Jouer Martillimi Lopez

Retour sur Machin la Hernie de Sony Labou Tansi

Entretien réalisé par Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini

 

 

Extraits de Machin la Hernie
Texte de Sony Labou Tansi, mise en scène de Jean-Paul Delore
Octobre 2017, Le Tarmac (Paris)
Réalisation de Julie Peghini et image d’Arnaud Alain

 

 

 

Dieudonné Niangouna, auteur, metteur en scène et comédien congolais, découvre le théâtre de Sony Labou Tansi à l’âge de 10 ans en lisant La Parenthèse de sang[1] dans la bibliothèque de son père, le grammairien Augustin Niangouna. À 12 ans, il lit la version de Machin la Hernie publiée au Seuil sous le titre L’État honteux. Fasciné par l’écriture de Labou Tansi, par sa capacité à « refabriquer » la langue pour rester fidèle à sa pensée[2], enfant, il guette, pour y assister, la moindre répétition à Brazzaville de son aîné et de sa compagnie théâtrale. En 2015, dans Sony chez les chiens[3], il dit dans ces termes le rapport étroit qui lie sa propre œuvre à l’œuvre et à la personne de Labou Tansi :

J’ai dit à Sony Labou Tansi : T’inquiète, mon vieux, je fais mon œuvre mais je termine la tienne. L’autre fois encore, l’autre fois encore, encore, il m’a dit alors qu’il était déjà mort : Hé ! tu sais, Dido, pourquoi des points de suspension dans Machin la Hernie ? Parce que c’est toi, mon vieux, parce que c’est toi. Ainsi parlait Dido dans ces points qu’on dira, qu’il me dit le Sony. Parce que, Dido, tu vois comme tu parles façon mitraillette, c’est même Machin la Hernie avec sa virtuosité de flinguer la ponctuation et anticiper l’alphabet du corps par la langue qui s’émeut…

En octobre 2017 à Paris, et en novembre 2019 à Toulouse, Dieudonné Niangouna, alias « Dido », dit sur scène « façon mitraillette » le monologue du potentat Martillimi Lopez de Machin la Hernie dans une mise en scène de Jean-Paul Delore. Si le personnage de Martillimi Lopez est inspiré à Sony Labou Tansi par la figure de Mobutu Sese Seko (1930-1997), le dictateur du Congo-Kinshasa (la République Démocratique du Congo où il est né), Dieudonné Niangouna ne manque pas de lui associer la figure de l’actuel Président du Congo-Brazzaville (la République du Congo où est mort Labou Tansi), Denis Sassou-Nguesso. Fondateur du Festival « Mantsina sur scène » de Brazzaville[4], Dieudonné Niangouna est interdit de séjour au Congo-Brazzaville à la suite de la lettre ouverte qu’il a adressée à Sassou-Nguesso, sous le titre « Nous ne sommes pas tous Néron »[5] pour s’opposer au coup d’État constitutionnel de 2015.

L’entretien qui suit a été réalisé le 20 février 2019, suite à la représentation de Machin la Hernie sur la scène de La Fabrique à l’Université de Toulouse 2 dans le cadre du Festival « Corpus Africana » organisé en 2018 par le Centre chorégraphique James Carlès et le Consortium universitaire EuroPhilosophie. Nous avons tenté lors de la retranscription de l’entretien de conserver autant que possible la manière de parler de « Dido », cette « façon mitraillette » qui le fait parler dans les points de suspension de Machin la Hernie[6].

 

 

Dans la préface de son édition de Machin la Hernie, Nicolas Martin-Granel cite un échange entre Françoise Ligier et Sony Labou Tansi du 21 décembre 1973 dans lequel Sony affirme que le Général Mobutu « prend le pays pour un coin de son sexe »[7]. Dans quelle mesure le personnage de Martillimi Lopez, qui identifie la nation à sa hernie, est-il inspiré par la figure de Mobutu Sese Seko ? Y a-t-il une identité nationale congolaise hors de cette identification du pays à la hernie de son dictateur ?

C’est très intéressant de parler d’identité nationale ! Pour un type comme moi qui n’en a pas, c’est quelque chose qui me passionne, qui me questionne, parce que je vois les gens la revendiquer, je vois les gens la trouver, la fabriquer, tu vois… C’est intéressant. Un type comme moi n’a pas d’identité nationale. Je n’en veux pas d’ailleurs. Je viens du Congo. Donc je comprends très bien pourquoi certains peuvent s’attacher à créer, à vénérer une forme d’identité, à se définir d’abord comme une identité liée à une nation… Pas seulement une identité à soi. Le soi, ils le trouvent justement à l’intérieur de la nation, à l’intérieur de leur nation, de leur État. Ce ne sont pas des identités étatiques, ce sont des identités de nation. C’est intéressant de voir comment ils sont arrivés à ça avec toutes les histoires qu’ils ont eu à vivre… Bon. Sachant que moi, si j’avais une identité, ça serait une identité de Dido. Il n’y aurait pas de nation à l’intérieur, tu vois… Et ce n’est pas parce que je repousse la nation congolaise. Mais je n’en ai pas besoin. De toute façon, le Congo ne s’est pas fabriqué en termes de nation…

La hernie de Martillimi Lopez, c’est le pays…

C’est la nation. C’est plus que le pays… C’est la nation. Voilà pourquoi Martillimi Lopez dit toujours « maman nationale », « Carvanso national »[8]… Ce n’est pas « maman étatique »… C’est « maman nationale », « Carvanso national », « Vauban national »[9]… National ! Et ce qui est très beau avec le personnage de Martillimi Lopez à cet endroit de l’identité nationale, c’est qu’il n’y en a pas dans son pays ! Son pays, c’est comme le Congo. C’est lui qui en rêve. Il veut créer une identité nationale, pour Zamba-Town[10], sa ville natale. « Zamba », en lingala[11], veut dire « forêt ». Donc c’est la ville forestière. Mais pas seulement la forêt dans le sens géographique… En fait, Sony voulait dire Jungle-Town. Il voulait parler de la jungle, mais pas de la jungle dans le sens de la forêt. Sony voulait parler de la loi du plus fort… C’est le sens expressif des choses qui tuent.

Ce que Sony appelle « l’enfer » dans La Vie et demie, la société des hommes opposée au monde de la forêt[12] ?

Non pas l’enfer, mais la loi de la jungle. Martillimi Lopez, lui, veut créer une identité – pas seulement pour le bonheur de la nation, mais parce qu’il veut rester éternel –, donc il invente une identité qui lui est propre et tout le monde doit rentrer dedans. Exécution ! Comme ça, il restera l’éternel « Papa national ». C’est la république-à-papa. La nation-à-papa. Donc il crée ça. Et l’on sait comment Sony a toujours été intéressé par Mobutu… Pas intéressé par la politique de Mobutu, mais par Mobutu comme spécimen. Ce que fait Mobutu en créant le Zaïre – avant, ce n’est pas le Zaïre –, c’est qu’il nationalise tout… En fait, il mobutise tout… Il appelle le théâtre national, le théâtre Mobutu Sese Seko, le ballet national, le ballet Mobutu Sese Seko… Le fleuve Congo devient le fleuve Zaïre, la monnaie aussi… Et tout ce qui est, les grands machins, les grandes artères du pays, les grands boulevards… Hôpital Général Mama Yemo… C’est maman nationale, sa mère… Donc Sony, ça l’intéresse.

Maman nationale, c’est aussi sa femme ?

Non, non. Mama Yemo, c’est sa mère.

Quand Martillimi Lopez dit « maman nationale », c’est toujours sa mère ?

Toujours. L’épouse ne fait pas le poids dans cette dramaturgie. C’est la mère qui compte.

La femme de Mobutu, on l’appelait « maman présidente » aussi…

Oui, « maman présidente », mais elle n’est pas « maman nationale ». Maman présidente, c’est comme quand on dit « première dame ». Mais elle n’est pas une sainte. Ce n’est pas une Marianne. La Marianne, c’est maman nationale, donc la mère de Mobutu. Dans un documentaire, Mobutu roi du Zaïre[13], Mobutu l’explique très bien : « Ma mère, Mama Yemo, a nourri tout le monde dans ce pays. Et moi je me considère comme un digne fils de ma mère. Je suis aimé et adoré… » Mais quand il dit que Mama Yemo a nourri tout le monde, c’est pour dire qu’elle l’a nourri, lui ! Et comme c’est lui qui a créé tout ça, donc maman nationale a nourri tout le monde ! C’est mathématique !… Le parti, c’est lui. Le parti, c’est lui personnellement. Le pays c’est d’abord lui, avant tout lui, c’est en lui. Et vous tous êtes des petits éléments de son lui. Dans son bide. Donc l’identité dont parle Martillimi Lopez, c’est une nation-ventre qu’il crée… C’est par lui, avec lui et en lui, c’est son ventre. Il crée une nation-ventre. Et c’est son ventre. Et la seule personne à qui il peut rendre des comptes, ce n’est pas Dieu, c’est sa mère. Maman nationale. Et on le voit très bien dans Machin la Hernie : quand il pleure, il va voir maman nationale. « Maman nationale me console et me dit… »[14] Parce que, le pays, il le crée à partir de son ventre, et lui, il est un élément du ventre de sa mère. Donc, le seul ventre qu’il y a au-dessus de son ventre, c’est maman nationale, la mère de la nation, pas la femme de la nation. Martillimi est la nation, sa mère est maman nationale. C’est une histoire de ventre !

Donc c’est un ventre dans un ventre…

Oui, Martillimi Lopez, fils de maman nationale, est un ventre dans un ventre… Et le pays est dans son ventre à lui. C’est-à-dire que le pays est enfermé dans la nation, coincé dans ses reins. Il chauffe sa hernie. Donc, n’existent véritablement que maman nationale, et lui.

C’est donc un ventre stérile aussi ?

Le sien est stérile, oui. C’est une identité autocentrée, et dans laquelle il convoque le peuple ou, plutôt, il invente l’ex-peuple. Le peuple existait avant. Il lui enlève son existence, efface son histoire, invente un futur kaki. Et c’est son eau boueuse. Tout ce qu’il a dans son bide. Truc devient mon bras droit national. Truc devient mon Carvanso national. Truc devient ministre de mes testicules. Truc devient ministre de mes machins. De mes. Vous vous occupez de mon ventre. C’est ça, vos fonctions.

Et pourquoi parle-t-il sans cesse de son « eau boueuse » ? « L’eau kaki »…

Parce qu’il est impuissant ! Mais pas politiquement. Il est impuissant biologiquement. Il ne peut pas reproduire… Il a eu une infection, à 14 ou 15 ans, qui lui a bousillé quelque chose.

C’est pour ça qu’il est souvent à l’hôpital ?

Oui, bien sûr. Et ce qui est beau avec Sony, c’est qu’il a pris ce personnage-là, qui avait cette forme d’infirmité… Parce que lui le considère comme une infirmité, Martillimi lui-même… Et du coup, Sony a donné une forme corruptible à l’esprit de ce personnage, en le créant avec un manque pour qu’il ait un complexe. C’est comme Sassou[15] qui ne peut pas avoir d’enfants avec madame Sassou, mais qui peut avoir des enfants avec toutes les femmes de la terre. Il en a, Sassou, des gosses partout… Mais il a été incapable d’en faire avec Antoinette… Avant lui, Antoinette en avait eus… Mais ensemble, ils n’ont jamais sorti un enfant. Alors que tout le monde sait très bien que Sassou aime avoir des enfants… Plus que ça, il adore en faire !

C’est très important, cette histoire de l’infirmité, du manque…

C’est le Richard III de Shakespeare qui est né bossu et qui est laid. Il a beau être tyran, tout ce que tu veux, il est laid. Son visage fait fuir les oiseaux. Il peut tout faire, mais ça, il ne peut pas réparer. C’est un complexe inique qui est très fort. Donc Sony crée Martillimi avec ce manque-là, et un manque qui le fait chier, lui Martillimi Lopez, qui lui donne des accès de colère incroyables. Il en veut à la providence, à la nature, à tout ce que tu veux. Pourquoi ça lui est arrivé à lui ? Lui qui est le digne fils de sa mère, tel qu’il se le raconte…

Et du coup comment peut-il créer ?

Il peut créer artistiquement. Politiquement. Spirituellement. Il peut créer un pays, un système…

C’est pour ça que tu parlais de spectacle ?

Oui ! Ce n’est que dans le spectacle qu’il peut générer des choses. Ce n’est que là qu’il peut produire. Sa politique est une dramaturgie, son système, une mise en scène, la tragédie est écrite, éditée, répétée par des acteurs kaki et jouée ! Le spectacle fonctionne ! Il y a prolongation des dates ! Les foules sont en extase au stade Alberto Sanamatouf « que les « flamants » avaient becqueté »[16].

Donc, c’est déjà un acteur ?

Ah, mais c’est un acteur talentueux, tout à fait, doublé d’un metteur en scène de haut niveau, triplé d’un dramaturge champion du monde. Son théâtre est bien de ce monde.

Et donc toi quand tu joues… tu es quoi ?

Quand je joue Martillimi Lopez ?

Tu joues un acteur ?

Oui, je joue un acteur pour trouver le personnage. Car Martillimi joue à être Martillimi Lopez fils de maman nationale ! C’est-à-dire… Il est très difficile de rentrer dans la peau de Martillimi Lopez sans concevoir l’acteur qui est en lui. Et je trouve que ça serait même une erreur. On peut toujours essayer de le faire, mais ça serait une erreur, parce qu’en fait, interpréter ce personnage d’une manière très classique – comme si on entrait dans l’intériorité d’un personnage lambda, tout le blabla… –, au début ça peut marcher, mais au bout de quinze minutes, le même jeu se retourne contre toi, parce que c’est vraiment un casse-tête chinois. La première chose qui se retourne contre l’acteur, c’est la langue. Cette langue-là est tellement fleuve que tu ne peux pas la contenir, la maîtriser comme ça, pour la faire passer dans un canal. On ne peut pas faire rentrer Dieu dans une boîte à chaussures. Il ne prendra pas son pied. À l’intériorisation, Martillimi est inlocalisable. C’est une de ses richesses fabuleuses. Mais « fabuleuses » au sens strict du mot, au pied de la lettre. C’est pire encore qu’un grand fleuve. C’est un barrage qui a sauté, et l’eau déferle partout. Donc il n’y a pas de conduit, ça déferle, ça commence par une explosion, il y a un tsunami, tu ne peux pas contrôler toute cette eau kaki avec tous les coups d’État de ses tirailleurs quand sa hernie part en vacances… La psychologie du personnage du théâtre traditionnel ne te sert plus à rien ici ! Sony a écrit à partir du ventre de Machin, du ventre de Martillimi Lopez, sans distance pour opérer la dimension tragique du nez collé au pare-chocs… C’est Martillimi qui est dans son intériorisation, Sony parle du dedans de lui. C’est en ça qu’il est théâtral à mort ! Mais attention, il ne faut pas en faire du théâtre ; ça serait une erreur de plus. Il faut le faire comme une opération ! Mathématique et militaire ! Il faut le faire de façon scientifique et poétique ! Il faut le prendre avec une fausse distance à soi, mais sans chercher à être bien en soi, et le secouer avec aucune distance entre soi et lui, et de lui en lui. Sony l’a écrit sans mettre de gants.

C’est comme s’il crevait… ?

Oui, Sony arrive à l’intérieur, et il fait dynamiter le ventre de Martillimi Lopez. Et tout ce qui en sort, tout ce qui en jaillit, c’est l’eau kaki, la sécrétion de sa hernie nationale. Tout ce qui éclate comme ça… c’est de la furie laiteuse. Vachement liquide. C’est chaud ! Bien chaud ! Ça brûle ! Et ça coule quatre-vingt mille huit-cent-trente-deux mètres cubes par seconde. C’est de la vie à mort ! Oui, comme si Sony crevait en direct, là, sous nos yeux.

C’est une bombe, en fait ?

C’est une bombe, oui… Et tu ne peux pas la raconter en incarnant simplement un personnage. Parce que ce personnage-là n’est qu’un morceau de viande projeté par l’éclatement de son ventre, qui s’ouvre comme ça : PAAAM !… Voilà pourquoi je ne veux pas l’aborder en termes d’incarnation. Je veux l’aborder en termes de texte. Un tsunami de paroles qui pète la couche d’ozone et walou terminé ! En fait, c’est le texte qu’il faut manger. C’est le texte que je dois prendre comme on avale une bombe pour que moi, Dieudonné Niangouna, j’explose ! Je deviens l’explosion, et le tsunami peut déferler en faisant péter les murs du théâtre. Là seulement, il y a osmose entre l’explosion de Martillimi Lopez et l’explosion de l’acteur sur scène, tu comprends ? Le corps doit être cassure, bloc puis débris, érection puis patatras. Je ne sais pas si je me fais comprendre ? Parce que chaque chose que touche Martillimi, Lopez la fait péter et le fils de maman nationale le raconte. La seule entité qu’il ne fait pas péter, c’est maman nationale. Martillimi ramasse une fille dans un bar, et déjà il commence à lui écrire des poèmes ! « Ma fille, ah ma fille… »[17] Il a des yeux comme ça. Et son désir monte à la tête, et ça explose ! Puis Carvanso arrive et vient lui dire un truc, et ça le rend fou. Même l’information, il la fait péter. Il fait tout péter. Tout est explosion. Martillimi est très expressif. Et c’est boule de neige sur boule de neige, et ça éclate, ça éclate, ça éclate… Même ce qu’il aime, il le fait exploser ! C’est une bombe super Sonyque… Une kyrielle de bombes ! Et c’est jamais Martillimi qui meurt. Il fait l’amour, puis il tue. Il garde simplement le plaisir pour ne pas être dépendant de l’amour… Avec ce côté mante religieuse… Et il y a aussi de l’araignée en lui, et de la pieuvre également, et puis c’est un vampire… Il a plein de tentacules, il a des dents comme il faut pour ce genre d’exercices, tout le monde est bloqué dans sa toile. Il touche toujours plusieurs choses en même temps. Et toutes ces choses éclatent. Il infecte tout. Il fait pourrir tout ce qui est autour. La décomposition est impériale ! Tu ne peux pas être sain et sauf, de moralité bien-pensante dans la ville de Zamba-Town, impossible, Martillimi t’a déjà pollué. Il n’y a pas une seule personne à sauver dans Machin la Hernie. Pas une seule ! Parce que tous, à l’exception de maman nationale, sont dans son ventre. Et son ventre est pourri d’eau kaki. C’est Alien !

Machin la Hernie

Sony Labou Tansi


 

Carvanso entre avec cette fille, qu’il regarde avec des yeux gourmands, et tu es belle, il lui caresse le visage et le menton, et tu es belle, tu es la fête du monde, tu es le centre de la création, tu résumes l’univers, ma fille ah ma fille, il se jette dans un fauteuil ; dix minutes qu’il la regarde, ses yeux s’emplissent de larmes pour ma fille ah ma fille, et pourtant je suis le président, mais ton corps, avec tes formes qui me bafouent, ton odeur, tes yeux qui me brouillent, tout l’amour que tu mets dans mes reins, toute l’eau que tu jettes en moi, ma fille ah ma fille, ton ombre, tes cuisses, épelle-moi ton corps, et il lui parle de Farlanso, gamine nationale à qui j’ai proposé ma hernie et mon eau kaki, mais qui m’a dit que monsieur le président je n’ai pas un vagin de circonstance, il lui parle de mon frère Bani Mourtansa qui s’est tué pour Maria Santos de ma hernie, il boit trois doses de ma boisson personnelle, fume un cigare, fait le simulacre de s’intéresser à cette version de mon visage que la télévision distribue à mes frères et chers compatriotes, et il soupire que le président est un malheureux national, il lit la demande de grâce de l’ex mon colonel Dimando Ferreira qui a voulu raturer ma hernie, il allait se fâcher mais ma fille, la femme c’est le sommet du monde, et sois bonne sois bonne, il touche ton ventre d’ange que j’ai toujours inventé, imaginé, résumé, ma fille ah ma fille, il lui récite les vers de mon poète Rizini Montano qui a dit les plus belles choses du monde, il essaye de savoir à quel moment la réalité devient un rêve, et vice versa, et une fois encore il cite mon poète Rizini qui a dit que l’imaginaire devient cette honteuse façon de dire la réalité, mais je ne sais pas pourquoi je dis toutes ces choses, je suis fou de toi, fou fermé, je vais t’emmener au « Musée de la femme » que j’ai construit à ton honneur, mais monsieur le président comment peux-tu construire des musées pendant que ton peuple crève de faim, pendant qu’il n’y a plus de médicaments dans les hôpitaux, pendant qu’il n’y a plus assez de locaux scolaires, pendant qu’il n’y a plus d’eau potable dans les villes, pendant que nous devenons les plus grands producteurs mondiaux de cadavres frais, mais ma fille tu chantes la chanson des niais, il y a des plus malheureux que nous, et petit à petit ma hernie fait son nid, nous sortirons de la misère, nous sortirons de notre situation honteuse, il lui parle de mon collègue du pays voisin qui a donné la date où la misère serait chassée de son pays, mais la date est passée, la misère n’est pas sortie, et non ma fille on ne peut pas donner un délai à notre condition honteuse, mais petit à petit ma hernie fait son nid, et laisse-moi à la merci de ton odeur, laisse-moi devenir la machine à parler ton corps, il lui touche la gorge en avalant la salive, parce que ma fille tu es juteuse, il lui touche le nombril, puis les crins, il regarde sa main qui coud le rêve sous sa robe de mousseline, qui prend cette chaleur, qui se saoule de crins, il avale une belle salive de mâle, sa voix s’éteint lentement, mais non monsieur le président, je ne suis pas venue pour coucher avec vous, elle se lève et lui tourne le dos regardant dans le miroir en face d’elle comme c’est laid un homme, parodie sans doute, parodie de chair, derrière ces formes barbares, elle devine la suspension de cette viande à la matière générale, quel alibi la fonction mâle, alibi qui cache mal la fragilité générale, et j’en ai assez, j’en ai plus qu’assez ! il sort le P.A. qui dormait dans son ceinturon et répète que j’en ai plus qu’assez, et va te faire foutre, il lève la main, elle regarde l’arme dans le miroir, le doigt se pose sur la gâchette, elle voit que le doigt tremble, le doigt gèle, elle pense que le crime est peut-être un jeu d’enfant, il répète que j’en ai assez et plus qu’assez, ses dents se ferment durement les unes sur les autres, il parle sans les desserrer, ses yeux ont rougi, la sueur baigne son front, sa hernie s’est dilatée dans sa musette kaki, il crie que j’en ai plus qu’assez, le chargeur part en même temps que le cri.

 

Sony Labou Tansi, Machin la Hernie,
Paris, Revue Noire Éditions, 2005, p. 272-274.

Cette pollution, cette contamination, c’est de la prédation sorcière ?

Il y a tout. C’est ça qu’il faut comprendre avec ce personnage. Là où c’est intéressant, c’est qu’il n’est pas mono-machin. La seule chose qui est « mono », c’est le pouvoir. Mais surtout, surtout, il ne faut pas qu’il se donne une identité qu’on peut facilement maîtriser. Ah non, sinon tu pourrais facilement le mettre en bière… c’est fini. C’est un monstre de Frankenstein. Un bout de soldat inconnu là, un bout de djihadiste là, un bout de sorcière là, un bout de machin là, un bout de Goliath là, un bout de Robocop là… Il va tout emprunter, le mec.

Ça me fait penser à « l’homme complet » de L’Ivrogne dans la brousse d’Amos Tutuola, qui retourne dans la forêt pour rendre toutes les parties de son corps qu’il a louées aux uns et aux autres, et qui subsiste seulement à l’état de crâne nu[18]

Voilà pourquoi Sony ne le tue pas. Il a tué Antoine dans Antoine m’a vendu son destin, il a tué Walante dans Qui a mangé Madame dAvoine Bergotha ?, il a tué le guide providentiel dans La Vie et demie… Des tyrans, Sony en a tués dans ses pièces de théâtre, dans ses romans. Mais pas Martillimi Lopez, ni dans L’État honteux, ni dans Machin la Hernie.

Parce qu’on ne peut pas le cerner ?

Non. Parce qu’il l’aime. Il aime le monstre, il n’aime pas la monstruosité, il aime sa création. C’est Sony qui a fabriqué ce machin… Il en est fier, c’est sa créature. Sony ne le tuera jamais, c’est sa créature fétiche. On est dans le Nkissi, le fétiche kongo. Donc il y a une double relation, qui est la relation de Sony avec sa créature et sa relation avec la monstruosité de sa créature. Dans l’écriture de Sony, c’est son monstre de Frankenstein. Là, c’est le côté Sony savant dans son laboratoire… Il ne veut pas qu’on touche à l’espèce qu’il a créée. Il ne veut pas… je te jure… il ne veut pas… Même si tu disais : « mais cette espèce a tué, violé, volé… » C’est l’une des preuves de son existence de savant créateur. On est dans Alien : le gars qui a créé des aliens ne veut pas qu’on tue ses monstres. Parce que c’est la maturité de sa science. Là, on n’est plus dans l’idéologie, on est dans la divinité, dans la relation verticale du créateur à sa créature. Donc voilà, pour jouer Machin la Hernie, il faut l’aimer, Martillimi Lopez. Tu ne peux pas le jouer en le critiquant. Si je le joue en le critiquant, ça ne passera pas. Il ne faut pas le jouer en ayant une morale… Sinon tu ne donneras pas au public ce monstre-là tel que Sony l’a aimé, tu vas le juger. Or si tu le juges, tu nous empêches de voir le monstre. Parce que tu auras une idée du monstre que tu nous montres. Faut pas que tu aies une idée du monstre que tu montres : faut que tu l’aimes. Faut que tu l’aimes comme il s’aime, comme maman nationale l’aime, avec son idée que tout le monde l’aime, y compris Laure et la Panthère, y compris Cataeno Pablo[19] et ses maquisards de ma hernie, en le jouant, en disant : « Me voilà Martillimi ! Je suis beau, juste et intelligent, c’est maman nationale qui me l’a dit ! » Ne jamais le prendre pour un monstre ! C’est un acteur, donc un poète qui met la vie en équation, qui brise les miroirs, et plus de photocopies ! Soyons unique, mais original au singulier, donc soyons moi ! Tous ! Et il faut que tu le croies. Il faut revendiquer son amour de Martillimi Lopez. Tu ne peux que le jouer en lui faisant une grande déclaration d’amour. Voilà, c’est ça qui doit exister… mais avec ta conscience qui sait très bien que c’est faux, tu dois trouver le chemin qui emmène au jeu de l’acteur : l’amour du mensonge, et non sans conscience. Pas de morale dans le menu pour le jouer. C’est l’amour qui joue, et le cœur ne pardonne pas, la conscience est au courant. Ta morale n’est pas invitée. Tu tais ton bon sens… Tu sors ton amour pour ce type-là. Et si tu n’en as pas, alors ne le joue pas. Vas d’abord chercher l’amour, dans un bar ou dans un cachot, à l’hosto ou chez le diable en personne, et reviens en en ayant plein les poumons. Il faut être amoureux de Martillimi Lopez pour rentrer dans son territoire, pour le vivre ensuite avant de le jouer. C’est un territoire de langage. Être amoureux du monstre pour identifier le monstre qu’on est soi-même, la bête qu’on cache et faire chauffer la dynamo, allumer la mèche puis BOUM !

Comment comprends-tu ce passage à la fin du roman : « il n’y a pas d’humain de carrière nous sommes tous des apprentis-humains […] vous foutez nous foutons il n’y a pas de sauvage de carrière »[20] ?

Sony l’écrit et ce n’est pas pour rien… et il le met dans la bouche de Martillimi Lopez… Et là tu te dis : « Martillimi Lopez a raison ! » Au nom de tout le bordel qui a existé sur la terre, Martillimi a raison ! Donc il faut le dire en donnant raison à Martillimi. Pour le jouer, il ne faut pas que tu le mettes en doute, il faut que tu te dises : « Martillimi a raison ! » C’est vrai ! Y a pas d’humain de carrière ! On travaille pour devenir tous des humains. Donc Martillimi, avec tous ses mal-faits, ses blablas, c’est un humain ! Peut-être que petit à petit, comme le dit lui-même le texte, « petit à petit ma Hernie fait son nid »[21] !… Nous sortirons de la gadoue, petit à petit ! Et c’est là que tu comprends très bien que Sony a créé Martillimi Lopez comme le procès d’un avenir poétique, un monstre en plein processus… Complet mais toujours inachevé à ses désirs. C’est comme s’il prenait la chose au premier degré, l’assumait, avec un orgueil d’enfant gâté et un cerveau de la nuit des temps. Et la chose peut se dire : « Avant toute forme de civilisation, de morale, tout le blabla du politiquement correct, était Martillimi Lopez, le ventre ! » Sony le provoque pour le voir agir. Il souffle dans ses narines un esprit de dingue, alors la chose devient une âme compétente. Sony le met en place en nous provoquant, nous les humains, comme si ce Machin avec sa grosse hernie était un miroir de notre fond… Puis Sony dit : « Suivez-moi ce type… » Et la série commence. Il n’y a que l’auteur pour mettre un point final à sa java théâtrale. Il y a théâtre puisque ce truc n’est pas un roman, c’est un Machin gonflé de hernie, qui se raconte à lui-même. On est dans le théâtre décomplexé des formes théâtrales, des plus antiques aux plus contemporaines. D’ailleurs, son fameux point final n’est qu’une suite imaginaire de suspensions. Voilà pourquoi il ne meurt pas. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il doit y avoir des séries de Martillimi Lopez. Et peut-être qu’à la cinquantième saison, Martillimi Lopez devient humain comme toi et moi… Mais Martillimi est une série qui n’a pas de fin. C’est la vie d’un dieu incarné dans sa créature. C’est l’humain en devenir. L’humain en devenir de l’humain. Et pour ça, il va devoir passer par des rituels. Mais dans Machin la Hernie, on est encore à la présentation du monstre. Sony est mort avant de pouvoir achever les mille et une saisons de Martillimi Lopez fils de maman nationale… où on voit comment le monstre se transforme, fait sa mue, sa chrysalide… et, à la fin, devient un sage. Parce qu’il a fait la traversée… Il est sorti de l’ombre, sorti de la gadoue, et il connaît le chemin, la vérité et la vie.

Dans le découpage du spectacle en trois parties[22], on ressent bien qu’il y a déjà un procès, un devenir, une direction…

Bien sûr. Toute la dramaturgie que propose Jean-Paul Delore et sur laquelle nous avons travaillé va dans ce sens-là… On a appelé la première partie « Le chat », la deuxième « La hyène », et la troisième « Le rhinocéros ». Au début, Martillimi est félin, fuyant, n’attaque pas, et de tendresse égale à ses nobles sentiments. Mais il sait pourquoi. C’est dans ce climat qu’il s’invente une hernie. Dans la deuxième partie, Martillimi rentre dans le cercle des panthères. La rivière est devenue verticale. Il fait tout valdinguer, le remous, le chamboulement, il s’agite, le plateau prend feu ! Il faut comprendre que ces tirailleurs n’arrêtent pas de lui faire des coups d’État. Et la troisième partie, Martillimi est un monument au centre du cercle, il est devenu un dieu. « Il met l’armée en congé technique parce que je n’ai plus tout à fait besoin de tirailleurs pour exercer le pouvoir de mon peuple, je n’agirai plus qu’avec mes sauterelles… »[23] Tu vois, il est dans la tour de contrôle. Et il prend la force sur lui pour charger. Là, c’est le rhinocéros. Et le rhinocéros n’a pas peur du feu parce que c’est un des seuls animaux de la brousse qui éteint le feu. Martillimi éteint le feu par le feu. Avant lui, vous étiez des êtres, en créant sa hernie, qu’il met par-dessus l’État, il vous « désubstantialise » de vous… C’est la colonisation ! C’est un appareil colonial. Il arrive et vous enlève votre esprit… Vous devenez des coquilles vides et, après, il peut mettre ce qu’il veut à l’intérieur.

Martillimi, c’est une métaphore du colonisateur ?

C’est ce qui est très fort avec cette création : Martillimi, c’est l’amoureux de Sony ! Il lui a tout donné, toutes ses colères, et toutes ses incompréhensions, et toutes ses compréhensions… Il a lu ça et ça, il a regardé ça et ça… et il a transformé tout ça en créant une machine de guerre… qui a tout ça à l’intérieur de lui. Dans la cosmogonie kongo[24], on appelle ça MudumangoMudumango n’est pas un dieu, c’est une espèce de monstre comme ça, comme le golem et tout, et il représente la force – la force, la bravoure et le tonnerre. Quand Mudumango gueule, tout le monde se tait. Sa voix est comme le tonnerre : KAAAAAA ! Et la racine du mot Mudumango, c’est duma, qui veut dire « tonner » et ngo qui veut dire panthère.

Encore à voir avec la bombe, l’explosion…

Muduma ngo : qui tonne (comme) la panthère. Ce n’est pas que la panthère tonne… C’est juste ce mélange bizarre du tonnerre et de la panthère qui est intéressant… beaucoup plus que sa réalité, car il n’y a pas de réalité d’ailleurs. On est dans le fantastique. Il y a une explosion des formes, une exaltation des forces, une démesure. Mais pourquoi ngo ? Dans notre cosmogonie kongo, la puissance est donnée à la panthère. Le roi s’habille en peau de panthère. L’animal royal, c’est la panthère. Et voilà pourquoi on nous appelle bala bâ ngo : les enfants de la panthère. Kô ngo : la piste des panthères. On dit panthère, mais ce sont tout autant des léopards, c’est la même bête, en fait. Le romancier Wilfried N’Sondé parle du cœur des « enfants léopards »[25] Les enfants léopards, c’est nous, les balaba ngo

Ce qui nous ramène encore à Mobutu…

Pas seulement. Sony s’inspire de beaucoup de choses… Se fabriquer, c’est une tentation qu’ont eue beaucoup de grands, tu vois ! Et Mobutu parmi d’autres était évidemment dans cette fabrication-là… On voit très bien sur Mobutu comment il emprunte là, là, là et là pour créer son monstre de Frankenstein : il emprunte le symbole kongo qu’est la panthère, il emprunte la chemise des communistes, le col Mao, et bien sûr il emprunte sa canne chez machin… le gars qui est du Zimbabwe, tout le blabla… qui était contre l’apartheid[26]. C’est complètement ça ! Mobutu, c’est un ensemble de fabrication… Bon, tu le vois aussi avec Hitler, la croix gammée, le salut… Ce sont aussi des emprunts. Après, tous ne sont pas arrivés à l’achèvement de leur construction ! Hitler a beau être horrible, sa construction, il ne l’avait pas achevée ! Eh bien, Sony achève la construction de Machin la Hernie. Martillimi peut jouer, jusqu’à sa résurrection certaine : Sony a achevé la construction de la bête.

Dieudonné Niangouna dans le rôle de Martillimi Lopez
Machin la Hernie, texte de Sony Labou Tansi, mise en scène de Jean-Paul Delore, création en avril 2016 au Tarmac (Paris)
© Sean Hart

Martillimi, c’est un despote africain ou une figure du souverain moderne ?

Il est le plus contemporain d’entre nous, comme il est le plus archaïque de notre espèce. Parce que c’est l’homme dans toutes ses dimensions. La chose qui s’est faite humaine ! C’est là qu’il traverse le temps. Des personnages beaux et forts, Sony en a créés : Dadou dans L’Anté-peuple[27], Martial dans La Parenthèse de sang, Mallo Bayenda dans Je soussigné cardiaque, Chaïdana dans La Vie et demie, Estina Bronzario dans Les Sept Solitudes de Lorca Lopez[28], Le Colosse dans Les Yeux du volcan[29], Wallante dans Qui a mangé Madame d’Avoine Bergota[30], OkoNaves dans Moi, veuve de l’Empire[31], Banos Maya dans Les Commencements des douleurs[32], Adiabanko dans La Rue des mouches[33], Nogmédée dans Le Quatrième Côté du triangle[34]… et le fou de La Parenthèse de sang, c’est un chef d’œuvre de personnage, de son nom Adinonso ! Magnifique ! Une beauté ! C’est un personnage à croquer !… Mais quand Sony arrive à Machin la Hernie, c’est pour créer ce qui nous ressemble et qu’on ne voit pas à la surface, car cette chose se tapit dans des interstices ! Oui ! C’est très facile de dire que tu le vois chez un dictateur… C’est même trop facile… Les vrais Martillimi Lopez, j’en ai peut-être croisés et ce n’étaient pas forcement des présidents ! Et c’est pour ça que Catherine Laval, la costumière du spectacle, a eu une intelligence incroyable en refusant dès le début qu’on habille le personnage comme un président despote ou pas, un militaire au pouvoir putschiste ou pas, un trop sérieux coincé dans sa caricature de drôle de spécimen au-dessus de la populace. Martillimi, c’est quoi ? Comme truc ! C’est Martillimi partout-partout ! Ce type, tu as l’impression qu’il te guette quand tu dors ! Que tu ne peux même pas penser tout seul sans qu’il ne soit avec toi dans ta tête… À chaque instant, tu entends sa voix raisonner dans tes oreilles ! Sa sanction va te tomber dessus si tu fais un pas de côté ! Même quand tu es aux chiottes ! Il te regarde ! Il te voit ! Il te surveille ! Tout le monde est nu face à Martillimi Lopez ! Et lui regarde jusque dans nos entrailles. « Son œil veille sur la nation. » Martillimi nous voit ! Martillimi nous entend ! Martillimi nous connaît ! C’est Martillimi partout-partout… La vidéo encercle les spectateurs avec des portraits de Martillimi partout-partout, il faut que cela encercle le théâtre… Martillimi partout-partout. Ce n’est pas une gueule. C’est la multiplication de toutes les gueules rêvées en lui. Et ça donne la gueule ! Pas en un portrait mais en cent, mais en mille et en millions ! C’est du gigantisme ! Là, tu as l’impression qu’il ressemble à un zombie, là, il fait penser à un président démocrate, là, c’est un général en campagne et, là, il est torse nu, la boule à zéro, comme un gamin qui a perdu ses poux… Ce sont les différents cauchemars que nous nous faisons sur mon ex-colonel feu Martillimi Lopez parce qu’on n’a pas pu fermer son œil droit dans sa tombe ! « Ah, non ! non ! Faut pas que je triche, Martillimi me regarde. » Vous êtes en train de parler de la belle vie… « Faut pas que je parle trop fort, on ne sait jamais : y a peut-être un indic ici qui ira le dire à Martillimi alors que Martillimi le sait qu’on est forcément en train de le maudire même sous notre peur fermée à double tour ! » C’est ce genre de terreur qui existe avec ce type de pouvoir castrateur. On est fliqués partout-partout jusque dans nos lits. C’est le pays de la sueur, on en chie et on en bave ; beaucoup de douleurs pour zéro plaisir ! L’œil droit de Martillimi est là !

Il est très spectral, ton Martillimi…

Spectral ? Bien sûr, oui. Mais c’est normal. Puisqu’on sort de son ventre ! Je pourrais me balader partout sur la Terre, c’est ma mère qui continue de se balader avec mon corps – pas mon père, je dis ma mère –, puisque je sors du ventre de ma mère. Bien sûr, je suis constitué du sperme de mon père, des ovules de ma mère, de tout ce que tu veux… Mais j’ai été généré dans un espace, dans un temple, qui est le temple de cette femme-là, et qui m’a sorti avec un sexe masculin. C’est quand même incroyable ! La femme a deux sexes ! Elle a la capacité de sortir un sexe masculin, comme elle a la capacité de sortir un sexe féminin. Et du coup je suis une femme avec un sexe de mec. Pourquoi ? Parce que je sors du corps d’une femme. Donc, je suis ma mère avec une bite. Et ça, Martillimi le comprend très très bien, voilà pourquoi il parle de maman nationale : « Je suis maman nationale. »

Cet hermaphrodisme, c’est sa monstruosité ou son humanité ?

C’est son humanité ! Ce n’est pas de la monstruosité, c’est ce que tout le monde est ! Tous ceux qui se baladent sur la Terre sont un morceau de chair de femme avec une bite ou avec une chatte !

Comment tu relies cette appartenance au ventre avec la fabrication de Martillimi Lopez ?

N’oublions pas que Sony est un enfant de la honte. Il vient de la honte. Et il a réussi une des opérations les plus intéressantes. C’est qu’il est sorti de la honte. Il s’est fabriqué lui-même, comme quand il a fabriqué Martillimi Lopez. Il s’est créé un travail, qu’il appelle exister. Il s’est créé une fonction, qu’il appelle humain. Il s’est créé une adresse, qu’il appelle univers ! Donc, pour sortir de la honte, qui est celle de l’histoire de son père et sa mère, avant qu’il naisse, de son père qui ne lui donne pas son nom, et tout le blablabla… Puis la honte à l’école, le « symbole » autour du cou, la boîte à merde accrochée par le maître pour sanctionner ses fautes de français[35]… Il a vaincu toute cette honte-là, en se construisant, lui, personnellement… Comme quand il a construit Martillimi Lopez… donc en passant par l’enfer. Comme dit Peter Handke : « Passe par les villages, je te suis. »[36] Donc il a fait la traversée de tout ça et il a réussi à sortir de la honte. Quand il écrit, c’est le résiliant qui parle. Il touche à l’universalité des sens ! T’emmène à comprendre toutes les dimensions intrinsèques de la violence… À l’intérieur d’un corps… Toutes les formes de la violence humaine !… À partir d’une expérience qui se passe à l’intérieur d’un mot, d’une phrase, d’une image, d’un souffle, d’une situation, d’une question soulevée dans un petit quartier aussi inconnu que Matour dans le premier arrondissement de Brazza la verte ou ailleurs, dans un bar à Limoges, ou sous les tresses des arbres, dans les entrailles du ciel ou dans la panse d’un phacochère… pour en sortir un nectar à la gueule d’un désir d’amour ! Foutrement amoureux du genre humain, de la nature même carnassière en sa saison, du monde et de la vie. C’est toute la beauté de l’être humain que tu célèbres à partir d’une violence sauvagement littéraire qu’il te dit, le mec. Et cette violence-là, du coup, elle ne prend plus seulement la musique d’un quartier, d’une larve aux yeux pleins de volcans en activité, d’une torche dans la nuit profonde et sans électricité. Cette violence dépasse la pression apocalyptique d’une mort subite qui court dans les veines, la chorégraphie décapante d’une guerre civile, ou les bactéries d’espoirs flingués. Parce qu’en cette violence, tu as vu l’humain avoir la banane comme un clown d’horreur. Mais tu l’as également vu pisser en marchant, sa chanson aux lèvres. Tu l’as vu s’échapper d’un ancien monde tortueux ! Une prison à ciel ouvert ! Et il t’a chanté à l’oreille : « c’est un monde où on s’évade, où on s’évade, où on s’évade ! Je te parle d’un monde d’où on s’évade, s’évade, s’évade ! » Ceux qui s’en sont sortis, ils peuvent te parler comme ils peuvent, comme ils veulent… Ce dont ils te parleront, vraiment, c’est du monstre-ange humain. On dit que la monstruosité n’a pas de limite, mais ceux qui l’ont vécue te disent qu’elle s’arrête dès lors qu’elle est cernée par la lumière. Bien sûr, ça vient de l’histoire coloniale. Il faut bien que ça vienne de quelque part. Comme dit Shakespeare dans Le Marchand de Venise : « Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, n’allons-nous pas nous venger ? » Donc ça vient d’un endroit où tu as été chatouillé ou piqué. Un endroit spécifique. La dague qui t’a piqué a un nom ! Elle peut s’appeler colonisation belge, française, anglaise, portugaise… La dague a un nom. Cet espace a un nom. Cette opération a un nom. Tu comprends. Mais comprendre l’origine… C’est à cet endroit-là qu’est l’universeldans l’étude. Et quand il touche à cet endroit-là, Sony devient un artiste. C’est-à-dire qu’il passe à la transcendance de la chose. Et là, il peut dire : « Créons Machin la Hernie, créons Martillimi. » Parce que je crois qu’il faut être Sony pour créer Martillimi. Quand je dis « Sony », je ne parle pas seulement de son talent, je parle de l’histoire de la personne. Celle qu’il a eue dans sa chair et qui lui permet de créer un personnage comme Martillimi. Martillimi, il l’a chié de ses boyaux, de sa sueur… Pas de la sueur de son travail, mais de sa honte ! Et de sa résurrection hors de la honte. Moi, en tout cas, c’est comme ça que je vois les choses.

Et il met tout ça dans le personnage de Martillimi ?

Dans la parole ! Il met tout ça dans la parole, cette parole qui est fleuve… N’oublie pas que c’est un enfant de la forêt, un enfant des grands fleuves, et nous sommes des enfants de la forêt et des grands fleuves : bala bâ ngo, les enfants de la panthère. Notre premier amour est ce mariage complexe de la forêt et du fleuve. Comme Tchicaya U Tam’si le disait : « Le prince, c’est le fleuve. »[37] C’est dire qu’au Congo, personne n’est au-dessus du fleuve. Ce n’est pas tant se mesurer au fleuve que le raconter. Pas raconter l’histoire du fleuve. Mais comment notre écriture raconte notre maman le fleuve. S’il y a pour certains, et j’en fais partie, une réelle littérature du Congo, qui n’est pas forcément congolaise, ce serait la littérature du fleuve, avec sa cosmogonie de la forêt à la savane, puis vers la mer. Et toutes les philosophies qui en découlent. Ce fleuve a sa manière de parler, et nous, nous sommes fils de cette façon de parler. Alors comment veux-tu qu’on parle autrement qu’à travers son ventre ?… La poétique de la forêt est liée à l’imaginaire. Elle est liée à l’écoute, mais une écoute de tout ce que tu ne vois pas. L’auteur doit ouvrir des sentiers, pour faire circuler le lecteur dans sa forêt. Mais attention ! Il ne faut pas que l’auteur puisse non plus, par excès de zèle, abattre la forêt pour donner aux lecteurs la possibilité de tout voir. Il ne faut pas non plus être dépendant des caprices du lecteur ni de son désir de fauve. Sinon, meurt cette écriture-là, cette parole parlée depuis le ventre. Et Sony a fait l’amour à la forêt, de La Vie et demie au Commencement des douleurs jusqu’à L’Autre Monde, par un merveilleux coup d’État. Il ne s’agit pas de renverser le fleuve pour le culbuter mais de le faire parler en soi, de lui faire secréter son eau kaki et sa viande verte. L’affaire est on ne peut plus œdipienne. Il a pris la tête du fleuve pour ne pas la rendre à César. Sony devient le prince dont Tchicaya U Tam’si parlait. Le fleuve ! Tchicaya aurait-il à l’image de Jean Baptiste prêché l’avènement du messie ? 80 832 mètres cubes d’eau par seconde (débit du fleuve Congo) coulent dans Machin la Hernie. Vitesse folle ! Rapides et cataractes sonnent la diatribe ! Et pour que le fleuve parle, Sony fait exploser la ponctuation. Non par goût mais par nécessité ! Noblesse oblige ! Et la meilleure, c’est que Sony veille à ce que la forêt ne devienne pas une langue de bois. Donc Machin la Hernie, c’est déjà le fleuve Congo. Le coup a marché ! Sacré Sony !

Comment le faire entendre quand tu joues la pièce ici, en France ?

La parole vient du ventre de sa mère : il faut qu’elle retourne d’où elle est venue… Mais le colonisateur est aussi dans le ventre ! C’est ça, la richesse du ventre. Il y a à boire et à manger dans l’affaire, tu vois ! Donc, dans le ventre, il n’y a pas que ma cosmogonie kongo… Il y a aussi la langue qui est venue en bateau, et que j’articule pour écrire, pour parler… Il faut que je continue à jouer mon théâtre en français, c’est très important dans la logique du ventre, c’est un témoignage de mon ventre, parce que ce français-là avait atterri dans le fleuve et la forêt l’a empoché sous sa jupe puis l’a enfoncé dans son sexe, direction le ventre ! Ce qui en est sorti, ce sont les nous-autres. Alors « francophonement » parlant, je suis chez moi quand j’écris en français, quand je parle en français, quand je joue en français. Ce français que j’articule est un organe de mon ventre tropical humide ! Donc, tous les francophones de la terre, nous avons un ventre commun de langage, qui est unfrançais qui nous est propre et qui fait monde bien merveilleusement, en nous d’abord puis en tous les autres de la terre qui deviennent un peu nous chaque jour à leur tour. Alors il est normal que ce français propre à mon ventre puisse retourner en France de temps en temps pour questionner sa matrice à travers tout ce qu’il a d’expressions diverses et variées. Et voyager au-delà des francophonies aux épices, diverses et variées, pour partager son fleuve et ramasser des océans, des déserts, des steppes, des alpes, des toundras, des glaciers… C’est le propre d’une francophonie, car elle est monde ! Et on ne peut plus certainement ! C’est normal quand on est un ventre de métissage super tonique ! Et il serait bien normal à d’autres langues qui constituent mon ventre de s’exprimer et bien au-delà de leurs tropicalités natales. Mais cette opération se fait en son temps, elle ne se force pas. Elle ne doit jamais arriver par injonction ! Le retour dans le ventre de sa mère est une affaire tellement sérieuse qu’il n’est pas important de la précipiter, l’imposer ou se l’imposer de façon tendancieuse. Les opérations ne s’arrêtent pas… La question est importante. Parce qu’on peut penser que l’expérience de la colonisation s’est arrêtée avec les décolonisations. Mais, en vrai, cette expérience ne peut pas s’arrêter. Car il n’y a pas que l’espace du colonisateur dans ce ventre, il y a aussi celui du colonisé qui poursuit sa mutation par d’autres poétiques et le pays du colonisateur n’est plus pour lui une destination certaine mais l’une des stations de son voyage-monde. Avec comme passeport, entre autres, un bijou comme la francophonie, c’est-à-dire un bordel d’enfants sorciers, et la floraison de tout ce qui met entre parenthèses cette poétique des transports. La langue du colonisateur est venue en bateau. OK. Ce n’est qu’un début. Le deuxième processus qui doit être opéré, c’est de savoir comment on tue le spectre du bateau tout en gardant son histoire. Parce que ce n’est pas la langue qui est mauvaise : c’est l’opération qui est faite autour. Donc ce qui est important, c’est comment, avec la même langue, on répare… pas le passé, non, mais le futur. Puisque tout futur existe déjà dans son passé. Tout futur est déjà vendu ou bradé. Ce qu’exige de nous l’art, c’est de savoir comment racheter un futur pourri pour le jeter au feu.

Est-ce que le colonisateur, même en France, même aujourd’hui, vit dans ce que tu appelles « l’opération » ou « l’expérience » coloniale ?

Bien sûr… On ne peut pas coloniser sans se coloniser soi-même. C’est une opération qui est très retorse…

Quand tu viens en France avec Sony, et Sony avec Martillimi Lopez, tu amènes avec toi une manière de penser la colonisation ?

C’est dans le menu !… Complètement !… Mais ce n’est pas une façon de vivre dans le passé, c’est un moyen d’expliquer le présent tangible. Et comme le dit Sony lui-même dans Antoine m’a vendu son destin : « hélas […] L’avenir, c’est des bouts de passé. »[38] Ah ! Ah !… Ça, ma grand-mère aurait pu te le dire avec son expression : « Ah ! »… « Ah ! » : ce n’est pas que de l’étonnement. C’est expressif, pour dire : « N’est-ce pas ? »… mais un « N’est-ce pas ? » qui dit en même temps : « Tu as vu comme c’est grave ? » Martillimi dit tout le temps « Ah ! ». Il regarde ce que son Carvanso a fait : « Ah ! » Au début, Jean-Paul croyait qu’il y en avait peu dans le texte et que j’en rajoutais. Il s’est finalement rendu compte qu’il y en avait beaucoup plus. Je lui ai dit : « Tu sais pourquoi tu ne les voyais pas ? Parce que tu cherchais le sens en suivant les phrases… » Non, non, non ! C’est un mec de la forêt qui t’écrit un monstre du fleuve et toute son écriture devient littéralement 80 832 mètres cubes par seconde. Donc chaque caractère est nourri d’une expression super Sonyque. L’interjection que tu vois là, en fait, c’est là qu’il y a la maman, qu’il y a le ventre !

Et donc tu parles comme ta mère parle…

Dans la cosmogonie kongo, c’est la femme qui a un ventre, puisque le ventre est générateur. L’homme n’a pas de ventre. Voilà pourquoi Martillimi est androgyne. Martillimi est un monstre, donc il peut être hermaphrodite, c’est ce qu’il faut comprendre avec Martillimi.

C’est une femme ?

C’est un mec, mais il peut être une femme avec son corps de mec, c’est une forme d’hermaphrodisme assez intéressante. Parce que son ventre, il l’invente pour créer. Mais ça ne sort pas. Pas par le ventre générateur qui se lie au sexe féminin en tous cas. Tu comprends ? Lui, le sexe féminin, il le crée par ses idées, c’est là qu’il va accoucher. C’est long, être enceinte d’une nation ! Du coup, son ventre biologique prend cher. Et prend une hernie… Il la roule ! Il la roule, donc il caresse sa nation ! Sa NATION ! Il la roule, il la roule, il la roule… Il la caresse… Et il l’aime… Il lui dit : « Tiens-toi tranquille m’amie, nous faisons de la politique… »[39] Sauf que de son ventre ne sort que de l’eau kaki, couleur du fleuve Congo.

Cela me fait penser à la manière dont, à Bahia, on peut figurer, sous les traits de la déesse Iemanja[40], d’une manière extrêmement ambivalente, l’État patriarcal sous les traits d’une femme…

Bien sûr ! Je connais très bien… C’est par là que je fais mon entrée dans Trust/Shakespeare/Alléluia[41], qui est raconté par Puck…

C’est toi qui joues Puck ?

J’ai écrit le rôle pour Emmelyne Octavie une comédienne guyanaise. C’est elle qui va jouer Puck.

Même hermaphrodisme…

Oui, oui. C’est le corps qui est féminin et pas son esprit. Son esprit est androgyne…

Comment fais-tu pour faire descendre sur scène une entité aussi ambiguë et aussi puissante ?

Sony la fait descendre, moi je n’ai qu’à l’épouser. C’est l’avantage d’avoir des aînés qui pensent à vous. Ça passe par la langue. Il faut que ça passe par la langue. De toute façon, chez Sony, les choses passent par la langue. Par sa langue à lui. Son écriture… Et tout chez Sony est dans Sony, dans sa poétique. Machin la Hernie est un long poème, en fait !

Est-ce qu’il faut se laisser posséder ?

Non, non, pas du tout. La transe, n’importe qui peut l’avoir, et ce n’est pas d’une importance capitale Moi, j’adore la transe, je travaille souvent sur la transe, c’est un train… Mais c’est à la quatrième ou à la cinquième étape que la locomotive tire les wagons, tu vois… Une étape intéressante, mais qui n’est pas la plus intéressante, parce qu’elle ne peut arriver que si on a réalisé la première étape, qui est celle du poème. Il faut d’abord entrer dans le poème. Il faut d’abord entrer dans le poème, et il faut manger la langue, et ne pas maîtriser la langue… Contrairement à ce qu’on enseigne au conservatoire… Faut entrer sans juger, faut entrer sans comprendre. Comprendre, c’est la deuxième étape. La première étape : ne cherche pas à analyser. La première étape : entre comme on entre en religion. C’est très dégueulasse, hein ? Tu entres en te faisant adepte, tu te mets au sol, tu te mets à poil et tu baises le tapis du grand maître. Tu dis : « Tu me prends moi et ma vie et tu m’emmènes… tu me tues… » Voilà pourquoi il faut être bien entouré, sinon n’importe qui se transforme en gourou et vous radicalise comme un mouton de Panurge et vous voilà bon pour le fumier en plus de causer la misère du monde. Il faut mûrement réfléchir avant d’accepter de faire l’expérience. Et prière de ne pas la faire à moitié N’oublie pas une chose : Sony est très affilié au bula-mananga, ces sectes messianiques qui existent dans les deux Congo… Ce sont des sectes politiques, en fait. Avec des vrais prophètes qui étaient des résistants contre la pénétration occidentale, des indépendantistes plus tard, etc. Vous savez : des personnalités fortes comme Simon Kimbangu[42], André Matsoua[43]… Bien avant, il y a eu Mama Ngunga, Kimpa Vita, les Antonianistes[44]… Sony en parle d’un point de vue politique et poétique, donc il y croit. Parce qu’il s’agit de réelles valeurs, d’indépendance, de révolution, de liberté d’expression et surtout d’autres façons de voir le monde que celles imposées par un appareil colonial. Nonobstant le fait que certains des adeptes sont également catholiques ou protestants. Le rapport à la poésie s’inscrit aussi dans ce cadre politique. Si on ne respecte pas le fleuve, on rate la politique. C’est éminemment écologique. Et on rate l’humain, si on tourne le dos au fleuve et à la forêt. Il n’y a là rien de mystique. Cela doit à l’idée que tout est lié. C’est un ventre. C’est un kongo : un cercle ! Donc, on encercle, on encercle… Et on parle dans ce cercle. Personne ne se trouve hors du cercle. Et on élargit le cercle… C’est-à-dire qu’on peut enseigner à l’autre, à celui qui vient et qui accepte de rentrer dans le cercle. Le royaume s’appelait Kongo dia Ntotila. Nto, c’est la rivière. Tila, c’est vertical. Une rivière verticale, c’est une chute d’eau. Le cercle des panthères où coule la rivière verticale, la chute qui tombe dans le cercle des panthères. On peut reverser ça comme on veut, le cercle reste un cercle. L’image est forte au-delà d’être belle. Pourquoi je dis tout ça ? Pour revenir à ce que je disais tout à l’heure… avant la parenthèse… Il faut que tu entres dans la langue et que tu chopes le mpévé. Le mpévé, c’est l’esprit créateur en kongo. Il s’identifie à la transe. Mais ici, il s’agit du mpévé de l’écriture… Je ne parle pas des esprits ! Oui, il faut te laisser envoûter par les mots, par la langue, et qu’ils t’emmènent par-delà les situations qui sont données. Que tu les acceptes. D’une certaine manière : il faut aller rencontrer Martillimi Lopez. Sans le juger. Mais il ne faut pas aller le voir en touriste ! Il faut aller le voir pour lui dire : « Je suis là. Fais de moi ton adepte. » J’ai à mon compte un certain nombre d’exercices pour préparer l’acteur à entamer ce parcours. Une fois qu’on a franchi cette première étape…

Tu vas donc voir Martillimi Lopez ?

Tu vas réellement le voir, lui, le Martillimi Lopez fils de maman nationale, commandant de sa hernie. Tu vas le rêver ensuite, il te parlera en rêve parce que c’est là qu’il te parlera à toi personnellement, puis en revenant au texte, tu trouveras la cohérence de ses propos. À ce moment-là, tu peux commencer à faire le deuxième travail qui va être, bien évidemment, de te demander comment l’amener au théâtre. Et c’est un travail très difficile, parce qu’il ne veut pas venir au théâtre le Martillimi… Comme tous les personnages qui sont vrais n’aiment pas venir au théâtre. Ils disent : « Moi je suis vrai… Je ne suis pas un jeu, donc tu ne peux pas m’emmener au théâtre. » Et ça prend du temps pour le traîner au théâtre. À la fin, il vient ou il ne vient pas. Mais si il vient, il va exiger quelque chose que tu dois lui donner. Tu lui cèdes ça : il vient avec toi au théâtre. Il vient avec toi. Pas lui tout seul. Il dit : « Alors on y va. » On ! Car il n’est pas question que tu le laisses jouer tout seul ou qu’il te laisse jouer son histoire sachant que, comme tu n’es qu’un comédien, tu cires les pompes des personnages. Donc c’est à deux que vous devrez prendre le plateau : lui étant et toi jouant. C’est ça, la composition. Même Sony m’a fait ça pour Sony chez les chiens[45]. Lui qui n’est pas une fiction, tu vois, il m’a dit : « Tu me cèdes quoi ? Parce que moi, je ne suis pas un jeu… Alors tu mets quoi dans la cagnotte ? Quelle est ta mise ? Fais-moi une offre ! Jusqu’à combien tu m’aimes ? Jusqu’à combien tu me veux ? »

Qu’est-ce que tu as sacrifié pour faire venir Martillimi ?

Je ne peux pas te le donner comme ça, c’est impossible… À tout seigneur, tout honneur… Il faut payer… Les ancêtres, c’est comme ça, il faut donner… Et les esprits sont comme ça : il faut donner. Certains d’entre eux exigent ton sang. Ce que tu oublies, c’est que quand je joue Martillimi Lopez, c’est un rituel que je fais. Quand je dis « rituel », je ne rigole pas. C’est un rituel que je fais. Même avant d’ouvrir la porte de ma loge pour aller dans les coulisses, quand je frappe trois fois au sol, comme tous les Kongos, pour réveiller les morts (parce qu’on ne joue pas la tragédie sans convoquer les morts, on ne joue pas la tragédie sans se laisser parler par les morts…), je ne suis pas que l’acteur, mais le sorcier qui ouvre la voie au mystère, celui qui fait parler le fétiche. Et après les trois coups de talons frappés durement au sol, je dis ce que je ne vais pas révéler ici. Ça fait partie de la magie de l’acte à venir. Comme disait Sony : « Même la science a sa magie. » À ce moment, l’acteur apparaît, puis, dans son émanation, il doit devenir l’oracle. L’oracle dans cette opération, ce n’est pas Martillimi, c’est Sony qui vient parler en moi pour montrer Martillimi. Mais ce n’est qu’une étape car les masques du théâtre doivent tomber pour que Sony se taise et laisser enfin s’exprimer Martillimi. Donc, dans la pièce de théâtre, il y a un théâtre et c’est ce dernier qui est vrai. Il ne se décide pas avant, c’est le seul qui tue le metteur en scène, tue le comédien et devient la chose, la bête ou l’ange, c’est selon.

Donc Sony est là ?

Bien sûr, sinon Martillimi ne viendrait pas. Ce que tu oublies, c’est que Martillimi est dans le ventre de Sony. Ce sont des poupées russes. Sony qui ne devait pas avoir de ventre parce qu’il est masculin, en a finalement un du fait qu’il soit un artiste, donc androgyne. Ce ventre non biologique conçoit Martillimi Lopez avec une maman nationale (Sony n’a quand même pas fait ça tout seul) et la maman nationale que Sony est parti chercher pour faire cette sorcellerie est fille du fleuve et de la forêt : une écriture tropicale humide ! Cette dernière va accoucher de Martillimi qui devient fils de maman nationale. Martilimi n’a pas de ventre mais il a soif d’être la légende, alors il se crée un ventre de substitution « à travers temps et fleuve » pour paraphraser Tchicaya U Tam’si dans Feu de Brousse : « un jour il faudra se prendre… »[46] Mais l’opération vire au vinaigre et, à la place du ventre, Martillimi se retrouve avec une hernie. Dans sa hernie, Martillimi conçoit son monde avec sa mère maman nationale et accouche au masculin des œuvres kaki (Carvanso, Vauban, Merline[47] et toute la canaille des tirailleurs qu’il baptise « national ») et ça se comprend très bien… Donc la matrice, c’est Sony ! Sauf que… Je vais te vendre un secret, donne-moi une cigarette, je vais te vendre un secret… Pour toucher la matrice Sony, il faut que j’aille chez la maman de Sony. Puisque le Sony biologique n’a pas de ventre biologique… Le ventre, c’est la mère de Sony. Donc, je regarde des documentaires sur Sony, j’entends la voix de sa mère, je découvre comment elle parlait, comment elle pensait. Il faut que je rentre dans cette philosophie-là. Il faut que je cherche d’où parle la mère de Sony. Comment elle pense. Comment elle a sorti Marcel Nsoni qui deviendra Sony Labou Tansi. Et c’est cette pensée-là qui me conduira à accoucher de Sony sur scène, qui à son tour me conduira à Martillimi Lopez fils de maman nationale. La parole doit retourner dans le ventre de sa mère d’où elle était venue. Le cercle !

Tu dis que tu fais un rituel… Est-ce que ça ne revient pas à faire autre chose et, en un sens, plus que du théâtre ?

Mais le théâtre, faut pas le faire. Quand on le fait, ça rate, ça ne marche pas. Il faut opérer une action, provoquer un geste, accoucher d’une parole en temps réel, là, une mise au monde, fractionner la matière, construire un rêve… Mais il ne faudrait pas que le créateur ait l’idée de faire du théâtre en faisant cela, sinon c’est foutu depuis le début. On va utiliser des règles du théâtre pour se faire entendre, pour se faire comprendre, pour montrer, donner à voir et à saisir… Mais si on fait du théâtre avec l’idée de faire du théâtre, c’est foutu !

 

Texte relu et amendé
par Dieudonné Niangouna.

 

 

Notes

[1] Sony Labou Tansi, La Parenthèse de sang, suivi de Je soussigné cardiaque, Paris, Hatier International, coll. Monde Noir, 2002.

[2] Voir Dieudonné Niangouna, « Dieudonné Niangouna parle de Sony », Continents manuscrits [en ligne], 4|2015, mis en ligne le 26 janvier 2016.

[3] Dieudonné Niangouna, « Sony chez les chiens », dans Nicolas Martin-Granel et Julie Peghini (dir.), La Chair et l’Idée : théâtre et poèmes inédits, lettres, témoignages, écrits et regards critiques. Sony Labou Tansi en scène(s), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, coll. Du Désavantage du vent, 2015, p. 329-353. Le spectacle Sony chez les chiens a été créé en février 2017 à Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy, puis repris au Théâtre de la Colline du 21 février au 18 mars 2017.

[4] Voir le site du festival.

[5] Dieudonné Niangouna, « Lettre à Denis Sassou Nguesso et à ses alliés. Nous ne sommes pas tous Néron », 2015.

[6] Retranscription effectuée avec l’aide précieuse de Loïc Jacob.

[7] Sony Labou Tansi, Lettre à Françoise Ligier du 21 décembre 1979, citée par Nicolas Martin-Granel, « La naissance d’un monstre. Pour renommer le roman préféré de Sony Labou Tansi », dans Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, Paris, Revue Noire Éditions, 2005, p. 8. On trouvera ce texte reproduit dans ce numéro de la revue thaêtre : https://www.thaetre.com/2020/12/08/la-naissance-dun-monstre/

[8] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 31 et suiv. Le colonel Carvanso est le bras droit, le confident, l’ambassadeur de Martillimi Lopez.

[9] Ibid., p. 57 et suiv. Vauban est le colonel français responsable de la sécurité de Martillimi Lopez. Il s’agit d’une allusion directe à la Françafrique et au modèle autocratique de la monarchie absolue française.

[10] Ibid., p. 20, 39, 43 et suiv.

[11] Une des langues officielles, hormis la langue coloniale (le français), parlées en République Démocratique du Congo et en République du Congo, avec le kituba, le swahili et le kikongo.

[12] Sony Labou Tansi, La Vie et demie, Paris, Seuil, 1979, p. 92 et suiv.

[13] Thierry Michel (réal.), Mobutu roi du Zaïre, prod. Les Films de la Passerelle et Les Films d’ici, 135 min., 1999.

[14] Voir Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 92 et p. 104.

[15] Denis Sassou Nguesso, l’actuel Président de la République du Congo.

[16] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 27 : « …feu Alberto Sanamatouf que les ‘‘flamants’’ avaient becqueté à mort par le biais de la flamanterie nationale, pauvre Alberto Sanamatouf, l’ancien tombeur de régimes, l’ancien beau-père de Martillimi Lopez, l’ancien commissaire de sa toute grasse hernie, membre du bureau national des herniés, l’ancien ambassadeur de sa hernie personnelle aux nations unies, regretté feu Alberto Sanamatouf, héros national… » Machin la Hernie commence par un meeting au stade Sanamatouf où Martillimi Lopez livre des rebelles à la vindicte publique. Le personnage d’Alberto Sanamatouf évoque ici Patrice Lumumba le héros de l’Indépendance congolaise assassiné par les Belges (les « Flamands », que Sony Labou Tansi orthographie « Flamants » par dérision).

[17] Ibid., p. 272. [Voir encadré.]

[18] Amos Tutuola, L’Ivrogne dans la brousse, trad. Raymond Queneau, Paris, Gallimard, coll. L’Imaginaire, [1952] 2000, p. 21-35.

[19] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 38 et suiv. Laure et la Panthère sont un seul et même personnage, masculin. Comme Cataeno Pablo, il est un maquisard opposé à Martillimi Lopez.

[20] Ibid., p. 289.

[21] Ibid., p. 273.

[22] Sur le découpage du spectacle, voir l’entretien avec Jean-Paul Delore dans le présent numéro de thaêtre : Jean-Paul Delore et Nicolas Martin-Granel, « ‘‘Se prendre le ventre avant la tête’’ », entretien réalisé par Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini, thaêtre [en ligne], Chantier #5 : Machin la Hernie : théâtre monstre (coord. Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini), mis en ligne le 8 décembre 2020.

[23] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 279.

[24] En référence à la civilisation intellectuelle florissante du Congo pré-colonial, le vaste Royaume Kongo, christianisé puis anéanti par l’esclavagisme portugais à partir de l’invasion de ce qui allait devenir le Brésil.

[25] Wilfried N’Sondé, Le Cœur des enfants léopards, Arles, Actes Sud, 2007.

[26] Allusion à Robert Mugabe (1924-2019), l’ancien président du Zimbabwe, et à son engagement anti-colonial contre l’apartheid politique, économique et social en Afrique australe.

[27] Sony Labou Tansi, L’Anté-peuple, Paris, Seuil, 1983.

[28] Sony Labou Tansi, Les Sept Solitudes de Lorsa Lopez, Paris, Seuil, 1985.

[29] Sony Labou Tansi, Les Yeux du volcan, Paris, Seuil, 1988.

[30] Sony Labou Tansi, Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, Manage (Belgique), Lansman Éditeur, 2014.

[31] Sony Labou Tansi, Moi, veuve de l’Empire, L’Avant-Scène Théâtre, 1er octobre 1987, n° 815.

[32] Sony Labou Tansi, Le Commencement des douleurs, Paris, Seuil, 1998.

[33] Sony Labou Tansi, Paroles inédites. La Rue des mouches, Paris, Éditions Théâtrales, 2005.

[34] Sony Labou Tansi, Le Quatrième Côté du triangle, dans L’Autre monde. Écrits inédits, Paris, Revue Noire Éditions, 1997.

[35] Le vrai nom de Sony Labou Tansi est Marcel Nsoni. « Nsoni », en lari-kongo peut signifier « honte », de sorte que le nom littéraire choisi par Labou Tansi, « Sony Labou Tansi », peut, dans cette langue, signifier : « la honte qui a mis au monde le pays ». Une étymologie que l’écrivain récuse en traduisant « Sony » par « pudeur » et qu’il assume (notamment en jouant sur le rapprochement entre « Labou » et « la boue ») uniquement dans la mesure où sa honte est une projection sur lui de la honte de ceux qui ont violé sa pudeur. La honte d’où est sorti Sony est la francophonie : « J’écris en français parce que c’est dans cette langue-là que moi-même j’ai été violé. Je me souviens de ma virginité. Et mes rapports avec la langue française sont des rapports de force majeure » (Sony Labou Tansi, « L’écrivain face à la polémique », Encre, sueur, salive et sang, Paris, Seuil, 2015, p. 50). La honte a d’abord été celle du « symbole » dont Sony décrit la pratique : « mon oncle voulait faire de moi un Blanc. […] On m’a mis au cours moyen et je n’avais jamais fait de français ou presque. […] Il y avait un symbole, une grosse boîte comme ça, pleine de merde. On vous accrochait ça au cou [quand vous faisiez une faute de français] et vous étiez le ‘‘guetteur’’ [des fautes des autres]. Alors souvent, quand les gens avaient le symbole, ils me cherchaient partout : où est Sony ? Où est Sony ? Et tout de suite on me remettait le symbole, parce qu’ils étaient sûrs que je ne parlais pas français et que je commettrais des fautes même quand j’essayais de parler » (ibid., p. 110-111). Sur ce sujet, voir Nicolas Martin-Granel, « Discours de la honte », Cahiers d’études africaines, n° 140, 1995, p. 763 et suiv.

[36] Peter Handke, Par les villages, trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Paris, Gallimard, coll. Le Manteau d’Arlequin, 1983, p. 18.

[37] Voir Sony Labou Tansi, Entretien avec Bernard Magnier, 26 octobre 1993, dans Sony Labou Tansi. Paroles inédites, Paris, Éditions Théâtrales, 2005, p. 55 : « Mais Tchicaya disait que chez nous, ‘‘le prince, c’est le fleuve’’. Pour lui, il n’y avait pas Mobutu, il n’y avait pas Sassou, il n’y avait personne. C’est le fleuve qui gouvernait et qui commandait. Ça, c’était magnifique. »

[38] Sony Labou Tansi, Antoine m’a vendu son destin, Paris, Éditions Acoria, 2016, p. 75.

[39] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 27.

[40] Dans le panthéon des religions afro-brésiliennes yoruba, le Candomblé et l’Ubanda, Iemanja est la mère des dieux (Orixas). Sur l’identification de Iemanja à l’État, voir Rita Laura Segato, L’Œdipe Noir. Des nourrices et des mères, trad. Léa Gauthier, Paris, Payot & Rivages, 2014.

[41] Trust/Shakespeare/Alléluia, texte et mise en scène de Dieudonné Niangouna, a été créé en septembre 2019 à la MC93 (Bobigny).

[42] Simon Kimbangu (1887-1951) fut emprisonné pendant 27 ans, jusqu’à sa mort, par le pouvoir colonial belge.

[43] Pierre André Grenard Matsoua (1899-1942) fondateur en France de l’Amicale des originaires de l’Afrique-Équatoriale française, une association indépendantiste congolaise, emprisonné plusieurs fois par le pouvoir colonial français, évadé et condamné à perpétuité, meurt en prison dans des conditions suspectes. Le matswanisme jouera après sa mort un rôle important dans la lutte anti-coloniale.

[44] Kimpa Vita (1684-1706), également connue sous le nom de Dona Beatriz, est une prophétesse kongo fondatrice d’un christianisme noir, opposé au christianisme colonial portugais, dont le messie est Antoine 1er du Kongo (Nvita a Nkanga), roi du Royaume du Kongo de 1660 à 1665. Condamnée pour hérésie, elle est brûlée vive sur un bûcher. Sony Labou Tansi lui a consacré une pièce de théâtre (Kimpa Vita, document dactylographié). Sur cette pièce inédite, voir Patrice Yengo, « L’autre du prophétisme congolais. Épigénétique du syndrome prophétique chez Sony Labou Tansi », Continents manuscrits [en ligne], 12|2019, mis en ligne le 11 mars 2019,

[45] Dieudonné Niangouna, Sony chez les chiens suivi de Blues pour Sony, Paris, Éditions Acoria, 2016. La pièce a été créée au Théâtre National de la Colline en mars 2017.

[46] Tchicaya U Tam’si, À travers temps et fleuve, dans Feu de brousse, Paris, L’Harmattan, 1957, p. 51 : « Un jour il faudra se prendre / Marcher hauts les vents comme / Les feuilles des arbres / Pour un fumier pour un feu ».

[47] Merline est dans Machin la Hernie une figure de l’opposition charismatique à Martillimi Lopez.

 

Pour citer ce document

Dieudonné Niangouna, « Jouer Martillimi Lopez. Retour sur Machin la Hernie de Sony Labou Tansi », entretien réalisé par Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini, thaêtre [en ligne], Chantier #5 : Machin la Hernie : théâtre monstre (coord. Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini), mis en ligne le 8 décembre 2020.

URL : https://www.thaetre.com/2020/12/08/jouer-martillimi-lopez/

 

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