Sur scène ou au sol, des tables remplies d’objets et surmontées de micros, quelques costumes parfois, et des régies son placées en évidence, manipulées par celles et ceux qui incarnent aussi les personnages. De tels dispositifs, mettant en lumière la part du sonore au sein de la représentation, se multiplient dans le paysage théâtral contemporain. Différents outils techniques accompagnent cette évolution vers une plus grande prise en compte du sonore, remarquée et étudiée depuis quelques années déjà par plusieurs chercheur·ses, principalement au Canada et en France[1]. Les scènes présentent souvent de manière visible du matériel de sonorisation, pleinement intégré à la scénographie, et qui constitue un support de jeu pour les comédien·nes. Dans les trois pièces dont il va être question, Piletta ReMix[2], Les Aventures de Dolorès Wilson[3] et Pister les créatures fabuleuses[4], microphones et haut-parleurs, ou casques, sont utilisés afin d’assurer une prise de son précise, d’une part, ainsi qu’une diffusion sonore fidèle aux divers bruitages produits au plateau, d’autre part. En plus de sa fonction pratique d’amplification des voix, la présence de tels outils rappelle visuellement l’esthétique radiophonique, et établit des espaces de jeu clairs. En effet, les micros majoritairement utilisés étant directionnels[5], ils contribuent à délimiter des « postes » de jeu relativement fixes, tandis qu’une adresse sans dispositif sonore permet généralement une plus grande mobilité des comédien·nes. C’est dans ces esthétiques proches d’un studio de radio, ou plutôt d’un atelier-laboratoire, que s’élaborent les bruitages, comme autant de strates sonores et visuelles proposées au public.
Dans le dictionnaire Larousse, on trouve la définition suivante du terme « bruitage » : il s’agit d’une « reproduction artificielle des bruits imitant ceux de la vie réelle, pour les besoins d’une pièce de théâtre, d’un film, d’une émission radiophonique ou télévisée »[6]. Si les trois pièces produisent effectivement des imitations de bruits, ces derniers ne réfèrent pas toujours pour autant à la vie réelle, c’est-à-dire que les spectacles n’expriment pas forcément une volonté mimétique par le biais du sonore (ou alors celle-ci est occasionnelle). Définir le bruitage au théâtre implique également d’observer les différentes facettes qu’il recouvre dans d’autres champs artistiques, tels que la création sonore et le cinéma. De manière plus comique, le glossaire disponible sur Syntone définit le bruitage dans les créations sonores comme une « porte de l’imaginaire », un « art de faire passer des vessies pour des lanternes, du plomb pour de l’or et un maigre bric-à-brac pour un royaume »[7]. Est ajoutée l’idée que de simples objets, ou matériaux, peuvent permettre la création sonore d’univers plus vastes, ce qui correspond assez bien à ce que l’on observe dans les pièces du corpus. Le dénominateur commun de ces définitions est le travail du lien entre ce que voient les membres du public et ce que les sons cherchent à leur faire voir, ou plutôt imaginer. Également considérés comme des artefacts, au cinéma, les bruitages sont des sons reconstruits qui permettent de compléter les sons déjà intégrés à l’image. Comme l’explique Michel Chion dans L’Audio-vision, ils sont ajoutés lors du montage-son et se superposent aux gestes, actions et mouvements, voire complètent une ambiance sonore[8].
Au théâtre, depuis l’invention du phonographe en 1877[9], les bruitages ont, comme au cinéma, longtemps été des sons acousmatiques au sens où, tout en se rapportant à des actions effectuées au plateau et à des événements visuellement perceptibles par le public, les bruitages étaient pourtant « fabriqués » ou simplement pré-enregistrés et diffusés en coulisses. Rappelons-le, dans un premier temps, les technologies de reproduction sonore, utilisées entre autres au théâtre, ont été définies par leur capacité à séparer un son de sa source[10]. C’est ce qui amène Noémie Fargier à montrer dans sa thèse que les bruitages font en général partie des sons off au théâtre :
Les sons off peuvent aussi donner l’illusion qu’ils émanent d’une source visible, dans un jeu de coïncidence et de vraisemblance. C’est le cas des bruitages qui, au théâtre, à la différence du cinéma, affirment leur caractère artificiel, « fabriqué », et relèvent d’un jeu formel[11].
Tout en étant des artefacts, les bruitages ont ceci de particulier qu’ils reposent sur un mécanisme mental, mis en évidence par Michel Chion, qui fait appel à la primauté que nous accordons à la vue par rapport à l’ouïe : l’« aimantation du son par l’image »[12]. Dans ce cadre, l’effet provoqué par les bruitages au cinéma, de même que par les bruitages de théâtre générés en coulisses, est fondé sur le fait que, si une source sonore potentielle est performée sur scène, alors même que la véritable source n’est pas visible, nos yeux attribueront tout de même le bruit entendu à ce qu’ils peuvent percevoir :
s’il s’agit d’un bruit de pas par exemple, et que le personnage en marche traverse l’écran, les sons de ses pas sembleront suivre son image – bien que dans l’espace réel de la salle, ils continuent de sortir du même haut-parleur fixe[13].
Au théâtre, lorsque les bruitages s’invitent sur scène, ils soulèvent plusieurs enjeux esthétiques ayant trait à ces rapports en partie conflictuels entre le visible et l’audible. En replaçant la source sonore au centre de la scène pour en faire un des éléments principaux des créations, ils contribuent à brouiller davantage cette frontière entre in et off. C’est dans ce cadre que je présenterai une typologie de ces différents bruitages, selon le rapport qu’ils entretiennent avec la source utilisée sur scène et l’effet qu’ils produisent. Cela m’amènera à distinguer les bruitages réalistes, les bruitages réalistes indiciels et les bruitages fantaisistes. Effectués à vue, les bruitages remettent en question la supposée frontière entre la technique et la scène, et du même coup, l’aspect spectaculaire et partiellement incompréhensible de la création scénique. Le bruitage relève à la fois de la prouesse technique, du jeu avec la matière et de la création d’ambiances. Les spectacles que je souhaiterais présenter posent, à leur manière, la question d’un plaisir du jeu sonore sur scène qui se transmettrait à la salle, question d’autant plus importante que ces trois spectacles s’adressent principalement à un jeune public. Je détaillerai dans un premier temps l’apport du sonore et des bruitages dans le passage d’un média écrit ou sonore à la scène. Puis j’envisagerai plus spécifiquement le rôle tant visuel qu’auditif des objets dans les différentes pièces, avant de présenter le sonore comme une manière d’initier le jeune public au plaisir de l’invention au théâtre par la représentation de l’invisible.
D’un support à l’autre : enjeux de la fabrique du sonore
dans les adaptations à la scène
Comme le souligne Juliette Volcler dans les différents articles qu’elle a regroupés pour un dossier consacré à la fiction jeunesse sur Syntone, les éditions sonores[14], ainsi que des radios publiques et associatives[15], ont progressivement réduit la part de leurs créations consacrées au jeune public. Tout en mettant en avant le besoin de ne pas faire du « pour enfants » une catégorie spécifique, elle montre que les jeunes auditeur·rices, après avoir été souvent infantilisé·es dans les productions, restent encore aujourd’hui rarement considéré·es par ces dernières[16]. En ce sens, les trois spectacles que je vais présenter dans cet article renouent avec l’idée d’une prise en compte de la qualité d’écoute du jeune public, et de la possibilité pour les artistes de l’explorer. Tous ayant fait le choix d’adapter un support existant, écrit ou sonore, à une version sonore scénique, le bruitage participe des modifications requises par le passage d’un support médiatique à un autre. Plus fondamentalement, ces bruitages, en associant éléments sonores et visuels, contribuent à la création du spectaculaire des pièces et en font donc des objets indépendants par rapport à leur source initiale, et pas uniquement des adaptations.
Piletta ReMix est un spectacle du collectif Wow !, collectif belge portant des projets à la fois théâtraux et radiophoniques. Il s’agit d’une adaptation à la scène d’une fiction sonore, Piletta Louise, « remixée » pour l’occasion[17]. Le récit est proche d’un conte d’apprentissage, dans lequel une petite fille part à la recherche de la fleur de bibiscus, remède miraculeux pour sauver sa grand-mère. Sur scène, une seule comédienne incarne Piletta, tandis que deux comédiens sont en charge des différentes voix des autres personnages, ainsi que de celle du narrateur. Les lieux que va traverser Piletta, ainsi que ses différentes aventures, sont bruités au plateau et parfois accompagnés de musiques, créées en live ou pré-enregistrées.
Piletta ReMix – Bande-annonce
Fiction radiophonique live créée en 2016
© Le Collectif Wow!
L’adaptation d’une fiction radiophonique sur scène est présentée par le collectif comme une occasion d’accéder aux coulisses de la création sonore. Les modalités de bruitage sont vastes et s’associent à une création musicale inédite. Des casques stéréophoniques sont distribués en début de spectacle à chaque membre du public[18], ce qui manifeste une véritable attention prêtée à la qualité de diffusion du son et à la proximité qu’il permet avec le public. Le casque semble avoir un double intérêt. Sur le plan technique, il crée une spatialisation et une diffusion plus précise du son, par rapport à des enceintes. En effet, il « isole son utilisateur dans un univers sonore privé ; il contribue à produire un tel espace acoustique en éliminant les bruits ambiants tout en gardant le son radiophonique hors de la pièce. Le casque permet ainsi d’intensifier et de localiser le champ auditif, facilitant considérablement la possibilité de prêter attention aux sons faibles, aux moindres détails acoustiques »[19], et donc aux bruitages, des plus « envahissants » aux plus subtils. Si, dans une salle de théâtre, l’espace n’est pas à proprement parler privé, mais bien partagé, généralement avec des inconnu·es, le casque contribue à recréer artificiellement une forme de sphère privée autour de chaque spectateur·rice. Tout en écoutant tou·tes la même chose, chacun·e peut avoir la sensation que l’on s’adresse à lui ou elle, en propre. De plus, fourni aux adultes comme aux enfants, il permet d’unifier l’écoute du public autour d’un même objet technique : chacun·e entendra et verra le spectacle à sa manière, mais du point de vue technique, le même outil est proposé, et les mêmes possibilités sont données à toutes et tous d’écouter le spectacle et d’être en empathie avec les personnages.
Le spectacle Les Aventures de Dolorès Wilson combine différentes histoires centrées autour de la même protagoniste et super-héroïne, Dolorès Wilson. Effectuant chaque jour un nouveau métier, Dolorès est chargée de résoudre différentes affaires grâce à des « pouvoirs » qui se révèlent brusquement chez elle, à chaque fois qu’elle ingère un piment agrémenté de crème chantilly. En plus de sonoriser la pièce grâce à des objets et d’assurer d’autres voix, les comédien·nes accompagnent Dolorès dans les chansons qui ponctuent les épisodes. Le dossier de présentation indique ainsi :
En partant du postulat que le son est tout, car toute chose a un son, l’éventail de l’infini s’ouvre à celui qui veut raconter une histoire, faire vivre un personnage : les mots décrivent les choses, permettent de créer un imaginaire, mais les sons transcendent cet imaginaire en lui apportant un réalisme envoûtant[20].
Les Aventures de Dolorès Wilson – Bande-annonce
Fiction bruitée créée en 2017
© Cie Les Belles Oreilles
Tout en reprenant les codes esthétiques de l’album jeunesse du même nom, en ce qui concerne l’ambiance pop et les couleurs vives, le spectacle se démarque en proposant la sonorisation de passages seulement écrits dans l’album. Il s’agit donc d’une « lecture bruitée », comme l’indique la compagnie, qui doit également permettre d’initier un aller-retour entre lecture et représentation sonore pour les enfants[21].
Pister les créatures fabuleuses est une création de l’Imaginarium, mise en scène par Pauline Ringeade. Le spectacle a été créé en 2021 à partir des conférences du philosophe et pisteur Baptiste Morizot[22]. Le livre Pister les créatures fabuleuses est une retranscription d’une « petite conférence » que le philosophe a donnée à Montreuil pour un jeune public. Le spectacle reprend le choix et les codes de cette adresse spécifique, en invitant à partir à la recherche des créatures à la fois fabuleuses et ordinaires qui peuplent nos vies. Dans notre environnement, créatures et pisteur·ses laissent des traces qu’il s’agit de lire. Les bruitages vont permettre de représenter ce phénomène de communication volontaire ou involontaire entre pisteur·ses et créatures. S’il s’agit d’une conférence jeune public, et que le spectacle reprend en partie ce format initial en choisissant une seule comédienne-conférencière pour s’adresser au public, la pièce met également en avant des jeux sonores qui tranchent avec le format d’une conférence plus classique. Il est intéressant de noter que le pistage est une activité essentiellement visuelle : on traque les traces laissées par les animaux dans leur écosystème. Or, dans le spectacle, il s’agit, à partir de ces mêmes traces, d’imaginer le parcours des animaux et leur vie cachée au regard humain, et c’est ici que le sonore entre en jeu pour donner à entendre les sons qu’ont pu produire les animaux lors de leur passage. Le son intervient dans un travail de reconstitution qui se veut plus ou moins fidèle aux véritables sons qui auraient pu être entendus, comme je l’expliquerai plus loin. L’enjeu est bien celui d’une recréation sonore, au sens d’une nouvelle invention par le son. Là où le visuel s’avère insuffisant pour permettre une reconstitution pleinement réaliste, il laisse la place à l’imagination par le sonore.
Ces trois spectacles invitent à se mettre à l’écoute de manifestations auditives qui dépassent le cadre strict du texte à partir duquel ils sont adaptés : un support déjà sonore pour Piletta ReMix, auquel il s’agit d’ajouter une dimension visuelle, et des supports écrits qui deviennent des sons théâtralisés pour les autres pièces. Si le parcours n’est donc pas exactement le même, l’intention d’allier son et image pour créer un spectacle à part entière est toujours présente.
Des objets faiseurs de bruits : entre réalisme et fantaisie
Dans les trois pièces, les bruitages sont produits par les corps des comédien·nes mais aussi, et plus fréquemment, par la manipulation d’objets. Il y a une forme de magie assumée dans l’utilisation de l’objet et dans son détournement pour en faire un outil de bruitage.
C’est par le bruit [que les objets] produisent que leur intégration à un ordre supérieur se réalise : dans ces véritables moments d’apesanteur, l’objet pauvre est libéré du prosaïsme et, en un détournement qui constitue presque une métamorphose, il échappe au déterminisme brutal de la marchandise et de sa consolation frelatée en devenant musique[23].
Jean-Luc Mattéoli montre que dans la représentation, l’objet peut échapper en partie à sa fonction première et, dans cette même dynamique, sortir d’un rôle simplement utilitaire ou mimétique. Ainsi détournés pour leurs vertus sonores (que l’on peut supposer ou qui sont entièrement inventées pendant la création), les objets confèrent à la pièce une trajectoire moins linéaire que poétique, en mettant toujours en avant une forme d’artisanat et d’inventivité au travers des bruitages créés. Analysant les spectacles de la compagnie Deschamps-Makeïeff, Jean-Luc Mattéoli souligne même la possibilité pour l’objet du quotidien de devenir source de musique, ce qui se produit à plusieurs reprises dans Piletta ReMix et dans Les Aventures de Dolorès Wilson. Ainsi, l’objet est sorti de son usage initial, tant du point de vue sonore que de celui des images scéniques qu’il va contribuer à créer. Tout en servant scénographiquement l’univers du support d’origine, il ne se limite pas au statut d’accessoire visuel, mais sert aussi à la sonorisation de la pièce. Les objets combinent ainsi ce double enjeu visuel et auditif sans pour autant être toujours, au départ, des objets sonores[24].
Dans Les Aventures de Dolorès Wilson, de nombreux bruitages font référence à des environnements réalistes. Je pense par exemple à une scène d’embouteillage dans l’épisode « Panique au mini-market », durant laquelle le public peut entendre plusieurs sons de klaxon, ainsi que des voix plus ou moins audibles de conducteur·rices mécontent·es que les comédien·nes créent au plateau avec leur propre voix et avec des objets. À chaque fois, de tels bruitages renvoient à une scène réelle ou à un espace particulier décrits dans la fiction. Cela rencontre ce qu’André Timponi décrit comme la naissance du « décor de bruits » dans le théâtre radiophonique :
L’invention du décor de bruits se constitua comme l’élément de singularisation du théâtre radiophonique. […] [Avant son utilisation] il manquait à l’auditeur des indices de nature narrative, des éléments essentiels pour la compréhension de la trame dramatique, dont seul le public présent en salle était en mesure de jouir[25].
Les bruitages réalistes interviennent majoritairement dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler, avec André Timponi, le « décor sonore » ou « décor de bruits », bien que ces termes tendent à être remis en cause aujourd’hui. La notion de « décor sonore » dénote l’idée d’illustration, et d’un son qui serait comme un accessoire, un élément destiné à embellir, sans pour autant être essentiel à la représentation. Giusy Pisano note que c’est à partir des années 1950 que l’on cesse de parler de « décor sonore » pour préférer l’idée de « création sonore », montrant la part importante que commence à prendre le son dans la création du spectacle à cette époque[26]. C’est dans cette lignée historique d’utilisation du son que s’inscrivent d’abord les bruitages réalistes. Mais si les sons du réel ont d’abord été introduits au théâtre, comme dans le cinéma sonore, par le biais d’enregistrements, les bruitages décalent légèrement ce rapport au réel. En effet, tout en référant à une réalité extérieure à la scène, ils ne cherchent pas pour autant à la reproduire, mais plutôt à la mettre en scène en la faisant entendre dans le cadre théâtral. C’est en ce sens que l’on peut parler d’ambiance, dans la mesure où, dans ce cas, les sons entendus forment un espace-temps au caractère plus flou et, de ce fait, plus propice à la rêverie, à l’imagination et aux multiples interprétations[27].
Les bruitages réalistes peuvent également servir à mimer une action. On en trouve de nombreux exemples dans Pister les créatures fabuleuses, notamment dans les moments où il s’agit de recréer les sons qu’ont pu faire les animaux lors de leur passage et qui se sont évanouis avec le temps, ne laissant que des traces visuelles. Je pense notamment au moment où la comédienne piste des empreintes de loups le long d’une rivière, et reproduit le son qu’ils ont pu émettre lors de leur entrée et de leur sortie de l’eau, sur une terre argileuse. La comédienne emploie alors des chiffons épais qu’elle trempe dans l’eau en faisant entendre le son d’un pas (en appuyant simplement le tissu), puis l’écrase ensuite en l’essorant légèrement sur la table, pour donner l’idée d’une pression sur un terrain humide et vaseux. Dans cet exemple, l’action bruitée a un aspect bien plus précis et situé que dans le cas d’une ambiance qui, elle, atteint davantage un caractère de généralité. On peut noter également le bruitage des skis sur la neige au début du spectacle, que la comédienne recrée en appuyant et glissant ses mains sur une sorte de poudre granuleuse, comme de la craie.
© Simon Gosselin
Éléonore Auzou-Connes bruite les traces de ski dans la neige. On notera aussi sur la table les objets qui serviront pour d’autres bruitages : les petits soufflets bleus à la droite de la comédienne qui permettront de représenter la parade de deux coyotes et de bruiter leur respiration, et les instruments à vent permettant de produire de brèves notes de différentes hauteurs à sa gauche.
Ces bruitages, qu’il s’agisse des ambiances ou des actions, peuvent être considérés comme réalistes parce qu’ils s’inscrivent dans une perspective de reconstitution et de matérialisation, à la fois visuelle et sonore, d’un événement passé ou d’un animal absent qui ne sera jamais visuellement représenté de manière réaliste. C’est par ces bruitages que l’on traverse le temps et que l’on suit aussi la piste des animaux. Par l’usage de bruitages, le spectacle renforce le lien entre trace sonore et trace visuelle ou olfactive, qui existe dans la pratique du pistage. En d’autres termes, sur scène, le son vient créer un certain lien à l’invisible et, par le biais de la trace, ramène à la perception présente des événements ou éléments disparus :
[La trace] est ce qui témoigne d’un passage, ce qui recèle et révèle une présence passée, la manifestant encore. Comme le son disparaît au moment même où il apparaît, ou plus exactement dans le moment de son apparition, la trace est pour lui le biais primordial d’intégration à un régime de permanence. […] Il est, dès lors qu’il existe, dès lors qu’il fait trace, déjà un peu plus[28].
La trace sonore, évanescente, est rendue permanente dans les objets avec lesquels on peut refaire le son, sans que celui-ci soit pour autant enregistré. Il va simplement de pair avec l’objet.
Dans Piletta ReMix, les bruitages réalistes fonctionnent un peu différemment, ce qui m’amène à parler de bruitage réaliste indiciel, au sens où les objets font visuellement signe vers l’univers qu’il s’agit de représenter. C’est alors cette relation de proximité visuelle qui joue un rôle dans le son qui émane de l’objet, plutôt que le son seul. Par exemple, lorsque la petite fille doit pénétrer dans une banque afin de voler de l’argent pour un autre personnage de la fiction, Luis, deux comédiens à cour utilisent de petits objets métalliques qui rappellent à la fois l’univers de la comptabilité et de l’administration : ils font rouler des petites billes métalliques le long d’une louche, et agitent une sorte de chaînette composée d’éléments ressemblant à des trombones de bureau, tout en comptant dans le désordre à voix basse. Plus tard, alors que l’un des « banquiers » ouvre les coffres, un comédien à jardin mime dans le vide le fait de tourner une clé, tandis qu’un autre à cour fait tourner vers le micro une clé dans une petite caissette métallique.
Piletta ReMix – Extrait
Florent Barat, Sébastien Schmitz et Benoît Randaxhe incarnent des banquiers
en manipulant des objets métalliques et des morceaux de papier.
Extrait de captation vidéo fournie par la compagnie
© Le Collectif Wow !
Le bruitage peut ainsi être parfois séparé en deux parties : une partie de mime gestuel, et une partie de bruitage (autrement dit, de manipulation effective de l’objet produisant le son), les deux étant concomitantes sur scène. « L’aimantation spatiale du son par l’image » est alors assurée par la mise en valeur visuelle des sons produits sur le plateau. Mais, contrairement au cinéma, l’aimantation n’est pas uniquement mentale, elle est réelle : la source visible du son provient de l’endroit même où se produit le jeu. Et les spectacles peuvent alors s’amuser à décaler précisément cette aimantation spatiale, en déconnectant parfois visiblement le bruitage du mouvement qu’il est censé accompagner. L’usage du casque contribue également à créer une forme d’incertitude sur l’endroit précis de la source du son. De plus, comme dans le cas de la banque, les décors sont en quelque sorte miniaturisés dans des objets anodins qui représentent, par une relation de métaphore ou de métonymie, un univers plus global. Par cette apparente simplification du décor, voire son essentialisation, le récit est rendu lui-même moins spectaculaire, ce qui contribue à rapprocher le public de la création et des événements contés. Les bruitages donnent un aspect très concret et matériel à l’histoire. En effet, par des procédés simples et visibles de manipulation, ces bruitages en scène dévoilent l’univers de la convention qui régit le théâtre et la fiction sonore. En d’autres termes, ils attirent aussi l’attention sur ce qui se cache derrière un effet sonore et sur le mécanisme d’« aimantation du son par l’image » qui peut dès lors être en partie déjoué, ou tout du moins remis en question dans ce cadre spécifique. Ils montrent ainsi dans quelle mesure notre perception sonore (tout comme notre perception visuelle) relève de codes culturels et sociaux qui agissent comme des filtres. Ici, la convention sonore passe par la sonorisation d’éléments métalliques qui rappellent les pièces de monnaie, et par le fait que les deux « banquiers » comptent à voix haute. Mais en même temps, le minimalisme de la représentation et des objets utilisés créent une forme de distance par rapport à la fiction. Toutefois, cette distance n’est pas synonyme d’éloignement ou de mise à l’écart, elle est bien plutôt ce qui permet de mieux comprendre les mécanismes sur lesquels le bruitage repose comme si le spectacle offrait une double lecture : à la fois technique et fictionnelle. Conventions théâtrale et sonore sont ainsi conjointement utilisées et interrogées par le biais de la visibilisation des bruitages[29].
Cette attention à ce qui se passe sur scène se trouve encore davantage mise en valeur dans le cas de ce que j’appellerai des bruitages fantaisistes. Ces derniers n’ont aucun apport réaliste, ils produisent au contraire des imaginaires sonores métaphoriques. Cela se rapproche de ce que Daniel Deshays explique quant à l’utilisation d’un son enregistré, diffusé en dehors du contexte de sa capture ou de sa création :
L’écart produit par le déplacement d’un son, relativement à son contexte, ou par quelque traitement particulier, déplacera la vision de l’ensemble, augmentant ainsi notre acuité de lecture. Car, hormis un jeu avec le réel effectué pour lui-même et relevant du mot d’esprit, ce qui nous est utile, c’est de décaler le réel dans le but de rendre plus lisible ce que montre le théâtre, dans ses simulacres de réalité[30].
Certains bruitages créés sur scène opèrent un décalage similaire à ce que décrit Daniel Deshays quant aux sons enregistrés. Ce qui est recherché est une autre, voire une meilleure lecture de l’œuvre présentée et du son qui y est introduit. On retrouve particulièrement ces bruitages dans Pister les créatures fabuleuses, qui joue parfois sur des décalages et sur l’incarnation d’animaux ou de traces d’animaux par des objets sonores. Lorsque la comédienne indique la présence de traces de natures diverses (excréments, urine, autres), elle presse de petits instruments de musique semblables à des klaxons ou à des petites trompettes, et les dépose sur scène comme s’il s’agissait effectivement des marques décrites. Une fois de plus, le son, le bruitage, est lié à un jeu sur scène et à un élément visible. Ce décalage, associé à des éléments du « bas corporel », provoque un effet comique qui, d’après mon expérience, fait rire le jeune public. Les bruitages fantaisistes ont aussi la caractéristique d’être très modulables, puisqu’après avoir permis de bruiter des traces, ces mêmes instruments vont indiquer plus généralement les sons émis par les loups, notamment leurs hurlements. Mais comme le souligne Daniel Deshays, ce traitement des objets ne relève pas uniquement du jeu, du ludique, il s’agit aussi de dévoiler les mécanismes même du théâtre. Ce dernier fonctionne ainsi comme une manière de mettre en scène ce qui peut se passer dans des studios de bruitage, habituellement cachés[31].
Ce qu’il faut noter, c’est que ces différents types de bruitage fonctionnent également ensemble. En passant de l’un à l’autre, voire en les superposant au sein des scènes, les artistes contribuent à diversifier notre écoute et donc notre expérience de la pièce. Dans Les Aventures de Dolorès Wilson ainsi que dans Piletta ReMix, cela est notamment permis par le cadre fantastique dans lequel les deux histoires s’inscrivent, avec l’irruption d’éléments étonnants dans un univers au départ relativement réaliste. Ce cadre de narration autorise l’apparition, à travers les bruitages, de l’étrange au sein du familier.
Le sonore imagé : vers un autre rapport au réel
Dans le cadre de la création de ces bruitages sur scène, il faut noter la prolifération d’objets au plateau, d’autant plus marquante que les pièces s’inscrivent dans un théâtre jeune public faisant la part belle à l’univers du jeu et de l’enfance. Ainsi, les objets ne sont pas choisis au hasard, et répondent tant à des besoins sonores qu’à des impératifs esthétiques, en termes de coloris, de formes ou encore d’univers de référence. On retrouve notamment un certain nombre de jouets.
La récupération, le prélèvement introduisent d’autre part du réel sur scène, et cette charge de réalité leur confère un nouveau statut en termes de jeu, par rapport à l’acteur comme au spectateur. L’objet devient alors un partenaire de l’acteur au sens où ce dernier doit être attentif à ses propositions : il ne lui impose pas son histoire, il se met à l’écoute de celle(s) que l’objet a à lui raconter[32].
Se mettre à l’écoute de ce que les objets racontent, par leur présence sur scène et par les bruitages qu’ils permettent, voilà une proposition qui semble parfaitement adaptée aux pièces présentées ici. Ce sont autant d’invitations faites au jeune public de découvrir le théâtre par sa dimension sonore et par son inventivité, illustrée par l’usage des bruitages et le détournement des objets sur scène[33].
© Nadine Barbançon
On retrouve ici les trois éléments principaux utilisés dans le spectacle : des jouets pour enfants, le tube de crème chantilly nécessaire à la transformation de Dolorès puisqu’elle devient une super-héroïne en croquant un piment avec de la crème chantilly, et un objet simple comme une tasse.
À un enfant qui demandait ainsi à la fin de la représentation de Pister les créatures fabuleuses à laquelle j’assistais[34] pourquoi les loups étaient remplacés par des bruitages faits avec les trompettes de différentes tailles (et donc de différentes hauteurs sonores), la metteuse en scène a répondu que tout le monde connaissait le cri du loup, que chacun·e pouvait se l’imaginer. Dans ces circonstances, mieux valait, selon elle, le remplacer par un son plus saugrenu qui viendrait déplacer notre perception de ce cri, et par là-même, de ces animaux. En d’autres termes, cela renverse le conditionnement mental que nous pouvons avoir face à certains sons et à l’émotion qu’ils sont censés dégager. C’est ce qu’expliquent Maribeth Back et D. Des dans un article consacré au design sonore. La comparaison avec ce dernier, qui n’est pas totalement éloigné de la question du bruitage[35], permet de renforcer l’idée selon laquelle les sons au théâtre peuvent être du côté de la subversion et d’une certaine forme d’interaction avec le public[36]. Contrairement à ce que nous pouvons lire à propos du design sonore et de l’utilisation de conventions communes entourant certains sons, les bruitages permettent d’inventer un nouveau rapport à ces sons, et au visuel auquel on les fait correspondre sur scène. Loin des hurlements traditionnels des loups, profonds voire effrayants dans certains contextes, les petits sons cuivrés et à tendance comique émis par les instruments choisis dans Pister les créatures fabuleuses instaurent une autre perception de la rencontre avec les loups et, plus généralement, avec le monde non-humain. En ce sens, elle cherche à reproduire ce que serait une promenade sonore dans la nature, à l’écoute des animaux, mais au sein d’une salle. C’est dans ce cadre qu’elle se rapproche de ce qu’Antoine Freychet nomme « écoute fictionnelle », à savoir une écoute de sons, guidée par des éléments de fiction, par des récits :
Passer par une fiction permet d’ouvrir notre écoute, de nous conduire vers d’autres manières d’écouter, en travaillant activement notre rapport au temps et à l’espace. En ce sens, la fiction modifie nos dispositions d’écoute. Ce faisant, elle change effectivement notre écoute. Elle n’est pas uniquement en dehors de la réalité : elle peut venir prendre part à la manière dont nous construisons notre rapport au réel (qui ne se réduit pas à la production de pensées subjectives). C’est en ce sens qu’une telle écoute peut revêtir un rôle écologique, en insistant sur le lien qui existe entre les choses ; et en rappelant l’agentivité et l’affectivité des êtres non humains[37].
Dans Pister les créatures fabuleuses, il ne s’agit pas à proprement parler de diffuser des savoirs au public sur un mode vertical, mais de lui suggérer, par le biais d’un partage de la perception sensible, de réactiver un rapport plus émerveillé au vivant. L’utilisation d’objets et d’une narration qui déplacent l’écoute et fictionnalisent notre rapport au réel participent de la théâtralisation du cadre traditionnel de la conférence. Cela renforce l’adaptation de ce dernier à un jeune public pour lequel le mode d’écoute et de partage du savoir n’est pas le même que pour un public adulte.
La narratrice fait mine de chercher, en même temps que le public, la signification de ces bruits créés par des objets. Ce type de spectacle contribue à l’idée du sonore comme matériau ludique, associé au plaisir de la narration et au plaisir de l’invention partagée : la comédienne de ce spectacle n’explique pas tout, elle se met elle aussi à l’écoute, avec le public, des sons produits par les objets. Dans cette perspective, certains signes ou éléments restent en partie opaques pour les spectateur·rices, à l’instar de l’usage des instruments de musique pour matérialiser des traces laissées par les animaux ou leurs cris, ce qui renvoie cette fois au « plaisir de l’invention » cité par Anne Ubersfeld :
Les plaisirs du spectacle sont plaisirs de la transparence des signes. Mais, nous l’avons vu, beaucoup des signes scéniques sont signes opaques, et ce ne sont pas ceux qui donnent le moins de plaisir au spectateur. Devant des signes qu’il ne comprend pas, qu’il ne peut nommer (objets, gestuelles, discours), ou qu’il ne peut référer à rien qu’il connaisse, ou simplement qui lui posent un problème, le spectateur est provoqué dans sa propre inventivité : à lui de fabriquer le rapport entre le signe et son intelligibilité ou son rapport au monde[38].
Puisque de telles représentations invitent aussi le jeune public à faire preuve d’imagination et d’interprétation, il n’est pas rare de voir les enfants réagir aux différents bruitages et à des éléments de narration, sans crainte d’interrompre les narrateur·rices présent·es sur scène. La notion de « spectateur·rice incandescent·e » a été proposée par Nicolas Faure pour parler du jeune public, en tant qu’elle « rend bien compte d’une attention pleine et entière, d’une capacité à réagir immédiatement à tous les signes de la représentation, comme si la braise pouvait à tout moment se réveiller en flamme »[39]. Contrairement à un public adulte, le jeune public, et encore plus le très jeune public, n’a pas d’a priori sur le spectacle, ni de gêne à intervenir ou à manifester ses émotions durant la représentation. Derrière cette inventivité, il y a aussi progressivement l’instauration pédagogique du bruitage comme une convention parmi d’autres sur la scène théâtrale et qui, comme toutes les autres, peut aussi être bousculée et questionnée.
Manipuler, raconter, jouer : de nombreux textes du répertoire jeune public mélangent donc les rapports à la scène […] pour trouver dans la forme un rapport intime avec le jeune spectateur. Pour ce public supposé peu accoutumé au théâtre, on introduit progressivement la fiction : en expliquant les règles du jeu, on installe un rituel qui permettra l’épanouissement du spectacle, on s’émerveille devant l’instant de la création. La forte présence du conteur traduit une certaine nostalgie pour l’histoire racontée au creux de l’oreille, dans l’intimité de la relation entre l’adulte et l’enfant. […] Plus qu’un produit fini, [l’auteur] offre une démarche à l’enfant spectateur, multiplie les possibilités de rencontre, et ainsi nourrit continuellement son travail[40].
Ce qui transparaît dans ces trois pièces, c’est l’enrichissement du seul plaisir de l’ouïe par un plaisir de la vue et de découverte progressive d’une création à la fois sonore et visuelle. Pour reprendre Nicolas Faure, les trois spectacles, bien que présentant des formes différentes, proposent à travers l’enjeu d’un dispositif sonore sur scène de nouvelles démarches d’ouverture au jeune public. Le bruitage et la narration qui l’accompagne, ou qu’il provoque parfois, auraient alors un rôle à jouer dans la mise en place d’une certaine intimité entre scène et salle. Les narrateur·rices guident parfois le jeune public dans le partage du son et l’explicitation des conventions qui font le théâtre ou, au contraire, peuvent progressivement le laisser libre de créer ses propres images et d’interroger son rapport au réel. De cette manière, le bruitage met en relation, dans le temps de la représentation, la curiosité et l’écoute spécifique des enfants, et le développement d’autres imaginaires et techniques de représentation pour les artistes. C’est dans cette perspective qu’il me semble que de telles mises en scène s’inscrivent dans un renouvellement des formes pour la jeunesse, dans les espaces esthétiques au croisement de la radio et du théâtre, où le son trace son propre espace, entre réel et fiction.
Notes
[1] Nous pensons notamment aux travaux de Marie-Madeleine Mervant-Roux et Jean-Marc Larrue sur le son au théâtre, ainsi qu’à ceux sur la dramaturgie sonore au théâtre menés par la Chaire de recherche du Canada pendant une dizaine d’années (voir le site Dramaturgie sonore).
[2] Piletta ReMix, mise en scène de Florent Barat, Collectif Wow !, création en août 2016 à Huy (Belgique) dans le cadre des rencontres du théâtre jeune public. Avec Émilie Praneuf ou Amélie Lemonnier (Piletta), Benoit Randaxhe ou Sylvain Daï ou Louis Devillers (Père, Tékitoi#1, Homme Fil De Fer, Mme Plomb, Luis, Banquier#1, Karim), Florent Barat ou Arthur Oudar ou Gaspard Dadelsen (narrateur, Docteur, Tékitoi#2, Banquier#2, Hannah). Création musicale : Sébastien Schmitz ou Thomas Forst. Mise en ondes live : Michel Bystranowski ou Jonathan Benquet. Le membre du Collectif Wow ! Sébastien Schmitz revient sur ce spectacle ainsi que sur Beaux Jeunes Monstres dans thaêtre : Sébastien Schmitz, « Créer l’espace radiophonique sur scène. Laboratoire de dispositifs sonores avec le Collectif Wow ! », thaêtre [en ligne], Chantier #8 : Dispositifs sonores. À l’écoute des scènes contemporaines (coord. Marion Chénetier-Alev, Noémie Fargier et Élodie Hervier), mis en ligne le 15 janvier 2024.
[3] Les Aventures de Dolorès Wilson, d’après les albums jeunesse Panique au mini-market, Hypnose au château et Turbulences à bord, scénario de Mathis, illustrations d’Aurore Petit (Montreuil, Les fourmis rouges, 2014-2015), mise en scène de Delphine Prat, Cie Les Belles Oreilles, création en avril 2017 au Prunier sauvage (Grenoble). Avec Marie Neichel ou Alice Panaye-Maurel, Mathias Chanon-Varreau ou Jean-François Leclerc (Eddy, Doug et autres), Delphine Prat (Dolorès). Costumes et création sonore : Cie Les Belles Oreilles. Scénographie : Delphine Prat. Musique live : Mathias Chanon-Varreau ou Jean-François Leclerc. Lumières : Camille Olivier. Son : Vincent Collonges.
[4] Pister les créatures fabuleuses, mise en scène et adaptation de Pauline Ringeade d’après le texte de Baptiste Morizot (Montrouge, Bayard, coll. Les petites conférences, 2019), Compagnie L’Imaginarium, création en novembre 2021 au Nouveau Relax, Scène Conventionnée d’intérêt national de Chaumont. Avec Éléonore Auzou-Connes ou Blanche Ripoche. Dramaturgie : Marion Platevoet. Création sonore : Géraldine Foucault. Costumes : Aude Bretagne. Scénographie : Floriane Jan et Cerise Guyon. Construction du décor : Clément Debras et Simon Jerez. Création et régie lumière : Fanny Perreau. Conseil bruitages : Sophie Bissantz. Régie son et régie générale : Laurent Mathias.
[5] C’est-à-dire qu’ils ne captent des sons que selon une direction particulière et n’ont pas un périmètre de prise de son très large.
[6] Voir art. « Bruitage » dans le Larousse en ligne.
[7] Syntone est une revue d’actualité et de critique d’art radiophonique qui a proposé des articles et dossiers web et papier jusqu’en 2019 avant de suspendre ses publications. Voir art. « Bruitage », dans « Petit lexique récréatif de la création sonore et radiophonique », Syntone [en ligne], dernière mise à jour le 16 février 2018.
[8] Voir Michel Chion, L’Audio-vision. Son et image au cinéma, Paris, Armand Colin, 5e éd. rev. et aug., 2021, p. 111 : « Même là où il s’agit soi-disant de son direct, les sons pris sur le tournage ont été presque toujours enrichis après coup par d’autres sons, de bruitage ou d’ambiance, qu’on leur a rajoutés. Mais aussi, il y a des bruits qu’on a éliminés au tournage par la place et la directionnalité du micro, les précautions d’insonorisation, etc. En bref, tel un aliment industriel, le son du tournage est la plupart du temps écrémé de certaines substances ou enrichi d’autres. »
[9] Créé par Thomas Edison en 1877, le phonographe va donner la possibilité non seulement d’enregistrer, mais aussi de reproduire et de diffuser des sons au théâtre, notamment des sons devant être perçus comme lointains. L’appareil va également donner la possibilité de créer et de superposer différents sons, enrichissant l’habillage sonore des pièces : voir Patrick Feaster, « Les débuts de la phonographie et le son théâtral », dans Le Son du théâtre I. Le passé audible (coord. Jean-Marc Larrue et Marie-Madeleine Mervant-Roux), Théâtre/Public, n° 197, oct. 2010, p. 32-37. Après la Seconde Guerre mondiale, le magnétophone à bande magnétique, qui succède au magnétophone à fil, offre également la possibilité de faire entendre une bande-son au théâtre : voir Jean-Marc Larrue, « Le son reproduit et la scène : cas de résistance médiatique », Théâtre/Public, ibid., p. 53-59.) L’usage des haut-parleurs et du casque audio s’inscrit dans cette histoire de l’usage des technologies de reproduction et de diffusion du son au théâtre.
[10] C’est la définition proposée par Jonathan Sterne dans l’introduction à son ouvrage, Une histoire de la modernité sonore (initialement paru en 2003 sous le titre The Audible Past. Cultural origins of sound reproduction). Sterne rappelle à cet égard la notion de sons acousmatiques de Pierre Schaeffer, qui s’appuie sur cette séparation entre son et source et sur l’invisibilisation de la source, ou encore la « schizophonie » de Murray Schafer et Barry Truax. Voir Jonathan Sterne, Une histoire de la modernité sonore, trad. Maxime Boidy, Paris, La Découverte/Cité de la Musique, coll. Culture sonore, 2015, p. 34.
[11] Noémie Fargier, Expériences sonores et intersubjectivité dans le spectacle vivant contemporain. L’inter[o]ralité, entre désir et pouvoirs, thèse de doctorat, Université Sorbonne Nouvelle, 2018, p. 100.
[12] Dans le glossaire que Michel Chion rend disponible sur son site internet, on trouve la définition suivante pour le mot « Bruitage » : « Processus psycho-physiologique en vertu duquel, lorsque nous voyons une source sonore (être humain, animal, machine, objet, etc…) dans un certain point de l’espace et que, pour des raisons diverses (réflections [sic] diverses sur des parois, amplification électrique, dispositif de projection audio-visuelle, etc…), le son qui en émane ou est censé en émaner vient majoritairement d’une autre direction de l’espace, l’image de la source attire le son et nous fait situer ce dernier là où nous voyons cette source. » Voir le site de Michel Chion.
[13] Michel Chion, L’Audio-vision. Son et image au cinéma, op. cit., p. 81.
[14] Juliette Volcler, « Les histoires du pince-oreille : “Initier les enfants au pouvoir de l’oreille” », Syntone, 21 déc. 2015.
[15] Juliette Volcler, « Quand la radio publique s’adressait aux enfants », Syntone, 18 déc. 2015.
[16] Ce constat établi en 2015 doit être quelque peu nuancé huit ans plus tard, dans la mesure où la création sonore jeune public semble connaître un nouvel élan à travers des productions très diversifiées, qu’il s’agisse de fictions, d’émissions ou de documentaires. Sur ce point, voir notamment les rencontres autour du jeune public organisées lors du Festival Longueur d’ondes à Brest en 2022 et 2023.
[17] La fiction sonore, créée en 2012, est disponible sur le compte Vimeo du Collectif Wow !.
[18] Comme le rappelle Erica Magris, « [l]es casques audio se greffent sur ces yeux ainsi orientés et viennent manipuler ultérieurement, de manière dépaysante, les conditions perceptives du spectateur. La situation spectatorielle inhabituelle produite par l’utilisation des casques, avec les contraintes techniques qu’elle implique, demande des procédures particulières d’entrée dans les spectacles et leurs narrations. » (Erica Magris, « Le regard des spectateurs munis de casques audio : effets de l’écoute médiatisée individualisée entre immersion et dissociation », dans L’Œil immersif. Devenirs du regard dans les pratiques immersives du tournant des XXe et XXIe siècles au théâtre (coord. Florence Baillet, Mireille Losco-Lena, Arnaud Rykner), Études théâtrales, n° 69-70, 2021, p. 86. Dans Piletta ReMix, cette mise en place préliminaire est effectuée par les comédien·nes qui, depuis la scène, vérifient qu’une petite lumière située sur un côté du casque se trouve du même côté pour tout le monde.
[19] Jonathan Sterne, Une histoire de la modernité sonore, op. cit., p. 131.
[20] Voir le dossier du spectacle, disponible sur le site de la Cie Les Belles Oreilles, p. 6.
[21] Voir le site de la Cie Les Belles Oreilles.
[22] Baptiste Morizot, Pister les créatures fabuleuses, Montrouge, Bayard, coll. Les petites conférences, 2019.
[23] Jean-Luc Matteoli, L’Objet pauvre : mémoire et quotidien sur les scènes contemporaines françaises, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 123. Précisons que Jean-Luc Mattéoli parle ici en particulier de l’usage d’objets pauvres dans un spectacle de la compagnie Deschamps-Makeïeff, mais nous pouvons étendre son analyse à d’autres représentations.
[24] J’emploie ce terme au sens d’objets produisant des sons et non au sens schaefferien du terme. Dans la terminologie de Schaeffer, ces objets pourraient être qualifiés de « corps sonores ». Voir Pierre Schaeffer, Traité des objets musicaux : essai interdisciplines, nvelle éd., Paris, Seuil, [1966] 1977.
[25] André Timponi, « Théâtre radiophonique et culture sonore dans la France de l’entre-deux guerres : une histoire du décor de bruits », dans Jean-Marc Larrue et Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Le Son du théâtre. XIXe-XXIe siècle. histoire intermédiale d’un lieu d’écoute moderne, Paris, CNRS éditions, 2016, p. 303-304.
[26] Giusy Pisano, « De la mise en scène de l’écoute aveugle : “Coraggi ! Ricominciamo la lettura!” », Recherches sémiotiques/Semiotic Inquiry [en ligne], vol. 35, no 2-3, 2015, p. 60.
[27] L’ambiance peut être définie comme « un espace-temps éprouvé en terme sensible (toutes modalités sensorielles confondues : sonore, olfactive, lumineuse et chromatique, thermique et aéraulique). Elle permet de mettre à l’épreuve la teneur sensible de l’expérience située et aide à qualifier précisément l’environnement sensible d’un lieu rapporté aux pratiques sociales qui y sont associées et à l’expérience qui y est vécue. » (art. « Ambiance/Atmosphère », Performascope. Lexique interdisciplinaire des performances et de la recherche-création [en ligne], Grenoble, Université Grenoble Alpes, 2021.
[28] François J. Bonnet, Les Mots et les sons. Un archipel sonore, Paris, Éditions de l’éclat, coll. Poche, [2012] 2022, p. 15-16.
[29] C’est ce que souligne également Robert Dean au fil de son texte « Ibsen, le designer sonore du théâtre du XIXe siècle », dans Jean-Marc Larrue et Marie-Madeleine Mervant-Roux (dir.), Le Son du théâtre, op. cit., p. 163-180. Étudiant les machines sonores utilisées dans les théâtres au XIXe siècle, il montre que l’utilisation conjointe de divers instruments et machines pour imiter le son de certains phénomènes météorologiques relevait d’une convention sonore. En effet, il estime que si proche que fût l’imitation, elle ne pouvait pas exactement reproduire le son réel et qu’il fallait donc davantage compter sur une suspension de la crédibilité de la part du public.
[30] Daniel Deshays, Pour une écriture du son, Paris, Klincksieck, coll. 50 questions, 2006, p. 125.
[31] C’est ce que met également en avant le spectacle J’aurais mieux fait d’utiliser une hache du collectif Mind the Gap, qui se présente explicitement comme une réflexion sur les bruitages de cinéma. Voir la présentation du spectacle sur le site du collectif Mind the Gap.
[32] Jean-Luc Matteoli, L’Objet pauvre, op. cit., p. 153.
[33] Notons que la Cie Les Belles Oreilles propose de nombreux ateliers avec les publics pour les rapprocher de leur processus d’écriture et de création.
[34] Il s’agit d’une représentation de mars 2022 aux Deux scènes à Besançon, dans le cadre du festival « Sur Terre ».
[35] Voir Juliette Volcler, L’Orchestration du quotidien : design sonore et écoute au 21e siècle, Paris, La Découverte, coll. Cahiers libres, 2022, p. 23-28.
[36] Voir Maribeth Back et D. Des, « Micro-narratives in sound design: Context, character, and caricature in waveform manipulation », dans Steven P. Frysinger et Gregory Kramer (dir.), Proceedings of ICAD 96 International Conference on Auditory Display, Xerox Palo Alto Research Centre, 1996. « Composers and sound designers draw from a system of metaphoric constructions that often seem cliched; the sound of slow violins is sad, and the crash of thunder is threatening or ominous. Designers make choices because they know how their audience will react to these sounds. This shared understanding has two main sources: cultural conditioning and natural cognitive mappings based on experience. » En français : « Les compositeurs et les designers sonores s’inspirent d’un système de constructions métaphoriques qui semblent souvent relever du cliché : le son de violons au ralenti est triste, le fracas du tonnerre indique une menace ou inspire l’effroi. Les designers font certains choix en sachant que leur audience va réagir à ces sons. Cette perception commune a deux sources principales : le conditionnement culturel et la cartographie cognitive que nous élaborons naturellement à partir de notre expérience. » (traduction personnelle)
[37] Antoine Freychet, Démarches artistiques et préoccupations écologiques. L’écoute dans l’écologie sonore, Paris, L’Harmattan, coll. Musique-Philosophie, 2022, p. 57.
[38] Anne Ubersfeld, Lire le théâtre II : l’école du spectateur, Paris, Belin, coll. Belin sup Lettres, 1996, p. 280.
[39] Catherine Anne, « Et si j’étais », Théâtre d’aujourd’hui, n°9 : Théâtres et enfance : l’émergence d’un répertoire, Paris, CNDP, 2003, p. 43, citée dans Nicolas Faure, Le Théâtre jeune public. Un nouveau répertoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 269.
[40] Nicolas Faure, Le Théâtre jeune public. Un nouveau répertoire, op. cit., p. 339-340.
L’autrice
Actuellement doctorante à l’Université Paris 8, Juliette Meulle s’intéresse aux procédés de sonorisation au théâtre ainsi qu’aux manifestations sonores et radiophoniques sur scène et dans les textes dramatiques. Après un mémoire de master 1 consacré aux imaginaires écologiques dystopiques sur la scène contemporaine, elle a consacré son mémoire de master 2 aux mises en scène du son dans le théâtre contemporain. Sa thèse, débutée en septembre 2022, porte sur les dispositifs sonores et la radio comme modèle esthétique dans le théâtre contemporain et dans les processus de création actuels. Forte d’une expérience radiophonique au sein de la radio associative TrENSistor de 2017 à 2019 ainsi que dans la radio L’écho des planches depuis 2018, ses sujets de prédilection rendent compte de ce double intérêt pratique et esthétique, à la fois pour la radio et le théâtre. En 2022, elle participe avec Chimène Lombard et Coline Lafontaine à la création du collectif Les Parlantes au sein duquel elle poursuit ses projets d’écriture, de création et de réalisation de fictions sonores et théâtrales destinées à la radio, la scène et tout ce qu’il y a entre les deux.
Pour citer ce document
Juliette Meulle, « Faire voir le son. Bruitages sur scène dans trois créations contemporaines », thaêtre [en ligne], Chantier #8 : Dispositifs sonores. À l’écoute des scènes contemporaines (coord. Marion Chénetier-Alev, Noémie Fargier et Élodie Hervier), mis en ligne le 15 janvier 2024.
URL : https://www.thaetre.com/2024/01/15/faire-voir-le-son/
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