de représentations morbides et en partie misogynes de la sexualité hétérosexuelle et qu’il abonde en scènes de viol et en personnages de femmes folles et d’hommes violents. Loin de réclamer que cette œuvre soit censurée, il s’agit de permettre d’en finir avec une réception censurée ou plutôt dissociée de cette œuvre comme de tant d’autres. Il s’agit aussi de prendre la mesure que cette justification et cette tolérance collective ne sont évidemment pas sans effet, d’autant que, comme le souligne la psychanalyste Anne Dufourmantelle, les agresseurs « sont intelligents, ils savent jusqu’où ils peuvent laisser libre cours à leurs pulsions sans avoir d’ennuis. Ils agissent en fonction de leur degré d’impunité, qu’ils savent très bien évaluer »[47].

Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
Spectacle d’Étienne Gaudillère et Giulia Foïs
Création au Théâtre du Point du jour en janvier 2022
© Marie Charbonnier

La réputation et l’auctorialité doivent changer de camp

 

Au vu de tous ces éléments, on voit bien que le postulat selon lequel il faut séparer l’homme de l’artiste ou du moins de son œuvre ne tient guère debout sur un plan logique ou historique. La question est donc de savoir pourquoi il tient malgré tout, pourquoi tant y tiennent, et ce qu’il tient. Sans doute permet-il de faire écran à deux autres postulats, qui le sous-tendent mais que personne ne pourrait soutenir s’ils étaient affirmés au grand jour dans leur brutalité simple et triviale : il faut de la violence pour créer et cette violence du créateur est justifiée par le résultat esthétique de l’acte de création. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » et les chefs-d’œuvre produits par des « grands hommes », des artistes dotés d’un nom, comptent plus que la vie des simples mortel·les, des foules d’anonymes. C’est une dispute sur les échelles de grandeur qui se joue, sur la détermination de ce qui vaut plus, et justifie tout ou presque, vs ce qui compte moins, voire ne vaut rien. Et le discours sur la séparation de l’art et de la vie et la hiérarchie entre les lois de l’art et celles du monde sert de justification à cette hiérarchisation entre la réputation des grands hommes et particulièrement des grands artistes, et celle des gens ordinaires, comme le formule très justement Gadsby :

Vous savez ce qui devrait être la cible de nos blagues ? Notre obsession de la réputation. […] Vous savez qui bénéficie de cette adulation aveugle de la réputation ? Les célébrités. […] Donald Trump, Pablo Picasso, Harvey Weinstein, Bill Cosby, Woody Allen, Roman Polanski. Ces hommes ne sont pas des exceptions, ils sont la règle. Et ils ne sont pas seulement des individus, ils sont notre histoire. Et la morale de cette histoire, c’est : « On s’en tape. On se fout des femmes et des enfants. Ce qui compte, c’est la réputation d’un homme. » Et son humanité, alors ? Ces hommes contrôlent nos histoires. Et pourtant, leur lien avec leur humanité se réduit à vue d’œil et ça ne nous dérange pas, tant qu’ils conservent leur précieuse réputation[48].

On aurait tort de croire que l’on assiste aujourd’hui au renversement absolu de cette hiérarchisation. Les seules voix de victimes qui ont été entendues sont celles d’artistes reconnues, elles-mêmes déjà dotées d’un nom et d’une réputation. C’est le cas d’Adèle Haenel. C’est ce qui explique aussi pourquoi le premier mouvement #MeToo, lancé en 2006 par la militante féministe et travailleuse sociale africaine-américaine Tarana Burke, n’a pas pris comme le second, relayé et relancé en 2017 par l’actrice Alyssa Milano. La chape de l’omerta n’a pu être soulevée que parce qu’une grande quantité mais aussi une certaine qualité de voix se sont élevées en même temps. Il était plus difficile de les discréditer qu’une foule d’anonymes, ou de sortir l’argument habituel qui voudrait qu’elles mentent pour avoir leur quart d’heure de célébrité. Il était aussi plus facile pour l’opinion de s’identifier à elles, de se détourner un peu de l’empathie/admiration par défaut pour les grands hommes et leur version de l’histoire.

Ce qui fait cependant espérer l’existence d’un changement dans les cadres de réception tient à un autre fait inédit : récemment, quelques victimes ont acquis une réputation d’artiste et un nom du fait de la forme qu’elles ont donnée à leur dénonciation. Dire cela ne signifie pas que jusqu’ici, aucun geste de dénonciation des violences n’avait été dépourvu en soi de qualité. Ce n’est pas dire non plus que ce type de geste de dénonciation aurait par principe une valeur littéraire. C’est dire, en revanche, que les gestes esthétiques ayant ces questions pour objet et adoptant le point de vue des victimes ont été longtemps systématiquement dévalués par la critique, réduits au rang de témoignage ou d’événement à sensations. L’attribution d’une qualité littéraire au récit d’horreurs et le fait de considérer cette qualité comme la seule chose qui compte, et la seule chose à dire du texte, ne semblaient possibles que si le récit était fait du point de vue de l’agresseur.

C’est ce qui s’était passé au moment de la sortie du livre de Christine Angot, L’Inceste, en 1999. Alors même que l’autrice avait déjà publié six romans, le seul fait qu’elle aborde frontalement ce sujet lui a certes garanti un succès inédit. Mais ce retentissement avait eu pour contrepartie de la condamner à un malentendu dans la réception durable, et durablement entretenu par la critique. Certains n’ont voulu voir qu’un geste provocateur, voire racoleur, dans la mise en mots d’un vécu digne d’un fait divers. En témoigne une interview d’Angot par Thierry Ardisson[49]. S’il lui reconnaît d’emblée le statut d’« auteur », il s’intéresse bien plus au contenu de son texte qu’à sa forme et résume le livre en ces termes : « vous racontez votre inceste ». S’entame un dialogue de sourds, au cours duquel on voit Angot tenir sa ligne d’autrice, mais la tenir bien seule, quand elle affirme qu’« elle ne raconte pas un inceste et encore moins le sien », que « ce qu’il y a à écrire, c’est ce que les gens ne peuvent pas comprendre » et que, de manière générale, « elle ne raconte pas les choses, elle écrit ».

En 2020, au moment de la sortie du livre de Vanessa Springora, Le Consentement, sur sa relation avec Matzneff, la critique s’est montrée enfin prête à assouplir son échelle de valeur, à reconnaître que la dénonciation frontale et explicite de faits, formulée du point de vue de la victime, ne constitue pas une entrave irrémédiable à ce que ce geste soit aussi doté de valeur esthétique. Springora s’est vu attribuer une réputation et un nom d’autrice pour son livre. Ce n’est pas seulement la honte qui doit changer et qui change de camp, c’est aussi la focale du récit, de la réception, et l’auctorialité.

Prendre le pouvoir, ce n’est pas seulement prendre la parole, c’est prendre les mots, s’autoriser le geste créateur, et parler « en son nom ». C’est faire œuvre. Le write back, la contre-écriture, est un geste d’écriture tout court, ce qui n’empêche qu’il permet aussi de mettre l’agresseur « dans la prison d’un livre » (Springora) et de libérer la victime de la prison de silence où elle était jusque-là enfermée par l’impunité sociale et judiciaire de son agresseur (souvent préservée, elle). Mais le geste artistique et sa reconnaissance délivrent aussi du statut enfermant de victime, permettent à la personne qu’est l’artiste de reprendre sa liberté de sujet plein et entier.

Or, sur le chemin de cette libération, tout comme le problème n’a jamais été l’absence de prise de parole mais l’absence d’écoute, il faut s’ouvrir à la possibilité que le problème ne soit pas l’absence de qualité esthétique des œuvres concernées mais le refus de leur accorder ce statut. L’obtention par Angot du prix Médicis, le premier de sa carrière, en 2021, pour Le Voyage dans l’Est est à apprécier pour la même raison. Jusqu’ici, être un homme violent augmentait le prestige littéraire là où être une femme ayant subi cette violence redoublait la disqualification liée au seul fait d’être femme. Dans l’édition aussi, les temps changent et les échelles de valeur esthétiques avec, même si l’on attend toujours le #MeTooLittérature.

Une fois que l’on a reconnu que la thèse de la séparation entre l’homme, l’artiste et l’œuvre est à la fois discutable théoriquement et dangereuse concrètement, demeurent deux épineuses questions : que faire des artistes auteurs de violences et de leurs œuvres ? Et que faire des œuvres que l’on peut considérer comme violentes au sens où elles contribuent à conforter la culture du viol ?

 

Contre la culture du viol, pour une culture de la prévention

 

Ces questions commencent à se poser pour les pouvoirs publics et les professionnels de la culture. Dans les deux cas, le premier enjeu est le même : accepter de reconnaître la violence et de la qualifier comme telle. S’agissant des auteurs, considérer qu’ils demeurent libres de créer est une chose. Autre chose est qu’ils reçoivent de l’argent public ou soient autorisés à se produire sur scène et donc à être en pleine lumière, à s’exprimer dans l’espace public pour continuer à asséner une version des faits dans laquelle ils continuent à nier, euphémiser ou justifier les faits, à nier qu’ils sont contraires à la loi ou qu’ils en sont les auteurs.

Mais ces questions sont secondaires par rapport à celles-ci : quand considère-t-on que la violence est avérée ? Quand est-il légitime d’agir ? Sur ces points, un changement de paradigme est en cours. À mesure que l’on réalise le caractère structurel et massif des violences sexuelles, que l’on peut qualifier, avec le magistrat co-président de la Ciivise (Commission Indépendante contre l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) Édouard Durand, de « crime de masse », le règne absolu de la présomption d’innocence se voit limité par le rappel qu’il existe d’autres principes auxquels il faut faire droit, en particulier le principe de prévention.

Longtemps, on a considéré dans tous les milieux professionnels et en particulier les métiers artistiques, qu’il n’était ni nécessaire ni légitime d’agir. Cela allait sans dire – car le dire aurait été gênant – mais ça se faisait, ça se savait, ça se taisait. La tribune de Mouawad témoigne d’un état intermédiaire en défendant la thèse que la seule situation qui justifie de déprogrammer un artiste est celle où une procédure judiciaire à son encontre est en cours, et que cette mesure est temporaire, « jusqu’à ce que le travail de la justice ait été mené à son terme ». Ni Baro ni Cantat n’étant concernés – puisque la plainte contre le premier avait fait l’objet d’un classement sans suite et que le second avait purgé sa peine –, aucun problème ne se posait. Ce discours renvoie tout à la justice pénale et à la condamnation, étant entendu qu’en amont ou en aval de la condamnation, l’artiste accusé/condamné est libre de créer et que les programmateurs sont libres de le programmer. Cette délimitation est discutable pour plusieurs raisons.

D’abord, parce qu’on sait que la justice est faillible en la matière, pour ne pas dire en faillite puisque moins de 1 % des viols donnent lieu à une condamnation. Ensuite, s’agissant des deux artistes concernés : parce qu’un classement sans suite ne signifie ni que la plaignante a menti ni que l’accusé est innocent – c’est toute la différence entre la vérité judiciaire et la vérité tout court ; parce qu’on peut discuter du fait que justice ait été pleinement rendue (puisque Cantat a été accusé de violences psychologiques et physiques contre trois autres compagnes). Enfin, on pourrait discuter le fait que le droit à la réinsertion implique le droit à un retour au statut d’artiste qui tourne. Après tout, une personne dont le casier judiciaire n’est pas vierge se voit interdire l’accès à certains métiers. Pourquoi pas celui d’artiste, qui implique d’être applaudi pour l’expression de son intériorité et qui exerce une influence ? Ne faudrait-il pas a minima soumettre à quelques cadres leurs prises de parole publiques sur leurs parcours d’auteurs de violences ? Ces questions doivent être débattues collectivement. Il s’agit en tout cas qu’ils assument l’auctorialité de leurs actes délictueux ou criminels, et qu’ils ne soient plus autorisés à se prévaloir de leur œuvre pour les excuser.

Ces questions commencent à être débattues, et on note une évolution récente mais rapide de la situation ces dernières années, notamment grâce à la mise en place de nouvelles formations aux violences sexistes et sexuelles pour les employeurs. Jusqu’ici, toute l’argumentation était centrée sur le principe de présomption d’innocence, qui fait peser la charge de la preuve de l’infraction sur l’accusation et non sur l’accusé, comme si ce principe était le seul à prendre en compte pour respecter l’État de droit et comme s’il s’appliquait partout. On en faisait et on en fait encore, comme en ont témoigné les prises de parole des sœurs Bruni, un usage extensif et excessif : la présomption d’innocence ne s’applique que dans l’enceinte du tribunal au cours d’une procédure judiciaire. Dire dans la presse qu’une personne est coupable contrevient à ce principe, mais dire qu’elle est accusée ne l’est pas.

Par ailleurs, en regard de ce droit, il en existe un autre d’égale valeur normative[50], la liberté d’expression. Comme l’a jugé la Cour de cassation dans les affaires Preynat (2021) puis Joxe et Brion (2022), des personnes qui se disent victimes sont fondées à l’exprimer publiquement tant qu’elles font la preuve de leur « bonne foi » et dans la mesure où cette parole publique contribue au « débat d’intérêt général sur la dénonciation de comportements à connotation sexuelle non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes »[51]. En outre, le droit pénal n’est pas le seul qui s’applique si les violences sont commises dans le cadre professionnel. Le droit du travail s’applique aussi, en particulier la responsabilité employeur et le devoir de prévention des risques psycho-sociaux.

Or ce droit n’obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d’indices concordants suffit à déclencher l’action. Le fait qu’une personne soit multi-accusée est donc une justification suffisante pour considérer que sa présence constitue un risque et qu’il y a lieu de protéger les personnes travaillant dans la structure (artistes et employés du théâtre ou du festival, élèves d’écoles d’art), surtout s’ils sont dans un rapport de subordination avec la personne accusée. S’agissant des œuvres, tout dépend si l’auteur de violence est encore vivant et en activité et donc susceptible de commettre à nouveau des violences grâce à sa reconnaissance d’artiste. Un autre critère souvent pris en considération est la question de savoir si l’œuvre est ou non « contaminée » par la violence de son auteur.

On pourrait encore aller plus loin dans le recadrage, et interroger les violences commises par les œuvres indépendamment du fait que l’auteur soit violent ou non, et se demander par exemple en quoi les œuvres peuvent être considérées comme violentes elles-mêmes, parce qu’elles participent de la perpétuation de la culture du viol. Nous sommes aujourd’hui dans une double phase d’extension du domaine de #MeToo. D’une part, on prend la mesure que le problème, ce ne sont pas seulement les « gros porcs » à la Weinstein ou DSK, ce sont aussi les agresseurs à la petite semaine, ceux qui ont du « viol ordinaire » sur les mains mais pas encore sur la conscience, et plus largement tous les hommes patriarcaux – et toutes les femmes qui les soutiennent. D’autre part, on commence à réaliser combien ces modèles s’enracinent dans les représentations sexistes véhiculées par les représentations culturelles, qui normalisent et érotisent la violence masculine.

C’est tout l’enjeu des controverses suscitées par les œuvres du chanteur Orelsan[52] et plus récemment du dessinateur de BD Bastien Vivès. Sans entrer dans le détail, je pointerai quelques éléments. Un point commun, d’abord, entre ces deux affaires : toutes deux mettent en jeu la question des possibles effets dans le réel des œuvres et donc de leur responsabilité dans la diffusion de stéréotypes qui font le lit de violences de genre. Les procès intentés contre l’œuvre d’Orelsan, s’ils ont finalement abouti à une relaxe, ont montré que le droit pénal peut condamner des propos tenus dans des œuvres de fiction et ne les considère pas systématiquement comme couverts par principe par la liberté de création. Plusieurs plaintes ont en effet été déposées pour « injure publique envers un groupe de personnes en raison de leur sexe » et pour « délit de provocation à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur sexe ». Le jugement en appel de 2016[53] a certes relaxé l’artiste au motif que, si les propos de certaines chansons sont d’une extrême violence, ils ont été prononcés d’une part à l’encontre d’une personne fictive et d’autre part par un personnage fictif – Orelsan – et non par la personne réelle Aurélien Cotentin. Les juges ont aussi estimé que le rappeur n’avait incité personne à imiter ce comportement, concluant alors que, du fait de la distanciation entre les paroles, les images et le public, l’infraction n’était pas constituée[54].

Le premier jugement de 2013 insistait au contraire sur la contiguïté entre les œuvres et la vie réelle, s’appuyant à la fois sur les propos du chanteur qui a pu dire combien il s’identifiait à certains de ses personnages et sur l’effet possible de ces discours dans le réel. La condamnation était motivée par le fait que « la banalisation répétitive de la violence physique, morale et verbale à l’égard des femmes, dans des chansons qui s’apparentent à des chroniques d’un sexisme ordinaire qui véhiculent une image dégradée et dégradante de la femme, est d’autant plus dangereuse qu’elle s’inscrit dans un contexte ambiant où les dramatiques conséquences du machisme et des violences, tant physiques que morales et verbales, faites aux femmes, sont trop souvent admises, voire minimisées »[55]. Le jugement soulignait également que le chanteur avait lui-même reconnu dans plusieurs interviews « ne pas trop tricher » et s’inspirer fortement de sa propre vie pour écrire ses chansons. Ces deux verdicts successifs témoignent de la part interprétative du droit mais prouvent aussi la possibilité qu’offre le cadre juridique en vigueur de discuter des effets des représentations véhiculées par les œuvres dans la vie sociale en matière de violences sexuelles.

L’affaire Vivès interroge cette barrière de façon plus serrée encore, parce qu’il est question d’incitation à la pédocriminalité. Or, contrairement aux violences sexuelles à l’encontre des personnes majeures, le droit admet alors que la seule diffusion et la seule consommation de ce type d’images constituent en soi des crimes. Cette particularité ne vaut pas uniquement dans les cas où ce sont de vrais enfants qui « jouent »/participent à de véritables scènes de sexe (qui sont en ce cas des scènes de crime). Elle vaut aussi quand il s’agit de représentations fictionnelles, y compris quand les personnages d’enfants sont dessinés. Autrement dit, la justification n’est pas seulement la protection de l’enfance, c’est aussi l’effet que ces représentations peuvent produire dans le réel pour les personnes autrices de violences. Le raisonnement qui prévaut en matière de violences sexuelles contre les enfants considère donc qu’il existe un risque de lien de cause à effet entre consommation d’images pédopornographiques et passage à l’acte pédocriminel. Alors que l’agressologie progresse et que l’on appréhende mieux le caractère systémique des violences sexuelles et les trajectoires d’agresseurs avant et après leur majorité, le temps est peut-être venu d’interroger cette distinction radicale qu’établit pour l’heure le droit entre les agresseurs de personnes mineures et d’adultes.

 

Changer de cap ?
De l’intérêt supérieur de l’art à « People first, art second »

 

Pourquoi est-il si important de se poser la question des effets qu’ont les œuvres qui non seulement invisibilisent et normalisent, mais érotisent des schémas de séduction et de relation basés sur des formes de violence des hommes à l’égard des femmes ? Parce que le présupposé qui banalise ces scénarios au motif que « ce n’est que de la fiction », qu’il ne faut pas prendre le public pour des idiot·es et que les gens savent très bien faire la part des choses, n’est pas exact. L’idée que les œuvres n’auraient aucun effet dans le réel, parce que les récepteur·rices établiraient une séparation claire et nette entre les univers fictionnels et leur vie, est démentie par les recherches les plus récentes en neurologie. Elles ont au contraire mis en évidence que le cerveau humain ne fait pas la distinction entre événements réels et événements fictifs : notre réponse émotionnelle à un cauchemar est la même que celle à une situation réelle. De même, les émotions que l’on ressent face à une histoire de fiction sont les mêmes que celles qu’on ressent face à ce qui se produit dans notre propre vie. Dire cela n’implique évidemment pas qu’il n’existe aucune frontière entre fait et fiction. Mais, même les chercheur·ses qui, comme Françoise Lavocat, défendent cette frontière, conviennent qu’on ne peut opter que pour un « différentialisme modéré »[56], car on ne saurait nier que les fictions agissent dans le réel. Parce qu’elles influencent nos représentations, elles construisent des modèles, des paradigmes, des schémas, des structures, que l’on garde avec nous pour aborder la conduite de notre vie de tous les jours.

C’est depuis cette conviction que la notion de culture du viol a été élaborée par les théoriciennes féministes états-uniennes dans les années 1970, pour permettre de voir ou plutôt de ne plus ne pas voir la violence de certaines représentations. Parler de culture du viol n’implique ni de considérer que les œuvres induiraient directement tel ou tel comportement, ni d’interdire celles qu’on estimerait violentes. L’expression permet simplement, et tout l’enjeu du moment est là, de passer de la méconnaissance à la reconnaissance de la violence et de la culture de l’impunité à la culture de la responsabilité. Sans imposer de réponses toutes faites, elle ouvre des champs de questionnement passionnants pour penser des phénomènes complexes, comme le fait que des œuvres peuvent dénoncer les violences sexistes tout en souscrivant au régime de représentation sexiste, ou à l’inverse montrent ces violences sans y souscrire. Ces questions se posent à la fois aux créateur·rices et aux récepteur·rices des œuvres (et il faudrait distinguer les cadres de réception privée /de diffusion collective /de transmission à valeur normative, dans le cadre pédagogique notamment). Le chantier est immense. Il est vital. Ouvrons la boîte noire de nos imaginaires, en gardant à l’esprit ces deux slogans des collages féministes : « On ne naît pas violeur, on le devient » ; « On ne naît pas femme, mais on en meurt ».

 

Notes

[1] Le hashtag #MeToo a d’abord été lancé en 2007 par Tarana Burke, travailleuse sociale et militante féministe des droits civiques et des droits sociaux, pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles dont étaient victimes les (jeunes) femmes afro-américaines.

[2] Sur la notion de continuum de violences de genre et de continuum féminicidaire, voir Christelle Taraud (dir.), Féminicides. Une histoire mondiale, Paris, La Découverte, 2022 et Sylvie Pierre-Brossolette, « Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France », Haut Conseil à l’Égalité, 23 janvier 2023.

[3] Gisèle Sapiro, Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, Paris, Seuil, 2020.

[4] Sur la normalisation des rapports de séduction dans les métiers artistiques du spectacle vivant, voir notamment Raphaëlle Doyon, Les Trajectoires professionnelles des artistes femmes en art dramatique. Singularités des trajectoires & mécanismes du « plafond de verre », rapport d’enquête réalisé pour l’association HF Île de France, 2019.

[5] Voir, pour le spectacle vivant, les chiffres du rapport du Syndeac, « Les artistes femmes dans le spectacle public. Comptage 2020-2021 », site du Syndeac, 18 oct. 2022.

[6] Catherine Millet, Ingrid Caven, Catherine Deneuve et alii, « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », Le Monde, 9 janv. 2018.

[7] Cellule créée en 2020. Audiens est un organisme paritaire à but non lucratif qui sert de protection sociale des professionnels de la création et de l’information.

[8] Depuis 2021, le code du cinéma et de l’image animée prévoit que « l’attribution et le versement de toute aide financière sont subordonnés au respect, par la personne bénéficiaire, de ses obligations de prévention du harcèlement sexuel et de mise en œuvre de mesures propres à y mettre un terme et à le sanctionner, résultant des dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-6 du code du travail. » Sur les obligations des employeurs dans le spectacle vivant, voir le site d’Arcena : « Violences et harcèlements sexuels et sexistes. Cadre légal et lieux ressources ».

[9] « Ouverture du vote et Cérémonie des César 2023 », communiqué de presse de l’Académie des César, 2 janvier 2023.

[10] La comédienne et réalisatrice déploie ce point de vue dans un documentaire consacré à la réalisation de son film : Karine Silla Perez et Stéphane Milon (réal.), Des Amandiers aux Amandiers, prod. Agat Films & Cie et Ad Vitam, 62 min., couleurs, 2022.

[11] « Annulation de la production des Émigrants », communiqué de la Comédie de Genève, 2 juin 2023.

[12] Jacques Livchine, post Facebook, 16 juin 2023.

[13] Cassandre Leray, « Michel Didym accusé de harcèlement et de violences sexuelles : ‘‘On sait qu’il a des problèmes avec les jeunes femmes’’ », Libération, 1er oct. 2021.

[14] Voir Séphora Haymann et Louise Brzezowska-Dudek (dir.), #MeTooThéâtre, Montreuil, Libertalia, 2022.

[15] Roselyne Bachelot, « L’invité de 8h20 : le grand entretien », animé par Nicolas Demorand et Léa Salamé, France Inter, 18 oct. 2021.

[16] Wajdi Mouawad, « Je refuse de me substituer à la justice », tribune initialement publiée sur le site de la Colline puis reprise dans Sceneweb.fr, 19 oct. 2021.

[17] Involuntary celibates.

[18] Gisèle Sapiro, Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, op. cit., p. 12.

[19] Marcel Proust, « La méthode de Sainte-Beuve », dans Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, coll. Folio/Essais, [1954] 1987, p. 127.

[20] Ce n’était toutefois pas le cas de Sainte-Beuve, qui anticipait plutôt une forme de critique attentive à la genèse des œuvres et à une approche sociologique.

[21] Voir Marc Escola, « Dix variations sur l’autorité de l’auteur », Atelier de théorie littéraire, site Fabula, 2002.

[22] Bernard Lahire, « Auctor in opere suo : problématique existentielle, problématique littéraire », dans Bernard Lahire (dir.), Ce qu’ils vivent, ce qu’ils écrivent. Mises en scène littéraires du social et expériences socialisatrices des écrivains, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 2011, p. 9-37.

[23] Marc Hersant, « Chénier, Eschyle, Ronsard, etc. : les classiques en procès », Transitions, 6 juillet 2019.

[24] Bernard Lahire, « Auctor in opere suo : problématique existentielle, problématique littéraire », art. cité, p. 9.

[25] Maxime Cervulle, « Deux ou trois choses que je sais d’Eve », préface de Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard, trad. Maxime Cervulle, Paris, Amsterdam, [1990] 2008, p. 14.

[26] Stuart Hall, « Signification, représentation, idéologie : Althusser et les débats poststructuralistes » [1985], Raisons politiques, vol. 48, n° 4, 2012, p. 131-162.

[27] Ibid.

[28] Hannah Gadsby, dans Madeleine Parry et Jon Olb (réal.), Hannah Gadsby : Nanette, spectacle écrit et joué par Hannah Gadsby, Netflix, 69 min. couleurs, 2018.

[29] Emmanuel Pierrat, « Qu’est-ce que l’originalité ? », blog d’Emmanuel Pierrat « Chronique juridique » hébergé par Livres Hebdo, 20 mars 2014.

[30] Voir Gisèle Sapiro, Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?, op. cit.

[31] Virginie Despentes, « Césars : ‘‘Désormais, on se lève et on se barre’’ », Libération, 1er mars 2020.

[32] Voir Suzette Boon, Kathy Steele et Onno van der Hart, Gérer la dissociation d’origine traumatique : exercices pratiques pour patients et thérapeutes, trad. Manoëlle Hopchet, Serge Goffinet et Michelle Depré, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, coll. Carrefour des psychothérapies, 2014.

[33] Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, Presses Universitaires de France, 1967, p. 67.

[34] La « désistance » est le terme employé, principalement par l’institution judiciaire mais aussi par certains psychologues travaillant sur les violences sexistes et sexuelles, pour qualifier les facteurs et parcours qui permettent de sortir de la délinquance, par opposition à la récidive.

[35] Bernard-Henri Levy, « Pourquoi je défends Polanski », Le Point, 8 oct. 2009.

[36] Blanche Gardin, cérémonie des Molières, 29 mai 2017.

[37] Voir Bérénice Hamidi, « La blonde, la brute et le backlash : sur le procès Depp/Heard », AOC, 9 juin 2022.

[38] Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, coll. NFR Essais, 1999.

[39] Eva Illouz a ensuite prolongé cette thèse dans : Eva Illouz, Les Sentiments du capitalisme, trad. Jean-Pierre Ricard, Paris, Seuil, 2006.

[40] Pierre-Michel Menger et Michel Surya affineront ensuite cette thèse : Pierre-Michel Menger, Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil, coll. La République des idées, 2002 ; Michel Surya, Portrait de l’intellectuel en animal de compagnie. De la domination, 3, Tours, Farrago, 2000 et Portrait de l’intermittent en supplétif de la domination. De la domination, 4, Paris, Lignes, 2007.

[41] Charles Baudelaire, « L’Albatros », Les Fleurs du Mal, Paris, GF-Flammarion, [1861] 1991, p. 62.

[42] Je remercie Caroline Julliot pour ses éclairages sur le romantisme littéraire.

[43] Frédéric Mitterrand, point presse, 27 sept. 2009.

[44] Voir Frédéric Mitterand, La Mauvaise Vie, Paris, Laffont, 2005, p. 293-307.

[45] Nadine Trintignant, journal de BFMTV, 13 nov. 2019.

[46] Voir Benjamin Puech, « À nouveau accusé de viol, Roman Polanski a changé sa communication de J’accuse », Le Figaro, 13 nov. 2019.

[47] Anne Dufourmantelle, dans Anne Dufourmantelle et Laure Leter, Se Trouver. Dialogue sur les nouvelles souffrances contemporaines, Paris, J.-C. Lattès, 2014, p. 86.

[48] Hannah Gadsby, Hannah Gadsby : Nanette, op. cit.

[49] Entretien avec Christine Angot réalisé par Thierry Ardisson, Tout le monde en parle, France 2, 13 nov. 1999.

[50] « Pourvoi n° 19-21.718 », jugement de la Cour de cassation, 6 janvier 2021 : « Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. »

[51] « Pourvoi n° 21-16.497 », jugement de la Cour de cassation, 11 mai 2022.

[52] Je remercie Réjane Sénac pour ses éclairages sur l’affaire Orelsan.

[53] 8e chambre CA Versailles, 18 février 2016, n° 15/02687.

[54] 8e chambre CA Versailles, 18 février 2016, n° 15/02687.

[55] 17e chambre corr. du TGI de Paris, 12 juin 2012, n° 0909823043.

[56] Françoise Lavocat, Fait et fiction. Pour une frontière, Paris, Seuil, 2016.

 

 

L’autrice

Professeure en études théâtrales à l’Université Lyon 2 et membre honoraire de l’IUF, Bérénice Hamidi est notamment l’autrice des Cités du théâtre politique en France depuis 1989 (L’Entretemps, 2013) et a dirigé les collectifs Troupes, compagnies, collectifs dans les arts vivants (avec Séverine Ruset, L’Entretemps, 2018) et Le Théâtre face aux dictatures (avec Alexandra Moreira Da Silva, Les Solitaires Intempestifs, 2022). Elle est membre du bureau éditorial de la revue thaêtre et collabore régulièrement à la revue AOC. Ses recherches portent sur les tensions entre rapports de domination et processus d’émancipation dans les arts vivants et sur les enjeux politiques des représentations culturelles. Pour les étudier, elle croise études théâtrales, études culturelles et sociologie dans une perspective intersectionnelle attentive aux controverses actuelles (autour du blackface, du male gaze ou de la culture du viol) et aux conflits de valeurs esthétiques et politiques qu’elles révèlent.

 

Pour citer ce document

Bérénice Hamidi, « Séparer l’Homme, l’Artiste et l’Œuvre. Déni, clivage et dissociation », thaêtre, mis en ligne le 13 juillet 2023. URL : https://www.thaetre.com/2023/07/13/separer-lhomme-lartiste-et-loeuvre/

 

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Séparer l’Homme, l’Artiste et l’Œuvre

 

 

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