8. De brèves ouvertures
Ce que je raconte, ou ce que je travaille, que j’essaie de toucher, je ne pourrais pas le raconter par les hommes. J’en passe par les femmes parce qu’il y a, c’est ce qui s’est manifesté, ce rapport à l’ordinaire, qui permet d’éprouver le réel. La quotidienneté, ici, est pour moi un mode d’accès au réel, elle est un moyen d’objectiver de façon très palpable, tangible, simple, appropriable par chacun, le réel.
Les brèves ouvertures, c’est ce qu’il y a entre les micro-événements du quotidien. Ce qui traverse, surgit, par ces brèves ouvertures, c’est la rencontre entre ce que je pourrais nommer l’axe du réel et l’axe de l’être.
Ce sont ces micro points de contact qui, parce qu’il y a eu le geste de se mettre à distance en prélevant minutieusement ce temps, ont fait surgir devant moi la puissance qui se loge là.
C’est cette rencontre entre ces deux axes qui est génératrice, ou révélatrice. Et qui est l’endroit auquel on se trouve à chaque instant, ou auquel on pourrait se trouver à chaque instant pour peu qu’on y prête attention.
Ce sont ces points de rencontre, infimes mais indéfiniment répétés, que je cherche à faire surgir en les travaillant « à la loupe », c’est-à-dire à la fois de très près et de très loin, par une distorsion paradoxale, pour que sous nos yeux naisse la sensation très forte, l’expérience intérieure, de notre propre existence. Et donc de notre liberté. De notre possibilité d’agir.
Car voici ma conviction. Si nous avons toutes 500 livres de rente et des chambres qui soient à nous seules, si nous acquérons la liberté et le courage d’écrire exactement ce que nous pensons, si nous parvenons un peu à échapper aux salons communs et que nous sommes en relation avec le monde de la réalité, alors l’occasion se présentera pour la poétesse morte qui fut la sœur de Shakespeare de prendre cette forme humaine à laquelle il lui a si souvent fallu renoncer.
Virginia Woolf, Une chambre à soi, trad. Clara Malraux,
Paris, 10-18, 2017, p. 170-171.
Il me reste à conclure ce retour sur notre travail. Nous avons inventé notre lexique. Il nous faut encore affiner le travail de lumière et de son, muscler certains passages au plateau, et découvrir ce qui arrive, après la neige.
Une dernière résidence, après celles de Lilas en Scène et de RAMDAM, UN CENTRE D’ART, pour arriver au bout du geste.
La rédaction de ces carnets aura été pour moi infiniment riche pour me permettre de mieux saisir en mots ce que nous avons accompli. J’espère que leur lecture fera naître beaucoup de questions et d’envies.
En relisant une dernière fois ces pages, je pense à cette interview de Romeo Castellucci entendue il y a quelques jours. Il dit ceci : « J’ai appris la philosophie profonde du théâtre : pas de réponses, pas d’illustrations, il s’agit vraiment d’allumer un feu. »