Jukebox à Ouagadougou : à l’écoute de la ville

Le dispositif de création et de représentation de l’Encyclopédie de la parole
dans un théâtre à ciel ouvert

Jukebox (2019-2021)
Concept de l’Encyclopédie de la parole
Direction artistique d’Élise Simonet
Mise en scène de Joris Lacoste
Vidéo de Pierre Bellec

 

Fondée en 2007, l’Encyclopédie de la parole réunit un ensemble d’artistes autour d’un projet d’exploration de « l’oralité sous toutes ses formes »[1]. Son travail articule une démarche de collecte de matériaux sonores et de création de dispositifs conçus « pour écouter différemment la parole »[2]. Les divers projets artistiques travaillent sur les modalités d’écoute afin de déplacer l’attention des spectateurs vers la matérialité de la langue, de façon à susciter une « écoute formelle ». Cet article se concentre sur le projet Jukebox, développé par Élise Simonet (direction artistique) et Joris Lacoste (mise en scène) depuis 2019. Chaque Jukebox est conçu pour « un espace géographique particulier : une ville, un territoire, une région »[3], dont il s’agit de « représenter les singularités de paroles »[4]. Les enregistrements sonores performés sur scène ont préalablement été collectés sur le territoire avec les habitants (pour les formes solos du spectacle) ou par les comédiens eux-mêmes pour les formes réunissant un collectif d’acteurs. Jukebox repose ainsi sur un dispositif de création et de représentation précis et efficace, pensé pour partager la démarche et les outils de l’Encyclopédie avec les acteurs locaux, permettant de créer ensemble le spectacle dans un temps très court (deux semaines). À ce jour, Jukebox a été produit dans dix-huit villes, principalement européennes, mais aussi en Russie et en Afrique de l’Ouest. Mon étude se penchera sur le processus de création et les représentations de Jukebox Ouagadougou, en novembre 2021. L’Encyclopédie a été invitée au Burkina Faso par Aristide Tarnagda, directeur des Récréâtrales[5], dans le cadre de sa programmation annuelle[6]. Les six acteurs et actrices burkinabè (Mahamadou Tindano, Wilfried Ouédraogo, Safourata Kaboré, Anthony Ouédraogo, Lionelle Edoxi Gnoula et Alfred Ange Ilboudo) ont été réunis sur proposition de ce dernier, en raison de leur intérêt pour les questions de langue et d’oralité, mais aussi de leur ouverture face à des propositions artistiques originales. À l’exception d’Ilboudo qui est un jeune du quartier en cours de formation, tous sont des acteurs et des actrices reconnus qui développent ou ont par le passé développé une pratique de conte, de slam, d’écriture théâtrale ou, plus largement, une grande curiosité pour la question de la parole.

En s’intéressant au cadre sono-spatial de la cour d’habitation familiale (« Chez le chef ») dans laquelle l’équipe a travaillé, et à celui du théâtre à ciel ouvert où le spectacle a été joué, il s’agit d’explorer les différentes modalités d’écoute mises en œuvre par le dispositif de création et de représentation au sein de ce contexte particulier. À cette fin, je commencerai par décrire ce cadre sono-spatial, pour observer ensuite la manière dont le protocole de création s’y est déployé. Enfin, j’interrogerai la réception du spectacle en regard des conditions matérielles de représentation et des habitudes du monde théâtral au Burkina Faso. En effet, si le public des scènes occidentales est habitué à de tels enjeux formels, et si les black boxes dans lesquelles il assiste aux spectacles offrent les conditions techniques adéquates (isolation sonore, équipements matériels) pour de telles expériences, les enjeux artistiques se trouvent transformés lorsque le dispositif est déplacé dans un autre contexte culturel, spatial et matériel. Dans le théâtre des Récréâtrales, l’étude de la réception de Jukebox Ouagadougou permet de constater que ce dispositif a finalement davantage suscité un intérêt pour les types de parole qu’il était possible de faire entendre sur scène, que pour les qualités formelles de celles-ci. Les entretiens menés dans le cadre de ma recherche de terrain sur la vie théâtrale à Ouagadougou[7] ont également permis d’identifier une division au sein du public entre une partie des professionnels et les autres spectateurs, en raison de leurs horizons d’attente différents vis-à-vis du théâtre, mais aussi par rapport aux enjeux du théâtre dans le contexte politique actuel du Burkina Faso.

 

« La rue des Récréâtrales »
Maquette avec les installations des scénographes – 2022
© Daddy Nkuanga Mboko

 

Cadre sono-spatial de la cour familiale « Chez le chef »
et du théâtre à ciel ouvert des Récréâtrales

 

La rue 9.32, baptisée depuis 2021 « rue des Récréâtrales », est située dans le quartier populaire de Bougsemtenga, dans le secteur Gounghin, l’un des plus anciens de la ville. Elle conjugue les fonctions d’habitation, de commerce et de loisirs. En raison des conditions climatiques, du mode de vie local et de son organisation spatiale, la majorité des activités quotidiennes des habitants du quartier s’organisent en plein air, au sein des cours d’habitation et dans la rue elle-même. Dans les quartiers populaires, les cours traditionnelles accueillent plusieurs espaces d’habitation disposés autour d’un espace central partagé. Comme le souligne le fondateur du festival, Étienne Minoungou : « Tout se passe là, sous les manguiers : la vie quotidienne, les réunions de famille, un heureux ou un malheureux évènement, une crise. Et la crise se discute dans la cour familiale, tout le monde est présent, y compris les enfants. »[8] Aussi, c’est dans ces cours qu’il a, en 2010, décidé d’organiser les créations et représentations théâtrales, afin que les spectacles soient accueillis par les habitants et prennent place au milieu de leurs activités quotidiennes[9]. Jukebox a bénéficié du même cadre pour sa création (le travail à la table et les répétitions ont été accueillis dans la cour du chef) et a ensuite été joué dans le théâtre des Récréâtrales, un théâtre à ciel ouvert situé quelques dizaines de mètres plus loin. Ce travail en plein air s’est conséquemment déroulé dans l’environnement sonore du quartier, produit par les habitants et leurs différentes activités.

Devenu depuis une dizaine d’années le quartier artistique de la capitale[10], Bougsemtenga rassemble de nombreux espaces d’art et de loisirs. Dans la rue, on entend régulièrement les acteurs jouer et la musique des concerts se prolonger dans la nuit. Mais ce sont les deux grands maquis[11] diffusant de la musique à un volume très élevé – et ce jusque tard dans la nuit – qui constituent la bande sonore audible presque d’un bout à l’autre de la rue. Les commerces présents sont relativement discrets (kiosques d’alimentation et produits divers, téléphonie, etc.), excepté l’atelier de soudure qui engendre un bruit continu. Parmi les autres signaux sonores[12], les appels à la prière du muezzin résonnent cinq fois par jour, « établissant de par leur rythme régulier, une perception du temps rythmée comme par une horloge sonore »[13], tandis que les chants et prières de la messe se poursuivent parfois tard toute la soirée. Enfin, dans la bande sonore de Ouagadougou, il faut mentionner les bruits des motos, moyen de transport privilégié dans la capitale. La vie quotidienne est ainsi marquée par cette porosité sonore sur laquelle reposent un certain nombre de pratiques culturelles et économiques, tels le chant du muezzin, les crieurs publics qui promeuvent des produits ou des événements (films, théâtre), les commerçants et artisans ambulants (couturiers, cireurs de chaussures, etc.) qui font tinter leurs ustensiles pour informer de leur passage les habitants au sein des cours.

 

Jukebox Ouagadougou
Safourata Kaboré. Répétitions dans la cour.
© Daddy Nkuanga Mboko

 

Ces différents sons ont donc accompagné le travail de création ainsi que le déroulement du spectacle. Ce cadre se différencie radicalement du théâtre en Occident qui, comme le soulignent Claire Guiu et Marie-Madeleine Mervant-Roux, « travaille sur le silence – dont il est devenu l’un des abris dans la ville –, sur l’écoute et sur le son lui-même et sa diffusion (production sonore en scène, dispositif technique et caractéristiques acoustiques des bâtiments) »[14]. Les théâtres à ciel ouvert de Ouagadougou ne sont de fait jamais silencieux. Loin de constituer des abris dans la ville, par le dispositif d’écoute et d’attention qu’ils mettent en place, ils font entendre la dynamique de la cité et en constituent une chambre d’écho.

Si, comme le souligne Henry Torgue, l’interface sons-lieux permet de percevoir  « la grande diversité des sources cohabitant dans un espace, caractérisant sa polyphonie » et si «[à]  travers leur équilibre, leurs agencements ou leurs conflits, se joue une part de l’identité territoriale »[15], alors il s’agit de nous rendre attentifs à la manière dont le dispositif de Jukebox, conçu pour faire entendre autrement les paroles de et sur la ville, s’est inscrit dans cette polyphonie, et comment, en nous mettant à l’écoute de celle-ci, on entre en écoute et en dialogue avec Ouagadougou.

 

Protocole de création :
« Nous sommes tous des experts de la parole »

 

Le protocole de création élaboré par l’Encyclopédie de la parole se déroule en trois grandes étapes : la collecte, la sélection et la retranscription des documents ; l’appropriation et l’apprentissage de ces documents ; la mise en scène et les répétitions de chaque morceau. Mobilisant pour leurs différents projets de très nombreuses langues qu’ils ne maîtrisent souvent pas eux-mêmes, les membres de l’Encyclopédie sollicitent l’appui de locuteurs locaux qu’ils mettent en position d’experts. Cette position a été assumée ici par les acteurs eux-mêmes, qui ont procédé à des enregistrements sur le terrain (discussions de café, messages audio privés, annonces et publicités dans les espaces publics), ont collecté sur les réseaux sociaux des vidéos et audios populaires, et ont sélectionné des discours politiques et religieux représentatifs des débats animant la société. En compagnie d’Élise Simonet[16], ils ont veillé à la diversité des locuteurs (âge, genre, nombre), dans le but d’obtenir un corpus significatif des différentes formes de l’oralité. Comme à son habitude, l’Encyclopédie a également travaillé avec un dramaturge local, en l’occurrence Mahamadou Tindano[17], qui a fourni – avec l’appui de l’ensemble des comédiennes et des comédiens – les explications contextuelles par rapport à la variété des discours collectés.

La première phase de la recherche met en œuvre divers processus d’écoute : l’écoute de la ville afin d’y chercher les discours les plus représentatifs pour constituer la matière du spectacle ; l’écoute collective lors de la découverte de ces « récoltes », suivie de l’écoute des arguments des uns et des autres permettant de sélectionner les documents. La création de Jukebox repose ainsi sur une confiance mutuelle basée sur des compétences d’écoute réciproque. C’est ce dont témoigne l’un des comédiens, Anthony Ouédraogo : « Il faut être de la ville pour pouvoir donner ton avis. On peut t’envoyer des documents, tu peux travailler et les jouer, mais quand tu es de la ville, tu peux donner ton avis. »[18] Élise Simonet confirme que la pièce appartient en premier lieu « au groupe qui la constitue » : « moi je ne suis qu’une invitée […], je n’ai pas d’autre choix que de faire confiance au groupe puisque je ne suis pas d’ici. »[19] Cette situation se manifeste le plus clairement pour les documents en langues locales, dont les locuteurs sont entièrement responsables. Dans le cas de Jukebox, sept documents sur vingt-huit étaient en mooré, la langue la plus répandue à Ouagadougou. Pour ces derniers, les comédiens étaient chargés de se coacher mutuellement sur la précision de la reproduction orale.

 

Jukebox Ouagadougou
Wilfried Ouédraogo et Mahamadou Tindano. Répétitions dans la cour.
© Daddy Nkuanga Mboko

 

Jukebox Ouagadougou
Anthony Ouédraogo et Élise Simonet. Travail à la table.
© Daddy Nkuanga Mboko

 

Le travail de création consistait en l’appropriation et la restitution, « au souffle près », des différents discours enregistrés. Ces enregistrements ont été retranscrits par les comédiennes et les comédiens, appris par cœur, et répétés inlassablement, afin de restituer les intonations, les respirations, les musicalités et les rythmes de la manière de parler des autres. Écouteurs dans les oreilles, les acteurs ont appris leurs documents en répétant dans l’espace restreint de la cour qui n’offrait que peu de possibilités pour l’isolement sonore. Parce qu’ils s’entendaient les uns les autres, le travail de répétition est rapidement devenu une tâche et une responsabilité collectives. En observant le processus de création, on comprend rapidement que c’est la restitution de leur propre écoute d’un discours qu’ils performent, plutôt que la restitution du discours lui-même. Comme le souligne Peter Szendy dans Écoute, une histoire de nos oreilles[20], chaque écoute est singulière, on n’entend jamais exactement la même chose. Le contexte et la culture influencent également ce qu’on entend, comme en témoigne cet échange entre un acteur et le metteur en scène :

– Je ne suis pas convaincu de ma voix.
– Ça me semble ok.
– C’est parce que vous n’entendez pas ce que nous on entend.

Cette observation sur la forme porte également sur le sens des documents et de leur transposition au théâtre. En de nombreuses occasions, les porteurs du projet devaient vérifier auprès des comédiennes et des comédiens la manière dont l’une ou l’autre partition pouvait être entendue et comprise par le public ouagalais.

 

« Karissa »
Message diffusé sur WhatsApp en 2021
Document sonore collecté par l’Encyclopédie de la parole

 

L’exemple d’un document problématique qui a donné lieu à d’importantes discussions entre acteurs ainsi qu’entre acteurs et Encyclopédistes, permet d’illustrer comment le groupe a su jouer du dispositif sono-spatial de la cour pour décider s’il pouvait, ou non, l’interpréter. Intitulé « Karissa »[21], le document, en mooré, provient d’un audio partagé sur les réseaux sociaux en 2021. Il donne à entendre un discours sur la défense de l’indépendance sexuelle et sur le rejet de l’attachement au sein d’un couple[22]. Si le texte a suscité le débat au sein du groupe, c’est parce qu’il parle de sexe de manière directe et qu’il est prononcé par une femme. Dans la société multi-ethnique du Burkina Faso, on parle, au sein de certaines ethnies, « de sexe avec une grande liberté, il n’y a pas de tabous » ; dans d’autres, majoritaires, on utilise en revanche « des métaphores pour parler de sexe, pour parler de sentiments »[23]. Il y a donc une certaine réserve quant aux paroles que l’on peut prononcer sur une scène de théâtre, comme l’explique la comédienne qui a défendu cet enregistrement :

Il y a des mecs qui entendent des choses, qui les disent même souvent, qui se disent : « On est au théâtre et au théâtre on ne devrait pas parler de ça. » Ce sont eux qui se posent la question du public, des oreilles, tout ça, qui se mettent à la place du public. C’est pas juste. Moi j’ai tenu à le faire pour ça. Déjà quand on l’écoutait, on sentait que chacun était distant, c’est intéressant. C’est important pour moi de le faire parce que c’est la parole d’une femme : c’est le truc des audios, si une femme peut parler aussi librement, pourquoi moi, en tant que comédienne, je ne peux pas restituer cette parole ? […] Nos lois sont écrites par des hommes, nos textes sont écrits par des hommes, on dit aux femmes de se mettre en retrait. Pourtant les femmes ont beaucoup à dire[24].

Les enjeux politiques de la création se sont manifestés à travers la question des limites et des possibilités de prises de parole sur le plateau, et à travers celle du devoir de protéger les oreilles potentiellement sensibles des spectateurs et des spectatrices. En évoquant explicitement les oreilles, les comédiennes et les comédiens témoignaient de la puissance du théâtre en tant que dispositif d’écoute. Cette puissance tient à la relation que celui-ci instaure, comme l’évoque Roland Barthes :

L’écoute met en relation deux sujets ; même lorsque c’est toute une foule (une assemblée politique, par exemple) qui est requise de se mettre en situation d’écoute (« Écoutez ! »), c’est pour recevoir le message d’un seul, qui veut faire entendre la singularité (l’emphase) de ce message. L’injonction d’écouter est l’interpellation totale d’un sujet à un autre : elle place au-dessus de tout le contact quasi physique de ces deux sujets (par la voix et l’oreille) : elle crée le transfert : « écoutez-moi » veut dire : touchez-moi, sachez que j’existe […][25].

Donner à écouter cette parole sur scène revenait à accorder une reconnaissance à ce discours fort tenu par une femme, mais aussi à l’actrice, Safourata Kaboré, qui le porte sur scène. Était-ce possible dans le théâtre des Récréâtrales, qui se définit comme théâtre des familles et cherche à mobiliser et fidéliser le public populaire (dont femmes et enfants) du quartier ? La réponse est venue de ce public visé lui-même, déjà présent lors de l’étape de création qu’il accueillait chez lui. Ce sont le regard et le rire des femmes de la cour, ainsi que l’indifférence des enfants, qui ont convaincu le groupe de garder ce contenu sonore. La contiguïté a ainsi permis de tester le discours, non au moyen d’une adresse directe ou d’une discussion, mais en jouant avec cette proximité, profitant des oreilles qui trainent et observant en biais les réactions. Cette situation s’est produite à plusieurs reprises, permettant également aux artistes de prévoir les possibles réactions des spectateurs (les enfants de la cour qui accompagnent une récitation dite sur scène, les rires sur l’un ou l’autre des extraits, etc.).

 

Expériences spectatorielles, de la cour au théâtre

 

En s’installant dans le quartier populaire de Bougsemtenga et, à l’occasion du festival, chez ses habitants, les Récréâtrales souhaitaient rapprocher le théâtre d’auteur d’un public qui ne le fréquentait pas. En jouant dans l’environnement familier de ce public potentiel, il s’agissait notamment de réduire les difficultés symboliques à franchir le seuil d’un théâtre, et de faire participer le théâtre à la vie quotidienne du quartier. Pour ce faire, les habitants sont invités à assister aux répétitions (les enfants et les jeunes le font fréquemment à la fin des cours), à suivre les représentations et à participer comme acteurs dans les spectacles d’ouverture du festival et lors des ateliers avec les jeunes du quartier. Plus largement, les sons provenant du théâtre font désormais partie de leur environnement sonore et suscitent la curiosité quant aux activités qui s’y déroulent.

Dans L’Obvie et l’obtus, Barthes relève que « pour l’homme – chose souvent sous-estimée – l’appropriation de l’espace est elle aussi sonore : l’espace ménager, celui de la maison, de l’appartement (équivalent approximatif du territoire animal) est un espace de bruits familiers, reconnus, dont l’ensemble forme une sorte de symphonie domestique »[26]. En se déroulant à ciel ouvert et en accueillant entre ses murs les bruits familiers de la rue et des cours familiales voisines, le théâtre ouagalais offre donc une expérience sono-spatiale qui replace ses usagers (artistes et publics) dans leur environnement quotidien et facilite, par sa « symphonie familière », l’appropriation de ces derniers.

En considérant que ces sons font entièrement partie de l’expérience des acteurs et des spectateurs, il s’agit de s’inscrire ici dans la lignée de Raymond Murray Schafer et de Brandon LaBelle[27] et d’inviter à éviter d’appréhender l’environnement sonore en termes de nuisances, pour s’intéresser plutôt à la manière dont les différents sons coconstruisent l’expérience d’un espace, et s’interroger sur l’identité singulière qu’ils confèrent à un territoire. Bénéficiant de moyens techniques limités, les espaces théâtraux burkinabè ne mobilisent qu’occasionnellement des technologies d’amplification (au mieux quelques haut-parleurs disposés sur les côtés de la scène et des micros). Peu isolés, ils restent ouverts aux événements extérieurs qui peuvent déplacer l’attention des spectateurs et des comédiens. Les usagers de ces théâtres connaissent cette « architecture aurale »[28] et y adaptent leur pratique de jeu et d’écoute, en distribuant leur attention entre la perception, l’audition et l’écoute[29]. Cette adaptation renforce par ailleurs le lien entre acteurs et spectateurs selon Mahamadou Tindano :

Ce qui est intéressant, c’est que le théâtre, ce n’est pas une machine, c’est un endroit où on vient partager de l’humanité, c’est un endroit réel, vivant. Ce qui se passe, là, on partage ça ensemble. C’est vrai, on entend, ce n’est pas vrai que ça ne dérange pas, mais c’est comme ça. Souvent quand on joue, il y a le téléphone qui sonne, on avait demandé de couper mais tu t’adaptes[30].

Reposant sur un dispositif scénique minimal – un pupitre, un micro, cinq chaises –, le cadre de Jukebox était pourtant conçu pour mobiliser au maximum l’attention des spectateurs sur les paroles des acteurs et, dans le cadre d’une représentation en plein air, invitait également à l’écoute des signaux sonores de la ville. Lors de la création et des représentations, ce ne sont pas les sons de la cour ou de la rue qui ont perturbé le travail mais, au contraire, un calme exceptionnel, qui a transformé l’ambiance lors des derniers jours de la création. Comme le relève Noha Said à propos de la ville du Caire dont les sons produisent une « “musique populaire” jouée depuis toujours et composée de voix, de cris, d’instruments et de silence » : « le silence prend ici une signification complètement différente du calme dominant les quartiers modernes. Comme dans la perception musicale, le silence peut ici devenir lourd, chargé par l’anticipation, l’imagination et le rythme. »[31] Le silence qui s’est fait dans le quartier lors des deux derniers jours de répétition et pendant la générale résultait de l’interdiction des festivités lors du deuil national qui avait été décrété à la suite de la tragique attaque du camp de gendarmerie d’Inata par des djihadistes le 14 novembre 2021[32]. Privée de la musique des maquis, vidée de ses usagers et des bruits de circulation, la rue silencieuse était l’indice le plus marquant de la gravité de la situation. C’est dans ce contexte chargé qu’à la fin de la période de deuil, le spectacle a été présenté, du 18 au 28 novembre 2021.

Jukebox Ouagadougou
« Menu » distribué à l’entrée du théâtre
avec les titres des différents documents
© Karolina Svobodova

Bonsoir mesdames et messieurs, bienvenue au théâtre des Récréatrales pour cette représentation de Jukebox Ouagadougou. […] L’Encyclopédie de la parole, c’est un projet collectif basé à Paris qui collecte et collectionne des enregistrements. Des enregistrements de paroles, de toutes sortes, qu’il classe en fonction de leur forme.  C’est quoi la forme ? C’est par exemple l’intonation, la cadence, l’espacement, le timbre, la répétition, etc. En d’autres termes, l’Encyclopédie de la parole s’intéresse autant à ce que l’on dit qu’à comment on le dit. […]
Le principe du Jukebox est simple ; en rentrant dans la salle, on vous a distribué des fiches avec les titres de chaque numéro. C’est vous qui choisissez le titre que vous voulez voir et entendre et nous, on le performe pour vous.
Il vous suffit de dire le titre à haute voix.
C’est sans protocole !
Voilà, vous avez des questions ?

Une spectatrice. Pourquoi vous nous dites ça au début et pas à la fin[33] ?

En mettant en scène les discours que les spectateurs et les spectatrices ont l’habitude d’entendre dans l’espace public et dans les médias, Jukebox les invite à modifier leur écoute des paroles qui habitent leur quotidien, c’est-à-dire, comme l’expliquait le dramaturge lors de l’introduction, à s’intéresser autant à leur forme qu’à leur fond. L’étude de la réception de ce spectacle à Ouagadougou est particulièrement intéressante car elle permet d’observer une division entre les professionnels du théâtre et les autres membres du public, en même temps qu’elle met en exergue les défis et enjeux auxquels sont confrontés aujourd’hui les acteurs du champ théâtral burkinabè.

Le public qui vient voir le théâtre, il se fout si c’est bien prononcé ou pas, il vient partager un bon moment. Il est amusé, si c’est quelque chose qui se passe tout le temps dans son quotidien mais qu’il n’a pas l’habitude de voir sur scène, ça l’amuse. Il voit une performance en train d’être faite, il n’est pas dans le jugement : « Est-ce qu’il tient bien son corps, est-ce que c’est bien dit, bien incarné, bien porté… » Ça, c’est nous, les professionnels, on est souvent dans ces jugements-là. […] Un professionnel, il va dire : « C’est quoi votre message, c’est quoi le sens ? » On en a discuté avec nos détracteurs, ils sont habitués à une forme, même s’ils se sont amusés, ils ne sont pas habitués à ça[34].

Dans cet extrait d’entretien, Mahamadou Tindano identifie les critères d’évaluation et, partant, l’horizon d’attente de ses pairs face à un spectacle. Il souligne en particulier l’opposition entre l’attente de divertissement des spectateurs amateurs et l’attention portée à la performance des acteurs (diction, mémoire, intonation, posture, etc.) ainsi qu’au sens de la création de la part des professionnels. Si cette dernière n’est en rien spécifique au contexte étudié ici, elle permet cependant de comprendre les réserves formulées par un certain nombre d’acteurs et de metteurs en scène face à cette représentation. En effet, ces derniers travaillent dans un contexte culturel et social qui peine à reconnaître l’activité théâtrale comme une activité professionnelle et artistique sérieuse[35]. Faire du théâtre d’auteur[36], travailler sur des œuvres littéraires reconnues, respecter la langue française[37] et s’emparer de thématiques liées aux problématiques de la société civile peuvent dès lors se lire dans la perspective d’une quête de reconnaissance artistique et sociale. L’importance accordée aux « messages » portés par les spectacles s’explique encore par la situation politique et sécuritaire que traverse le pays et qui redéfinit pour certains artistes les enjeux du théâtre, dont ils attendent un engagement face au terrorisme et aux troubles engendrés au sein de la population (la situation des personnes déplacées internes, les potentielles tensions entre ethnies, etc.). Or Jukebox ne répond pas à ces attentes : patchwork de discours collectés dans la ville et assemblés au moment de la représentation par les spectateurs qui sélectionnent l’ordre de passage des numéros, il n’offre pas de récit unifié et ne délivre pas de message auquel le public serait invité à réfléchir ; performant des paroles du quotidien, il ne met pas non plus les acteurs au service de la langue d’un auteur ou d’une matière considérée comme légitime.

Mais alors qu’une partie des professionnels du théâtre ont mobilisé cette opposition entre un matériau supposé noble et un matériau considéré comme trivial pour dévaloriser le spectacle en le qualifiant de simple amusement, les spectateurs amateurs ont quant à eux davantage reconnu la nature inclusive et populaire de la représentation : « ça parle de nous », « c’est notre réalité », confirmaient-ils à la sortie de la représentation. Ils ont entendu des paroles familières, ils se sont reconnus dans certains discours, ils ont pu mêler leurs voix à celles des acteurs pour réciter un slogan publicitaire. Le déplacement de l’attention vers « ce qui nous entoure, la matière la plus petite, ordinaire et commune »[38], le traitement ludique de cette dernière et le pouvoir donné aux spectateurs de décider eux-mêmes du déroulement de la représentation en sélectionnant les discours qu’ils souhaitaient entendre : voilà qui a réactivé, dans une certaine mesure, des codes du théâtre de sensibilisation qui est particulièrement populaire au Burkina Faso[39], à la très grande différence que dans Jukebox, ces codes ne sont mis au service d’aucun message et que le spectacle est dénué de toute finalité didactique.

 

***

 

En collectant et portant à la scène des discours représentatifs de la ville d’accueil, Jukebox Ouagadougou visait à interroger les représentations qu’une communauté a d’elle-même, mais aussi à attirer l’attention sur les caractéristiques formelles de ces discours. Or nous avons montré que le caractère ouvert, poreux et « vide » (au sens de Peter Brook[40]) des théâtres ouagalais, contribue principalement à renforcer le premier aspect : lors des répétitions, il permet de tester la réception des discours portés à la scène par les oreilles qui traînent ; lors des représentations, grâce à sa scénographie minimaliste et à la simplicité de la mise en scène, il laisse la place à ces différentes prises de parole. Toutefois, alors qu’au sein des théâtres occidentaux, l’Encyclopédie de la parole peut élaborer un travail de composition compris comme « art de l’agencement de différentes formes sonores (ambiances, sons, voix, bruits, musique) et spatiales (espace corporel, salle, scène, territoire) »[41], le cadre ouvert et le manque d’équipement technique du théâtre des Récréâtrales limitent les possibilités de maîtriser une telle composition. Le spectacle reste donc constamment ouvert à l’environnement sonore de la ville et à ses événements. Les paroles urbaines dites et entendues dans les sonorités produites par cette même ville ont créé un sentiment de familiarité pour les spectateurs-auditeurs. Si certains professionnels ne voyaient dans le spectacle qu’un simple divertissement et ne reconnaissaient qu’un intérêt limité au travail d’apprentissage et de restitution de tels matériaux ordinaires par des acteurs dont ils connaissent le talent, d’autres spectateurs se sont au contraire réjouis de reconnaître leur quotidien sur une scène de théâtre. Alors que le théâtre d’auteur, majoritairement joué en français, est un théâtre souvent exigeant qui s’adresse surtout à une classe moyenne bénéficiant d’un capital symbolique suffisant pour franchir le seuil d’un théâtre, Jukebox Ouagadougou, en reproduisant des paroles connues de tous, en incluant du mooré, et en mettant de grands acteurs et de grandes actrices au service de cette matière mais aussi du public qui leur « passe commande », parvient à donner une place légitime de spectateur à l’ensemble des Ouagalais. De cette manière, l’équipe qui avait été accueillie par une famille pour créer le spectacle, accueille à son tour tout un chacun au théâtre et fait de ce dernier une expérience plus ouverte et accessible.

 

Notes

[1] Présentation du projet artistique sur le site de l’Encyclopédie de la parole. La revue thaêtre est déjà revenue en deux occurrences sur le travail de l’Encyclopédie de la parole : Marion Boudier et Nicolas Rollet, « L’Encyclopédie de la parole : du document à sa performance », thaêtre [en ligne], Chantier #7 : Document-matériau (coord. Marion Boudier et Chloé Déchery), mis en ligne le 8 nov. 2022 ; Emmanuelle Lafon, « Ce que le document fait à l’acteur·rice. Extraits d’une enquête en cours », entretien réalisé par Marion Boudier, thaêtre [en ligne], Chantier #7 : Document-matériau (coord. Marion Boudier et Chloé Déchery), mis en ligne le 8 nov. 2022.

[2] Joris Lacoste et Frédéric Maurin, « Présentation de l’Encyclopédie de la parole », rencontre tenue lors du colloque EASTAP « Decentering the vision(s) of Europe : The Emergence of New Forms », Paris, 25 octobre 2018.

[3] Voir les pages consacrées à ce projet sur le site de l’Encyclopédie de la parole.

[4] Ibid.

[5] Voir le site des Récréâtrales.

[6] Tous les deux ans, le festival des Récréâtrales investit les cours familiales pour y donner des représentations et transforme l’environnement de vie des habitants du quartier au moyen d’une scénographie de rue. En 2021, en reconnaissance de ces activités, la rue a été baptisée « rue des Récréâtrales ». L’organisation d’une programmation annuelle est une initiative récente (la saison 2021-2022) par laquelle il s’agit de prolonger le projet artistique et culturel que les Récréâtrales développent depuis 2010 dans le quartier et, plus largement, au Burkina. Sur les enjeux et la programmation de cette saison, voir Karolina Svobodova, « Donner sa place au public. Le théâtre des Récréatrales », La Pointe, 12 oct. 2022.

[7] Les données mobilisées dans cet article proviennent de trois séjours de recherche organisés entre 2021 et 2022, d’une durée de neuf mois au total. Dans ce cadre, j’ai réalisé plus d’une cinquantaine d’entretiens avec des acteurs, metteurs en scène, opérateurs culturels et spectateurs, j’ai suivi six processus de création et j’ai assisté à environ quatre-vingts représentations de spectacles de théâtre, danse et conte.

[8] Aimé Stéphane Maximilien Djiguimdé et Karolina Svobodova, « Déplacer le théâtre dans les cours familiales », La Pointe, 24 oct. 2022.

[9] Sur la création d’un spectacle dans une cour au sein du quartier, lors du festival des Récréâtrales 2022, voir Karolina Svobodova « Les Récréâtrales à Ouagadougou : amener la poésie dans l’espace quotidien », Alternatives théâtrales, n° 149, juillet 2023.

[10] Karolina Svobodova, « Les théâtres à ciel ouvert de Ouagadougou. Stratégies de localisation et possibilités d’appropriation des espaces poreux à la ville », EchoGéo, n° 61, 2022.

[11] Félix Lefebvre, Politiques de l’espace et condition citadine : modèles, pratiques, représentations, résistances à Ouagadougou (Burkina Faso), thèse en géographie, Université de Lille, 2020, p. 10 : « En Afrique francophone, essentiellement au Burkina Faso et en Côte-d’Ivoire, le maquis désigne un café-populaire, parfois dancing, installé sous forme de terrasse donnant directement sur la rue, attenante à un local plus ou moins grand. Il propose des boissons et des plats à des prix souvent abordables, et dispose parfois d’une télévision, ou diffuse de la musique, voire accueille des orchestres. »

[12] Catégories élaborées par Raymond Murray Schafer pour désigner les sons produits par les activités humaines. Voir Raymond Murray Schafer, The Soundcape. Our Sonic Environment and the Tuning of the World, Rochester, Destiny Books, 1977.

[13] Noha Said, « Les crieurs publics : un dispositif sonore dans les quartiers populaires du Caire », dans Claire Guiu, Guillaume Faburel, Marie-Madeleine Mervant-Roux et al. (dir.), Soundspaces. Espaces, expériences et politiques du sonore, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 126.

[14] Ibid., p. 8, « Introduction ».

[15] Henry Torgue, « L’expérience sonore des lieux. Introduction », ibid., p. 113.

[16] Élise Simonet est dramaturge. Depuis 2013, elle est membre de l’Encyclopédie de la parole. Elle co-signe avec Joris Lacoste les spectacles Jukebox. Voir le site d’Élise Simonet.

[17] Mahamadou Tindano est acteur, metteur en scène et auteur. Il est le fondateur et le directeur de la compagnie Les Empreintes.

[18] Anthony Ouédraogo, entretien personnel, non publié.

[19] Élise Simonet, entretien personnel. Pour une retranscription partielle de cet entretien, voir Karolina Svobodova, « Ces paroles qui nous fabriquent. Entretien avec Élise Simonet », La Pointe, 7 mars 2023.

[20] Peter Szendy, Écoute, une histoire de nos oreilles, Paris, Éditions de Minuit, 2001.

[21] Exclamation manifestant le dégoût.

[22] « Ça sert à quoi de donner son cœur à un homme, ça sert à quoi de s’attacher ? Laisse-le partir, il va aller baiser ailleurs, quand il va aller baiser et revenir, tu lui fais laver son sexe, c’est important et puis vous couchez ensemble et tu rentres dans ta chambre et lui il rentre dans sa chambre. Le jour où tu as besoin de lui, tu vas le chercher. » Résumé du document par l’actrice, Safourata Kaboré, entretien personnel, non publié.

[23] Ibid.

[24] Ibid.

[25] Roland Barthes, L’Obvie et l’obtus, Paris, Seuil, 1992, p. 222-223.

[26] Ibid., p. 218.

[27] Raymond Murray Schafer, The Soundcape, op. cit. ; Brandon LaBelle, Acoustic Territories: Sound Culture and Everyday Life, Londres/New York, Continuum, 2010.

[28] Voir à ce sujet Barry Blesser et Linda-Ruth Salter, Spaces Speak, Are You Listening? Experiencing Aural Architecture, Cambridge/Londres, The MIT Press, 2007.

[29] Sur les différents sens accordés à ces notions, consulter notamment François J. Bonnet, Les Mots et les sons. Un archipel sonore, Paris, Les Éditions de l’éclat, 2012, ainsi que Barry Blesser et Linda-Ruth Salter, Spaces Speak, op. cit., en particulier en ce qui concerne la dimension culturelle de la perception auditive (p. 12-13).

[30] Mahamadou Tindano, entretien personnel, non publié.

[31] Noha Said, « Les crieurs publics : un dispositif sonore dans les quartiers populaires du Caire », art. cité, p. 128.

[32] Sophie Douce, « Au Burkina Faso, l’armée en plein doute face aux attaques terroristes », Le Monde, 8 déc. 2021.

[33] Discours d’introduction au spectacle par Mahamadou Tindano. Ce dernier tenait le rôle de maître de cérémonie et assurait les interactions avec le public.

[34] Mahamadou Tindano, entretien personnel avec, non publié.

[35] Ces informations ont été collectées au moyen d’entretiens compréhensifs sur l’entrée dans la vie d’artiste des personnes interrogées. Les entretiens ont permis d’identifier les réactions de la famille et de l’entourage face à ce choix de carrière. Sur le statut d’artiste au Burkina Faso – en particulier celui de danseur et de chorégraphe – et les stigmatisations dont la profession est l’objet, lire Nadine Sieveking et Sarah Andrieu, « The evolution of professional contemporary dance in Burkina Faso », Critical African Studies, n° 11, 2019, p. 63-86. Voir aussi Sarah Andrieu, « Artistes en mouvement. Styles de vie de chorégraphes burkinabè », Cahiers d’ethnomusicologie, n° 25, 2012, p. 55-74.

[36] Le public burkinabè est habitué à deux formes principales de théâtre : le théâtre de sensibilisation et le théâtre dit d’auteur. Le premier a pour vocation de circuler dans l’ensemble du pays et s’adresse prioritairement à un public peu scolarisé qu’il s’agit de sensibiliser aux enjeux de santé, d’hygiène, de mœurs, tandis que le second désigne un théâtre « conventionnel », textocentré, et se concentre aujourd’hui principalement à Ouagadougou. Sur le théâtre de sensibilisation, lire Pingdewindé Issiaka Tiendrebeogo, L’Impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso, thèse en arts et médias, Université Joseph Ki-Zerbo (Ouagadougou), 2018 ; sur la localisation des théâtres à Ouagadougou, voir Karolina Svobodova, « Les théâtres à ciel ouvert de Ouagadougou. Stratégies de localisation et possibilités d’appropriation des espaces poreux à la ville », art. cité.

[37] L’observation de processus de création mais aussi des moments de sociabilité entre acteurs permet de constater que les erreurs de grammaire ou de prononciation par un comédien lors d’une représentation lui seront constamment rappelées par ses collègues, alimentant les conversations et les blagues au sein du milieu théâtral. Ce n’est que récemment que des initiatives se développent pour promouvoir un théâtre d’auteur en langues maternelles, à l’exemple des activités du festival Les Ritlames (voir le site du festival).

[38] Élise Simonet, entretien personnel.

[39] Pingdewindé Issiaka Tiendrebeogo, L’Impact du théâtre d’intervention sociale sur le développement du Burkina Faso, op. cit.

[40] Peter Brook, L’Espace vide : écrits sur le théâtre, Paris, Seuil, 2001.

[41] Claire Guiu et Marie-Madeleine Mervant-Roux, « Mises en scène et écriture sonore des espaces », dans Claire Guiu, Guillaume Faburel, Marie-Madeleine Mervant-Roux et al. (dir.), Soundspaces, op. cit., p. 17.

 

L’autrice

Karolina Svobodova est docteure en arts du spectacle et techniques de diffusion et de communication de l’Université libre de Bruxelles. Elle est l’autrice d’une thèse intitulée « Des lieux intermédiaires dans un pays en chantier. Nouvelles réponses spatiales aux défis culturels, artistiques et urbains dans la Belgique des années 1970-1980 ». Ses recherches mêlent géographie culturelle, histoire et études théâtrales et sont notamment publiées dans des revues de théâtre (Études théâtrales, Théâtre/Public, Alternatives théâtrales, Critical Stages) et de géographie (« Se faire une place : le Cirque Divers en Roture », Géographie et cultures, 2019 ; « Les théâtres à ciel ouvert de Ouagadougou », EchoGéo, 2022). Karolina Svobodova est également l’une des rédactrices en chef et fondatrices du média culturel La Pointe, conçu afin de rapprocher chercheur·ses, artistes et publics sur les questions et enjeux des pratiques artistiques. Elle mène actuellement un postdoctorat sur le monde théâtral au Burkina Faso.

 

Pour citer ce document

Karolina Svobodova, « Jukebox à Ouagadougou : à l’écoute de la ville. Le dispositif de création et de représentation de l’Encyclopédie de la parole dans un théâtre à ciel ouvert », thaêtre [en ligne], Chantier #8 : Dispositifs sonores. À l’écoute des scènes contemporaines (coord. Marion Chénetier-Alev, Noémie Fargier et Élodie Hervier), mis en ligne le 15 janvier 2024.

URL : https://www.thaetre.com/2024/01/15/jukebox-a-ouagadougou/

 

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Jukebox à Ouagadougou

 

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