Ça ira de A à Z

 

M.

 

Micro.

 

Et si un objet caractérisait votre spectacle : ce serait quoi ?

Micro[1].

Joël Pommerat a l’habitude d’utiliser des micros pour ses spectacles. La sonorisation permet un travail de la voix plus proche de la « vérité »[2] tout en contribuant à « l’immersion des spectateurs dans l’événement de la parole »[3]. Les micros qui permettent cela sont discrets, presque invisibles, fixés aux vêtements de tous les comédiens. Mais dans Ça ira, ils sont en concurrence avec d’autres micros qui sont, eux, en pleine lumière.

Quand il est visible, le micro matérialise le pouvoir tel qu’il est représenté par Joël Pommerat. Pour participer à la prise de décision politique, il faut avoir accès à un micro. Dans la première scène, le roi et son ministre parlent tour à tour dans un micro posé sur la table. Quand l’évêque de Narbonne se lève pour leur répondre depuis la salle, on lui apporte un micro sans fil. Lorsqu’il dit alors « je vous remercie »[4], il s’adresse à la fois au Premier ministre et à la personne qui vient de lui tendre l’objet qui lui donne accès à la parole publique.

Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir

Ça ira (1) Fin de Louis écrit et mis en scène par Joël Pommerat
Théâtre Nanterre-Amandiers – juin 2015
© Élisabeth Carecchio

Le micro de la démocratie parlementaire est objet de lutte. L’engagement physique des députés de Ça ira n’est jamais aussi fort que lorsqu’ils se disputent le micro. À les voir se bousculer, faire barrage de leurs corps et s’agripper, on croirait que leur vie est en jeu, comme si, déjà, ne pas pouvoir répondre, c’était être condamné à mort.

Vous n’entendez donc pas la sonnette ?

Büchner, La Mort de Danton


 

Danton. Que mes accusateurs paraissent ! J’ai toute ma raison quand je l’exige. Je démasquerai ces pauvres vauriens et les précipiterai dans le néant dont ils n’auraient jamais dû sortir.

Herrmann fait tinter sa sonnette.Vous n’entendez donc pas la sonnette ?

Danton. La voix d’un homme qui défend son honneur et sa vie peut bien recouvrir le bruit de ta sonnette.
En Septembre j’ai nourri la couvée de la révolution avec les corps démembrés des aristocrates. Avec leur or, ma voix a forgé des armes pour le peuple. Ma voix fut l’ouragan qui enterra les satellites du despotisme sous les flots des baïonnettes.

Applaudissements plus forts.

Herrmann. Danton, votre voix est fatiguée. Vous êtes trop ému. Vous conclurez votre défense la prochaine fois. Vous avez besoin de repos.
La séance est levée.

 

Georg Büchner, La Mort de Danton, 1835, Acte III, au tribunal
Traduction inédite d’Irène Bonnaud[5].

Le micro est aussi un objet médiatique : celui de la journaliste espagnole qui commente la cérémonie d’ouverture des États généraux et qui ne dit que des sottises. Le caractère artificiel de ces discours médiatiques, d’ailleurs lié à une exploitation scénographique de l’effet de direct (voir Direct (effet de)), est exhibé par un autre micro, celui qui doit servir au roi, puis à Muller, au cours de cette cérémonie, et qui ne marche pas :

Journaliste. […] Alors que nous voyons Sa Majesté s’entretenir avec des membres du protocole au sujet, je crois, d’un problème technique concernant le réglage du micro, je crois bien… On peut sentir ici une énorme tension à la hauteur de l’attente des premiers mots prononcés par ce roi adulé des Français. Mais voilà, Sa Majesté le roi de tous les Français s’est approché à nouveau du micro, et va prendre la parole (ÇI, 26).

Au plaisir de l’anachronisme s’ajoute paradoxalement l’effet de réel de l’imprévu matériel. Mais le micro défectueux, qu’un figurant vient réparer, permet surtout l’exhibition de l’artifice. Dans une scène à part, où les acteurs et les spectateurs de la fiction politique sont disposés perpendiculairement au public, où les députés sont partiellement cachés derrière un mur qui fait écran, la panne de micro invite aussi à prendre ses distances, pour regarder le spectacle du pouvoir sans s’y laisser prendre.

« L’homme au micro » qui annonce l’arrivée de Louis au début de la scène 16 tient autant de l’animateur de télévision que du chauffeur de salle. Cette fois-ci, il est face au public et les moyens techniques qui servent son discours fonctionnent parfaitement. Lui aussi fait rire par les excès de sa parole et par l’anachronisme du dispositif dont le micro est l’accessoire principal, mais, étonnamment, cela ne nuit pas à l’efficacité de sa parole. Le spectateur est emporté par l’élan de « l’homme au micro » : alors même que tout désigne l’artifice médiatique, il fait l’expérience de sa puissance.

 

Notes

[1] Programme de salle pour les représentations de la pièce au Volcan, scène nationale du Havre, les 10 et 11 décembre 2015.

[2] Voir Marion Boudier, Avec Joël Pommerat. Un monde complexe, Arles, Actes Sud-Papiers, coll. Apprendre, 2015, p. 141 : « Depuis plusieurs années, les micros HF permettent aux acteurs de parler selon leur propre intensité vocale, sans projeter leur voix, ce qui produit une impression de proximité et de vérité. »

[3] Marion Boudier, Autour de Ça ira (1) Fin de Louis, Ressources à destination des enseignants, élèves et étudiants, Compagnie Louis Brouillard, p. 15.

[4] La phrase est prononcée pendant le spectacle mais elle n’est pas écrite dans le texte publié.

[5] Voir Irène Bonnaud, La Mort de Danton précédé de Olivier Ritz, « Que veut-il ce mot ? La Mort de Danton traduit par Irène Bonnaud », thaêtre [en ligne], mis en ligne le 9 juin 2017.

 

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