Shakespeare’s sisters

6. Ce que font les actrices


 

 

La peau
Sortie de résidence à Lilas en Scène
Film projeté de David Mambouch
Image issue de la captation filmée par Roland Edzard

Peu à peu, on construit le parcours de chacune. Une continuité pour chacune, faite de présences au plateau et de disparitions au micro.
Toujours en travaillant sur le moment présent. Elle, dans ce lieu, à ce moment. Une chose concrète, imprévue (le sac plastique du spectateur du premier rang, la sirène de l’ambulance dans la rue – ou envoyée au son – car les deux sont réelles, une marque au sol, un rayon de lumière, un mot), la fait glisser ou sauter dans un souvenir, une fiction, où une autre chose concrète la ramène en ce lieu.
Il y a un voyage dans des espaces-temps, des multivers. Tout ce qu’on a fait et dit dans les répétitions et les improvisations fait aussi partie du réel de notre mémoire. Nous, on voit une actrice qui est une femme, une femme qui est une actrice qui est une femme qui se souvient d’une femme qui se souvient d’une actrice etc.

Et le glissement de la parole à la présence puis de la présence à l’absence puis du silence à la parole. Elle énonce des faits. Mais des faits auxquels elle n’est pas complètement étrangère.
De cette façon, de chose concrète en chose concrète, on crée des séquences de presque rien, d’éléments infimes et pourtant potentiellement immenses. Qui contredisent éventuellement nos systèmes de temps ou nos échelles de valeur.
La puissance d’évocation que ça peut avoir, chaque temps, chaque geste. La laisser se déployer. L’interrompre comme en sursaut.
Une jeune fille, adossée au mur, dans l’ombre, seule sa peau plus claire nous fait deviner sa présence. Ça nous fait quoi ? On y voit quoi ?
Toutes les histoires et les souvenirs, les peurs, les rêves, les dégoûts, les chagrins, les rages qui s’enchevêtrent.
La présence et l’absence. Le désir. Le rire. Les secrets. La charge. Celle du fusil dont parle Emily Dickinson. L’instant. Cette dame, âgée, assise sur sa chaise, puis disparue.
Ces micro-expériences que nous activons. Une femme se déshabille lentement dans l’ombre et laisse trainer ses vêtements par terre. Il peut y avoir des boucles répétitives. Intérêt d’écouter, de regarder.
Sensation double d’un temps très bref (la journée, les semaines) et d’un temps très long (l’avenir de l’humanité). Où est-ce qu’on se loge ?
Un oubli soudain. Le vertige. Il n’y a pas d’extraordinaire.
L’adrénaline vient d’ailleurs. C’est autre chose. Une attention portée. Qui donne la sensation très forte de sa propre existence. Et donc de sa liberté.

 

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