Shakespeare’s sisters

4. Retour au plateau. Épiphanies. Questions. Utopies.


 

 

Révélation
Audrey Liebot et Floriane Comméléran
Sortie de résidence à RAMDAM, UN CENTRE D’ART
© Manu Turlet

 

En parallèle du travail sur le texte, de façon imbriquée, une autre écriture se déploie. On procède par tâtonnements, par plongées successives.

On lit des choses, on regarde des images. Louise Bourgeois, Chantal Akerman, Siri Hustvedt, Nicole Krauss, Virginia Woolf, Kafka, La Femme de nulle part, Duras, Germaine Kruip, le synchronisme accidentel, les multivers, Chronos et Kairos, Celibidache, Schirren, Crimp, Das Boot, La Femme gauchère… Mon tableau, mes croquis, mes dessins…
J’invente des exercices, des rituels. Je leur donne des noms : les Filatures, les Une seconde en deux minutes, les Savannah Bays, les Châteaux de cartes. Nous inventons un langage.
On essaye tout, on lit, on relit, on écoute. On se souvient. Une carte, s’il n’en restait qu’une. Où elle s’accroche dans ton imaginaire. Quel souvenir ?
Il ne s’agit pas de mimer. Mais d’aller chercher, inventer, ce qui traverse le corps de chacune de ces femmes. Un rayon de soleil. Un frisson. Pas quelque chose d’énorme mais quelque chose de très précis.

L’idée est de laisser déposer.
Avec toujours une précaution absolue : ne jamais épuiser le sujet. Ne tirer aucune conclusion. Éprouver.
Sentir où ça nous parle, où ça nous heurte, ne pas résoudre (prétendre). Assumer que l’on touche à quelque chose d’insoluble. Ce n’est pas grave.
Sentir et reconnaître la part de rejet, les moments de haine, qui sont en fait rejet et haine de soi-même, quand on s’en rend compte (accidentellement), ça soulage. On est sidérées par l’amour. On sent naître l’utopie d’un mythe nouveau. Avec la parole, le temps, le principe de plaisir, et la possibilité de la mansuétude. La question. Un abandon tranquille et confiant à la question. Un tremblement. Encore cette certitude. La fiction propose des réponses. Il y a cette tentation de donner la réponse. Il faut ne pas céder à cette tentation. Tenir la question. Ce n’est pas donné. Ça bouge. Ça tremble. Répondre alors en acte. Pas les mots. Pas les phrases. Pas les idées et contre-idées. Un micro-geste décisif. Improvisation. Présence.
Dans notre processus de travail, l’intention est cela : ouvrir à la question, tenir la question. Suspendre le jugement. Avec férocité. Exposition et juxtaposition.
Et une conscience animée. Tu te souviens de ça ? Et de ça ? Et si tu l’oublies, il reste quoi ? Comment tu es, parles, ayant oublié ? Comment ce que tu as oublié est partout en toi ? Comment ça infuse dans chacun de tes gestes et de tes intonations ? Comment c’est présent ? Comment tu n’as pas à te souvenir mais à accepter d’être dépositaire d’une chose à l’œuvre et choisir d’œuvrer par-dessus, par ailleurs. Comment tu peux devenir actif, acteur, actrice, et nous suggérer que nous sommes cela, acteurs, actrices ? Tu te souviens quand on a parlé de ça ? Quand on a essayé ça ? Englobe-le. Oublie-le mais n’oublie pas que tu l’as vécu.
C’est tout dans le spectacle, par porosité et potentialité. Le choix a été celui-ci. C’est une immense exigence à chaque instant pour les comédiennes et les artistes techniciens, de tout oublier pour que tout puisse être présent. C’est un acte de confiance, c’est une exigence de présence énorme.
La certitude que notre travail ici n’est pas de le montrer (on a fait, dit, pensé ça), mais d’être. Et de travailler à cela, que chacun le sentira. C’est la certitude de ce que nous sommes ensemble. C’est un acte de potentialité.

 

Notes de travail


 

16. 04. 2021

En sortie de résidence, présentation de travail en cours, certains m’ont rappelé cet attendu (déçu) que le spectacle mène quelque part. Que je dise quelque chose, dénonce quelque chose précisément, propose quelque chose. Une solution qui permette de repartir content.
Or je décide de manquer à l’appel, je refuse de combler cette attente (que j’ai incorporée malgré tout, donc je travaille avec elle et sur elle). Le geste est précisément non pas un discours mais un acte, qui se trouve dans la manière dont j’expose le spectateur au matériau, l’écoute que je fabrique, que je crée, par la mise en œuvre du dispositif.
En cela, le spectacle relève autant de l’installation que du théâtre. Il convoque une présence. Une conscience. Met en branle une pensée, une envie d’agir. Et la sensation très claire, très fine, de la puissance d’être.
En faisant ce spectacle de cette façon-là, j’agis.
Il n’y a rien à dire. Rien d’autre que ce qu’elles disent, ces femmes, justement.

 

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