Ça ira de A à Z

 

G.

 

Genre/Femme(s).

 

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La Démocrate et L’Aristocrate
Estampes de 1790 – Collection générale des caricatures sur la Révolution française de 1789
© Bibliothèque Nationale de France

Au cours d’un entretien public aux Amandiers, le 7 novembre 2015, Philippe Artières demanda à Joël Pommerat pourquoi la pièce comportait des Noirs, un roi et surtout, « cette reine »[1]. Pommerat ne répondit pas vraiment. On aurait aussi pu lui demander, en feignant d’ignorer que sa troupe comportait tout simplement beaucoup de comédiennes (et un Noir), pourquoi il y avait tant de femmes – et si importantes, suscitant, à l’instar de cette Marie-Antoinette orpheline de son nom et de presque toute son imagerie, un délicieux inconfort culturel. L’un des éléments les plus frappants du souci de défamiliarisation, ou de bougé, à l’égard du référent historique dans lequel se sont inscrits les choix dramaturgiques de la pièce tient en effet à cette présence des femmes sur un type de scène politique où leur éviction a été régulièrement soulignée par les travaux d’historiennes et d’historiens. Si ces travaux privilégient aujourd’hui, plutôt que les procédures de l’invisibilisation et du silence des femmes[2], les lieux et les formes de leur présence et de leur action, y compris dans la vie politique, il n’en demeure pas moins qu’elles se sont trouvées prises dans le paradoxe, au gré de la législation révolutionnaire, d’un statut de « citoyenne sans citoyenneté »[3] : si l’on peut répertorier les formes de leur contribution civique, elles n’ont pas été représentantes dans les assemblées élues. Les retrouver aux États généraux et dans les débats de la Constituante, qui plus est assez spécifiquement marquées par la singularité individuelle de trajectoires que le spectateur peut suivre, dans une pièce où la logique des personnages récurrents et de leur évolution a été à la fois tardive dans le processus créateur et sciemment restreinte[4], oblige à interroger l’effet de la représentation et de la performance.

L’effet, plutôt que l’intention – et une fois prise en compte la contrainte de distribution dans une compagnie théâtrale, donc. Notons, pour commencer, que les figures féminines de députées ou de militantes de district se caractérisent par leur inscription spectaculaire dans la représentation, où elles prennent largement leur part dans la manifestation des puissantes polarisations idéologiques du moment. Il serait sans doute difficile de trouver un spectateur, ou une spectatrice, que n’aient pas frappé deux morceaux de bravoure : l’envolée sur la confiserie par une commerçante courroucée (ÇI, 21[5]) et le discours au second degré de Versan de Faillie (ÇI, 123-125). Mais on doit surtout évoquer la figure de madame Lefranc, laquelle concentre en outre, sur elle et la force de sa parole, un capital de sympathie, ou à tout le moins de grand intérêt, non étranger à une possible séduction (ou à un rejet) idéologique[6]. Madame Lefranc est un des foyers privilégiés de l’interrogation suscitée, dans le dispositif voulu par Pommerat, par le tremblement des référents biographiques. Robespierre ? Marat ? Desmoulins[7] ? Sieyès ou Barnave (voir Citations) ? Que le spectateur, éventuellement prisonnier de sa mémoire de « sachant », puisse se le demander[8], suppose certainement qu’il ne pourra pas conclure, ce qui est le but. Mais cela signifie aussi que les femmes, dans cette pièce, sont d’emblée égales en importance aux hommes, en vertu de l’effet du va-et-vient entre le sexe de la comédienne et celui des référents masculins de son discours, qu’on les appelle Maximilien ou Camille – sauf à ignorer qu’il n’y avait pas de femmes élues dans les assemblées révolutionnaires, hypothèse qu’on ne peut écarter totalement. Dans ce cas, la question des noms propres elle-même ne se pose pas : la transgression de genre n’en est pas une, et la scène révolutionnaire se superpose immédiatement et sans reste critique au paysage contemporain de nos assemblées, dont elle n’est plus qu’un équivalent au passé. Mais c’est plutôt à un futur passé[9] que la question du genre nous invite.

Avec Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Frécon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir

Ça ira (1) Fin de Louis écrit et mis en scène par Joël Pommerat
Théâtre Nanterre-Amandiers – juin 2015
© Élisabeth Carecchio

Ça ira (1) Fin de Louis écrit et mis en scène par Joël Pommerat
Théâtre Nanterre-Amandiers – juin 2015
© Élisabeth Carecchio

L’imaginaire de genre auquel la pièce nous convie ouvre donc sur un espace où toute idée de hiérarchie en termes de droits civiques et politiques est déjà du passé alors que s’ouvre, non pas même le processus électoral des États généraux, mais celui de l’Assemblée des notables : dès la scène 2, le premier interlocuteur de Muller est une interlocutrice, « représentante de la noblesse » (ÇI, 9). Le spectateur est ainsi d’emblée tenu de regarder se monter devant lui, comme une sorte de « témoin »[10] paradoxalement saisi par l’immersion, la fabrique de la culture démocratique du débat et de la controverse d’un point de vue bisexué, sans que jamais ou presque n’intervienne, par ailleurs, le rapport des sexes comme élément problématique de cette conflictualité politique moderne. Lorsqu’elle rend compte du fait que la pièce a cherché d’abord à restituer les contraintes du hic et nunc des choix et des stratégies des acteurs, Marion Boudier indique qu’elle entend d’abord restituer « ce qui a conduit des hommes et des femmes à passer à l’action »[11]. Sans distinction. Ou presque. Car le rapport de sexe et de genre peut se loger dans la perception critique du spectateur, dont l’actualité est, après tout, aussi celle d’un partage genré de l’espace public qui n’a pas complètement réglé, aujourd’hui, ses propres contradictions et insuffisances et où une députée peut se voir houspillée par une éructante assemblée de mâles sous prétexte de robe à fleurs[12].

La quête de « neutre », si souvent invoquée par Marion Boudier, rencontre ici une limite partielle. On s’en aperçoit dans les choix esthétiques, en particulier dans les distributions genrées, que soutient le travail de la costumière, Isabelle Deffin. Les femmes peuvent sembler indifféremment habillées de pantalons ou de robes, mais la masculinisation semble croître à mesure que l’on se dirige vers la gauche du spectre politique : robe ou jupe de Versan de Faillie, tailleur-pantalon féminin rehaussé de chemisier flou pour Hersch, tandis que Lefranc arbore un petit costume pantalon-veste où se loge à merveille l’énergie remuante de Saadia Bentaïeb. La scène nous offre ainsi un paysage qui reste discrètement investi par les représentations de genre, mais sous la forme d’un nuancier, qu’on dépliera, pour aller vite, de l’uniforme militaire (pas de femmes là-dessous, à moins d’avoir mal regardé) aux robes de la reine et d’Élisabeth. On est ainsi plus proches de l’univers du spectateur et de la spectatrice, qu’ils sachent, ou non, que le pantalon a une histoire politique et que celle-ci commence vraiment avec la Révolution : en 1793, un décret le réservera aux hommes. Pas question de nuancier, figure de confusion, mais bien de différence bicatégorisée des sexes, consacrant le refus de l’émancipation féminine[13].

Que cette question reste impliquée dans celle des positions idéologiques, une réplique, assez isolée dans son genre, si l’on ose dire, vient nous le rappeler scène 20. Lacanaux, député de la droite dure[14], réagit violemment à l’intrusion des femmes du peuple – double peine dans l’ordre de la minoration politique – dans l’enceinte de l’Assemblée. Apostrophé par l’une d’elles sur sa possible corruption, il réplique : « Qu’est-ce que tu racontes espèce de pute débile, si tu n’étais pas une femme je te tuerais sur place […] Je voudrais comprendre pourquoi ce sont [sic] devant des femmes que nous aurions à justifier nos activités commerciales, honnêtes et respectables, des femmes hystériques et vulgaires en plus. » (ÇI, 113, nous soulignons) Cet hapax dans la pièce doit être souligné. Le recours au stéréotype de genre intervient dans un moment de tension très spécifique : celui d’une entrée en scène fracassante des femmes sur la scène politique à l’occasion des journées des 5-6 octobre 1789. Michelet avait, par une phrase magnifique, signifié une symétrie parfaite dans la division sexuelle du travail politique : « Les hommes ont pris la Bastille, et les femmes ont pris le roi. »[15]. Son récit héroïse cette geste comme celle des femmes et de leur apport spécifique à l’élan du peuple. Ce qui est certain, c’est que leur entrée dans l’espace de l’Assemblée posa, entre autres choses, la question du choc des langues, qui doit naturellement intéresser le théâtre. La scène est un peu surréelle : pendant que les femmes investissent tout et se mettent à commenter ce qui se passe, les députés tâchent de reprendre la discussion sur les questions pénales. Inutile de rappeler qu’elle laissa des traces dans la mémoire d’hommes peu accoutumés à de telles confrontations, et qui restèrent frappés de sa dimension transgressive, à l’instar d’un des secrétaires de Mirabeau, le libéral Dumont, dont le récit dégoûté est assez caractéristique d’un refus devant ce « partage du sensible » (Rancière) que configure soudain la voix des femmes du peuple dans la sphère lettrée du pouvoir.

Qui est-ce qui parle là-bas ?

Étienne Dumont, Souvenirs


 

J’étais dans une galerie où une poissarde agissait avec une autorité supérieure et dirigeait les mouvements d’une centaine de femmes, et surtout de jeunes personnes qui attendaient ses ordres pour crier ou pour se taire. Elle appelait familièrement des députés et demandait : « Qui est-ce qui parle là-bas ? Faites taire ce bavard ! il ne s’agit pas de ça, il s’agit d’avoir du pain ! Qu’on fasse parler notre petite mère Mirabeau, nous voulons l’entendre… » Notre petite mère Mirabeau devenait le cri de toute sa compagnie ; mais Mirabeau n’était pas homme à se prodiguer dans ces occasions, et sa popularité, comme il le disait, n’était pas populacière.

 

Étienne Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, Paris, Gosselin, 1832, p. 181-182.

La pièce nous montre à cet égard une Assemblée largement notabilisée et habitée par la peur, puisqu’on l’a vue se déchirer sur la distinction du « bon » et du « mauvais peuple » (scène 17), et que cette dichotomie s’est figurée dans un affrontement entre Carray et les militants de district désormais radicalisés dans la scène 19, qui précède immédiatement l’épisode du 5 octobre et illustre le divorce entre peuple et Assemblée. La rencontre de la verdeur des Halles et des formes policées de l’univers parlementaire constitue un sommet de conflictualité dont l’efficacité dramaturgique est évidente, surtout dans un contexte où il s’agit de donner à sentir une situation affectivement très intense, prise dans le présent « imprévisible » des acteurs eux-mêmes[16].

C’est d’ailleurs sans doute pour creuser davantage cette perception que la pièce choisit de nous déplacer hors de l’Assemblée et de suivre la délégation de femmes qui a demandé à rencontrer le roi, modifiant aussi, pour le spectateur, les conditions d’appréhension du face à face entre le peuple et le pouvoir, en l’engageant du côté des émotions. Arlette Farge, généralement sévère avec la pièce, dont elle juge qu’elle échoue à investir l’articulation du passé au présent, se montre en revanche enthousiaste vis-à-vis de cette scène où, en historienne des émotions et du peuple, elle apprécie le caractère « humain » de la situation, fidèle à l’expérience même du XVIIIe siècle[17] : ces femmes du 5 octobre restent royalistes, liées à la figure du monarque comme au « père » dont l’amour nourricier ne peut demeurer indifférent à la question alors urgente des « subsistances ».

Parler au roi, se trouver soudain face au sacré de la souveraineté, relève d’une épreuve affective et symbolique dont le caractère inédit, et les incertitudes stratégiques que cela suppose pour les acteurs de ce moment, doit se manifester dans le jeu des comédiens. De ce point de vue, la scène offre le paradigme absolu de la parole surprise par elle-même (par son pouvoir soudain et l’ivresse qu’il procure), en train de construire son autorité, et dont l’avènement est une performance politique d’un genre nécessairement nouveau, qui sollicite toutes sortes d’affects. La « parole-action » des femmes[18], dans la scène 21, illustre la recherche d’une expression de la sincérité immédiate des individus aux prises avec leurs conflits intimes face à la complexité d’une situation, et c’est par cette médiation émotionnelle que la fiction entend se donner comme un outil de la connaissance historique.

On a pu considérer que la gamme des affects pris en charge par cette scène était un peu problématique. La « femme 12 », en particulier, est apparue pour une partie du public comme porteuse d’une insondable naïveté, et l’anachronisme[19], ailleurs si appréciable, comme l’instrument d’une forme de condescendance dans la représentation du peuple, incarné par ces quelques femmes – voire d’une forme larvée de misogynie. L’enjeu, au-delà du recours à un éventuel stéréotype de genre (la « fan » adolescente, avatar contemporain de la jeune Louison Chabry qui, en effet, s’évanouit, d’émotion et peut-être de faim, devant Louis XVI), est alors surtout celui d’une dépolitisation de cette figuration du peuple portée par les femmes. Mais ce reproche est-il vraiment justifié ?

Chaque femme (11, 12 et 13) incarne une position et une réaction possibles, conformément au dispositif revendiqué de la pièce et du spectacle. Tous les historiens reconnaissent dans la marche du 5 octobre les caractères d’une émeute frumentaire, traditionnellement portée par les femmes. Les femmes 11 et 13 portent cette question des subsistances en indiquant des responsables jusque dans l’Assemblée (Lacanaux) et en brossant, devant le roi, le tableau de la situation insurrectionnelle à Paris telle qu’il l’ignore. La raison (éminemment politique) du fossé entre gouvernants et gouvernés trouve un diagnostic (éminemment politique) dans le fait que le roi est « mal entouré et conseillé » (ÇI, 116). Le dramaturge (et son conseiller historique) choisit de faire la part belle à la représentation d’un coup de force politique au féminin : ce sont les femmes qui obtiennent ce que demandait l’Assemblée à cor et à cri en vain, la ratification sans condition des textes constitutionnels et le retour du roi à Paris.

Mais il le fait à partir d’une situation incertaine, flottante, où la parole de l’une peut être débordée par celle de l’autre, un de ces moments de pur direct (voir Direct (effet de)) dont l’émotion particulière tient, en l’espèce, à ce qu’il travaille la confrontation, radicalement saugrenue sous l’Ancien Régime, des figures du pouvoir à la doléance crue du peuple, sans rituel médiateur, sans dispositif symbolique où discipliner le langage qui porte la demande au souverain. La scène est bel et bien celle du scandale enivrant de ce mal dire où la jeune « femme 12 » trouve, depuis la source paradoxale d’une émotion sacrée devant le roi, la force de déployer, comme en état d’ébriété, la parole de la contestation. Le théâtre donne alors à voir et à entendre ces interstices de la voix populaire tels qu’une certaine historiographie a voulu et su les restituer[20]. Gigart, dans cette scène, est celui qui tente de rappeler la règle, et l’effet comique tient précisément à ce que ce rappel ne porte pas, n’a plus de sens : « Essayez de réaliser que vous êtes en train de parler en ce moment à la personne du roi de France, pas à un banal individu de votre connaissance. » (ÇI, 116) Le roi lui-même, à propos de la reine, souligne l’incongruité linguistique : « Madame, ‘‘ma femme’’ comme vous l’appelez est reine de France et de tous les Français. » (ÇI, 117) Mais ces femmes le savent parfaitement, et le clin d’œil du selfie que demande la femme 12 avec le roi avant de sortir, est une façon contemporaine de le rappeler : l’émotion politique de cette scène relève d’un mixte tendu entre conscience de la sacralité et possibilité soudain ouverte de la désacralisation.

Ce qui compte le plus, c’est que la transgression se poursuit, et que chaque femme peut produire des énoncés de plus en plus politiques, de moins en moins liés à la question des subsistances et que c’est l’apparente inconséquence de la femme 12 qui soutient cette réorientation de l’échange. Quant à ses compagnes, elles semblent avoir déjà accompli un pas de plus, en ne cédant pas à l’infantilisation dans le rapport (sensible dans la langue de la femme 12) que suppose le respect encore vivace de la personne sacrée, du « deuxième corps » du roi. À la fin de la scène 21, se consacre donc une des fins de Louis (voir Fin) par les femmes, porteuses de la voix du peuple comme ses représentantes à part entière[21], substituées à une assemblée défaillante, et dans l’expérience desquelles passe soudain le sentiment indicible que la royauté est bien désormais, comme l’écrivit Michelet, une « idole vermoulue » face à un peuple devenu « roi »[22].

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Bravoure des femmes parisiennes à la journée du 5 octobre 1789
Estampe de Jacques-Philippe Caresme – 1789
© Bibliothèque Nationale de France

 

Notes

[1] Nous soulignons.

[2] Voir Michelle Perrot, Les Femmes ou les silences de l’histoire, Paris, Flammarion, 1998.

[3] Dominique Godineau, « Autour du mot citoyenne », Mots, numéro spécial : Langages. Langue de la Révolution française, vol. 16, 1988|1, p. 101.

[4] Voir ce qu’en dit Marion Boudier dans « ‘‘Le totem de notre modernité politique’’ Conversation sur la genèse du spectacle Ça ira (1) Fin de Louis avec Saadia Bentaïeb, Marion Boudier, Isabelle Deffin, Guillaume Mazeau, Bogdan Zamfir », dans Lisa Guez et Martial Poirson (dir.), Révolution(s) en scène, Revue d’Histoire du théâtre, n° 268, 4|2015, p. 658.

[5] Notons que la source de ce discours se trouve bien dans les archives consultées par l’équipe dramaturgique.

[6] Les réactions recueillies parmi les spectateurs telles qu’elles se sont exprimées dans les nombreuses rencontres qu’a suscitées le spectacle vont rarement dans le sens du rejet…

[7] Auteurs de textes qui se sont trouvés, au cours du travail de plateau, dans la « pochette Lefranc ».

[8] Guillaume Mazeau rappelle que l’un des objectifs essentiels du dispositif choisi est de faire oublier au spectateur ce qu’il sait de la Révolution, au bénéfice et par la grâce de l’effet de présence instantanée (et chargée d’incertitude) d’une histoire en train d’avoir lieu (« Histoire sensible », Écrire l’histoire, n° 15, 2015, p. 255). Mais le fait de construire des personnages-idées (des idées plutôt que des noms propres) suffit-il à désamorcer de bout en bout du spectacle l’exercice spontané de la reconnaissance pour une part du public ?

[9] Reinhart Koselleck, Le Futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, trad. Jochen et Marie-Claire Hoock, Paris, EHESS, [1979] 2000.

[10] C’est le mot que Philippe Artières, dans l’entretien cité, propose de substituer à celui de « spectateur ».

[11] « ‘‘Le totem de notre modernité politique’’ », art. cité, p. 661.

[12] Cécile Duflot, Assemblée nationale, 17 juillet 2012. La robe en question a consacré sa politisation en entrant au Musée des arts décoratifs, à l’occasion de l’exposition « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale » (2016).

[13] Voir Christine Bard, Une histoire politique du pantalon, Paris, Seuil, 2012.

[14] C’est, dans les faits, à Mirabeau que l’on doit la réaction verbale condescendante et courroucée la plus marquante, dans la nuit étrange du 5 octobre, demandant qu’on fasse sortir les étrangers à l’auguste enceinte, alors que les femmes se sont emparées des sièges et même de celui du président et de sa sonnette. Il est intéressant que la pièce choisisse un député qui renvoie plutôt aux orateurs ultras du type Maury ou Cazalès, comme si plus on était à droite, plus on était misogyne ; il est vrai que c’est peut-être aussi un effet de la concentration et des métamorphoses des textes-sources des archives dans le travail de l’improvisation et de la structuration des positions dans le jeu des comédiennes et des comédiens.

[15] Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1952, tome 1, p. 280. Il y eut des femmes à la Bastille… Une seule fut intégrée aux « Vainqueurs de la Bastille ».

[16] « Le travail de plateau a également permis d’insister sur le combat qui fut au cœur de la Révolution et que l’on a un peu oublié ou euphémisé. Prenons les journées d’octobre, lorsque les Parisiennes se sont rendues à l’Assemblée pour convaincre les députés de ramener le roi à Paris : ce moment fut d’une intense conflictualité, d’une rare imprévisibilité. À partir des sources, les comédiens ont cherché à se rapprocher de cette dimension. » (Guillaume Mazeau, « Aux Amandiers, on rejoue la Révolution », entretien, L’Histoire, 16 octobre 2015).

[17] La Fabrique de l’histoire, France Culture, 6 novembre 2015.

[18] « Ce spectacle déploie une forme de ‘‘parole-action’’, c’est-à-dire que les mots sont l’action même : les discours de révolutionnaires font advenir une nouvelle réalité dans l’instant même, en réaction à l’enchaînement des événements, aux repositionnements rapides des uns et des autres dans l’arène politique. […] Il a fallu travailler sur les états et l’émotion : c’est cette vérité humaine plutôt qu’une véracité historique que l’on cherche. On ne pourra jamais représenter la vérité historique, mais on peut essayer de ressentir et de faire ressentir son intensité, son urgence, ses enjeux… » (Marion Boudier, « ‘‘Le totem de notre modernité politique’’ », art. cité, p. 658).

[19] La scène joue sur un mélange de déférence et de familiarité qui emprunte malicieusement son expression aux codes contemporains, comme dans le cas du selfie demandé au roi.

[20] Voir Michel Foucault, « La vie des hommes infâmes », Les Cahiers du chemin, n° 29, 1977 ; Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, Le Seuil, 1992.

[21] Dès son entrée dans l’Assemblée, la femme 11 fait une déclaration politique : « Le peuple de Paris que je représente en ce moment lui demandera par la même occasion pourquoi il ne veut pas signer les lois qui abolissent les plus grandes injustices de ce pays et que vous avez fini par accoucher dans la douleur. » (ÇI, 112 – nous soulignons.) L’une des raisons majeures de la défiance du peuple en octobre, soutenue par le travail de la presse révolutionnaire (voir Écrits), est que le roi répugne à entériner les textes sortis du 4 août.

[22] Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, op. cit., p. 102.

 

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