Écrire Fukushima

« Des vivants (histoire qui est maintenant du passé) »
Lisiane Durand


 

 

Des vivants et des morts
© Sirine Majdi-Vichot

 

« Des vivants (histoire qui est maintenant du passé) » de Lisiane Durand dépeint les relations entre Maïa et Bolbac, deux survivants de la catastrophe qui a coûté la vie à Lilas, ancienne amante de Bolbac.


Extrait.
1er tableau.

C’est le petit matin. L’obscurité est dense.
La coulée boueuse s’est retirée. La marée l’a emportée au loin. Elle forme maintenant une petite tache brune dans l’océan. Une cicatrice qui se referme. Elle a laissé une trace. Une ligne marron indélébile à hauteur d’une tête d’homme sur les bâtiments encore debout. Même la pluie qui tombe parfois drue dans la région ne l’a pas lavée.
Bolbac et Maïa sont assis devant un hangar, sur le haut d’un talus qui surplombe une plage. Près de Maïa, une canne à pêche posée ; le fil est plongé à demi dans un petit ruisseau. Bolbac a les yeux rivés sur un corbeau qui picore une grenade tranchée en deux, non loin. Le corbeau s’envole. Bolbac se jette sur le fruit et s’en empare.

Maïa. Il faut partir.
Bolbac. Ah ah ! Merci, choucas des tours !
Maïa. Il faut partir Bolbac.
Bolbac. Regarde, regarde !
Maïa. Bolbac ?
Bolbac. Regarde !
Maïa. Bolbac !
Bolbac. Mais regarde !
Maïa. Je te crois.
Bolbac. Plus un seul pépin.
Maïa. Tu les as tous enlevés quand tu croyais que je dormais.
Bolbac. …
Maïa. J’espère au moins que ça t’a servi de quatre heures.
Bolbac. Je triche pas moi. Qu’est-ce que tu crois ?
Maïa. Pour ta gouverne, je ne dormais pas.
Bolbac. Garce.
Maïa. Répète ?
Bolbac. …
Maïa. Vaut mieux pas.
Bolbac. J’ai pas triché. C’est le corbeau, il les a finis. Moi j’en ai juste mangé deux grains.
Maïa. O.K. Bolbac.
Bolbac. Maïa, tu m’as dit…
Maïa. Ça ne mord pas.
Bolbac. Maïa, tu m’as dit…
Maïa. Ils sont pourris ces asticots ou quoi ?
Bolbac. Tu m’as dit quand il n’y aura plus de feuille sur le saule, tu m’as dit, quand tu trouveras la merde d’un ver de terre, tu m’as dit quand il n’y aura plus de pépin dans la grenade…
Maïa. Petits petits petits venez voir Maïa…
Bolbac. …que tu me donnerais de nouvelles piqûres.
Maïa. …et Bolbac.
Bolbac. Alors ?
Maïa. Comment j’aurais pu prévoir que les saisons allaient continuer après la vague ? Et quand l’usine à lumière a explosé. Coup sur coup. Quand nous nous sommes tous retrouvés dans le noir. Je pensais qu’il n’y aurait que nous, ceux du littoral, pour être trop sonnés. Et pour ne pas fuir. Je croyais en l’intelligence des animaux. Mais visiblement, les bêtes sont les bêtes. Les vers se plaisent dans la terre et continuent de chier comme d’habitude. Les piafs se plaisent au milieu des nuages douteux et continuent de se poser sur les branches et de manger les fruits des arbres. Ces arbres qui eux-mêmes sont plus vigoureux que jamais. Comment j’aurais pu prévoir tout ça moi ?
Bolbac. Il fallait y penser avant.
Maïa. Je ne conclus plus de marché avec toi.
Bolbac. C’est ce que tu as dit la dernière fois.
Maïa. En échange ?
Bolbac. J’ai des coquillages.
Maïa. Comment tu fais pour en avoir encore ?
Bolbac. Les deux couche-dehors au fond du hangar.
Maïa. Ils se sont mis à la pêche aux coquillages ? Ils font que baiser toute la journée.
Bolbac. C’est moi qui vais les chercher sur la plage.
Maïa. Alors qu’est-ce qu’ils viennent foutre dans nos histoires ?
Bolbac. Ils me donnent ce qu’il faut pour mettre dans la piqûre.
Maïa. Et ils trouvent ça où ? Ils braquent des pharmacies ?
Bolbac. Y’a plus de pharmacie. Ils fabriquent ça dans le poêle du hangar.
Maïa. Avec quoi ? Ça se fait cuire ça ?
Bolbac. Je sais pas, ils font leur popote.
Maïa. Et tu leur donnes quoi en échange ?
Bolbac. Rien.
Maïa. Bolbac ?
Bolbac. Mais rien je te dis. Sont tellement amorphes qu’ils se bécotent toute la journée. Ils ont besoin de rien.
Maïa. T’es sûr que c’est pas dangereux leur soupe ?
Bolbac. Pas plus qu’autre chose.
Maïa. Et alors tu peux aller sur la plage, avec ça dans les veines.
Bolbac. Et alors moi je ne peux aller sur la plage qu’avec ça dans les veines. Tu en fais quoi de la bave ?
Maïa. La bave ?
Bolbac. Des coquillages. Tu les fais dégorger tout partout dans le hangar. Et quand je mets mes palmes et que je vois pas les bâchasses par terre je renverse tout et je mets des heures à tout faire partir.
Maïa. T’occupe. La prochaine fois c’est moi qui nettoierai.
Bolbac. C’est gluant, c’est rouge-sang, c’est dégueulasse.
Maïa. T’occupe. Tiens. Est-ce que t’aurais besoin de cette merde si on habitait en ville ?
Bolbac. T’occupe. Merci.
Maïa. Et mes coquillages ?
Bolbac. Tiens, en voilà un.

Maïa retire la canne à pêche de l’eau. Au bout du fil pend un poisson minuscule.

Maïa. On va se faire gros.
Bolbac. Donne. Je vais le mettre à fumer dans le poêle.
Maïa. Encore un festin.
Bolbac. Il reste des pissenlits et du navet.
Maïa. Royal.
Bolbac. Ils sont très bons ces navets. Tu viens manger ?
Maïa. Va manger toi. Je reste encore un peu.
Bolbac. Tu fais la gueule ? C’est toi qui as insisté pour rester dans le hangar. Moi j’étais mieux sur la plage.
Maïa. Au moins ici, on est au sec. Et le hangar, c’est provisoire.
Bolbac. Je ne comprends pas.
Maïa. Nous avons trop attendu. Il faut partir Bolbac.
Bolbac. Hier, des rayons de soleil ont percé à travers les nuages. Ça n’arrive plus jamais.
Maïa. Des nuits de cela, je fais une insomnie. Je marche près du hangar. Puis je décide de m’enfoncer dans la forêt. Je marche sans but. L’obscurité m’avale. Ma poitrine heurte une surface dure.
Bolbac. J’ai même vu une hirondelle posée sur le saule. Les hirondelles, on aime ça, nous, les marins.
Maïa. Un mur. Haut de deux fois ma taille. Et des hommes en blanc. Qui le construisent.
Bolbac. Ça annonce la terre ferme. C’est la sécurité.
Maïa. Ils construisent un mur. Un mur qui court le long du littoral. Dans la nuit j’ai marché très loin. J’ai fait traîner ma main sur la rugosité du mur. Il nous encercle. Un piège. D’un côté le mur et de l’autre, la mer. J’ai interpellé les hommes en blanc qui bâtissent. Avec abnégation. Ils m’ont regardée avec mépris et ont continué leur besogne.
Bolbac. On a sans doute retrouvé une sécurité ici. Je dis ça à cause de la libellule que j’ai aperçue près de la mare.
Maïa. Si on veut partir. Ça doit se faire en grand. Ça doit se faire en très grand. Une marée. Cette fois-ci. Une marée humaine qui traverse les terres en direction de la ville. Une marée pour emboutir le mur. À deux, on n’y arrivera pas Bolbac. Il faut tout un peuple. Tout un peuple qui se déverse sur une terre à la conquête de la vie. Et de la lumière de la ville. Ça doit se faire en très grand.
Bolbac. Ou c’était peut-être un moro-sphinx. Ça se ressemble tant ces bêtes-là.
Maïa. Tu as réparé le vieux vélo ?
Bolbac. Maïa, si je trouve l’aile d’un moro-sphinx, tu me donneras une nouvelle piqûre ?
Maïa. Tu as écouté ce que je viens de dire ?
Bolbac. Et toi ? Ce soir j’irai pêcher des coquillages.

Bolbac détache le petit poisson de la canne à pêche de Maïa et s’en va, les yeux baissés, à l’intérieur du hangar. Une pénombre épaisse flotte également ici. Une fois les pupilles assez dilatées pour voir, on distingue des rideaux blancs qui séparent des boxes. Et du vent qui les agite. Ça ressemble à un lieu où les gens viennent pour y vivre provisoirement. Des bassines remplies d’un liquide rouge où flottent de longilignes coquillages sont disposées çà et là, entre les boxes. Un poêle d’où s’échappe une fumée blanche qui envahit progressivement l’espace trône au centre. Bolbac jette le poisson dans un pot en ferraille posé sur le poêle. Un remugle âcre. L’odeur du navet ici. Si présente dans le hangar qu’elle en imprègne les rideaux. Si on les essorait. Les rideaux. Le jus qui en sortirait. Du bouillon de navet.
Au fond, dans un coin du hangar, on distingue une forme étrange qui bouge au sol, une masse nue, faite vraisemblablement de peaux humaines, secouée de spasmes. De temps en temps, on voit une tête sortir de cet amas de chair. Et puis une autre. Jamais en même temps, par alternance. Si on prend le temps de regarder attentivement, on voit quatre jambes avec des pieds au bout. Des mains, des doigts, des sexes. Deux hommes. On le suppose grâce aux sexes. On le devine ainsi car leurs cheveux sont si fournis qu’on ne distingue plus rien de leurs visages. Ils marmonnent quelque chose. Des cris profonds. Des cris d’amour. Une odeur pestilentielle flotte au-dessus d’eux. Ils baignent dans une flaque d’excréments et d’urine. Parfois on voit une jambe, une main, prendre appui pour se relever. Mais alors elle glisse dans ce jus puant. Alors ils continuent de faire l’amour. Ce sont eux les couche-dehors. Un tas très haut de seringues à côté de leurs corps, les pistons poussés jusqu’au bout dans les tubes.
Bolbac s’empare d’un seau rempli d’un liquide blanc posé tout près d’eux. Il semble prêt à vomir quand il s’en approche, à cause de l’odeur. Il formule des mots de politesse comme il peut, entre ses dents serrées. Il s’en va dans un des boxes. Il se noue un foulard autour du bras. À ce niveau, presque sous l’aisselle. Il sort une grande seringue à l’aide de laquelle il prélève du liquide dans le seau. Et puis il enfonce tout là, à la pliure. Il enfile alors une combinaison de plongée, des palmes, un masque et un tuba. Il fait quelques pas en mimant un plongeon, se rassoit. Il s’entrave dans les rideaux. Avec ses palmes. Manquant de renverser une ou deux bassines de bave rouge au passage. Puis il arrange sa pelure bien comme il faut. Il fait claquer son masque sur sa face. Plop ça fait quand il le met. Il ne pense plus quand il est comme ça. Plop, plop, plop, plop. On n’entend rien d’autre. Plop, plop, plop, plop. Le bruit de son cerveau c’est plop, plop, plop, plop. Il essaye d’enlever la combinaison. La fermeture éclair résiste. Il essaye. Se contorsionne. Devient rouge. Qu’importe. Il prend le flacon. Il prend la grande seringue. L’aiguille traverse et le plastique gris et la peau. Sans se tordre. Une éclaircie solaire se fait sur le visage de Bolbac.
Maïa entre dans le hangar à ce moment précis. Son regard se fixe sur la manche de plastique gris trouée à l’intérieur du coude. Puis son regard se pose sur Bolbac et son visage hagard.
Le pot en ferraille déborde sur le poêle.

Maïa. Tu vas réparer le vélo ?

Bolbac traverse le hangar. Renverse des bassines remplies de coquillages. Maïa jure. Du rouge sur la tête de Bolbac. Du rouge à ses pieds. Mais il poursuit son chemin. Il n’a pas entendu la question de Maïa. Il sort du hangar par la porte entrouverte. Plouf. Un vague bruit lointain. La voix de Bolbac résonne anormalement dans le hangar.

Bolbac. À 25 mètres je suis bien le silence des profondeurs m’enveloppe comme une maison fortifiée un sanctuaire en haut d’une montagne ici nous sommes en bas au plus bas le plus bas que peuvent offrir les aspérités de la terre les créatures étranges qui passent devant mes yeux capturent mon reflet dans leurs pupilles trop grosses et le souvenir de mon moi d’avant de mon moi de surface s’enfuit avec eux lorsque leurs paupières boursouflées se referment lorsque leurs corps disgracieux disparaissent dans les profondeurs à 28 mètres je suis très bien cet endroit me paraît un lieu propice pour user mes vieux jours ici l’eau nous protège de ce qu’il y a au-dehors de ce qu’il y a dans l’air et qui n’est pas sain à 35 mètres je suis très bien je ne sais plus si la vie d’en haut a déjà existé un jour je vais retirer ce tuyau qui m’empêche de respirer je n’ai pas besoin d’un tuyau pour respirer dans mon nouveau chez moi dans mon nouveau chez moi où je me trouve absolument absolument bien pourquoi ne suis-je pas descendu si profond avant la lumière qui traverse lascivement l’eau verte me paraît sans éclat le temps est sans fin ici dites-vous la tête me tourne de légèreté une ivresse joyeuse une ivresse profonde et puis mon cerveau lutte j’entends mes terminaisons nerveuses lutter dire à ma bouche de retrouver le tuyau d’air le tuyau d’air du dehors je crie mais rien je crie dans l’eau allez Bolbac tu vas pas te laisser avoir par ces conneries et des milliers de bulles me répondent m’entourent et sortent de ma bouche je remonte les paliers comme on a l’habitude de faire comme tous les plongeurs ont l’habitude de faire c’est pour que la tête n’explose pas sur la plage échoué je vide mes poumons d’eau dehors je repense au fond je repense à l’ivresse à quand j’étais bien

Bolbac revient dans le hangar, trempé. L’eau n’a pas lavé le rouge des coquillages. Il reste là debout un moment puis s’écroule au sol, endormi. Il murmure ces mots dans son demi-sommeil.

Bolbac.Tu sais chez les marins quand on meurt on devient capitaine avant on est juste plongeur plongeur solitaire masque tuba combinaison palmes pour unique vaisseau je peux te l’assurer je deviendrai capitaine j’ai la certitude que je serai un jour capitaine c’est un titre honorifique c’est comme la Légion d’honneur quand viendra l’heure de ma mort je prendrai la barre je prendrai le large
Lilas. Il faudrait à mon avis ouvrir les fenêtres. Vous allez finir asphyxiée par cette odeur.
Maïa. Hum ?
Lilas. Une infection.
Maïa. On s’y fait.
Lilas. Et cette fumée. Vous ne voulez pas ouvrir les fenêtres ?
Maïa. On est en train de fumer du poisson. Venez d’où vous ?
Lilas. De par là-bas.
Maïa. C’est loin ?
Lilas. Ça fait une petite trotte.
Maïa. Bienvenue.
Lilas. Vous cuisinez ? J’ai un creux dans l’estomac.
Maïa. Je vous conseille pas les plats de Bolbac. Je dois aller pêcher. Mais ils mordent quand ça leur chante ces abrutis. Vous risquez d’attendre. Sinon il y a des navets sauvages qui poussent pas loin. Personnellement, je n’en mange pas. Ils ont une vilaine tête.
Lilas. Les navets, ça fera l’affaire, vous savez. Je n’aime pas le poisson.
Maïa. Embêtant quand on vit en bord de mer.
Lilas. Embêtant, ça oui.
Maïa. En ville au moins il y a de tout. Et de bonne qualité. Même si c’est sous papier argent. Même si dessus il y a un tampon avec la date limite de consommation et que, passée cette date, des champignons gris poussent dessus.
Lilas. Vous voulez partir en ville ?
Maïa. Et vous ?
Lilas. Je viens pour la fête des étoiles.
Maïa. La fête des étoiles. La fête des étoiles ? Depuis la marée. Depuis la boue. On ne la célèbre plus.
Lilas. Ça me paraît important.
Maïa. Peut-être qu’on a plus envie d’en entendre parler. De nos morts. Ils sont plus nombreux que les vivants. Peut-être que ces légendes millénaires nous paraissent bien futiles aujourd’hui. Peut-être que ces histoires de mondes qui se réunissent en même temps que je ne sais quelles étoiles, peut-être que ça nous passe au-dessus maintenant. Peut-être parce que nous avons plus besoin d’offrandes que nos morts désormais.
Lilas. C’est la fête des morts. C’est la fête des vivants. J’y serai.
Maïa. Vous comptez faire quoi après ?
Lilas. Partir comme vous.
Maïa. En ville.
Lilas. Ou ailleurs.
Maïa. En ville, le vent ne pénètre pas dans les maisons parce que les fenêtres sont étanches comme les hublots des navettes spatiales. En ville il y a des trains qui vont très vite. Des trains que l’on prend pour la traverser sans se mouiller les chaussures, quand il pleut. En ville on peut lire jusqu’à tard dans la nuit, parce que le soleil ne se couche pas et qu’il est conservé dans des tubes en verre qu’il suffit de tapoter pour les voir s’enflammer. Tout cela je ne sais pas, je l’imagine. J’essaye d’imaginer autre qu’ici. J’essaye d’imaginer mieux.
Lilas. Vous avez raison de ne pas vouloir rester.
Maïa. La survie. Je veux organiser la survie. Je ne sais pas encore comment. Je ne sais pas exactement comment. Il faudrait parler à tant d’oreilles. Partir seule avec Bolbac. Et les couche-dehors ? Ça serait une folie. Mais j’y pense. J’y réfléchis. J’ai mes idées. Mais depuis la marée. Depuis que l’usine. Depuis qu’il fait noir ici. C’est le noir aussi dans les esprits. Même si ça fait des jours. Même si ça fait des mois. Le quotidien. La terre, c’est dur à abandonner. On espère l’avant. On attend l’avant. On attend. Sans plus savoir ce qu’on attend. Pendant ce temps, un mur se construit autour de nous. En silence. Je l’ai vu l’autre jour. Je les ai vus les hommes en blanc, aphones. Qui construisent avec abnégation. J’ai su qu’ils voulaient enfermer le danger. Le rendre étranger à eux. Et nous avec. Dans ce hangar, nous sommes presque seuls. Mais dans la zone obscure. La zone non-éclairée. Près de l’océan. Sur le littoral, du monde, j’imagine. Je ne sais pas si je deviens folle ou. Mais je crois que personne ne viendra nous chercher. Ceux de la ville là-bas. Ceux arrosés du matin au soir par la lumière. La lumière jaune. Ils ne viendront pas. Je ne sais même pas s’ils ont connaissance. De nous. S’ils savent. On leur a mis du coton dans les oreilles. Ils ont dressé le mur pour nous rendre aveugles à eux. Il faut un peuple pour crier. Il faut beaucoup de voix pour nous rendre audibles. Pour faire comprendre aux autres, là-bas, derrière le mur. Le danger. Si grand ici. Mais la terre. Si belle. Le quotidien. Si présent. Ce n’est pas évident. Pour personne. De partir.
Lilas. Comment vous comptez vous y prendre ?
Maïa. J’y réfléchis. Il faut être nombreux pour faire fléchir le mur. J’y réfléchis. Je vais ouvrir les fenêtres. Ce n’est plus tenable cette odeur.

Maïa a dit « fenêtre » mais ce sont plutôt des trous qui ont été pratiqués à même la tôle par elle à l’aide d’un objet coupant. Ils sont obstrués par des bâches en plastique qui tiennent grâce à des clous. Maïa tire sur l’une des bâches avec vigueur pour laisser passer l’air du dehors. Le plastique se déchire. Elle tombe en arrière. On voit une tête émerger de la masse informe au fond du hangar. La tête d’un couche-dehors. La terre a tremblé. La terre qui tremble encore ? Le poil qui se dresse de peur. Puis la tête rassurée qui disparaît. Ce n’était que Maïa. Les corps s’empressent de faire l’amour.

Maïa. Voilà. On prend l’air.
Lilas. Si je peux faire quoique ce soit. Pour vous aider. Pour la ville.
Maïa. Vous voyez les bassines là-bas ?

 

 

Les commentaires sont clos.