Ça ira de A à Z

 

F.

 

Fin.

 

Ce spectacle qui raconte les débuts de la Révolution française s’appelle Fin de Louis : mais la fin du roi n’est pas la fuite à Varennes (juin 1791) et encore moins son exécution (21 janvier 1793). La pièce s’arrête en effet avec la démission du Premier ministre Muller, ce qui correspond au départ de Necker en septembre 1790. Toutefois, Marion Boudier a souligné en entretien que la « fin » chronologique vers laquelle la pièce faisait signe était bien Varennes, dans la mesure aussi où elle constitue le premier élément d’un cycle dont le second serait le moment de la Terreur[1]. La superposition de ce tournant de 91 et de la démission de Necker a un sens. Le roi de Ça ira va vers sa fin parce qu’il n’a aucune prise sur les événements. Les passages qui le confrontent au peuple et à ses représentants mettent en scène la perte du pouvoir symbolique. Après « l’attaque de la prison centrale » (voir Quatorze Juillet), le roi baisse la tête pour qu’un personnage falot lui mette une médaille autour du cou, puis se laisse embrasser par les autres « habitants ». Il laisse ensuite le nouveau maire parler à sa place et parvient à peine à dire les quelques mots que celui-ci lui impose (ÇI, 81-82).

La scène finale montre un roi plus décidé que d’ordinaire et plus optimiste : « Cet épisode tragique que nous vivons actuellement peut durer encore quelques semaines, quelques mois, mais vous verrez, il prendra bientôt fin. Et ça ira, vous verrez, ça ira. » (ÇI, 133-134) Si la pièce est tragique – au-delà du sens très commun du mot tel qu’il est utilisé ici –, elle l’est par l’ironie et non par une catastrophe finale. La pièce n’avance pas, de crise en crise ou de péripétie en péripétie, vers un dénouement : la crise est permanente et elle dure au-delà la représentation. Louis n’est pas Danton : il n’a pas l’audace du héros capable de braver seul un destin contraire. Mais au fond il a quelque chose du Danton de Büchner : il n’a pas ou plus le goût de se battre et quand on le voit sur scène aller progressivement vers la mort, on sait qu’il est déjà trop tard.

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Ça ira (1) Fin de Louis écrit et mis en scène par Joël Pommerat
Théâtre Nanterre-Amandiers – juin 2015
© Élisabeth Carecchio

Le théâtre aime raconter la fin : Fin de Louis, La Mort de Danton, Thermidor (de Victorien Sardou) ou plus explicitement encore Thermidor-Terminus. La Mort de Robespierre (d’André Benedetto). Le roman aussi, d’ailleurs : un drolatique récit du regretté Jean-Luc Benoziglio, Louis Capet, suite et fin[2], imagine que Louis XVI, plutôt qu’à la guillotine, a été condamné au bannissement perpétuel et se retrouve habitant singulier d’une bourgade suisse des bords du Léman, Saint-Saphorien, où il s’ennuie entre deux pots de bière ou de kirsch partagés avec les autochtones. La « fin », c’est ici d’abord celle d’un rabaissement burlesque, où le personnage royal se dissout dans le portrait d’un individu médiocre, maladroit et paresseux, opaque à autrui, avant une mort, assez ignominieuse, pour de bon. L’humour sternien de Benoziglio échappe en réalité à la question de la « fin » par le dispositif uchronique du « et si… ». La fin de la Révolution est en tout cas un problème. Ses contemporains l’ont vue toujours finir et toujours recommencer et les historiens hésitent encore : quand la Révolution française s’est-elle achevée ? Pire, on ne sait pas bien même aujourd’hui si elle appartient définitivement au passé ou si elle est « une histoire toujours vivante »[3]. C’est bien cette incertitude que Joël Pommerat saisit avec sa pièce : la Révolution est une fin inachevée, une fin qui se dit partiellement au futur (« ça ira ») sans qu’on sache bien de quoi ce futur sera fait. Qui peut être certain, d’ailleurs, qu’il y aura un Ça ira (2) ?

Tu crois qu’on va mourir ?

Benedetto, Thermidor-terminus


 

Phil. B [Philippe Buonarroti]. Tu crois qu’on va aussi devenir immobiles ? Qu’on va se figer, se glacer ? Comme ils se sont figés ? Comme ils se sont glacés ?

Duplay. On ne bouge pas, mais sens comme tout bouge à l’intérieur du corps, tu sens ?

Phil. B. Tu crois qu’on va mourir ?

Duplay. Non, Philippe. Je crois que la Révolution c’est tellement fini que nous les révolutionnaires on ne risque plus rien. Pour le moment. On ne mourra jamais.

Phil. B. On ne mourra jamais ?

Duplay. Non je veux dire qu’on n’est pas encore morts. Qu’ils ne nous tueront pas. Qu’on va rester vivants puisque tout est fini. Écoute on va dormir.

Phil. B. Demain je vais prendre des notes.

Duplay. Demain je vais prendre des notes.

Phil. B. Demain… Oui, oui. Demain.

FIN

 

André Benedetto, Thermidor-Terminus, La Mort de Robespierre, pièce créée au Théâtre des Carmes à Avignon le 18 novembre 1988, Éditions Périphérie / Théâtre des Carmes, s.d., p. 70.

 

Notes

[1] « ‘‘Le totem de notre modernité politique’’ Conversation sur la genèse du spectacle Ça ira (1) Fin de Louis avec Saadia Bentaïeb, Marion Boudier, Isabelle Deffin, Guillaume Mazeau, Bogdan Zamfir », dans Lisa Guez et Martial Poirson (dir.), Révolution(s) en scène, Revue d’Histoire du théâtre, n° 268, 4|2015, p. 657.

[2] Jean-Luc Benoziglio, Louis Capet, suite et fin, Paris, Seuil, coll. Fiction & Cie, 2005.

[3] Michel Biard (dir.), La Révolution française, une histoire toujours vivante, Paris, Tallandier, 2010.

 

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