De la rue à la scène

Trois cas d’école dans le hip-hop états-unien

En étudiant les programmes et livrets pour Les Indes galantes, j’ai été frappée par l’explication fournie par Clément Cogitore à propos des origines du krump, la danse mise en avant dans sa première vidéo pour la plateforme numérique 3e Scène : « C’est une danse qui est née à la fin des années 1990 dans les ghettos noirs de Los Angeles après les émeutes qui ont suivi la mort de Rodney King. »[1] Étant donné le lourd passif de suspicion de discrimination raciste de la police, l’idée que King puisse en avoir été victime est tout à fait compréhensible. Elle s’inscrit dans un schéma récurrent ancré dans une histoire de clivage racial, après les décès d’Eric Garner, Michael Brown et Tamir Rice. Mais contrairement à ce qu’a affirmé Cogitore, les émeutes de Los Angeles n’ont pas suivi le passage à tabac de Rodney King, mais le procès des policiers impliqués : elles sont vraisemblablement liées à l’impunité dont ils ont bénéficié. Rodney King n’est d’ailleurs pas mort à cette occasion : il a vécu jusqu’en 2012, devenant également célèbre pour ses paroles d’apaisement : « can we all get along ? » (« pouvons-nous nous entendre ? »)[2].

Je n’évoque pas cette mythologie sur les origines du krump pour corriger l’histoire, mais plutôt pour souligner ce qui m’apparaît comme une sorte d’attente implicite de la part du metteur en scène qui utilise les arts de la rue pour évoquer des problèmes politiques également présents en France, tout en passant par le détour du contexte culturel américain pour éviter de les aborder frontalement. En choisissant le krump, une performance de hip-hop ouvertement revendicative, Cogitore nous invite à prendre en compte la violence des rapports urbains : cette violence est désignée comme l’origine du krump, qui est en retour défini comme sa manifestation symbolique. Le krump, tout comme les autres styles de danse urbaine convoqués dans Les Indes galantes, flex, voguing, etc., est censé donner à voir la violence de la rue.

En France, un corps qui danse n’est pas souvent lié à son identité politique. Comme le montre Felicia McCarren, le corps en mouvement permet d’échapper à certaines assignations en modifiant les perceptions du spectateur qui se trouve face à un artiste polymorphe, et non face à un corps facilement assignable :

Les danseurs peuvent dépasser certains stéréotypes au travers de chorégraphies qui ne recourent pas à la parole et permettent bien souvent de modifier le regard porté sur ces corps grâce à leur mise en mouvement en dépassant leur simple apparence physique[3].

Dégagé du contexte politique américain, il me semble que le hip-hop français n’est pas réductible à la seule expression d’un type de population en particulier, originaire des quartiers défavorisés, mais tend à s’universaliser comme un mode d’expression artistique parmi d’autres. L’institutionnalisation du hip-hop et sa production haut de gamme en France posent néanmoins des questions quant à ce que nous voyons sur scène et aux affects que cela suscite. La danse krump a été créée en tant qu’expression de résistance, manifestation d’une subjectivité en train de s’affirmer. Elle demeure à la fois une manifestation et une archive de ces émotions particulières. Consommée comme une performance, ne risque-t-elle pas de perdre ce qui fait sa singularité ? Que devient le style de la rue lorsqu’il est domestiqué sur une scène ?

Aux États-Unis, en l’absence d’une politique publique de financement et d’institutionnalisation telle que celle impulsée par François Mitterrand et Jack Lang en France, les différentes danses de rue qui comportaient initialement une dimension politique n’ont eu pour perspective qu’un développement commercial, qui a eu pour effet de neutraliser cette dimension politique. La commercialisation les a ancrées dans la culture populaire, sans doute plus qu’en France. Mais dans ce processus, leurs origines ont néanmoins pu se perdre. Alors que l’industrie de la musique pop est toujours à la recherche de nouveauté, de tels actes d’appropriation culturelle rendent méfiants des membres des communautés minoritaires[4]. Madonna a été critiquée pour son usage du voguing en 1990, Miley Cyrus pour celui du twerk, Justin Bieber pour celui d’une danse jamaïcaine dans la vidéo « Sorry »[5]. Le risque ici est que l’importation de ces éléments dans les médias populaires réduise toute une esthétique et l’énergie d’une communauté à un simple élément de décor qui vise à rendre plus authentique un produit de la culture de masse. Ces chanteurs de pop font appel à des professeurs pour apprendre les techniques de ces danses mais créditent rarement ces derniers. Comme l’usage spectaculaire du hip-hop dans les vidéos musicales de pop l’indique, sans soutien gouvernemental, la danse doit se vendre si elle veut trouver un public. Les productions artistiques haut de gamme incluant des styles de danse de rue sont encore rares aux États-Unis.

Cet article va se pencher sur le contexte américain de la danse hip-hop pour questionner les enjeux de sa mise en scène dans les spectacles subventionnés, ce qu’on appelle le genre « uptown » à New York. En étudiant trois spectacles, l’étude prendra en considération la façon dont la danse dite « street » se transforme en culture haut de gamme, ce qui se fait différemment qu’en France ou en Europe du fait des spécificités politiques et culturelles des institutions qui s’en chargent. Nous ne pouvons même pas dire qu’il y a un processus d’intégration du hip-hop réfléchi aux États-Unis car l’expression artistique se dissocie complètement de l’État à la fois financièrement et symboliquement. Le système ultra-capitaliste qui conditionne le marché artistique états-unien — dont New York est la capitale — change également le rapport entre les formes théâtrales traditionnelles du passé et leur renouvellement auprès d’un public contemporain. Ce travail s’articule autour de trois œuvres mêlant hip-hop et danse classique, trois spectacles qui ont eu lieu entre 2014 et 2018, et mettent en lumière l’évolution de la place prise par le hip-hop au sein des institutions culturelles new-yorkaises. Le premier, Les Bosquets, et le troisième, The Runaway, ont eu lieu au New York City Ballet, l’une des compagnies les mieux dotées aux États-Unis, alors que le deuxième, Something Sampled, est l’œuvre d’une compagnie indépendante de « chambre », également basée à New York.

 

Les Bosquets

 

Quand le New York City Ballet a sollicité l’artiste français de rue JR pour une création en 2014 intitulée Les Bosquets, la compagnie n’a pas caché ses intentions. « Notre arrière-pensée, pour être franc, c’est de tenter d’attirer un public plus jeune dans cette salle », avoue Peter Martins, l’ancien directeur du NYCB[6]. Une telle logique pouvait-elle conduire à autre chose qu’à un échec ? En effet, qu’est-il possible d’attendre d’une œuvre pensée pour ses effets sur les réseaux sociaux plutôt que pour sa dimension artistique ? Comme JR ne connaissait pas le vocabulaire du ballet – il n’avait jamais assisté à un spectacle de danse classique avant de recevoir cette commande –, Martins est intervenu pour assurer la « traduction » de ses idées en pas.

Le spectacle met en scène les émeutes après la mort des deux adolescents Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois en 2005. L’événement avait mis l’œuvre de JR en avant car ses photographies des résidents couvraient les murs de la cité lorsque les caméras de télévision sont venues filmer les émeutes. Le ballet se concentre sur deux personnages principaux parmi la masse des manifestants et des policiers : un cinéaste du quartier (inspiré de Ladj Ly) et une artiste (vraisemblablement inspirée de JR). Alors que le ballet a été critiqué pour son manque de profondeur, personne n’a avancé l’idée que transformer l’histoire d’une population défavorisée en une création mielleuse pour le gratin de New York risquait de trahir l’expérience de ceux qui ont été témoins des événements de Clichy-sous-Bois[7]. La distance qui sépare les spectateurs new-yorkais de l’expérience des populations de banlieue parisienne – même si des parallèles peuvent être faits avec les violences policières aux États-Unis[8] – suggère qu’ils ont moins besoin de faire face à la crise tragique évoquée par le spectacle. La critique sociale ne peut faire l’objet d’un spectacle qu’à la condition d’être tenue à distance. Alors que les compagnies commerciales qui font allusion à l’esprit de protestation aux États-Unis sont habituellement critiquées, ce spectacle du New York City Ballet n’a pas reçu la moindre critique pour son plaidoyer en faveur de la justice sociale en France, plaidoyer d’ailleurs cantonné à des effets esthétiques.

La compagnie a cependant reconnu sa position particulière, extérieure aux événements, en choisissant Lil Buck, danseur africain-américain de jookin’, pour jouer le rôle d’un réalisateur inspiré de la biographie de Ladj Ly, avec la présomption implicite que l’identité malienne de ce dernier ne pouvait pas être représentée par la danse classique<[9]. Les danseurs du City Ballet jouent à la fois les personnages de manifestants et de policiers, dans une démonstration de la faillibilité commune de l’opprimé et de l’oppresseur. La présence de Lil Buck à leurs côtés sur scène garantissait l’inclusion d’une véritable minorité autrement absente de la performance, fondée sur le présupposé que le danseur pouvait « représenter » les habitants de Clichy-sous-Bois, parce qu’il est noir et danse un style de rue.

 

Les Bosquets
Mise en scène et chorégraphie de JR
Création en avril 2014 au New York City Ballet

 

Les Bosquets illustre deux tendances sur lesquelles je reviendrai par la suite. La première est la bataille entre le hip-hop et la danse classique, avec un homme noir (Lil Buck) dansant dans le premier style et une femme blanche (Lauren Lovette) dans le second, une mode qui atteignit son apogée en 2015. La deuxième est l’engagement d’artistes contemporains populaires par des grandes compagnies, comme pour rendre la danse classique plus attirante aux yeux de leurs abonnés Instagram[10]. Dans le cas des Bosquets, Madonna et Robert de Niro apparaissent dans les photos de répétition diffusées sur les réseaux sociaux comme une sorte de caution de l’œuvre d’art et de ce qu’elle représente, alors même que son message demeure flou, dans une ambiance validée par des visages souriants, à défaut d’un contenu artistique réellement pertinent.

L’effort du New York City Ballet pour entrer en contact avec un autre champ et faire évoluer l’image de préciosité qui colle à la danse classique paraît courageux. Les Bosquets suggère que la danse classique, qui est souvent présentée comme l’une des formes esthétiques les plus politiquement neutres, peut s’actualiser sous une forme renouvelée. Par la mise en scène des émeutes, le ballet demande à son public de voir la force codifiée du corps entraîné non pas comme une abstraction éthérée, mais comme l’incarnation d’un lien entre chorégraphie et actions dans le réel. Malgré la place importante de Lil Buck comme figure minoritaire, la confrontation avec une telle altérité reste édulcorée. L’inclusion de séquences pré-filmées – un faux direct bricolé entre Lovette et Lil Buck se filmant mutuellement avec leurs smartphones et projeté en arrière-plan – semble souligner les limites inhérentes à la danse et compenser le manque d’expressivité des visages. L’agrandissement des corps semble vouloir effacer la distance induite par la représentation chorégraphique en créant une soudaine proximité empathique, voire briser les barrières politiques par l’étalage d’une fragilité physique, d’une humanité commune dans un face-à-face montrant leurs expressions tourmentées. La caméra se concentre sur leurs mains, transformant les plus petits gestes en actions chargées de signification. Filmer avec un smartphone est possible pour les résidents de Clichy-sous-Bois, mais agrandir leurs visages aux dimensions d’un écran sur une scène de théâtre ne l’est pas. Par ce choix de représenter « l’autre » via cet artifice technologique, c’est « l’artiste » à audience internationale JR qui prend le contrôle. L’expression de la souffrance est réservée aux corps marginalisés, tandis que sa manipulation est prise en charge par l’artiste donné comme seul capable de la transcender[11]. Au lieu de la confrontation entre danseur et public et de l’énergie échangée, les apparitions numériques remplacent les danseurs par des images d’eux-mêmes. Ils ne sont plus aux commandes de leur représentation ; ce n’est pas eux le point de mire sur scène, mais la vidéo en gros plan au-dessus d’eux. Cette stratégie du gros plan est probablement censée rapprocher le danseur du public, chaque détail de son regard étant suffisamment agrandi pour que chaque membre du public puisse le voir et y réagir. Mais sous couvert de donner de la visibilité aux personnages grâce à la technologie, la vidéo a pour effet de les rendre visibles uniquement en image, dans une cinématographie empruntée aux publicités de luxe.

Si leurs corps sont projetés dans des images de haute résolution pour éliminer la distance entre les deux personnages et leur public, la fable dans laquelle cette mise en avant se fait ne se présente pas de façon claire. Car c’est Lovette, et non Lil Buck, qui accueille l’autre, c’est elle qui semble la résidente de la banlieue fictive du ballet et pas lui ; Lil Buck la trouve après avoir traversé une foule de policiers et de manifestants. Leur échange se présente comme une amitié peu probable entre deux personnages opposés, une relation en plein développement montrée à travers une sorte de battle : Lovette danse des pas classiques, puis Lil Buck la suit avec des pas de jook. La forme d’appel et de réponse dans la chorégraphie promet une reconnaissance de la technique du jook comme langage aussi précis que la danse classique : ils sont mis sur le même plan, Lovette dansant d’abord et Lil Buck la suivant avec une version dans son propre style. Mais comme Lovette amorce le mouvement à chaque fois, des déboulés (que Lil Buck reproduit sur les genoux) aux grands jetés (qu’il imite par des saltos arrières), il devient clair que les « réponses » du danseur de hip-hop sont encadrées d’une façon qui ne rend pas justice à son style de danse. Ceci n’est pas une conversation, mais une émulation ; Lovette est présentée comme celle qui contrôle le mouvement et donc l’histoire.

À part cet échange et le contexte de la banlieue en révolte, l’essentiel du livret manque de clarté. Ses détails et sa logique se perdent dans un amas de gestes mélodramatiques et de références à La Mort du cygne, le ballet classique de Michel Fokine. L’un de ces gestes est particulièrement significatif : après avoir ressuscité Lovette, Lil Buck fait le geste de pointer un revolver sur sa tempe. La seule fois où Lil Buck contrôle la scène, c’est ainsi par sa force brute. Or, Lovette jouant le rôle de l’artiste, c’est donc la danse classique elle-même qui semble frôler l’extinction. Cette image de Lil Buck avec une arme dirigée vers Lovette n’a rien d’anodin, et comporte des connotations racistes. Si l’une des promesses de la danse s’appuie sur l’abstraction du corps en mouvement et la capacité du danseur à se transformer à partir de celle-ci, cette chorégraphie montre le contraire, renvoyant les deux individus à des stéréotypes d’eux-mêmes.

Dans sa formulation de l’événement performatif, Richard Bauman constate que la performance doit être continuellement considérée en relation avec le public[12]. Comme produit de l’imaginaire du chorégraphe, du public, et de toutes les autres personnes ayant contribué à ce spectacle, la performance de Lil Buck n’était pas uniquement une représentation de lui-même, bien qu’il ait le contrôle de son corps et donc de sa danse. Il est vrai qu’une forme d’art « minoritaire » est présente sur la scène classique, une rareté aux États-Unis qui peut être considérée comme un signe positif de compréhension entre différentes cultures. Mais les études récentes, comme celle de Jennifer Solheim sur l’écoute, observent la politique quelquefois ambiguë de l’autoreprésentation du marginalisé face à la culture dominante : « Le silence est l’imposition d’un récit social dominant sur des voix marginales. »[13] Lil Buck danse, mais ne se fait pas voir ou comprendre dans sa propre expression. Entouré par des danseurs classiques (dont la plupart sont blancs), Lil Buck tenait clairement un rôle désigné comme celui de l’homme noir, du représentant des minorités. Toujours interrompu par Lovette, il ne lui est pas accordé suffisamment de temps en solo pour que le spectateur puisse déchiffrer sa danse et répondre aux énergies qu’elle dégage et à ce qu’il essaie d’y exprimer. Le sujet du spectacle rendait sa contribution à la représentation cruciale, mais seulement pour la forme, et sans lui permettre l’expression véritable de sa subjectivité.

 

Something Sampled

 

Aux côtés des grandes compagnies de danse de New York, les petits groupes de danse classique « de chambre » sont de plus en plus appréciés. Ces compagnies indépendantes, sans la bureaucratie d’un comité financier, contribuent à renouveler la danse classique, lançant les carrières de certains chorégraphes et conférant une dimension plus intime et plus expérimentale à un art parfois excessivement tenté par le grandiose. BalletNext est l’une des plus célèbres de ces compagnies indépendantes grâce à la réputation de sa fondatrice Michele Wiles, qui fut première danseuse à l’American Ballet Theatre. Après s’être lassée du monde du ballet, de ses codes et de ses hiérarchies, elle semble avoir réorienté sa carrière pour chercher plus de liberté. Dans un spectacle de sa compagnie aux New York Live Arts en 2016, Something Sampled, donné dans le cadre du thème « Baroque’d », elle adopte une esthétique du choc et du titillement, en présentant les danseurs affublés de costumes de couleurs fluos. Le terme de « Baroque’d » en lui-même et la mise en jeu de ses connotations tentent un télescopage entre la référence historique et l’affirmation d’un univers post-moderne impliquant une reconfiguration du langage et de l’esthétique du ballet, comme pour réfuter la présomption que les formes traditionnelles sont mortes. La compagnie réhabilite la danse classique elle-même, tout en en offrant une transformation radicale dans un « relooking » à la manière de la téléréalité.

La vedette de cette saison est le danseur Jay Donn pratiquant un style de hip-hop qui vient d’émerger à Brooklyn, le flex. Dans une stratégie semblable à celle de JR, c’est son apparition qui doit attirer un public plus jeune. Mais sa performance se retourne contre l’intention originelle du spectacle ; le public est visiblement mal à l’aise, et le New York Times décrit Donn comme l’élément ôtant tout mérite à la représentation[14]. En réalité, le problème vient moins du danseur que de l’organisation de la danse. Donn pousse les émotions et la pantomime du flex à l’extrême, son visage expressif oscillant entre surprise enjouée et air de défiance. Le fait de le regarder perturbe, non seulement à cause des contorsions typiques du flex (appelées « bone-breaking »), mais également parce que sa façon de montrer les émotions correspond aux expressions d’une personne bien consciente d’être regardée. En tant que stratégie pour attirer le spectateur dans la rue, le choix de surjouer peut sembler justifié, mais il l’est moins dans l’intimité du théâtre.

Jay Donn remet en question la nature de sa collaboration lorsqu’il entre en scène et exécute une série de gestes pour mimer un air sérieux, désorienté de façon grossièrement naïve, comme s’il était surpris de se trouver là. La référence est clairement celle du mime (d’où viennent des capacités narratives du flex), mais Jay Donn laisse le spectateur à l’extérieur de sa feinte, marquant ses gestes de façon agressive. Le flex, avec ses contorsions de la forme humaine, interroge la réception du corps par le spectateur. En dégageant ses os de ses cavités, le danseur semble dire : « Je suis plus que ce que vous pensez. » Les grimaces de Donn ont l’effet contraire : ses pitreries n’abusent personne. Quand les autres artistes le rejoignent, y compris quatre danseuses de style classique et un violoniste, les stéréotypes se multiplient. Elles portent des tutus pour paraître chic ; le musicien est pieds nus avec des lunettes étoilées. Pendant toute la durée de la représentation, je m’interrogeais sur la raison pour laquelle l’œuvre ne pouvait pas se suffire à elle-même, mais devait être agrémentée par les excentricités inutiles de l’artiste.

Le ballet met en scène des personnages caricaturaux. Les danseuses essaient de s’emparer de la technique flex et ont plutôt l’air d’une parodie de danseuses pop. Tout le monde s’exprime par des gestes de pantomime, mais s’il y a un sens derrière de tels mouvements, celui-ci reste obscur. Le spectacle Something Sampled se termine par une battle où Michele Wiles pousse Donn à faire ses tours fouettés. Chacun imite l’autre, alors qu’évidemment personne ne « gagne » la compétition. Mais en jouant des caricatures d’eux-mêmes, ils renforcent les clichés d’une ballerine chichiteuse et d’un danseur de rue désemparé.

 

Something Sampled
Mise en scène et chorégraphie de Jay Donn et Michele Wiles (BalletNext)
Création en février 2015 au New York Live Arts

 

Avec cette conversation dansée entre un homme noir et une femme blanche, Something Sampled évoque les Bosquets du New York City Ballet. Cette configuration devient récurrente, réapparaissant au festival de Vail la même année avec Lil Buck, encore une fois, et une autre ballerine du New York City Ballet, Tiler Peck. Même si BalletNext ne l’annonce pas comme l’a fait le New York City Ballet, cette stratégie relève de la même tentative d’attirer un public nouveau, jeune et urbain. Cette tendance peut se comprendre ; les séances de jam ou d’improvisation des danseurs dans les stations de métro sont souvent plus engageantes et énergiques que les spectacles de trois heures dans les théâtres traditionnels. Mais placer négligemment des danseurs de rue dans des productions haut de gamme pour en faire des modèles exemplaires – et commercialisables – d’assimilation culturelle et d’énergie de la jeunesse pose plusieurs problèmes en matière de compréhension interculturelle.

Alors que la presse généraliste américaine critique l’appropriation culturelle par les stars de la pop en rappelant les origines urbaines de ces formes artistiques, des musicologues développent actuellement une compréhension plus subtile de la notion d’origine elle-même. L’expression artistique étant toujours issue d’un patchwork d’influences, elle ne peut être réduite à des identités géopolitiques clairement définies. Mary Pratt qualifie la danse de « miroir », dans lequel deux cultures, lorsqu’elles sont face à face, s’imitent dans une production de sens mutuelle. Ce phénomène d’échange culturel est d’autant plus réalisable que les deux personnes dansent véritablement face à face, que le regard de l’autre comme miroir n’est plus une métaphore[15]. Dans les cas des Bosquets et de Something Sampled, le cadre du duo ne mène pas à un tel échange. Ces deux productions soulignent les différences plus qu’elles ne proposent un cadre propice à la fusion et à l’émulation mutuelle. Le duo formé par la ballerine blanche et le danseur noir suggère que la diversité est bienvenue seulement sous certaines formes avant tout commercialisables.

 

The Runaway

 

Quand je suis revenue à New York en 2018 après trois ans d’absence, le changement dans les attentes culturelles était palpable. Plus de duos ballerine-danseur de street, tendance déjà dépassée. Le flex avait le vent en poupe grâce à sa nouveauté et ses capacités à narrer une émotion, et on le trouvait partout – à l’Armory, au Shed, deux théâtres avant-gardistes de New York. Les artistes de hip-hop étaient désormais devenus des têtes d’affiche. Avec ce nouveau statut, ils semblaient posséder une plus grande capacité d’action, avoir conquis sur scène la maîtrise totale qu’ils n’avaient auparavant qu’en se filmant sur YouTube. En l’espace de quelques années, un changement s’est produit, non grâce à une politique ou une reconnaissance officielles mais plutôt au travers d’un effort pour faire entendre des voix marginalisées.

C’est dans ce contexte qu’a été créé The Runaway, produit par Kyle Abraham, en septembre 2018 au New York City Ballet. Abraham, qui dirige sa propre compagnie, Abraham in Motion, ne trouve pas ses inspirations au conservatoire mais plutôt dans les boîtes de nuit. Lauréat de la bourse « Genius » de MacArthur, il est très conscient de la façon dont sa position en tant qu’artiste afro-américain et homosexuel interagit avec le monde de la culture institutionnelle. Abraham est politiquement engagé, non seulement dans la défense des droits des minorités ethniques, mais aussi dans la défense de la parité. Il n’accepte ainsi de présenter ses créations que si une femme chorégraphe est elle aussi recrutée[16].

Son intervention au New York City Ballet s’inscrit en outre dans un contexte particulier. Peter Martins, l’ancien directeur de la compagnie, venait de démissionner après plusieurs accusations de harcèlement sexuel. Toute l’équipe semble alors soucieuse de prouver que les traditions de leur art ne sont pas le fruit de valeurs patriarcales. À l’inverse de la politique standardisée des compagnies de danse classique où les danseurs minoritaires sont souvent sur scène uniquement pour des rôles « exotiques », Abraham est ici dans la pleine maîtrise de son art.

Au début du spectacle, le danseur Taylor Stanley traverse la scène vide avec l’urgence et la détermination d’un chasseur en forêt. Au lieu de présenter la vision d’un corps autonome et libre avec un torse isolé comme c’est généralement le cas dans la danse classique, dans cette séquence, le haut et le bas du corps s’opposent, Stanley tendant le bras dans un sens et faisant un développé avec sa jambe dans le sens inverse. La chorégraphie rompt aussi avec la relation traditionnelle entre danse et musique : les pas ne précèdent pas la musique, comme c’est la norme au New York City Ballet. Stanley réagit à son tempo comme on le fait sur une piste de danse. Les danseurs n’agissent pas comme instigateurs de leur propre mouvement ; ils répondent au rythme au lieu de le contrôler, moins impérieux dans leur commande de l’espace, plus sensibles à ce qui les entoure. Abraham repense ainsi le rapport entre le danseur comme individu et son environnement.

 

The Runaway
Mise en scène et chorégraphie de Kyle Abraham
Création en septembre 2018 au New York City Ballet

 

À d’autres moments, Abraham utilise l’audace de la danse classique dans un but ironique. Après un passage chorégraphié sur de la musique électronique, Stanley commence à danser sur du Kanye West, avec « Hello White America » comme premier titre dans ce qui semble être une conversation directe avec le public ; Stanley est noir, et la plupart des spectateurs présents lors des premières représentations sont blancs. La musique de Kanye West se poursuit pendant tout le ballet. On pourrait facilement réduire cette esthétique pop à une stratégie commerciale. Mais Abraham souligne ce que la danse classique et le rap partagent : une conviction totale et une confrontation arrogante avec ceux qui sont en face. Les danseurs abandonnent leur volonté de plaire et réalisent leurs pas les plus brillants. À un moment, Roman Mejia danse au rythme de la chanson « I Love Kanye », exécutant une série de sauts battus sans pause. Abraham s’approprie le principe des compétitions de danse et de leurs prouesses flamboyantes et le bouleverse pour l’intégrer à une esthétique de l’excès. Le public peut facilement se souvenir à la fois des origines militaires de la danse classique et des battles de hip-hop, la virtuosité défiant un possible échec. La référence à une telle tradition fonctionne car tous les tropes de la danse classique se mêlent, sont déformés, presque méconnaissables. Si les pas demeurent identifiables, l’ensemble ne relève plus vraiment du ballet. Cette métamorphose tient en partie à l’extravagance des costumes de Giles Deacon. Certains danseurs portent des jupes, l’un d’eux a des plumes d’autruche sur la tête qui l’aveuglent complètement ; des fraises ornent également des cous et des poignets. D’abord conçus pour un gala de mode, ces costumes amplifient le questionnement sur le corps et sur ce qu’est un danseur sur scène.

Tout cela peut être perçu comme l’expression d’un rapport cynique à la tradition. L’accumulation des tours de force au sein d’une structure plus sophistiquée donne l’impression d’une petite fille qui joue avec les bijoux de sa mère ; les prouesses des danseurs sont en partie influencées par la façon dont Instagram les encourage à faire des tricks instantanés comme une série de tours ou de développés[17].

Abraham ne réinvente pas les mécanismes du ballet en suivant l’exemple des chorégraphes néoclassiques, mais joue avec ses formes incarnées. Le résultat peut être considéré comme post-moderne dans le sens où son inspiration ne vient ni de la technique ni de l’héritage du ballet, mais plutôt de références faites au ballet et d’une déconstruction de ses parties. Les danseuses ne montrent pas leur fragilité, mais leur force ; la personne qui nous coupe le souffle, c’est Taylor Stanley. Les danseurs du New York City Ballet sont poussés à affirmer leur identité individuelle, avec les risques et la vulnérabilité qui en découlent. Le public semblait savoir qu’il avait été témoin d’une énergie sans précédent sur scène. En sortant du théâtre, j’ai croisé Taylor Stanley et il m’a confirmé l’émotion collective de la salle : « Il faut monter sur scène tous les jours dans ce boulot, m’a-t-il dit. La différence ce soir, c’est que nous pouvions le faire en étant nous-mêmes. »

 

***

 

L’incapacité de la danse classique états-unienne à inclure d’autres styles peut étonner au vu d’une histoire dans laquelle ses pas codifiés se sont mêlés à plusieurs styles folkloriques comme les claquettes, la quadrille et le jazz. L’attention prêtée au public par les danseurs de Balanchine suggère une intention vaudevillesque de divertir et plaire aux spectateurs. Les représentations des danseurs de l’Opéra national de Paris, au contraire, peuvent paraître distantes et même un peu hautaines. Mais bien qu’une certaine influence populaire se distingue dans ses origines, l’histoire de la danse états-unienne est aussi marquée par un profond manque de respect pour les autres cultures, qui s’enracine notamment dans une vision ancienne de la danse comme communication universelle, compréhensible immédiatement en dehors de toute histoire et de tout contexte.

La théorie de l’empathie kinesthésique développée par John Martin dans les années 1930 est toujours citée par des critiques de danse afin de revendiquer la vitalité incarnée propre à la danse et ses effets sur les spectateurs[18]. La danse reste perçue comme un art particulièrement « authentique » à cause de sa corporéité, sans « intrusion » du langage. L’idée provenant des Lumières selon laquelle elle serait une forme de communication universelle perdure jusqu’à aujourd’hui[19]. La danse est souvent considérée comme un art qui possède une expressivité propre à son apparence visuelle, détournant les spécificités culturelles par le biais du corps supposé être « hors » culture. Alors que l’appareil culturel du ballet a tendance à être pris au sérieux, demandant l’apprentissage d’un certain vocabulaire de la part du spectateur, les danses non-européennes sont trop souvent étudiées comme objets authentiques représentant directement une culture plutôt qu’en tant qu’art, faisant ainsi fi de toute forme de codification. Comme le dit Matthew Head : « les éléments fictifs et imaginaires de l’art le rendent idéologiquement neutre. »[20] Ce caractère universel de la danse, qui pourrait ainsi être comprise et jugée indépendamment de toute histoire et de tout contexte, est cependant de plus en plus remis en cause, jusque dans le monde de la critique. Gia Kourlas, critique au New York Times, s’est ainsi vu reprocher son incompréhension des danses africaines. Dans une réponse à l’un de ses articles, Charmian Wells démontre que l’ignorance dont il fait preuve face aux danses africaines vient du cadre problématique de l’anthropologie coloniale[21]. Le hip-hop est l’une des formes de danse les plus répandues aux États-Unis, mais ses danseurs les plus célèbres ne sont que rarement interviewés dans la presse grand public, à l’inverse du milieu de la danse classique. La culture américaine, fondée sur la diversité et l’inclusion, possède ses propres écueils qui sont mis en lumière par des spectacles comme Les Bosquets et Something Sampled.

Dans un effort pour rendre plus égalitaire un monde élitiste, la figure du chorégraphe a été progressivement effacée au sein du monde de la danse ces dernières années. Les maîtres de ballet pour la danse classique, ou les artistes-chorégraphes qui tiennent des compagnies à leur nom pour la danse moderne, ne sont plus les seuls modèles à suivre pour les jeunes générations. Le pouvoir absolu des directeurs de compagnie de danse classique a été fortement réduit à cause des abus de pouvoir dont ils sont coutumiers. Sous l’influence des réseaux sociaux, le travail des chorégraphes s’est tourné vers un processus plus ouvert et coopératif, avec un effacement du couple comme figure centrale notamment incarnée par le pas de deux[22]. Le mélange des genres dont Les Bosquets et Something Sampled sont des manifestations s’inscrit dans cette nouvelle tendance chorégraphique : JR étant néophyte, il a fallu traduire ses idées en gestes, tandis que dans Something Sampled, ce qui est mis en avant relève de l’affirmation de la personnalité de chacun plutôt que d’une vision surplombante et unificatrice issue de l’imaginaire d’un chorégraphe. Il en va de même s’agissant de Kyle Abraham, qui n’étant pas issu de la danse classique a suivi les conseils des danseurs de ballet pour le développement de ses pas. Or il nous apparaît que Kyle Abraham, grâce à son art, a su déjouer certains stéréotypes tout en maintenant une cohésion dans sa vision et ses interactions avec les danseurs. La seule distinction qui intervient entre les danseurs se fait à travers le geste lui-même, plutôt que via l’incarnation de personnages stéréotypés. La danse peut être comprise comme médium qui communique à partir d’un individu qui s’exprime à travers la corporéité, plutôt que comme lieu de renforcement des clichés. Dans cette perspective, la subjectivité des danseurs devient libre de s’affirmer, remplaçant ainsi les idées reçues sur ce qui constituerait une altérité fantasmée. Le pouvoir chorégraphique doit être rendu à ceux qui sont traditionnellement marginalisés.

Le hip-hop est arrivé relativement tard sur la scène états-unienne, mais pour qu’il prenne sa place aux côtés d’autres styles de danse en tant qu’art, ses artistes doivent posséder le titre de chorégraphe, titre acquis via la reconnaissance de leurs pairs. La chorégraphie d’Abraham exige d’être regardée de près. Le public doit s’y confronter afin de comprendre la subjectivité du sujet dansant. Il évite ainsi de mettre l’objet du regard dans des cases : une nouvelle façon d’être est révélée par la grâce du corps en mouvement, comme le reflet de notre monde réel en évolution.

 

 

Notes

[1] Clément Cogitore, « Entretien avec Clément Cogitore », Opéra national de Paris, 22 septembre 2017.

[2] Theresa Walker, « LA riots 25 years later », Orange County Register, 30 avril 2017.

[3] Felicia McCarren, French Moves. The Cultural Politics of Le Hip Hop, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 78 : « Performers can move beyond these stereotypes in choreographies that do not include language, and that often permit the transformation of bodily appearance or its diffusion in movement. »

[4] L’appropriation culturelle peut être définie comme l’adoption d’éléments représentatifs d’une culture ou d’une identité qui n’est pas la sienne. Ce phénomène est particulièrement controversé lorsque des membres d’une culture dominante s’approprient certains éléments typiques d’une culture minoritaire. Voir James O. Young, Cultural Appropriation and the Artsî Wiley, Hoboken New Jersey, 2015.

[5] Constantine Chatzipapatheodoridis, « Strike a Pose, Forever : The Legacy of Vogue and its Recontextualization in Contemporary Camp Performances », European Journal of American Studies [en ligne], 11-3|2017, mis en ligne le 24 janvier 2017 ; Freeman Hadley, « Miley Cyrus’s twerking routine was cultural appropriation at its worst », The Guardian, 27 août 2013 ; Brian Schaefer, « At What Point Does Appreciation Become Appropriation », Dance Magazine, 19 août 2019. Pour l’histoire des origines « bounce » du twerk, voir Matt Miller, Bounce : Rap Music and Local Identity in New Orleans, Boston, University of Massachusetts Press, 2012.

[6] Gia Kourlas, « From the Bleak Streets to the Ballet Stage », The New York Times, 28 avril 2014 : « The ulterior move, to be frank, is to really see if we can get some young people in this house. »

[7] Selon un entretien réalisé par Mediapart, Ladj Ly n’a eu rien à redire à la traduction de l’histoire de sa cité en danse classique américaine. « Ladj Ly, JR : le ballet des Bosquets », Mediapart, 2015.

[8] Les violences policières menèrent dans les mois suivants aux manifestations suivant la mort d’Eric Garner, en juillet, et celle d’Akai Garley en novembre.

[9]] La danse jookin’ est née dans le Sud des États-Unis, originaire de la danse de ligne traditionnelle.

[10] Cela ne signifie pas que le New York City Ballet n’a jamais collaboré avec des artistes travaillant dans d’autres disciplines auparavant, mais dans le passé, notamment sous la direction de George Balanchine, la scénographie était toujours restée secondaire par rapport à la danse.

[11] Pour l’analyse des hiérarchies de genres, voir l’œuvre de Susan McClary, Feminine Endings : Music, Gender, and Sexuality, Minnesota, Minnesota University Press, 1991.

[12] Richard Bauman, Story, Performance and event. Contextual studies of oral narrative, Cambridge, Cambridge University Press, 2012.

[13] Jennifer Solheim, The Performance of Listening in Postcolonial Francophone Culture, Liverpool, Liverpool University Press, 2018, p. 7 : « Silence is an imposition of a dominant social narrative upon marginalized voices. »

[14] Alastair Macaulay, « BalletNext Takes Risks in ‘‘Baroque’d’’ », The New York Times, 11 février 2015.

[15] Mary Pratt, Imperial Eyes : Travel Writing and Transculturation, London, Routledge, 1992, p. 196.

[16] Selon un entretien avec Ashley Bouder, danseuse principale du New York City Ballet, mené le 8 décembre 2018.

[17] Theresa Ruth Howard, « Is Instagram Changing the Dance World’s Value System ? », Dance Magazine, 16 juillet 2018.

[18] Dans un article de The Atlantic, par exemple, en menant une analyse de la danse pour la vidéo « This is America » de Childish Gambino, l’auteur cite des théories des années 1930 sans aucune distance critique : « Though the word viral is so associated with internet-sharing now, the virus-like quality of dance was being analyzed long before the existence of social media. John Martin, one of the first prominent dance critics, described the medium’s effect on its audience as a contagion. He suggested in his book Introduction to the Dance (1939) that when we watch others dance, ‘‘we shall cease to be mere spectators and become participants in the movement that is presented to us, and though to all outward appearances we shall be sitting quietly in our chairs, we shall nevertheless be dancing synthetically with all our musculature’’ » (« Même si le terme viral est aujourd’hui associé à internet, le caractère viral de la danse a été analysé bien avant l’apparition des réseaux sociaux. John Martin, l’un des premiers critiques de danse, a décrit l’effet de ce médium sur son public comme une contagion. Dans son ouvrage Introduction à la danse(1939), il affirme que quand nous regardons d’autres personnes danser, ‘‘nous cessons d’être de simples spectateurs pour participer au mouvement qui nous est présenté, et même si nous restons apparemment assis, immobiles, sur nos chaises, nous dansons néanmoins de tous nos muscles’’ »). Voir Aida Amoako, « Why the Dancing Makes ‘‘This is America’’ So Uncomfortable to Watch », The Atlantic, 8 mai 2018.

[19] Voir le chapitre « The voice and the body in the Enlightenment », dans Edward Nye, Mime, Music and Drama on the Eighteenth-Century Stage : The Ballet d’Action,Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 9-37.

[20] Matthew Head, « Musicology on Safari : Orientalism and the Spectre of Postcolonial Theory », Music Analysis, vol. 22, n° 1-2, mars-juillet 2003, p. 211 : « Art’s fictitious and imaginative elements rendered it ideologically neutral. »

[21] Chairman Wells, « Strong and Wrong : On Ignorance and Modes of White Spectatorship in Dance Criticism », Movement Research, 19 juin 2017.

[22] Je dois cette observation à un entretien mené avec le chorégraphe Troy Schumacher, le 7 janvier 2016.

 

L’autrice

Madison Mainwaring est doctorante dans le département de français à Yale University aux États-Unis. Sa thèse porte sur la subjectivité des femmes dans la danse théâtrale française au XIXe siècle en tant que spectatrices et danseuses. Elle contribue à de nombreuses publications comme journaliste et critique, telles que The New York Times et The Economist. Elle est également en train de rédiger la biographie autorisée d’Anna Karina.

 

Pour citer ce document

Madison Mainwaring, « De la rue à la scène. Trois cas d’école dans le hip-hop états-unien », thaêtre [en ligne], Chantier #6 : Baroque is burning ! (coord. Pénélope Dechaufour et Marine Roussillon), mis en ligne le 7 janvier 2022.

URL :  https://www.thaetre.com/2022/01/07/de-la-rue-a-la-scene/

 

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De la rue à la scène

 

 

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