Écrire Fukushima

Texte liminaire
Enzo Cormann et Samuel Gallet


 

« L’événement est le réel d’une représentation désagrégée. »
Mehdi Belhaj Kacem

 

11 mars 2011. Tsunami, séisme, explosions des centrales, ravage des campagnes et des côtes, rejets massifs radioactifs dans l’océan et dans l’atmosphère, contamination des terres jusqu’à 30 kms autour de la centrale…

Exode. 150 000 personnes évacuées. Les 22 000 habitants de la ville de Namie s’évanouissent dans le Japon. 30 000 porcs, 600 000 poulets, 10 000 vaches sont laissés à l’abandon, sans eau ni nourriture…

Événement planétaire. Des traces de césium de Fukushima ont été relevées sur des thons rouges du Pacifique au large de la Californie, à 9000 kms des côtes du Japon. Accident nucléaire majeur. Coût estimé : 100 milliards d’euros. Des centaines de millions de m3 de végétaux radioactifs, 600 000 tonnes d’eau contaminées…

Proliférations des idées de ruine (« conviction délirante d’un désastre inévitable et mérité »), fantasmes catastrophistes, apocalyptiques. Retour cataclysmique du refoulé. Hiroshima-bis, cette fois auto-infligé. Bavure catastrophique dans une société under control, au pays du zéro-défaut…

Les faits sont désormais connus, avérés, copieusement documentés et commentés. Pour autant, l’événement est-il réellement appréhendé – voire appréhendable ? Qu’est-ce que cet événement singulier a produit dans nos représentations, dans nos manières de voir et de penser le monde ? De le vivre. De l’écrire.

Le mot « émancipation » nous vient du latin manus, main, et capere , prendre – prendre en main : empoigner. Comment empoigner un événement, qui survient et échappe comme une représentation désagrégée ? – bloc de pur réel, imprévu et, jusqu’alors, informulé.

« L’événement, c’est ce qui est imprévisible, inattendu, écrit Alain Badiou dans Le Siècle. C’est un acte ou une action qui vient déchirer toutes les grilles de prévisibilité aussi bien que le schéma de répétition dans lequel tourne inlassablement la ‘‘réalité’’ qui nous recouvre. En bref, l’événement, c’est l’irruption du réel lui-même (dans le sens lacanien). »

Comment s’émanciper de l’événement ? Telle est la question posée au théâtre par l’événement lui-même et ses spectateurs interdits (« Littér. Fortement troublé, paralysé par la stupeur. Synon. Stupéfait, déconcerté, interloqué. Demeurer, rester interdit… »)

Comment donc transgresser l’interdiction ?

À partir de la notion même d’événement, et de l’événement singulier du début du XXIe siècle qui a pour nom FUKUSHIMA, les étudiant·e·s de première année du département d’écriture dramatique sont invité·e·s à proposer chacun·e un texte pour le théâtre. Ces six pièces feront l’objet d’une lecture publique à l’ENSATT par les étudiant·e·s comédien·ne·s de 1ère année, les 12 et 13 juin 2016.

Cinq écrivains, chercheurs, dramaturges sont conviés à accompagner ces travaux d’écriture tout au long de l’année. En fonction de leur sensibilité, de leurs préoccupations, des questionnements et des démarches qui sont les leurs, ils viendront proposer points de vue, pistes de réflexions, ateliers, bibliographies, axes de travail, objets, hypothèses théoriques, déterritorialisations poétiques… afin de nous aider à nous approprier l’événement comme territoire d’écriture, d’invention et d’émancipation.

 

 

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