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Dispositifs et situations d’écoutes architecturales

Situations d’écoutes habitables :
rituels et dispositifs


 

© Nathalie Dona

 

Comment synthétiser, au sein des quelques lignes qui nous restent ici, l’étendue et la multiplicité des rituels et dispositifs d’écoutes déployés contextuellement lors de nos diverses expérimentations de terrain[1], sans risquer, soit de tomber dans l’écueil d’un inventaire à la Prévert, soit de passer à côté de cette expérience singulière vécue contextuellement, expérience qui, par essence, est unique, difficilement transmissible et devient définitivement caduque, une fois la proposition artistique et l’espace de la situation dissociés[2] ?

À moins que ?

Et pourquoi ne pas nous y risquer ici ?

Et si cet inventaire à la Prévert, ou, disons plutôt, cette libre énumération poétique de situations d’écoutes, pouvait être une forme tout aussi, sinon plus, adéquate pour partager, et faire émerger à nouveau, hors les murs, et hors-sol, la poésie indigène expérimentée in situ au contact des lieux ?

En tout état de cause, c’est le chemin de traverse que nous prendrons ici !

 

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Aveuglé, introduit dans le lieu nu, l’écoute nue, une goutte.

 

« Performance Salvan – partie 1.1 »

 

© Nathalie Dona

 

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En cercle,
communauté d’écoutants allongés,
yeux clos,
dans le mille-feuille d’une écoute appareillée,
ouverte aux éclats de projections sonores,
par et au-delà du casque,
par et au-delà des haut-parleurs,
par et au-delà des murs.

 

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Debout, face au rideau de fer qui cesse de vibrer sèchement,
tout comme cette infra basse inaudible.
S’ébranle et entame sa longue ascension
avec l’assurance et la force d’une mécanique mal huilée.

 

© Stéphane Marin

 

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Nos pas feutrés sur le tapis rouge
couinent de concert
les lattes du plancher

 

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Écoulement
ou projection
à travers l’espace
Vandales ?
les galets
du jardin

 

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L’Homme-Présence agite le vide immaculé de la pièce, il frappe _espace_et_temps_de bruit blanc.

 

« Performance Salvan – partie 1.3 »

 

© Nathalie Dona

 

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Face à la baie vitrée, assises et casquées, écoutent, en transparence, le maintenant du dehors ;
pendant qu’eux, désynchronisés, déambulent librement à travers le dedans d’un autre, hier.

 

© Nathalie Dona

 

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Asanas des oreilles :
assouplissements de l’écoute
avant son étirement
vertical
dans l’escalier de secours.

 

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Collées au Placo®,
à l’affût d’une ancienne fenêtre s’ouvrant sur le paysage bucolique,
les oreilles poudreuses.

 

© Nathalie Dona

 

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La poussière qui tombe de l’escalier sur mes épaules témoigne de la synchronicité des pas entendus au-delà du casque,
alors que, dans le cadre de celui-ci, je sens ma perception du lieu vaciller…

 

© Stéphane Marin

 

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Posant notre poids
et nos pas
sur le plancher,
nous absorbons
un peu
de l’énergie
grave
de nos pas
qui s’étouffe(nt)
instantanément
suite à
l’emballement
de leur propre
réinjection
enfin ab.assourdie.

 

© Stéphane Marin

 

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L’espace de l’écoute augmentée souligne,
redondante,
un certain nombre de lignes de fuite acoustiques,
de perspectives sonores,
que l’écoute du lieu,
en porosité,
ne dément pas.
Pourtant,
je n’arrive pas à déterminer si cette fréquence à peine audible
qui pourrait être celle d’une modulation électrique,
comme celle du transfo d’un chargeur de téléphone…
se situe dans le casque
ou dans la pièce.
Cela m’invite à faire des allers-retours subtils
entre les limites de l’écoute amplifiée
(dont je perds, là, les contours)
et l’écoute nue
(dont je redéfinis,
ici,
la portée).

 

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Assis.
Va-et-vient incessants,
ouvertures d’espaces improbables,
claquements de temps haché menu menu.
Le cadre dynamique de l’écoute casquée se surimprime au cadre de la porte muette.

 

© Stéphane Marin

 

« Porte à portes »

 

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Des pas en carton aplatis dans la boîte à chaussures de la costumerie.
Des pas boisés libérés en échos dans l’escalier monumental du Théâtre.
Des pas amplifiés à travers le caisson de basse en lisière du larsen.
Des pas, des clics et des chocs à la surface du BA13 de la White Box.
Des pas à fleur de membranes martèlent le plafond de nos crânes.

 

© Stéphane Marin

 

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La timide goutte du trop-plein du chauffe-eau
L’amplification la porte haut
Métronome du lieu
Fait sur lequel tout le monde s’accorde.

 

© Stéphane Marin

 

« Performance Salvan – partie 1.2 »

 

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Une radio posée sur un établi diffuse un morceau de rock’n roll. [REC !]
[PLAY !] La radio posée sur l’établi diffuse le morceau de rock’n roll diffusé dans ladite radio et enregistré réverbéré au loin dans l’atelier.
La radio posée sur l’établi diffuse le morceau de rock’n roll diffusé dans ladite radio et enregistré réverbéré au loin dans l’atelier perdu entre les sifflements des machines et ceux de l’ouvrier, au premier plan, qui siffle le morceau de rock’n roll, réverbéré au loin dans l’atelier…
[STOP !] La radio se coupe.
Un peu plus tard, un peu plus loin dans l’atelier, on entend, réverbéré, quelqu’un siffler le fameux morceau de rock’n roll.

 

© Stéphane Marin

 

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Un infime craquement de placoplatre

Un infime craquement de placoplatre
craquelle l’espace tout en le révélant.
Un craquement sec de placoplatre lui répond,
opposé diamétralement,
ouvrant à des perspectives acoustiques inédites.
Les craquements secs de placoplatre
se répètent à intervalles de plus en plus réduits.
Les craquements secs de placoplatre
(PING)
laissent de moins en moins de temps à l’espace
(PONG)
de PONGuer.
Le dernier craquement sec de placoplatre
laisse les murs de placoplatre
le temps de finir de sécher.

 

© Stéphane Marin

 

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Dans l’assourdissante chaufferie, il y a des silences qui suggèrent
l’organisation de concerts impromptus.
Ici, entre modulations synthétiques d’ondes électromagnétiques,
cliquetis mécaniques et glougloutis extatiques,
les microphones mixés dévoilent d’invisibles flux rhizomatiques.

 

© Mathias Guilbaud

 

« Electro-usine-secours »

 

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Finalement,
portes et fenêtres ouvertes,
le dehors s’invite dedans,
et les paysages de nos écoutes,
s’encadrent,
à travers.

 

« Performance Salvan – partie 1.4 »

 

© Stéphane Marin

 

 

Notes

[1] Stéphane Marin, « Vers une ‘‘belle’’ écoute ? », partie 9 « Mes dispositifs. A. Contextuel / Expérientiel » et partie 10 « Mes dispositifs. B. Usage des casques », dans Le désir de belle radio aujourd’hui / le documentaire (coord. Christophe Deleu, Pierre-Marie Héron et Irène Omélianenko), Komodo [en ligne], n° 18, 2022.

[2] Voir art. « Art contextuel » sur Wikipédia : « Tel que défini par Paul Ardenne [dans Un art contextuel], l’art contextuel consiste à agir au cœur d’un univers concret, ‘‘en situation d’intervention, de participation’’. […] L’œuvre n’a ici de sens qu’au moment et à l’endroit où elle est installée et tente d’opérer. Elle est l’ensemble composé de la proposition artistique plus de son contexte. Ces deux éléments séparés, il ne reste que des résidus de la proposition ou du contexte qui a repris son état antécédent. »

 

 

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