# 5 | Machin la Hernie : théâtre monstre

Avant-propos

© thaêtre d’après un photomontage de Sean Hart

 

L’écriture fleuve de Machin la Hernie, le roman de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi[1] (1947-1995) mis en scène par Jean-Paul Delore et interprété par Dieudonné Niangouna, est en partie inspirée par les discours radiophoniques du général Mobutu, le dictateur qui a gouverné la République Démocratique du Congo jusqu’en 1997 après l’avoir renommée Zaïre en 1971[2]. Commentant en 1973 l’intervention quotidienne du Maréchal-Président, Sony Labou Tansi écrit : « Le mecton du Zaïre. Il vient de faire son numéro général : d’horloge parlante : il prend le pays pour un coin de son sexe. »[3] Le monologue torrentiel du Président fictif Martillimi Lopez, en quoi consiste in extenso Machin la Hernie, n’est toutefois le portrait à charge d’aucun dictateur africain. On manquerait la visée politique de l’œuvre si l’on y cherchait une dénonciation littéraire de l’obscénité grotesque du Souverain postcolonial, écrite à l’encre de la bienséance démocratique « chrétienne occidentale »[4]. Comme Sony Labou Tansi l’écrit dans l’« avertissement » de Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, l’une de ses nombreuses pièces de théâtre occupées à mettre en scène le pouvoir politique, c’est d’abord l’Europe « qui se donne un coup de couteau à la conscience et à l’âme »[5] en installant et en finançant le « sinistre africain »[6] orchestré dans des pays faussement indépendants par des « souverainetés imbéciles »[7]. S’il est aisé à un citoyen français de trouver risibles et désastreux les chefs d’État fantasques qui ruinent dans les anciennes colonies les valeurs démocratiques dont il se sent (par une singulière faculté métaphysique) le dépositaire universel, c’est à condition d’oublier que ses propres Présidents, dûment élus, ne se comportent pas différemment avec les restes ultramarins de l’Empire colonial français, entretenus, sous la dépendance de l’État métropolitain, dans la même « déconfiture économique, sociale, culturelle et humaine » que l’Afrique postcoloniale. Sous les Tropiques guyanaises, l’État français apparaît bien sous le même jour que l’État colonial brésilien dans le reste de l’Amazonie : même avidité extractiviste, même racialisation et paupérisation des populations autochtones, précolombiennes ou issues de la traite, même incurie sanitaire… Et s’il en va ainsi, c’est parce que ce sont les mêmes principes qui commandent l’exercice réel du pouvoir en Occident comme dans ses périphéries : ceux de l’État autoritaire, qui vend pour rien à des trusts industriels et financiers le futur des peuples qu’il soumet par ailleurs sans retenue à sa puissance militaro-médiatique, mobilisant une technologie avancée en matière de communication comme en matière de répression policière, à seule fin d’empêcher la moindre revendication sociale collective.

Grégoire Chamayou a montré que cette notion d’un État « libéral-autoritaire »[8], conçue dans les années 1930 par des théoriciens proches des nazis, a fini, à partir des années 1970, par s’imposer à la plupart des gouvernants du bloc « libéral » et à leurs « alliés » périphériques. Il a montré aussi que cet État fort est aussi le plus faible : cédant à la pente mortifère d’un capitalisme illimité, il est aussi l’État le plus médiocre – dans les termes de Sony Labou Tansi : l’État médiocratique[9]. Dirigé par des chefs dont l’imagination politique ne dépasse pas celle d’un ingénieur des mines occupé à optimiser sa production, comme l’atteste le discours d’Emmanuel Macron du 29 mars 2018 sur l’intelligence artificielle[10] où le Président français rêve d’une technologie informatique centralisée capable de calculer pour ses sujets l’unique meilleur monde possible en matière d’éducation, d’emploi, de santé… Ce qui, on en conviendra, n’est pas moins « prendre le pays pour un coin de son sexe ». C’est pourquoi Machin la Hernie nous parle directement – et urgemment. Car, comme Sony Labou Tansi l’annonçait au début des années 1990, le « cosmocide de notre planète »[11] a bien fini par être le vainqueur de la guerre que la « médiocratie » mène depuis trop longtemps contre l’esprit. La question n’est plus de savoir si nous pouvons encore éviter la fin du monde. C’est nous qui venons et elle qui déjà nous attend : « Nous sommes tous attendus par un chambardement… »[12] Personne n’en réchappera – personne, déjà, n’en réchappe. Mais c’est dire aussi que personne n’est déjà plus obligé à l’immonde, n’est plus contraint de « bouffer les questions-réponses »[13] de ses maîtres. Machin la Hernie traite de cette dystopie par laquelle ceux que Labou Tansi appelle « les gens du Nord » aiment s’imaginer la réalité politique africaine pour la fustiger ou la plaindre ; il la déconstruit et la reconstruit minutieusement comme l’imaginaire politique qui, après avoir cannibalisé le gouvernement politique réel sur l’ensemble de la planète, a fini par s’identifier à lui. Il faut admettre que nous sommes tous dans « la vaste galère qu’on nous cuisine »[14] depuis des décennies, la même galère que celle dans laquelle se trouve Martillimi Lopez, le Président imaginaire de Machin la Hernie, avec tous les Présidents imaginaires, c’est-à-dire réels, de France et d’ailleurs.

Mais Martillimi Lopez n’est pas Emmanuel Macron, ni Jair Bolsonaro ou Donald Trump. Car, dans cette galère, nous ne sommes pas tous égaux. Si Martillimi Lopez porte un nom portugais, c’est pour rappeler qu’il est un enfant africain du malentendu colonial, ce que Labou Tansi appelle « un enfant du cosmocide »[15] qui a commencé il y a cinq siècles en réduisant l’Afrique « noire » au silence sous le joug d’une ou l’autre de ces langues européennes aussi bavardes en religion et en science que brailleuses d’ordres. C’est pourquoi lorsque ce Président Martillimi Lopez de Sony Labou Tansi prend la parole dans la langue des maîtres, ce n’est pas pour à son tour « consommer un monde dont [il aura] été absent pendant trop longtemps »[16]. De la langue dans laquelle il a été « violé »[17], de la langue de pesage et de dégradation, de réquisition et de déportation de « l’homme noir »[18], de cette langue monstrueuse, comme de la forme monstrueuse de souveraineté dans laquelle il ne peut s’arrêter d’être embarqué, il se fait un corps vivant, un « corps-langage »[19], d’abord pour sonder la forme énigmatique d’humanité que réalisent ses vainqueurs – ce qu’ils sont pour eux-mêmes, et qu’ils prescrivent comme unique manière d’exister –, mais surtout pour tenter de « trouer »[20] poétiquement cette forme de vie désastreuse en ouvrant en elle et contre elle les perspectives d’autres vies possibles ; boxant ainsi, infatigable, la condition monstrueuse qui lui est faite, afin que puisse ré-exister son humanité, afin qu’il « fasse homme »[21] en lui. Le monologue interminable du Président Martillimi Lopez, « frère »[22], « ami personnel »[23] et « collègue »[24] du Président des Français, le « De Gaulle d’aujourd’hui »[25], est ce combat poétique pour la dignité, la seule manière pour lui, sous la défaite totale qui lui a été infligée, de s’essayer à exercer son « métier d’humain »[26]. De l’humanité de carrière, de la souveraineté de carrière qui est celle des chefs d’État occidentaux et de leurs émules africains, tous engoncés dans leur médiocrité, et dont il endosse le langage, la violence et le ridicule, il fait une humanité problématique, incertaine, bègue et affolée, insurgée, en lutte pour se faire (re)naître – sans répit, par la puissance de nommer d’un verbe sans ponctuation.

Ce combat, l’acteur et dramaturge Dieudonné Niangouna l’incarne sans distance, s’y joue entièrement, athlétiquement, dans l’adaptation mise en scène par Jean-Paul Delore de Machin la Hernie créée au Tarmac le 13 avril 2016 et de nouveau jouée en octobre 2017. C’est à l’occasion de la reprise du spectacle dans le cadre du festival Corpus Africana organisé en octobre 2018 à l’Université de Toulouse Jean Jaurès en partenariat avec le festival Danses et Continents Noirs du chorégraphe franco-camerounais James Carlès, qu’est né le projet du présent dossier pour la revue thaêtre. On trouvera ici, pour commencer, sous le titre « Se prendre le ventre avant la tête », la retranscription d’un entretien réalisé en public le lendemain de la représentation toulousaine avec Jean-Paul Delore et Nicolas Martin-Granel, chercheur associé à l’ITEM-ENS-CNRS et éditeur avec Greta Rodriguez-Antoniotti, en 2005 aux éditions de la Revue Noire de la version originale de Machin la Hernie, d’abord paru du vivant de Sony Labou Tansi, en 1981, aux éditions du Seuil dans une version raccourcie et remaniée sous le titre L’État honteux. L’entretien explique le choix pour le théâtre du texte-roman de Machin la Hernie (alors que Sony Labou Tansi est par ailleurs l’auteur de plusieurs pièces de théâtre) ainsi que le processus de son adaptation et de sa mise en scène. Afin d’éclairer le contexte de l’écriture de Machin la Hernie, nous reproduisons d’ailleurs la riche introduction de Nicolas Martin-Granel à son édition du roman aux éditions de la Revue Noire : « La naissance d’un monstre. Pour renommer le roman préféré de Sony Labou Tansi ». Le projet de porter Machin la Hernie au théâtre étant né de la complicité artistique et intellectuelle de Jean-Paul Delore et Dieudonné Niangouna, qui, comme nous venons de le dire, donne corps et langue (et même sueur) au texte poétique de Labou Tansi, nous retranscrivons sous le titre « Jouer Martillimi Lopez » un long entretien avec Dieudonné Niangouna réalisé à Paris en février 2019, dans lequel l’homme de théâtre, qui a promis à Sony Labou Tansi de terminer son œuvre tout en faisant la sienne, relate sa rencontre avec son personnage, Martillimi Lopez, et explicite la pratique rituelle qu’il met en œuvre pour l’interpréter.

En complément du dossier de présentation de la pièce par la Compagnie du Lézard Dramatique et des photographies que nous ont confiées Jean-Paul Delore et Sean Hart, nous présentons ici une sélection d’extraits filmés de la pièce (« Machin la Hernie : en répétition » et « Machin la Hernie : en représentation »[27]), ainsi que les captations des débats qui ont suivi la pièce lors de sa présentation au Tarmac en 2016 et 2017, débats qui permettent notamment d’écouter Jean-Paul Delore, Dieudonné Niangouna et l’écrivaine Annie Le Brun (« La figure du dictateur aujourd’hui : Sony rattrapé par l’actualité ? »).

Comme l’atteste le texte central consacré à l’« Esthétique de la vulgarité » par l’historien et politologue camerounais Achille Mbembe dans De la postcolonie[28], la pensée de Sony Labou Tansi a fortement inspiré les sciences humaines et sociales en Afrique centrale francophone. Avec Nicolas Martin-Granel, nous avons ainsi spécialement sollicité un entretien avec l’anthropologue congolais Patrice Yengo, chercheur associé à l’Institut des mondes africains de l’EHESS. Patrice Yengo est l’auteur d’un ouvrage important paru en 2016, Les Mutations sorcières dans le bassin du Congo[29], et d’un article éclairant paru dans la revue Continents manuscrits sur « Le ventre dans l’écriture de Sony Labou Tansi et Tchicaya U Tam’si »[30]. Dans l’entretien retranscrit ici sous le titre « Machin la Hernie : hybris et vicissitudes du ventre », nous l’avons interrogé sur le rapport qui peut être fait entre la « hernie » de Martillimi Lopez dans Machin la Hernie et le sens que revêt en anthropologie politique du Congo contemporain la notion de ventre. Nous avons également demandé un entretien au sociologue congolais-gabonais Joseph Tonda, Professeur à l’Université Omar Bongo de Libreville, qui a publié en 2015 un ouvrage sur L’Impérialisme postcolonial qu’il interprète à travers la catégorie de « société des éblouissements »[31]. Sous le titre « Machin la Hernie : une afrodystopie », l’entretien avec Joseph Tonda prolonge et enrichit l’échange informel que nous avons eu avec lui au Tarmac à la sortie de la représentation du spectacle de Jean-Paul Delore et Dieudonné Niangouna. Nourrie autant par l’entretien de février 2019 avec Dieudonné Niangouna que par la lecture de Patrice Yengo et de Joseph Tonda, la contribution de Jean-Christophe Goddard publiée ici sous le titre « Sony Labou Tansi et le théâtre des ombres », inscrit le spectacle dans le sillage d’Une saison au Congo d’Aimé Césaire et en propose une lecture politique centrée sur la manière dont le spectre de Patrice Lumumba, figure majeure de l’Indépendance congolaise, assassiné par la puissance coloniale, hante l’imaginaire de la souveraineté nationale postcoloniale.

Mais la dimension politique de Machin la Hernie est indissociable de sa poétique, c’est-à-dire de la logique de l’écriture qui y est mise en œuvre. Dans son article intitulé « Le théâtre organique de Sony Labou Tansi », Julie Peghini fait voir comment l’attachement premier de Sony Labou Tansi à la poésie, sa compréhension de l’existence authentique comme existence poétique, engage sa conception du théâtre comme théâtre organique. Xavier Garnier, professeur de littérature française et francophone à l’Université Sorbonne Nouvelle de Paris 3, auteur en 2015 de Sony Labou Tansi, une écriture de la décomposition impériale[32], associe étroitement cette vocation poétique de l’écriture de Labou Tansi à l’engagement politique de sa pensée dans le texte qu’il nous a confié pour la circonstance : « Les mots frappés de Machin la Hernie contre la société du spectacle ». Il montre comment Labou Tansi partage le rapport au langage du théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud pour en tirer un enjeu dramaturgique hautement politique, critique de toute représentation à distance. Alice Desquilbet, qui réalise une thèse de littérature sur « l’écopoétique » de Sony Labou Tansi à l’Université Sorbonne Nouvelle de Paris 3, complète cette approche en conduisant, sous le titre « La Hernie au sein du système extractiviste mondial. Une proposition d’analyse syntaxique », une interprétation de l’écriture poétique de Machin la Hernie comme écriture de l’extractivisme à partir d’une analyse systématique des compléments du nom « de ma Hernie » dans le monologue de Martillimi Lopez, restituant ainsi la dimension foncièrement écologique de la pensée de Sony Labou Tansi.

Le processus d’écriture qui aboutira à Machin la Hernie, comme Sony Labou Tansi le confie en 1978 à Françoise Ligier[33], est l’accouchement douloureux – car, utérin[34], il ne va pas sans secouer et déchirer les entrailles – d’un « monstre », de son personnage unique et monstrueux : Martillimi Lopez. Nous avons choisi de donner à ce dossier le titre de « théâtre monstre », parce que cette mise au monde d’un monstre condense les principaux aspects du théâtre sonyen que Jean-Paul Delore et Dieudonné Niangouna actualisent dans la mise en scène de Machin la Hernie. Si Martillimi Lopez, le Président fictif de Machin la Hernie, est un monstre, c’est que, comme Walante, le maître de l’île tropicale imaginaire de Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, un métis de souche anglaise, il est né d’une pénétration intrusive dans un ventre autochtone. Ce viol fondateur, Sony Labou Tansi le porte au théâtre dans la pièce inédite qu’il consacre à Kimpa Vita[35], la guérisseuse-prophétesse kongo du XVIIe siècle initiatrice d’un christianisme africain de résistance[36] : violée par un Saint Antoine portugais, l’héroïne anticoloniale porte en son sein l’étranger pour le « refonde[r] homme mâle, mammifère et viril », et devenir mère, en le mettant au monde, d’une nouvelle terre insulaire sur laquelle elle inscrira sous le règne de son fils « en lettres de chair la honte du Portugal » – le gâchis par les hommes blancs du premier Christ et la nécessité d’un autre Christ. Cette royauté étrangère, monstrueuse, virile, dénonciatrice et prophétique, meurtrière et aimante, née du ventre d’une femme kongo violée par la colonisation esclavagiste européenne, est aussi celle de Martillimi Lopez. La monstruosité du personnage n’est donc pas seulement de naître d’un métissage forcé avec l’Europe ; elle est aussi une puissante affirmation de soi. Dans Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, Walante la revendique explicitement comme un positionnement à la fois épistémologique, politique et esthétique :

Citoyens, frères jaloux,
qui abritez dans vos cœurs
le lourd limon d’une toute grasse méchanceté,
je vous appelle à la vérité vaniteuse,
dans la nudité crue d’une rouge fatigue.
[…]
Découvrez sur le sillage d’une âme pourrie
le cortège d’une main qui ne sait pas trembler.
Je vous lance mes putréfactions à la figure,
dans un geste qui brasse l’air avec amour et poésie.
Je prends mon grade dans le lot des monstres
aux sources de la cruauté.
Je me nomme baron de la morsure et du mépris.
Je me sacre ruine et écrasement[37].

Si Walante prend ainsi la décision de « [s’ingérer] dans les affaires intérieures de l’humanité » pour y « jouer le monstre »[38], c’est parce qu’il « aime les hommes d’un amour désespéré »[39] et afin d’avertir et de proposer « un autre débat que celui des larmoiements humanitaires »[40]. Seule la monstruosité du potentat est monstrative. En lieu et place de la peur et du silence, elle a « le culot de nommer la plus grosse effronterie de l’histoire contemporaine »[41] que sont les fausses Indépendances africaines, la rencontre trahie et la « fouaillade terrible »[42] du racisme, et, par-dessus tout, l’insigne médiocrité dans laquelle, par manque d’intelligence, est tenu de ce fait, « le peuple humain tout entier ». Aussi, pour Sony Labou Tansi, le monstre « a[-t-il] raison »[43]. « En art », il est même « un dieu », « un prodige, donc une beauté »[44]. Il faut avoir « le pied profondément humain »[45] pour le comprendre. Le projet de partager, à travers ce numéro de thaêtre, notre rencontre avec le Martillimi Lopez du spectacle de Jean-Paul Delore et Dieudonné Niangouna est né de l’impression, ressentie par de nombreux spectateurs, qu’elle fut amoureuse et fraternelle, que, comme le dit Sony Labou Tansi, chacun s’y trouvait « foutu […] petit frère de monstre » – « frère de crasse et de sueur »[46]. Qu’en réveillant en chacun sa part de monstre, elle suscitait aussi sa part d’humanité – celle qui ne s’atteint qu’en se portant violemment atteinte : une humanité brute, de sang et de responsabilité partagés, résolument contraire à l’humanité formaliste, « formalitaire »[47], de bonne ou de mauvaise conscience, que les maîtres de l’Histoire se sont fabriquée pour éviter de se faire refiler quoi que ce soit par la salive des autres[48].

 

Notes

[1] « Sony Labou Tansi » est un pseudonyme de Marcel N’soni fixé tardivement par l’auteur après avoir connu de nombreuses versions (voir Céline Gahungu, Sony Labou Tansi. Naissance d’un écrivain, Paris, CNRS Éditions, 2019, p. 31-34). « Sony » est une transformation orthographique de « N’soni » (« ma honte »), le nom de naissance donné par son père à l’auteur par amertume d’avoir été éconduit par la femme avec laquelle il aurait préféré avoir un enfant. Dans une lettre adressée à Nicolas Martin-Granel en 1994, l’écrivain donnera toutefois un autre sens à « Sony » : « la pudeur ».  Labou est le nom de son père (Paul Labou), ou plutôt son sobriquet (un « labou » est un instrument de danse). Par homophonie, c’est aussi « la boue » avec laquelle ou dans laquelle l’écrivain dit travailler. « Tansi » (« la terre », ou « le pays ») est une évocation de la grand-mère de Sony (sa « première femme » chez les Kongo), Luttunu Bana Tansi (« ils sont partis avec la terre »), et un hommage au grand écrivain congolais U Tam’si.

[2] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, Paris, Revue Noire Éditions, 2005. Machin la Hernie, texte de Sony Labou Tansi, mise en scène de Jean-Paul Delore, création en avril 2016 au Tarmac (Paris).

[3] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 8.

[4] Sony Labou Tansi, « Avertissement », Encre, sueur, salive et sang, Paris, Seuil, 2015, p. 115.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Grégoire Chamayou, La Société ingouvernable. Une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La Fabrique, 2018. Voir le chapitre 24.

[9] Sony Labou Tansi, « Lettre aux intellocrates de la médiocratie parlementaire », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 142.

[10] Discours du Président de la République Emmanuel Macron au Collège de France le 29 mars 2018, mis en ligne le 29 mars 2018.

[11] Sony Labou Tansi, « Lettre fermée aux gens du Nord et Compagnie », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 165.

[12] Ibid., p. 166.

[13] Sony Labou Tansi, « Brouillon de lettre à Sylvain Bemba », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 39.

[14] Sony Labou Tansi, « Lettre aux intellocrates de la médiocratie parlementaire », art. cité, p. 146.

[15] Sony Labou Tansi, « Note de l’auteur à propos de Conscience de tracteur », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 21.

[16] Ibid.

[17] Sony Labou Tansi, « L’écrivain face à la polémique », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 50

[18] Sony Labou Tansi, « Donner du souffle au temps et polariser l’espace », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 70.

[19] Sony Labou Tansi, « Introduction à L’Acte de respirer », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 27.

[20] Ibid.

[21] Sony Labou Tansi,  « L’écrivain face à la polémique », art. cité, p. 48.

[22] Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., p. 51.

[23] Ibid., p. 49.

[24] Ibid., p. 202.

[25] Ibid., p. 49.

[26] Sony Labou Tansi, « La tâche de l’écrivain », Encre, sueur, salive et sang », op. cit., p. 92.

[27] Ces extraits ont été filmés par Julien Hogert et Arnaud Alain, dans le cadre du documentaire réalisé par Julie Peghini, Insurrection du verbe aimer (Spécial Touch Studios & Collectif Louise, 80 min., 2019).

[28] Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Paris, Karthala, 2000.

[29] Patrice Yengo, Les Mutations sorcières dans le bassin du Congo. Du ventre et de sa politique, Paris, Karthala, 2016.

[30] Patrice Yengo, « Le ventre dans l’écriture de Sony Labou Tansi et Tchicaya U Tam’si »Continents manuscrits [en ligne], 1|2014, mis en ligne le 22 avril 2014.

[31] Joseph Tonda, L’Impérialisme postcolonial. Critique de la société des éblouissements, Paris, Karthala, 2015.

[32] Xavier Garnier, Sony Labou Tansi. Une écriture de la décomposition impériale, Paris, Karthala, 2015.

[33] Sony Labou Tansi, cité par Nicolas Martin-Granel, « La naissance d’un monstre. Pour renommer le roman préféré de Sony Labou Tansi », dans Sony Labou Tansi, Machin la Hernie, op. cit., 2005, p. 10. On trouvera ce texte reproduit dans la revue thaêtre : https://www.thaetre.com/2020/08/30/la-naissance-dun-monstre/

[34] Sur la féminité de Sony Labou Tansi, voir Nicolas Martin-Granel, « La quadrature du texte ou l’énigme des quatre Le Quatrième Côté du triangle de Sony Labou Tansi »Genesis [en ligne], 33|2011, mis en ligne le 23 octobre 2013.

[35] Sony Labou Tansi, Béatrice au Kongo, 1980, tapuscrit à paraître dans le volume Théâtre de Sony Labou Tansi (CNRS-Éditions), Fonds Nicolas Bissi (Brazzaville).

[36] Sur Kimpa Vita, voir Georges Balandier, Le Royaume de Kongo du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Fayard/Pluriel, 2016 et plus récemment Abel KouvouamaUne histoire du messianisme. Un « monde renversé », Paris, Karthala, 2018.

[37] Sony Labou Tansi, Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, Carnières, Lansman éditeur, coll. Théâtre à vif, 1989, p. 25.

[38] Sony Labou Tansi, « Avertissement », art. cité, p. 115.

[39] Ibid.

[40] Ibid.

[41] Ibid., p. 116.

[42] Sony Labou Tansi, Qui a mangé Madame d’Avoine Bergotha ?, op. cit., p. 23.

[43] Sony Labou Tansi, « Avertissement », art. cité, p. 115.

[44] Sony Labou Tansi, « Préface à La Parenthèse de Sang », Encre, sueur, salive et sang, op. cit., p. 28.

[45] Ibid., p. 29.

[46] Sony Labou Tansi, « Avertissement », art. cité, p. 116.

[47] Sony Labou Tansi, « Préface à La Parenthèse de Sang », art. cité, p. 29.

[48] Nous tenons à remercier très vivement Nicolas Martin-Granel, sans les idées et le travail desquels ce dossier n’aurait jamais pu voir le jour. Nous tenons aussi à remercier très chaleureusement Armelle Talbot pour son accueil et son accompagnement enthousiaste.

 

 

Les auteurrices

Jean-Christophe Goddard est professeur de philosophie et chercheur au sein de l’équipe Transversalités Critiques et Savoirs Minoritaires (TRANSMIS) à l’Université de Toulouse 2 Jean Jaurès. Il coordonne le consortium interuniversitaire du Master EuroPhilosophie et les activités du Séminaire « Penser les décolonisations » créé en 2016 à l’Université de Toulouse 2 en coopération avec l’Université catholique de Louvain. Il est co-organisateur, avec le chorégraphe James Carlès, du festival biannuel Corpus Africana. Il est l’auteur de Brésilien noir et crasseux/Brazuca negão e sebento (trad. Takashi Wakamatsu, préface Eduardo Viveiros de Castro, Sao Paulo, n-1 edições, 2017). Il a publié également : « Guyane. Montagne d’or et résistances amérindiennes », revue Multitudes, n° 68, automne 2017 et « Tenkowa, le cargo céleste du monde blanc. L’extractivisme capitaliste au miroir de l’anthropologie amérindienne », revue Z, n° 12, Éditions Agone, 2018.

Julie Peghini est anthropologue et réalisatrice. Maîtresse de conférences à l’Université Paris 8, elle est membre du CEMTI (Centre d’études sur les médias, les technologies et l’internationalisation) et chercheuse associée à l’ITEM-CNRS (Institut des textes et manuscrits modernes) où elle travaille notamment dans le groupe Sony Labou Tansi. Elle a collaboré artistiquement sur deux spectacles autour de Sony Labou Tansi, avec Étienne Minoungou (Si nous voulons vivre) et Marcus Borja (Le Chant des signes). Avec Dominique Malaquais, elle coordonne Yif Menga, programme de recherche sur la performance comme projet politique. Consacré à l’héritage contemporain de l’œuvre de Sony Labou Tansi, Insurrection du verber aimer (2019) est son premier long métrage documentaire.

 

Pour citer ce document

Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini, « Avant-propos », thaêtre [en ligne], Chantier #5 : Machin la Hernie : théâtre monstre (coord. Jean-Christophe Goddard et Julie Peghini), mis en ligne le 8 décembre 2020.

URL : https://www.thaetre.com/2020/12/08/machin-la-hernie-avant-propos/

 

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